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Petite Ophelia pleurait. « Elle est où maman ? Quand que maman est là ? Quand que papa est là ? », sanglotait-elle tout contre la poitrine de sa grand-mère. Il n’y avait pas vraiment de réponse, mais la main bienveillante de l’aînée caressait ses cheveux et serrait l’enfant contre son cœur. Mais Mamy ne savait pas. Papa et Maman étaient partis. Il n’y aurait peut-être pas de retour. Mais elle, elle était là, et elle serait toujours là avec Petite Ophelia et Petite Jill, qui tenait à la réconforter, elle aussi. Jill avait toujours davantage cherché à sécher les larmes qu’à les partager. Mamy gardait alors Petite Ophelia dans ses bras jusqu’à ce que l’enfant se calme, puis lui proposait de cuisiner leur repas. Il y avait toujours une bonne tarte pour reprendre des forces après avoir laissé couler des torrents de larmes.

Papa et Maman ne revinrent pas, laissant les deux petites sous la tutelle de leurs grands-parents. Explorer, à Lentis, pouvait s’avérer extrêmement dangereux, et l’appel de la connaissance avait eu raison de l’équilibre familial. Mais ça, Ophelia était trop petite pour le comprendre. Elle ne retint que le plus important : ses parents n’étaient plus là. Elle grandit donc sans eux, mais pas sans amour : ses grands-parents veillaient avec affection sur les deux sœurs, et lui avaient d’ailleurs offert une peluche de Munna, censée éloigner ses cauchemars comme l’aurait fait l’original. L’aînée, déjà, avait embrassé ce rôle avec force, allant jusqu’à, d’une certaine manière, tenter de remplacer les parents.

Deux sœurs qui grandirent d’abord proches, puis surtout complémentaires. Rapidement, Jill endossa toutes les responsabilités, supporta la majorité des difficultés, souleva des montagnes pour que sa cadette n’ait pas à porter le moindre rocher. Trop jeune, Ophelia regardait son aînée s’éloigner vers les champs, comme une adulte, et rentrer écrasée de fatigue avec leur grand-père. Elle s’imagina grandir et aller les aider, presque avec impatience, tout comme elle essayait de capter des fragments des conversations d’adultes. Mais elle n’imaginait pas une seule seconde tout ce que pouvait déjà affronter, seule, sa grande sœur adorée. Ni tout ce que, petit à petit, Jill sacrifiait pour qu’elle, elle puisse avancer sur une voie sans embûches.

Ophelia n’avait qu’une petite dizaine d’années lorsque la mort vint emporter le dernier homme du foyer. Elle n’avait qu’une petite dizaine d’années et, ensemble, Jill et Mamy s’associèrent pour continuer à la “protéger”. Loin d’être idiote, la petite comprit que cette mort apportait dans son sillage bien plus qu’un deuil. Elle voulut se mettre aux fourneaux pour cuisiner des petits gâteaux, qu’elle espérait vendre à l’école pour pouvoir aider, elle aussi. Mais elle ne perçut pas tous les efforts déployés par sa sœur pour tenir le cap, et ne comprit pas la moitié des enjeux. L’argent est un concept particulièrement abstrait lorsqu’on ne l’a jamais manié.

Elle comprit surtout que sa sœur se faisait de plus en plus distante. Était-ce ce petit insecte qu’elle avait recueilli ? Était-ce quelqu’un qu’elle avait rencontré ? Était-ce le futur qui l’appelait loin d’elle ? Était-ce… la forêt, la connaissance, ou quoi que ce soit qui avait également attiré leurs parents jusqu’au fond de la jungle ? Elle ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre puisqu’on s’évertuait à éloigner d’elle les clés et les difficultés. Puis, finalement, Jill partit pour Haptos, non sans laisser à sa cadette un petit Teddiursa, qui saurait la protéger à sa place, disait-elle.

Ophelia chérit ce petit être de tout son cœur, et commença à prier quotidiennement Arceus pour que sa sœur ait l’opportunité et l’envie de revenir à leurs côtés. Elle ne s’engouffra donc pas tout à fait seule dans le tourbillon de l’adolescence, bien que rien ne soit plus pareil. Elle mûrit rapidement, épaula sa grand-mère comme elle le pouvait, tandis que celle-ci comptait sur le peu d’argent que Jill réussissait à envoyer. Mais les deux sœurs s’éloignèrent encore davantage, même au-delà de la réalité physique. S’enfonçant dans les mensonges, loin d’elle, Jill sombrait dans les ténèbres pour offrir la lumière à sa sœur.

Après plusieurs années difficiles, l’argent revint. Jill avait soi-disant réussi. Ophelia put terminer sa scolarité tranquillement, forger son optimisme, son émerveillement du monde, son sourire fréquent, son envie d’aider tout un chacun et la possibilité qu’elle avait de le faire. Elle put même, par la suite, s’engager dans des études d’archéologie et d’histoire de l’art, à distance depuis Anthos, tout en restant avec sa grand-mère et en s’intégrant à merveille dans cette île qu’elle appréciait tant. Tout le monde y crut, et on ne regretta que l’absence de Jill. Mais on la remerciait et la félicitait dans chaque lettre qu’on lui renvoyait.

Sans savoir que le sourire et la légèreté d’Ophelia s’étaient entièrement construits sur les sacrifices et les cendres des rêves de Jill.