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Oh attends j’vais dire bonjour, j’reviens dans cinq minutes, qu’al avait dit. Et Eylian avait, évidemment, hoché la tête, sourit, et laissé Gaby s’éloigner pour aller saluer les potes qu’al venait d’apercevoir à l’entrée du cimetière, avant même qu’ils n’y posent les pieds. Les cinq minutes avaient dérivé, mais après tout - al avait l’air heureux.se d’être entouré.e ; il n’allait pas l’empêcher de profiter. Et la soirée était belle ; les arbres plongés dans l’obscurité, la brume épaisse qui rendait le tout plein de mystère, les rumeurs du vent et les murmures des feuilles - et il avait contemplé le paysage pendant un temps, jusqu’à réaliser que- Gaby avait disparu.

Bon.

Téléphone ouvert, il rédigea rapidement un message à saon cousin.e. Avec un peu de chance, al allait revenir d’ici une dizaine de minutes.




Et puis - l’attente. Encore. Parsemée des mélodies de la brise entre les branches, entrecoupée de petites ondulations dans le brouillard, avec cette ambiance à la fois un peu oppressante et attirante. Il avait fini par laisser sortir Chiyoko, qui semblait intimidée et curieuse en même temps, s’approchant des abords du cimetière pour ensuite revenir flotter autour de lui, tel un point de repère rassurant. Malgré tout, les seuls messages qu’il recevait en guise de réponse n’étaient pas ceux qu’il espérait - rien de la part de Gaby. Quelques blagues envoyées par des amis, et les réactions de Romeo face à la photo de son costume - lequel lui avait été assigné par saon cousin.e, évidemment. Une chemise blanche et lâche qui faisait d’époque, un foulard rouge et un chapeau sur la tête, des bottes et un faux sabre ; Jack Sparrow, évidemment.



  de : Romeo
... U lied to me, and I will remember this.

  de : Romeo
Vous paierez cher cet affront, Eylian Lewis-Duval.

  de : Romeo
(Ok, j'avoue, c'est classe. Have fun, lil pirate)


Eylian réprima un sourire devant les premières réactions - il lui avait envoyé une première photo vingt minutes auparavant dans lesquelles il avait, sur les conseils évidemment très sérieux de son ami, fait mine de se déguiser en Hulk - avant de lui renvoyer la vraie photo de son costume de pirate après être passé à la machine par l’oeil critique de Gaby. Enfin - al l’avait asticoté sur sa tenue, tout ça pour l’abandonner avant même d’être entré. Au moins avait-al pu s’amuser à lui présenter soixante idées différentes de déguisements d’Halloween.

Un bruit de branches, un peu plus loin, un peu plus haut, et il leva la tête- Juste à temps pour repérer Chiyoko cédant finalement à son envie d’exploration, et pour la voir disparaître derrière l’entrée du cimetière. Crap. La connaissant, elle se laisserait effrayer par un coup de vent un peu trop troublant d’ici une dizaine de minutes, et, s’il n’était pas présent pour la rassurer, se réfugierait dans un coin en tremblant. Et y resterait, aussi - longtemps. Un peu trop.

Eylian rangea aussitôt son téléphone, manquant faire tomber son chapeau en accélérant le pas vers le cimetière. La petite créature était à peine visible au milieu du brouillard, nuage de coton se fondant dans la brume ; il pressa le pas, merde, n’osant pas l’appeler trop fort au milieu des tombes grises.

« Chiyo- » tenta-t-il, mais la farceuse s’écarta de plus belle, joyeuse et curieuse tout à la fois, jusqu’à disparaître de son champ de vision.

Le temps, à partir de là, s’étira un peu plus lentement. Chercher son amie au milieu des pierres tombales ; vérifier si Gaby lui avait répondu (toujours pas), envoyer une photo du paysage nocturne et de l’ambiance étrange à Romeo, recevoir un selfie en échange, manger se casser les figures sur un caillou qu’il n’avait pas remarqué en admirant un peu trop les volutes de vapeur. Jusqu’à, finalement, oh, repérer quelques silhouettes devant lui, dont celle de Chiyoko ; ronde, blanche, flottante et se laissant porter par les brises. Il pressa le pas.

Bientôt, les ombres se dessinateur ; toute une ribambelle de petits pokémons, déguisés pour l’occasion et formant un lot pour le moins adorable malgré l’atmosphère de fin d’octobre. Un petit Teddiursa aux couleurs blanches et orangées s’amusait avec la Doudouvet, qui flottait autour de lui avec enthousiasme. Il y avait fantômes, pirates (Eylian sourit aussitôt), vaudou, dragon et plein d’autres costumes joliment préparés pour l’occasion ; et puis, finalement, une jeune femme, vêtue d’une robe et d’un châle noirs, ensemble parfait pour l’occasion. Un chapeau complétait la tenue, et avec la brume, derrière elle, rendait le tout très en accord avec le thème de la soirée.

« Oh, hey, » commença-t-il, levant une main en un salut, lui adressant un sourire. « Désolé de l’intrusion, je cherchais juste… Eh bien, elle, là, » dit-il avec un sourire pour Chiyoko, qui se dirigeait vers lui avec un bond joyeux. Il la tapota du doigt, amusé par son enthousiasme - au moins n’était-elle pas encore effrayée par l’ambiance.

« Elle a tendance à se laisser porter par la curiosité, sans m’attendre, et je voulais pas qu’elle prenne peur, ici. » Un soupir, amusé, un peu fatigué, tandis que la Doudouvet soulevait son chapeau pour ensuite l’éloigner, petit larcin commis sans malice. Il la regarda faire sans broncher. « J’espère qu’elle n’a pas trop dérangé. » Vu sa tendance à gentiment piquer des objets pour ensuite flotter pile hors d’atteinte, ça ne serait pas vraiment étonnant.

« Jolis costumes, en tout cas, » finit-il par dire, se tournant à nouveau vers la jeune femme. Entre sa tenue à elle et celles de ses compagnons, on pouvait dire qu’ils représentaient parfaitement la date du jour. Un rire en apercevant à nouveau les deux pirates, un Nounourson et un Bulbizarre de Lentis, et puis- « On dirait que j’ai trouvé mon équipage. » Une blague, le ton léger.

Le petit Teddiursa s’était approché, patte tendue et adorable dans sa façon de se présenter ; Eylian avait souri, s’était accroupi pour diminuer la différence de taille, et avait à son tour tendu la main serrer rapidement la sienne, Chiyoko flottant avec son chapeau à côté de lui. Une fois les présentations faites, le pokémon - Koda, donc - s’était empressé de rejoindre son amie, se glissant derrière son costume.

C’est ensuite qu’il remarqua les petits pirates, commenta les costumes d’une petite blague amusée au milieu de la brume ; « C’est vrai ça, tiens ! Peut-être qu’ils arrêteront de se chamailler, si de toute façon le chef du navire n’est pas l’un d’eux… » et il rit, dévisageant les deux petites terreurs dont, effectivement, l’entente ne semblait pas parfaite. En face, la jeune femme semblait loin d’avoir été dérangée par sa présence, ce qui était une bonne chose ; elle riait, elle aussi, puis finit par conclure le tout d’un « merci, en tout cas, » qu’il accueillit avec un sourire, hochant la tête.

Et le brouillard aurait pu sembler moins menaçant, l’on aurait plus oublier qu’il s’agissait du soir des fantômes, que des rumeurs d’étranges pokémons avaient germé, qu’ils se trouvaient dans un cimetière ; entourés de petites créatures toutes déguisées, avec une compagnie qui avait l’air amicale, après avoir partagé une blague, et Chiyoko flottant avec un chapeau pirate malicieusement dérobé ; mais quelques cris résonnèrent bientôt, protestations ou bien bruits de dispute.

Des mouvements perdus dans les volutes grises ; non loin d’eux, un Cornèbre s’agitait, s’efforçant tant bien que mal de- quoi, et une sensation glacée dans l’estomac, non et Eylian cilla, un instant figé de stupeur, celui d’après tiré de son immobilité par la propre vivacité de sa camarade ; celle-ci se précipita vers les deux pokémons, essayant de chasser d’un grand cri le volatile agressif.

« Va-t’en, allez, ouste ! Laisse-le tranquille !, » et il la rejoignit rapidement, choisissant de ralentir le pas en se glissant en face du petit Polichombr malmené. Une avancée lente, prudente, pour ne pas le brusquer ; il s’agenouilla ensuite, doucement, une main tendue vers la petite créature.

« Hey, la voix calme, un peu soucieuse. Coucou, toi. Est-ce que ça va ? »

Il semblait étrange, ce Polichombr ; un peu différent, à l’image de cette soirée-là ; les yeux comme des boutons de poupée, le corps de chiffon, mais qu’importait. Le pauvre s’était défendu, débattu contre l’assaut du Cornèbre - s’en était retrouvé blessé. Inquiet, Eylian leva la tête vers la jeune femme, d’abord pour être certain que l’oiseau s’était définitivement envolé, et ensuite pour qu’elle entende sa question plus clairement.

« Il a l’air un peu mal en point, » une hésitation, un coup d'œil vers le concerné. « J’ai- rien sur moi, est-ce que t’as de quoi l’aider ? » Ou bien, peut-être qu’ils finiraient par devoir l’amener quelque part, le soigner ; mais c’était à supposer qu’il accepte de les suivre, ou même de se laisser approcher.

Il n’avait pas encore tenté de le toucher, attendant de voir si le petit pokémon se montrait méfiant ou non ; tous n’étaient pas aussi amicaux, ou plutôt, aussi naïfs que Chiyoko. D’ailleurs, celle-ci, laissant tomber son chapeau pirate sur le sol, flottait vers le Polichombr, à la fois curieuse et un peu hésitante de par son apparence abîmée.

Quelques bruits pendant qu’elle fouillait rapidement son sac ; elle finit par dénicher un petit baume et le lui tendit. « Tiens. Ça peut soulager la douleur et aider à cicatriser, mais peut-être qu’il aura besoin de… couture ? Je ne connais pas bien ce pokémon, je ne sais pas vraiment ce qui est physique, mental, ou… autre chose. » Eylian l’écouta attentivement, ses doigts s’affairant pour ouvrir doucement le petit tube qu’elle lui avait prêté. Un Polichombr - qu’est-ce qu’il savait sur ce pokémon, déjà ? Il n’avait jamais été le plus renseigné à leur sujet, loin de là ; sa seule et unique compagne, à ce jour, restait Chiyoko, laquelle- laquelle se comportait plus en lutin farceur qu’autre chose.

Le jeune homme observait le Polichombr avec prudence, réfléchissant à la manière de l’approcher sans l’effrayer de plus belle, lorsque sa camarade de cimetière - formulation étrange, mais pour être franc, il ne voyait pas de meilleure explication. Il avait également oublié de lui demander son prénom, par ailleurs - reprit la parole. « Ton pokémon, iel est de type fée, non ? On dit que ces pokémons sont naturellement capables d’apaiser les autres. Peut-être qu’iel pourrait le rassurer ? » Oh - très bonne idée.

Il tourna la tête pour chercher son amie des yeux, laquelle flottait encore un peu à l’écart. « Chiyo, tu crois que tu peux le rassurer ? » Elle s’avança vers lui, inquiète et curieuse à la fois. Passant au-dessus de son épaule, elle le regarda, un peu hésitante. Eylian la caressa doucement. « Qu’il comprenne qu’on cherche juste à l’aider. » Toujours un peu effrayée mais encouragée par ses mots, la Doudouvet continua donc ; petit nuage de coton se glissant délicatement vers le pokémon Spectre, avec un bruit doux. Derrière eux, la jeune femme appela un autre de ses compagnons, Aconit, et le Bulbizarre approcha à son tour.

Le Polichombr n’eut pas vraiment l’air méfiant, voire même craintif ; non, il se colla aux deux, encore tremblant de son agression, et Eylian sentit son cœur se fendre. Il avança donc un peu plus, tendant doucement la main pour effleurer la créature ; ses doigts se passèrent pas au travers, effleurant au contraire le tissu. Okay - il était donc tangible.

Derrière lui, il entendit la jeune femme s’adresser à quelqu’un d’autre, mais il n’osa pas détacher les yeux de sa tâche, concentré ; elle semblait parler à pokémon, vu le ton et les mots employés. Il avança un peu plus la main, doucement, avec le plus de soin possible ; Chiyoko s’écarta un peu, mais le Polichombr la suivit, apeuré et trouvant un semblant de confort dans le coton de la petite pokémon.

« Chiyo, avance-toi un peu, que j’essaie de lui mettre du baume, » murmura Eylian ; si le Spectre avait décidé que la Doudouvet était sa nouvelle amie, ç’allait l’aider à lui permettre de le soigner. Elle flotta un peu plus près, toujours accompagnée de son nouveau compagnon ; le jeune homme prit un peu de crème et l’étala sur le bout de ses doigts, prêt à l’appliquer au blessé.

Un regard en arrière avant - pour voir ce qui se passait.

« Tout va bien ?, » question rapide, la scène balayée du regard - Koda en un semblant de duel de regards avec un nouveau venu, couvert de bandages. La situation ne semblait pas tant dangereuse que ça, alors il se détourna à nouveau, posant finalement les doigts sur la petite tête ronde du Polichombr, qui s’écarta d’abord de son toucher avant de se détendre un peu. « Oh- D’ailleurs, je me suis pas présenté, » réalisa-t-il au milieu de sa tâche. « Je suis Eylian, et celle-ci, Chiyoko. Enchanté, » et il ouvrit la bouche pour lui demander son prénom, mais aperçut finalement les dégâts, autour de l'œil du Polichombr, et un hoquet lui échappa.

« Oh, non- » Le pauvre était plus que blessé - le tissu, abîmé, le couvrait difficilement à cet endroit-ci ; et le Calléisien hésita, la main à quelques centimètres du pokémon, préoccupation dans l’estomac. Vu la plaie, de ce côté, Polichombr risquait perdre la vue - et plus encore.

D’un autre côté, ça ressemblait moins à une plaie et plus à une- quelque chose d’abîmé, de défait, de décousu. Polichombr était un Spectre, après tout ; peut-être que ce dont il avait l’apparence n’était pas réellement son corps physique ? Peut-être que c’était- autre chose, une enveloppe ? Mais il avait eu l'air de souffrir, précédemment ; il avait cherché à fuir ce Cornèbre avec l’énergie du désespoir.

« Qu’est-ce qu’il y a ?, » demanda Ophelia, s’approchant un peu. Eylian lui jeta un rapide coup d'œil avant de tourner à nouveau la tête, se concentrant sur le petit Pokémon, qui se colla à ses doigts comme si la chaleur qu’ils dégageaient lui manquait. « Je sais pas trop, puisque c’est un Pokémon Spectre, mais- je crois que son oeil- » et il s’écarta pour lui laisser le champ de vision libre, désignant doucement la blessure.

« S’il en a besoin, on peut peut-être se rendre au centre pokémon… » Ce serait une bonne idée ; mais est-ce que le Polichombr allait accepter de les y suivre ? Est-ce qu’ils parviendraient à l’aider, malgré sa forme- particulière ? « Yeah, oui, vaudrait mieux tenter le coup. » Ce serait mieux que rien. « Même si, avec tout ce brouillard, je ne suis plus sûre de savoir où est la sortie. Mais on va trouver. »

Ah- oui. Avant tout, il leur faudrait sortir du cimetière ; quitter le brouillard épais et dénicher l’entrée, chose qui allait être compliquée s’ils ne pouvaient même pas y voir deux mètres devant. « J’avoue que j’ai avancé sans regarder où j’allais… » Une grimace d’excuse aux lèvres, Eylian se redressa lentement, soulevant le pokémon Spectre avec délicatesse. Celui-ci se laissa faire, toujours collé à la Doudouvet, qui flotta en suivant le mouvement. « Mais je pense pas qu’on en soit si loin. »

Il lui suffisait de- Oh, merde, Gaby. Saon cousin.e ne lui avait toujours pas répondu ; et s’il quittait le cimetière sans al… Enfin, s’il lia prévenant par messages, ça irait, n’est-ce-pas ? À moins qu’al décide justement de commencer à le chercher à ce moment-ci ?

Distrait, une main plongée dans sa poche pour en extirper son téléphone, Eylian manqua les mouvements dans l’ombre des brumes ; en revanche, il ne manqua pas le cri strident du Cornèbre qui se dirigea en flèche vers le Teddiursa - Koda - avant de le parsemer de coups de bec ; l’instant suivant, un Chacripan fondit à son tour, s’en prenant également au petit ourson ; Chiyoko couina, s’éloignant en flottant, accompagnée d’un Polichombr terrifié face à la même créature que le responsable de sa blessure.

« Merde, » lâcha Eylian. Un pas en avant, et il agita le bras vers le volatile, cherchant à le chasser du pokémon de son alliée-dans-le-brouillard. « Ouste, allez ! »

L’effort porta rapidement ses fruits ; Cornèbre et Chacripan ne supportèrent que quelques instants de cris et de gestes avant de tourner les talons sans demander leur reste, laissant finalement la petite troupe tranquille. Chiyoko et le Polichombr s’étaient pressés derrière eux dans leur panique, et Eylian se tourna vers eux, un brin inquiet. Non - ils étaient indemne, enfin, si l’on ne comptait pas les blessures déjà graves du petit Spectre. Quant au Teddiursa- « Il va bien ?, » demanda-t-il à l’attention d’Ophelia, qui examinait son petit compagnon avec une expression soulagée. Okay - rien de dramatique, donc. Plus de peur que de mal.

« Allons-nous-en. Je ne sais pas par où, mais c’est toujours mieux d’essayer que de rester sur place. » Un regard vers chaque petite créature ; vers le Psystigri tristement vide et le Polichombr tremblant, et il hocha la tête. « Yeah, » dit-il, soulevant le blessé de ses mains en coupe, la Doudouvet flottant au-dessus d’eux. « On dirait que le coin est devenu plus dangereux, brusquement. » Et il n’était pas superstitieux, mais- Entre la brume épaisse, les volutes argentées, la nuit sombre et la date, c’en devenait peu à peu étouffant. « Par-là, ça te convient ? » Et c’était un chemin comme un autre, n’est-ce-pas ? Un jeu de pile ou face, plus ou moins. « Va pour celui-là. »

Peut-être que la jeune femme saurait mieux se diriger que lui ; il lui semblait l’avoir déjà aperçue à Harmon’île, de loin et sans avoir connu son prénom. Elle devait être Calléisienne - et avec un peu de chance, de naissance - parce que ce n’était pas avec ses quelques mois d’habitation sur l’île qu’il allait parvenir à les guider. Encore moins depuis un coin qu’il n’avait jusqu’alors pas visité.

Arceus, Gaby, la pensée vive, un peu inquiète, un peu exaspérée - al l’appellerait si al avait besoin d’aide, il en était certain, mais ça ne lui disait toujours pas où al était ni ce qu’al faisait actuellement. Cinq minutes, hein ? La prochaine fois, il l’accompagnerait, tiens ; si ce n’était que pour cinq minutes, al pouvait bien supporter la présence de son cousin, même devant ses potes, n’est-ce-pas ? Téléphone vérifié, absence de messages (encore), du moins de sa part, et il finit par lâcher un énième soupir, se concentrant à nouveau sur les alentours, ainsi que sa nouvelle connaissance.

Elle était entourée de ses petits compagnons, encore déguisés, et Eylian sourit. « T’as vraiment l’air de bien t’entendre avec eux, » remarqua-t-il doucement, attisant l’intérêt de Chiyoko, qui finit par arrêter de voleter par-dessus ses cheveux pour venir embêter, pardon, rectification mentale amusée, discuter avec l’un des petits Pokémons, curieuse. Puis- oh, idée surprise, et il hésita un instant avant reprendre la parole. « Oh, est-ce que- Je dessine pas mal, » commença-t-il d’abord, « mais mes modèles Pokémons sont très limités, puisque, eh bien. J’ai celle-ci, là, » le ton affectueux, le regard vers la Doudouvet, « et c’est un peu tout. Je croise rarement grand-monde en pleine nature- ‘fin, c’est normal. » Ils n’allaient pas se montrer comme ça, surtout à un être humain.

« Tu me donnerais l’autorisation de faire des croquis des tiens, de temps en temps ? » Un sourire. « Si tu veux, j’te donnerai même les dessins. »

Ophelia n’hésita pas avant de répondre par l’affirmative, l’air plus surprise qu’autre chose de la proposition. « Bien sûr ! Ce serait vraiment chouette, mais non, je ne veux pas que tu me donnes tes œuvres. Enfin, quand elles seront faites. Pas que j’ai pas confiance en tes capacités, justement, je pense qu’elles valent plus que ça. À moins que tu me dises que t’es encore à l’étape où tu ne fais que des lignes sans épaisseur et que tu dépasses de partout… » Et- Eylian se mit à rire, s’efforçant de contenir le mouvement pour ne pas déranger le petit Polichombr, qui restait blotti dans ses bras et n’avait définitivement pas besoin de plus d’agitation que celle qu’il avait déjà subi un peu plus tôt. Chiyoko voleta au-dessus de lui, rendue curieuse par l’hilarité, et il agita ses doigts pour saluer la Doudouvet avant de finalement répondre.

« Non- Promis, j’en suis à un stade un peu plus élevé, » et il secoua la tête. « Mais c’est vrai que j’avais du mal à pas dépasser, en coloriage, avant. » En vidant sa chambre, pendant qu’il faisait ses cartons de déménagement en Juin dernier, il avait retrouvé un large bouquin de mandalas anti-stress, offert par ses parents à l’école primaire. Et- si on notait une amélioration vers les dernières pages, Xerneas ce que les premières étaient un carnage. L’association des couleurs, la propreté, la régularité - non, il avait fait plus ou moins n’importe quoi. Il avait quand même le souvenir de s’y être amusé, alors - c’était déjà ça. « Mais faudra quand même que je t’en offre quelques-uns. Comme pour des photos, un peu ; c’est toujours sympa d’en avoir des gens, ou des Pokémons, qu’on aime. » Comme les innombrables cadres chez ses grand-parents ; il avait du mal à regarder sa tronche d’adolescent boutonneux posée en plein milieu des étagères sans ressentir l’envie de voler la photo pour ne jamais la rendre, mais eux l’adoraient ; alors il se contentait de rire, malgré l’embarras.

Au bout de plusieurs minutes, la brume finit par laisser place à une forme plus sombre, solide et haute, qui, lorsqu’ils s’approchèrent, s’avéra être la grille du cimetière ; Eylian laissa un soupir de soulagement se perdre dans la nuit. « On va pouvoir les longer jusqu’à l’entrée !, » s’exclama Ophelia, et il hocha la tête, ses épaules se détendant légèrement. « Ça va ? Toujours pas de nouvelles de… enfin, je sais pas, ce qui t’inquiétait ? » Ce qui- oh, réalisa-t-il ; et il secoua la tête, lui emboîtant le pas tandis qu’ils tournaient vers la- droite, après une délibération de trois secondes maximum. Ils finiraient bien par trouver la sortie, de toute façon. « Oh, c’est- J’suis pas venu seul, en fait, » expliqua-t-il rapidement, jetant ensuite un coup d’oeil à Chiyoko, qui avait lâché un couinement. « Okay, pardon, Chiyo. Pas seul parce que, évidemment, celle-ci, » et le geste du menton vers elle, « était là, et aussi parce que j’accompagnais juste maon cousin·e, Gaby. »

Il sortit son téléphone, soutenant tant bien que mal le petit pokémon blessé d’une main tandis que l’autre extirpait son portable de sa poche avant. Un coup d’oeil - toujours rien. Arceus, Gabrielle. « Al a seize ans, ‘fin, bientôt dix-sept. Bref, al m’a dit d’attendre devant le cimetière avant de partir dire bonjour à des amis. » Une pause. « C’était il y a largement plus d’une heure, » termina-t-il, le ton plat, avant de ponctuer le tout d’un soupir. « C’est pas la première fois qu’al me fait le coup, donc je m’inquiète pas vraiment, mais- yeah. » On ne savait jamais.

Oh – se faire payer. Okay, oui, il n'avait pas du tout compris la chose comme ça, et, uh- Il ne s'était encore jamais fait payer pour un dessin. Plusieurs artistes pullulaient sur Instagram ou Twitter, par exemple, avec de supers croquis et portraits qu'ils vendaient avec des prix variables selon la commission, mais Eylian n'avait ni tablette graphique, ni suffisamment d'entraînement avec celle-ci pour se sentir légitime à l'idée de faire pareil. Et puis, ce qu'il dessinait, il le dessinait parce que ça l'inspirait ; parce que c'était beau, parce que c'était intéressant, poétique, d'une certaine façon ; ou pour s'entraîner à quelque chose en particulier. Alors, est-ce que ce n'était pas un échange, déjà, de prendre Ophelia ou l'un de ses Pokémons pour modèles ?

Tant pis – il verrait sur le coup avec elle. Si elle insistait, peut-être qu'il pourrait accepter qu'elle le paie mais lui offrir le premier croquis, ce genre de chose. Ou l'inviter autre part pour la remercier et la rembourser.

« Oh, je comprends l’inquiétude. Mais si c’est fréquent, ça devrait aller, non ? » Elle n'avait pas tort ; et puis, Gaby savait se débrouiller tout·e seul·e, mais… Al était jeune, et c'était presque plus fort que lui. Il savait pertinemment qu'il y avait peu de chances que quelque chose de mal ou de dangereux se soit passé, mais ça lui creusait sous les côtes avec l'inéluctabilité de ce qui reste irrationnel. Al était saon petit·e cousin·e – et quel que soit son âge, al le resterait. Petit·e et à protéger, même alors que ses études lia rendraient douze fois plus apte à se défendre que lui-même contre n'importe quels esprits que pourraient renfermer un cimetière abandonné. (Ou le reste de Lentis, aussi. « T'as raison – je l'appelerai une fois que son couvre-feu sera dépassé. » Et puis- « Ça va peut-être sembler bizarre mais… c’est quoi ce “al” ? Ça veut dire quoi ? » Et- oh. Oh, oui, évidemment – Eylian avait plus ou moins grandi dans une famille un minimum militante, élevé par deux mères dont l'une était trans, donc la non-binarité et les pronoms neutres étaient loin de lui être étrangers (surtout depuis le coming out de Gaby, qui était bien plus militant·e que ses mères), mais ce n'était pas le cas de tout le monde.

« Uh, comment expliquer… » Est-ce qu'il commençait par rappeler que le genre était une construction sociale, histoire de faire vraiment comprendre, ou est-ce que- ouais, non, autant être direct et sans passer par quatre chemins. C'était toujours plus simple, de cette façon. « C'est son pronom ? Gaby s'identifie pas comme une femme et pas comme un homme non plus ; les pronoms "il" et "elle" ne lui conviennent pas, alors al utilise "al". Qui est, eh bien, neutre. D'autres gens utilisent "iel", aussi, par exemple. Et, heu, they en Galarois. » Ou Unysien.

C'était maladroit, mais il n'avait jamais trop su comment expliquer quelque chose qui, même s'il le comprenait, ne faisait pas partie de ses ressentis – il était un homme, et puis c'était tout. Mais bon, il avait écouté Gaby plusieurs fois, s'était renseigné un peu partout lorsqu'al leur avait annoncé qu'al était non-binaire, avait acheté deux ou trois bouquins pour mieux comprendre, alors- C'était sûrement pas parfait, mais ça devait être assez pour comprendre, non ? « Ouais, de- de la même façon que ben, je sais, je sens que j'suis un homme, et- ..tu sens que tu es une femme ..? Eh bien, al se sent ni l'un ni l'autre. » Al se sentait Gaby.