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L'endroit dans lequel ils avaient fini par s'aventurer ne faisait plus de sens. Le sol n'était plus de terre ; il n'y avait plus de ciel, plus de soleil, plus de haut, plus de bas – l'Est et l'Ouest se perdaient, ici, chaque détour n'étant qu'un enchevêtrement de branches labyrinthiques ; ils marchaient sur des troncs, non, peut-être des racines, cette fois, mais si épaisses et immenses qu'Eylian ne pouvait se défaire de l'impression qu'ils progressaient dans un seul et même arbre depuis le début. La lumière déclinait peu à peu, nimbant parfois leur chemin sous un voile vert – comme si le soleil, loin d'avoir un quelconque pouvoir ici, se contentait d'essayer de leur faire parvenir ses efforts à travers la canopée, sans jamais s'y réussir vraiment.

Les voix ne s'étaient pas tues, loin de là. Elles chuchotaient à ses oreilles, viens et avance et parfois, parfois va-t-en avec une colère brusque, rapidement apaisée par des enchantements et appels sirènes dans les instants d'après. Les boussoles ne marchaient pas, ici ; il avait sorti la sienne, ou plutôt, le porte-clef qu'il s'était acheté à ses débuts de projets de cartographie, avant de réaliser que son téléphone avait lui aussi une application utile pour repérer Nord et Sud – mais ni l'un ni l'autre ne marchaient, et sans soleil, Eylian avait du mal à réfréner un début d'angoisse. S'il ne voyait pas le soleil, pas le sol, et qu'aucun appareil ne l'aidait, comment pourrait-il se repérer ? (Qu'était donc cet endroit, pour être aussi mystique et confusant à la fois ?)

Parce que c'était beau, aussi ; c'était presque gracieux, ces arbres immenses et tout ce vert, ces lueurs or et émeraude, ces chants hypnotiques et ces condamnations brusques à l'oreille, ces bruits de nature et cette coupure nette face à la civilisation ; et c'était plein de mystères qu'il était incapable de se sortir du crâne. Comment les chasseurs avaient-ils pu atterrir au pied d'une cascade, si aucune rivière n'avait croisé leur chemin ? Pourquoi les voix de Lentis y étaient-elles deux fois plus vives ? Comment cela se faisait-il que personne n'avait jamais découvert cet endroit ?

« Eyli, » et ce fut immédiat, automatique – les pensées qui s'ancrent à la réalité, le corps qui ralentit, qui se tourne, le cherche, priorité quelle que soit la situation. Romeo n'avait pas l'air bien – en fait, plus ils passaient de temps ici, (plus les voix chantaient) plus il avait des airs nerveux ; et Eylian- Arceus, il n'aurait jamais dû accepter de le laisser venir avec lui. Enfin- Il n'aurait jamais dû venir, tout court, aurait dû refuser son offre qu'ils y aillent ensemble et rester avec lui à Ike Kai. (Mais la crainte et la curiosité avaient eu raison de son bon sens – et le voici, le prix à payer pour son manquement passager ; ses yeux angoisse et ses mots chaos, dont il était cette fois en partie responsable.) « Are you sure we- We don't even know where we're going, and this place is weird, and the voices don't seem to stop and- » Les voix.

Ces fichues voix, ces voix enchanteresses, ces voix traîtresses et étranges et si attirantes mais par Xerneas, pour Romeo, qui ne croyait pas, en tout ça ni en rien de divin, ce qu'elles devaient être terrifiantes, ces voix – (Eylian avait mal rie qu'à imaginer ce qu'il pouvait se dire). « I'm just- I don't like this place. » Un arrêt dans leurs pas, puis un demi-tour, et une avancée vers lui – des envies de prendre ses mains, de les réchauffer, de l'enlacer, de le recouvrir (de le protéger de ce monde tandis qu'il le peut encore, parce qu'il avait déjà payé un prix bien plus violent que quiconque ne le devrait). « I'm sorry I, I know it's too late to- But what if we never find our way back home, and then we're lost, and they never find us and- »

« Hey, » interrompit Eylian, doucement, calmement, levant une main pour la poser doucement sur le haut de son bras. Il s'approcha, ensuite, proximité rassurante et calculée, un peu, aussi ; pour qu'il aie un peu plus de familier dans son espace, pour lui offrir une ancre, un port d'attache. « It's- You're allowed to be worried, » et puis, et puis, la main en glissade le long du coude, de l'avant-bras et puis de la paume, effleurements doux et les doigts finalement atteints – il les entrelaça aux siens, lentement, prêt à se retirer si Romeo se dérobait à son offre. Pouce caressant doucement ses phalanges, il baissa le ton. « You're- you're safe, » (j'suis là), « I'm not gonna force you to keep going if you don't want to, » (même si l'endroit l'appelait, charmeur, charmant, susurrant des douceurs à ses oreilles et des promesses de découvertes à son coeur) « I'm- I'm sorry I didn't- You're right. »

Il ignora les voix, les chuchotis, les murmures et ses envies. Tous les serments du monde ne pesaient rien, même prononcés par un archipel aux airs vivants, face à celui qu'il lui avait fait à lui (trésor, perle et joyau à chérir, merveille à préserver), des mois plus tôt.

(J'te lâcherai pas).

« I should have paid more attention to you sooner, I- this place is weird, and it's like everything looks the same. » Il le dévisagea un instant avant de balayer ce qu'il y avait autour d'eux. Okay, le- uh, le sol, ou la branche- …Enfin, le truc sur lequel ils étaient semblait suffisamment stable et large pour pouvoir monter un camp. Donc- « Tu sais quoi ? On s'arrête là, » et il recula un peu, repérant comme un- tronc immense, sûrement, quelque part à leur droite. « On n'aura pas l'énergie de faire tout le chemin du retour de suite, alors j'te propose- on mange, on dort, et on rentre, okay ? » Et peut-être qu'il reviendrait, lui, un jour – plus tard, une autre fois, percer le secret de cet endroit terrifiant (fascinant), mais ça ne serait pas aujourd'hui.

Sifflant doucement pour appeler Raion – l'Hélionceau avait été juste à côté d'eux trente secondes auparavant, donc devait ne pas être loin – il sourit lorsque la silhouette brune du félin apparut quelques secondes après. « We won't get lost, tho- They'll make sure we don't. »

Installer un semblant de tente avait pris moins de temps que prévu. Peut-être parce qu'il était parti du principe que l'endroit serait un peu montagneux, avec des piquets à tendre et aucun arbre sur lequel, éventuellement, s'accrocher ; mais à l'inverse, le sol n'était- Pas un sol, en fait, et il s'était plus ou moins arrangé pour accrocher la tente de façon à ce qu'ils aient une sorte de toit pour s'abriter d'éventuelles pluies, chute de feuilles et autre, puis avait sorti deux matelas vaguement gonflables (qui ressemblaient plus à deux tapis de sol qu'autre chose, mais il fallait s'en contenter) avant de finalement s'installer en essayant d'être confortables – même si c'était plus ou moins complexe, perchés comme ils l'étaient dans ce qui ressemblait à un arbre géant dont les branches étaient le sol et la cîme le ciel.

« …and, yeah, » racontait Romeo, étalé de travers, la tête sur sa cuisse et ses cheveux formant comme une couronne éparpillée couleur framboise sur le tissu de son bermuda. « She told me to fuck off, but gueeeess what? Obviously, I was right, and she was not. » Obviously, et Eylian réprima un rire, serrant doucement ses doigts entre les siens. Il ne se rappelait plus tant depuis quand sa main était prise en otage, captive contre ses côtes et refusant de se défaire de ses liens ; ça n'avait pas tant d'importance, au fond. Il n'y avait nul besoin qu'il le tienne pour faire de lui un prisonnier. (Il avait accepté la perpétuité depuis longtemps.) Alors, sa main libre passant au travers de ses mèches, il en ôta délicatement une poussière avant de se concentrer sur ses traits, animés d'émotions qui faisaient plaisir à avoir, après tant d'angoisses précédentes. « Tu l’aimerais bien. » Il hocha la tête. « Sûrement. » Olympe avait l'air géniale, s'il se fiait à ses mots et à la façon dont son visage s'illuminait lorsqu'il la mentionnait ; et ça faisait se demander, parfois, est-ce qu'elle lui ne lui manque pas trop parce qu'il avait laissé derrière cette meilleure amie en plus du reste, des mois auparavant, et que la distance laissait parfois les plus profondes des entailles.

Parce que l'absence pouvait trancher net et bien trop vivement.

« I’m pretty sure you two would- » Et puis, et puis bruit brusque et sec et une immobilité, qu'est-ce que c'est et un poids qui s'ôte de la jambe, chaleur disparue et les doigts qui s'échappent – Eylian balaya les alentours des yeux. « What’s- » Qu'est-ce que ça pouvait être ? Les murmures avaient peu à peu disparu, ou plutôt s'étaient apaisés, suivant la nuit tombée ; et, jusqu'à preuve du contraire, ils ne pouvaient pas encore casser de branches. Alors quoi ? La réponse paraissait évidente : un pokémon et le Calléisien se leva aussitôt, suivant Romeo tandis qu'il allumait son portable pour se glisser à la suite de son Absol, grand et féroce dans l'obscurité. La nuit, l'angoisse, le bruit étrange – stupidement, Eylian sentit son estomac se nouer.

Arrête.

Raion, réveillé par le mouvement, se faufila entre ses jambes, agile et alerte ; oreilles relevées, il fixa Mayhem puis la Scalpion que Romeo venait de faire apparaître – est-ce qu'Eylian devait sortir Chiyoko ? L'idée lui serrait les côtes – avant de pivoter, comme attiré par- Calvacade, un galop vif et où et l'angoisse en brusque hausse et Romeo où était-il il était devant trop loin et d'où venait ce bruit est-ce que c'était une-

Un Vivaldaim surgit d'entre les fourrés, brièvement éclairé par la torche du Kopadien, et percuta l'Absol, l'envoyant voler sur le côté ; celui-ci se retourna aussitôt après un instant de flottement puis contre-attaqua, vif et féroce, avec des mouvements qu'Eylian avait du mal à distinguer dans le noir. Romeo lui jeta un coup d'oeil, et Arceus, il avait envie de lui prendre à nouveau la main et de rentrer sans attendre. « Eyli’, are you- » Interruption brusque ; une émotion étrange sur les traits, clair-obscur effrayant et bruit sourd, comme si quelqu'un s'était laissé glisser sur l'étrange sol et se tenait- « Eylian- »

Il pivota.

C'était grand, c'était fort, plus petit qu'eux mais bien plus à l'aise – et Eylian recula sans attendre, merde et (du rouge) mais pas d'ombre noire alors ce n'était pas l'un d'entre eux mais il s'avançait, menaçant et- Il bougea, bien plus agile, bien plus adroit qu'eux ne le seraient jamais dans cet environnement ; sa patte se leva, les griffes acérées (peur) réfléchissant la lumière du téléphone avant de s'abattre, et-

Miaulement furieux. L'Hélionceau s'était jeté sur le Vigoroth, se prenant l'agression de plein fouet mais plantant ses crocs dans le cou du Pokémon, décidé à le repousser loin de son dresseur ; Eylian- Merde, « Rai- » non, parce qu'il savait bien mieux se défendre qu'eux, et que le rappeler ne servirait qu'à le déconcentrer. Un coup d'oeil vers Romeo, et il tendit la main pour lui attraper le bras, reculant en le ramenant avec lui (derrière lui) ; il était hors de question, hors de question qu'il lui arrive quelque-chose. « J'ai rien, t'as- t'as rien ? » Ce n'étaient pas des Obscurs ; ce n'étaient pas ces créatures inconscientes et colorées de bleu nuit donc les prunelles reflétaient des urgences sanguinaires ; c'était simplement Lentis telle qu'elle était, et dont Eylian avait entendu parler encore et encore sans jamais vraiment s'y frotter jusqu'à présent.

(Les seules attaques terreur qu'il avait vécues n'avaient au final qu'été le produit de la haine humaine.)

« T'éloignes pas, » murmure s'il te plaît ; pas trop loin, pas du tout, même. Reste là, à côté, parce que le contraire ferait mal et parce qu'il avait déjà failli le perdre.

(Ça n'arriverait plus.)

T'éloigne pas, s'il te plaît, parce que simplement l'imaginer ne plus être à côté était suffisant pour lui donner des envies de paralysie. C'était le genre de terreur qu'il avait du mal à supporter – urgente et stridente, aux réflexes effrénés et aux gestes brusques, vite vite vite en litanie prenante dans le crâne ; Arceus, il détestait repenser à ce matin passé de janvier, le cœur au bord des lèvres et une épouvante et des regrets plus violents qu'il n'avait jamais plus ressenti depuis. T'éloigne pas, et cette peur était glacée, le corps de même et des impressions d'hiver ; c'était froid c'était givre sur les doigts, le pouls frappant à tout rompre contre les côtes. « Promis, » et ça ne fit rien pour apaiser – parce que le Vigoroth était encore là, sous leurs yeux, et qu'Eylian devait se retenir de ne pas fuir, tourner les talons et traîner Romeo avec lui ; chaque ombre était menace, chaque angle était juge, ses longues griffes assassines et son regard un glas meurtrier qui figeait les poumons en pierres lourdes.

Xerneas, il avait déjà affronté pire ; pourquoi est-ce que c'était toujours aussi horrifiant ? (Parce que la nuit, l'obscurité noyant leur bourreau, cet endroit étrange lui tirant frissons et picotis et lui hurlant de regarder derrière soi avec une frénésie pleine d'angoisse, comme s'ils étaient déjà condamnés. Parce que la nuit, parce qu'il était toujours aussi impuissant, incapable de savoir se défendre et incapable de réfléchir (les pensées des bourdons dans le crâne), et puis parce que Romeo était là, cette fois, aussi.)

Contact, dans son dos, le bras déplacé qu'Eylian laissa filer, détachant sa prise ; il s'était approché, proche et (vivant), l'attention toute entière reportée sur ce qui essayait de s'en prendre à eux. Raion se débattait furieusement, les griffes plantées dans la fourrure blanche de la créature, ignorant la patte acérée qu'elle levait vers lui – toute entière Faucheuse dans sa façon d'être, dans sa colère et son accusation, presque, par laquelle elle les attaquait. « Sucker Punch ! » L'ordre fut aussitôt obéi – la Scalpion se précipita vers le Pokémon et se glissa dans son dos, abattant l'une de ses lames sur son talon (Eylian grimaça – est-ce que ç'avait été du plat de l'acier, ou…?) et lui arrachant un cri ; mais l'animal se contenta de rugir, s'agitant de plus belle, les yeux débordants d'une rage poison. « Back off ! » et Skreigh recula, revenant se poster devant eux ; Eylian-

Eylian ne servait à rien.

Il se tenait à côté de Romeo, muet et réfléchissant à toute vitesse, et il- ne servait à rien. Il n'avait jamais combattu, jamais vraiment ; il n'avait aucune notion de combat, de faiblesses et de résistances ; il pouvait se déplacer en zone sauvage, peut-être, athlétique et avec un bon sens de l'orientation, mais à quoi cela servait-il une fois en plein danger ? Et puis, et puis « stay close, » très bas, ses doigts en étau serré dans le tissu de son pull – Eylian se rapprocha encore. « Promise. » Parce que ç'avait eu des accents de please, stay, parce que ça rappelait sa voix cassant, plusieurs mois auparavant, tandis qu'Eylian s'éclipsait de la pièce après l'avoir doucement ramené chez lui, mauvais souvenirs dans le crâne ; sans force, sans insistance, une simple supplique qui l'avait fait stopper net.

Il y avait une promesse qu'il comptait ne jamais lâcher, et elle englobait toutes les autres.

J'te lâcherai pas.

Mais avant ça, avant tout, il y avait sa sécurité ; et Eylian se colla un peu plus vers lui, glissant un bras devant sa taille, en barrière ridicule mais présente ; lui vivant, rien ni personne n'aurait l'occasion de lui faire du mal sans qu'il aie son mot à dire. Devant eux, blessé mais vaillant, le Vigoroth se redressait. Et puis- lueur vive, orange et rouge et jaune, or brûlant et les crocs dévoilés, Raion se planta face à lui – puis déversa sur son poil blanc tous les feux de l'enfer que son petit corps pouvait contenir. Il ne rugissait pas, pas encore, mais il émit une telle gerbe de flammes que ça n'avait aucune importance ; le brasier roussit la terre, transforma les feuilles en cendre, et illumina si bien les environs qu'Eylian sentit la nervosité augmenter ;

mais le Vigoroth, finalement, disparut à nouveau entre les ombres, et-

Xerneas.

Eylian, pendant une poignée de secondes, fut incapable de bouger.

« Are you- are you- are you okay ?, » et ça sortit étranglé, ça sortir rauque, et puis, et puis- il pivota vers Romeo, le tira à lui, et le serra avec force. « .. Fuck, » parce qu'il avait été terrifié, putain – et il savait que les environs étaient pleins de danger, mais deux Pokémons ? Dans un coin remplit de murmures étranges leur hurlant des semblants de partez après les y avoir attirés telles des sirènes désormais étrangement funèbres ? « On rentre, » parce qu'aucun des deux ne dormirait, après ça – en tout cas, pas lui, ça, c'était certain. « Unless you want to rest, first, but- »

Chaque feuille était devenue ombre mouvante, silhouette oppressante, le bruit du vent dans les branches comme un murmure sinistre – Eylian s'efforça d'inspirer lentement. Il ne servait à rien de laisser son imagination lui échapper ; il fallait qu'il soit calme, qu'il réfléchisse, et qu'ils soient rapides et efficaces. Dans ses bras, Romeo resta- uh. Il était silencieux, l'observant avec une expression un peu étrange, difficilement déchiffrable. Eylian hésita. Il lui avait rendu l'étreinte, juste avant, alors qu'est-ce qui- et il secoua la tête, reculant hors de portée. Ses bras retombèrent vides. « Wouldn’t be able to sleep, » et c'était une réponse normale, c'était une réponse plus que logique, mais-

Eylian se secoua. Ils venaient de se faire agresser par non pas un seul, mais deux Pokémons agressifs qui visaient aussi bien leurs propres Pokémons qu'eux-mêmes, ce que seuls les Obscurs avaient l'habitude de faire délibérément, d'ordinaire – sauf lorsqu'ils se sentaient, par exemple, acculés, ce qui n'avait pas été le cas à l'instant. Romeo et lui avaient monté le camp depuis plusieurs heures lorsque le Vivaldaim s'était fait entendre. Et puis, et puis – les voix les avaient attirés ici, leur avaient susurré des appels enchanteurs aux oreilles ; tout ça pour ça ? Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond, dans cet endroit, et c'était sans compter l'environnement ne faisant absolument pas sens.

Raion se glissa devant ses pieds, attentif et les oreilles redressées ; Skreigh avait été rentrée dans sa Pokéball, et Eylian- hésita. Faire sortir Chiyoko serait peut-être une bonne idée, pour avoir deux Pokémons au cas où, mais- Arceus, la petite Doudouvet avait déjà du mal lorsqu'elle se faisait gentiment taquiner par l'Hélionceau, alors, se battre contre des Pokémons sauvages ? (Elle avait tenu tête à deux Griknot, mais ils avaient été bien plus nombreux cette fois-là – et ç'avaient été des circonstances bien particulières.) Mais d'un autre côté, cet endroit était à la fois mystique et lugubre – Eylian avait autant envie de s'y perdre que de le fuir, surtout après ce qui venait de se passer. Okay. Peut-être pas Chiyoko, et encore moins Aki, mais…

Une Pokéball prudemment sélectionnée, et puis Mitsu se glissa dans sa capuche, petite lueur rosée n'éclairant pas vraiment mais rassurante, en quelque sorte. Le Pokémon plante-fée n'était pas bien grand, mais parfaitement capable d'endormir des créatures plusieurs fois plus grosses que lui lorsqu'il en avait marre. Et même si au final, il l'avait sorti pour rien, en attendant, ça calmait un peu ses battements de coeur.

Eylian rejoignit Romeo, qui s'était accroupi pour rassembler leurs duvets ; il détacha rapidement la toile qu'il avait tendue en semi-tente au-dessus de leurs têtes et attrapa son sac à dos, la fourrant àl'intérieur en la repliant tant bien que mal. Qu'est-ce qu'il y avait eu d'autre- ah, oui, et il ouvrit rapidement l'une des poches adjacentes pour en sortir une large et puissante lampe torche. Okay, les tapis de sol et les sacs de couchage, c'était bon, la toile aussi, uh, ah, oui, le pull qu'il avait ôté pour- « If I- If I wasn’t there, would you- » Eylian s'arrêta lentement. « Est-ce que tu serais resté ? »

Romeo s'était figé, les yeux dirigés vers le sol dans la pénombre mal éclairée et le ton- presque, un peu, quelque part, accusateur.

Eylian reprit lentement ses mouvements, le dévisageant avec prudence. Est-ce qu'il serait resté ?

L'endroit était fascinant – et il avait été inquiet, aussi, entre ces murmures étranges et les chasseurs étant réapparus après plusieurs heures de disparition ; il avait voulu comprendre, il avait voulu suivre ces voix, faire confiance à Lentis, même s'il ne l'aurait jamais fait s'il avait dû y laisser Romeo derrière. Vu ces derniers mois, il était sa priorité (et s'il se montrait honnête, il la serait toujours, jusqu'à la fin). Mais entre le Vigoroth, le Vivaldaim, les voix maintenant diffuses mais leur crachant de partir, la façon dont cet endroit avait joué avec leurs repères et le paysage leur donnant l'impression de marcher sur des branches même si aucun arbre n'était censé être aussi grand-

« Je ne crois pas, » et c'était pas, c'était songeur, un peu, aussi – encore plein de réflexion. Il tendit la main, récupéra délicatement sacs de couchage et tapis de sol, et les fourra dans son gros sac à dos. « Pas- pas après ça. » Les fermetures éclairs refermées, merde, le sweater et le sac qu'on rouvre pour y fourrer rapidement le vêtement. « J'pensais que, tu sais- puisqu'elle nous appelait, Lentis serait- J'suis pas assez con pour m'aventurer dans les recoins les plus éloignés de Calléis, d'habitude, 'fin- je reste majoritairement autour du Lac, ce genre de choses. Justement parce que c'est dangereux as hell, et j'suis- je sais pas me battre, Raion est encore jeune, tout ça. » Il se redressa, lentement, avant de hisser son sac à dos sur son dos – puis, finalement, jeta un coup d'oeil à Romeo. « J'me suis juste dit que puisqu'elle nous appelait, ce serait pas aussi dangereux. »

Et puis, le ton amer, un peu – contre lui-même, contre les deux créatures s'étant attaquées à eux (contre ces voix traîtresses et Lentis elle-même, aussi, un peu).
« J'avais tort. »

La main tendue vers lui, branche d'olive comme s'il y avait une trêve à chercher – comme si la tension dans leurs membres n'était pas due à l'ambiance anxiogène de l'endroit, mais au contraire d'une émotion qu'Eylian n'arrivait pas encore à identifier. If I wasn't there, mais il était là – et Arceus, ce qu'il le préférait comme l'abhorrait à la fois, présence adorée mais dont les conséquences étaient à redouter ; sauf qu'il n'y avait pas de doutes. « Romeo, si t'étais pas là- Si t'étais pas là, j'aurais eu à affronter ce Vivaldaim et ce Vigoroth seul. Pas de Mayhem, pas de Skreigh. Je- J'suis pas assez préparé pour un endroit comme ça. » Il n'osa pas développer.

Les doigts offerts, la paume levée et les yeux vers les siens. Viens, on y va.

Il n'hésita pas plus, en face ; ses doigts dans les siens, placement habitude mais la façon de serrer bien plus intense, bien plus j'ai peur, bien plus (on a peur) et le sac sur l'épaule, hissé rapidement. « Fuck this place, » murmura Romeo. Une autre fois, Eylian aurait pu s'abstenir de répondre – aurait pu le laisser cracher son venin à ces dieux en lesquels il ne croyait pas, parce qu'il avait ses raisons et qu'Arceus, elles étaient plus que compréhensibles ; il aurait pu se contenter de rester muet, témoin neutre et silencieux. Mais cette fois – ils avaient failli mourir, et ce en suivant les voix qui semblaient pourtant si accueillantes, à l'origine. « Fuck this place. » Et il le pensait avec bien plus d'amertume que prévue.

L'endroit avait perdu de toute sa mystique. Les branches immenses, suffisamment larges pour être sol tandis qu'ils descendaient lentement dans leurs entrelacs, le ciel invisible sous la cime de ces arbres géants, les odeurs nature – le tout ne semblait plus si formidable, à la lueur de ce qu'ils savaient, désormais. Le tout ne semblait plus si formidable, maintenant qu'ils avaient failli y passer. (C'était une chose étrange, que de se sentir vaguement en colère, cette fois, alors que les deux précédentes, tout ce qu'Eylian avait senti glisser dans ses veines était de la terreur. Mais les fois précédentes, ça n'avait pas été semblable à un piège ; cette fois, il se sentait comme eu, comme si l'archipel avait abusé d'une confiance qu'il lui portait d'ordinaire aveuglément. Après tout, les Obscurs comme les Leviators enragés étaient venus d'être humains – Lentis n'était pas censée être si cruelle, pas vrai ?)

Il ignorait les voix, ignorait leurs avertissements, maintenant, qu'elles chantonnent restez ou bien partez ; toutes les natures du monde pouvaient bien justifier leurs actes par de la self-defense contre l'invasion abusive que certains Lentois amenaient avec eux, mais s'en prendre à Romeo, ça, il n'accepterait jamais. (Il était plus brillant, plus étoile qu'une centaine de constellations.) Alors il ignora, n'écouta pas, et se contenta de suivre Mayhem, son pelage blanc comme l'os et ses mouvements assurés, tout en serrant doucement les doigts de Romeo dans les siens. Et c'est peut-être parce qu'il choisit de ne pas écouter que le tremblement le pris complètement au dépourvu.

« What’s- » et déséquilibre, les mains qui se lâchent pour essayer de s'accrocher à quelque chose, « c'était quoi ? » Il n'y avait rien, autour ; un vide sombre, quelques feuilles, la connaissance que le chemin, devant, se baissait, mais rien. Rien d'autre que le silence, l'angoisse jusque dans les poumons, et ce sol agité d'une façon étrange, comme si- « run, » cours, cours et il n'attendit pas de comprendre. Il fonça. Vif, rapide, écoutant à chaque pas pour vérifier que Romeo suivait bien ; Raion devant eux, ses bonds audibles au travers des griffes heurtant l'écorce, Mayhem toujours en tête de file ; Mitsu dans sa capuche, petite lueur rassurante même s'il n'éclairait pas tant que ça autour de lui – courir, encore et encore, et le coeur en cavalcade violente et le souffle absent et quelque chose qui pèse sous le plexus et qui fait mal et (merde, merde, merde) jusqu'à-

Jusqu'à un bruit atroce, qui les fit s'immobiliser aussitôt, Eylian s'accrochant à une branche pour se retenir et Romeo s'empêtrant un instant sur le bois. Un bruit violent, un bruit violence, le son un peu métal, un peu cassure, un peu- « S- Skreigh ? » Oh, fuck. La Scalpion – elle était un peu plus lente qu'eux, elle avait été derrière, pour fermer la marche, solide et puissante, et- Silhouette. Devant eux, devant Romeo, non et Eylian s'avança aussitôt tandis que lui reculait. Le bras autour du sien, comme une protection vaine, il te touchera pas il ne le toucherait pas, même si c'était un Pokémon aussi grand qu'eux et quatre fois plus large et massif ; même si ses grondements tranchaient la nuit de spasmes d'horreur, il ne le toucherait pas. « Fuck, fuck, fuck, » et il s'avançait, « Raion, t'es où ? » pour appeler le petit lionceau, Arceus il est si minuscule face à ce truc, le Spododo dans la capuche qui pourrait l'endormir s'il ne se fait pas littéralement déchirer en deux avant, fuck et des envies de ne pas être là, ne plus être là, pourquoi je l'ai entraîné ici ?

« Mayhem ! » Comme un salut, comme un signe ; blanc et agile, l'Absol se percha dans les hauteurs, sur une branche au-dessus de l'ours, qui continuait à avancer lentement – la Mort dans toute sa splendeur. « Close-Combat ! » Et presqu'aussitôt, avant de voir si l'attaque allait porter ses fruits, « run. » Courir. Fuir, vite, encore et encore, mais Mayhem ? Et Skreigh, qu'est-ce qui allait lui arriver ? Qu'est-ce qui lui était arrivé ? Eylian obtempéra aussitôt, les instincts survie et la terreur comme moteur, mais- mais ça faisait mal, un peu, quelque part, de se dire qu'ils laissaient tomber des créatures qui se seraient battues jusqu'au bout pour eux.

De se dire que- battement d'ailes, une ombre volante, se posant devant eux comme pour leur barrer le passage ; Eylian s'arrêta net, se retenant à une branche pour éviter de trébucher avec l'élan (ce qui manqua arriver) et tendant le bras pour que Romeo ne tombe pas non plus avec la surprise. Un Bazoucan. Ses couleurs visibles dans la pénombre, maladroitement éclairée par les spores de Mitsu ; sa malveillance plus que devinable, avec sa façon de les toiser. C'était comme s'il les avait attendus. Comme si ç'avait été une embuscade, presque. « Xerneas, » cette fois plus en injure (blasphème auquel on ne croit pas mais qui, sur le coup, nous semble être la seule chose faisant sens – parce que qui d'autre aurait un contrôle sur ces endroits étranges ?) qu'en réflexe. « Raion ! » Il ne savait pas ce qu'il savait faire, pas vraiment ; il ne connaissait pas ses capacités, il ne savait pas se battre, pour l'amour du ciel, mais-

Mais Romeo avait laissé Skreigh et Mayhem derrière, et lui avait deux Pokémons capables de les protéger. L'Hélionceau était jeune, téméraire, mais il était aussi loyal et il avait en lui cette force de caractère qu'Eylian enviait un peu, parfois. Il n'était pas si brave, au fond ; pas si courageux. Il n'était qu'un étudiant de ving-quatre piges perdu dans un monde dont il avait sous-estimé l'ampleur, la taille et les dangers. (Il n'était qu'un rêveur un peu trop voyageur ayant posé le pied dans une fourmilière.)

« Don't stray too far, please, » murmure presque supplique, j'veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit en réflexe panique. Et, devant eux, Raion s'interposa face à l'oiseau, montrant les crocs et feulant d'une violence qu'ils ne lui avaient jamais connue avant de se jeter à son cou, enragé.