Menu

Une fêlure dans la carapace - un craquement sinistre, sonore, et un frisson d’horreur dans tout le corps. Pardonne-moi, encore, dans les pensées ; pardonne-moi, en prière esseulée, pardonne-moi, mais j’essaie simplement de survivre à cette nuit insensée.
Pardonne-moi - pardonne-moi quand tes pas cillent, pardonne-moi quand tu titubes, pardonne-moi quand tu te redresses et que tu dardes tes prunelles dans notre direction.

Je n’ai jamais voulu ça.

Je n’ai jamais voulu de cette bataille ; la mort pour seul public, la lune blafarde et les étoiles fanées pour seules veilleuses dans la nuit. Je n’ai jamais voulu que tu existes, jamais voulu te combattre - je n’ai jamais voulu que, dans un seul battement de coeur, l’humanité te fasse à la fois déité et condamné.
Pardonne-moi.

Pardonne-moi pour ce choix - qui m’appartient mais dont je me sens si dépossédé tout à la fois. Pardonne-moi de ne pas te laisser le droit d’être ce que ce monde a fait de toi - pardonne-moi de ne pas te laisser la chance de faire mentir nos craintes ; pardonne-moi de te faire payer pour les erreurs qui t’ont façonné.

Je porterai les miennes au coeur aussi longtemps que je vivrai.

Une inspiration - un pas qui trébuche. La gorge nouée, les poings serrés et les mains qui tremblent, j’élude l’horizon à mesure que l’environnement s’évanouit. Avalé par l’obscurité, dévoré par la peur - ce qui nous entoure n’est qu’une sombreur floue, la ligne immobile d’êtres aux yeux vides reléguée à un avenir lointain - presque abstrait.

Un bourdonnement dans la tête, un silence qui paraît s’étirer sur quelques éternités - la vie, la jambe cassée, le coeur et les horreurs. Quels choix ai-je fait, dis ? Lequel m’a conduit là, face à toi ; toi qui n’aurais pas dû naître, toi que mes pairs ont créé, toi qui… Une machine à ressusciter ; t’ont-ils tué pour te ramener à cette existence d’imposture ? Réalisation glaçante que je balaie dans les tréfonds de mes idées.

Ce n’est plus ma vie en première ligne ; c’est le coeur - c’est Liang, c’est Charlie, c’est la petite créature entre les mains de mon ami, c’est un petit morceau de moi que je sauve, c’est leur vie que je choisis. La mienne reléguée au second plan - j’affronte les horreurs pour tenter d’épargner le pire à ceux que j’aime.
Et le pire c’est eux, et le pire c’est toi.

« Uns- »

Ma voix s’étrangle quand le sol se met à trembler. Un grondement étrange, un rugissement presque irréel qui se répercute dans tous mes os. Un battement de coeur loupé, une inquiétude qui me force au pas en arrière et- Et la terre elle-même qui s’éventre, cassure après cassure, bris acéré après bris acéré soulevé dans les airs et-
Une seconde trop tard - des sifflements, des cris, attention quelque part près de moi et baisse-toi dans les idées et attention encore, plus clair, plus près mais-

Le souffle coupé - une bousculade qui jette un éclat de surprise sur le bord de mes lèvres, un heurt brusque et les prunelles cérulées croisées et Kiya’na et un silence dans les idées et et et pourquoi et l’étreinte et le monde qui tourne et bascule et se renverse et- Oof quand le corps s’abîme sur le sol dur et l’herbe sèche, éraflures au bord des mains et douleur vive mais brève comme une décharge qui part du coude et éclate dans le bras.
Le bras qu’on plie et qu’on déplie pour s’assurer rien de cassé, que de la peur et une inspiration un peu lourde, une autre et « Kiya’na- » parce que son poids sur moi, « Kiya’na, bouge, » et l’anxiété qui s’agace et- Inerte. Elle est inerte et-

Sensation froide et poisseuse sur ma joue - tout l’être qui se fige tandis qu’Oneira s’extirpe de sous ma nuque en couinant.
Le monde s’est remis à battre son plein de violence et d’horreur autour de moi, mais tout est trouble et se confond - images, bruits, couleurs vives ou ternes, flashs d’une bataille à laquelle je n’assiste plus vraiment. « …Kiya'n- ? » murmure presque plainte tandis que je lève la main pour essuyer ma joue et- Et je sais, sans regarder ; je sais parce que le goût de fer s’installe aussitôt sur mon palais, je sais parce que mon coeur s’emballe, je sais.

Je me redresse - avec autant de précautions que j’en suis capable, son corps retenu avec prudence entre mes bras, tandis que mes prunelles se posent aux alentours. Oneira s’est avancée vers toi, menace et terreur ; petite combattante à la vaillance qui me paralyse, reviens mais l’assaut du poison déjà lancé et Unseelie dressée entre toi et elle et nous et- Kiya’na, mon attention bascule et mes yeux sur son visage et l’odeur métallique et le haut-le-coeur à réaliser comme ça se déverse comme ça déborde comme ça a coulé jusque sur mon épaule et comme ça imbibe déjà mon sweat et- Oh.

Un autre coup d’oeil dans ta direction - fade copie d’un Dieu en perdition - et je m’anime, m’agite, m’efforce d’inspirer, souffle après souffle, tandis que j’ôte mon pull en essayant de ne pas bousculer Kiya’na contre moi. Tissu déjà foutu roulé en boule à la va-vite, je presse l’un des bords contre la plaie. Inspire, expire, mes mains tremblent et la tête me tourne, inspire, expire, je sens le vermeil poisseux (noir d'encre dans la nuit) contre la paume de ma main, j’en devine les coulées sur la peau mate et sur mon haut clair, et tout ce qu’elles impliquent de vie qui se dérobe aux battements d’un coeur en bataille et-

« Kiya ? »

La voix qui se brise, parce que- Parce que oh et non et putain et pourquoi ; une seule réalité en suspens dans les idées - elle m’a sauvé. Une impulsion dans ma direction, la bousculade, le heurt, attention, le regard croisé et puis- Elle a pris le projectile à ma place - certitude glaçante qui fait brûler mes paupières ; flou balayé de quelques battements de cils pressés.

Mon bras dans son dos, sa tête sur mon épaule, tissu contre la plaie et mes yeux baissés sur elle, mâchoires serrées ; rassuré par sa respiration régulière que je sens sur mon bras nu et qui soulève son corps par intermittence, je cherche le moindre tremblement de ses paupières sous le halo de l’astre nocturne.

« Eh- Est-ce que tu m’entends ? Tu peux ouvrir les yeux ? Dire ton nom ? Le jour qu’on est ? » Murmures après murmures, qui n’appartiennent qu’à elle - un reviens dans les non-dits.

Le monde s’est une nouvelle fois évanoui.

Un oeil ouvert - et un soupir tremblant entre mes lèvres. Consciente. La moitié du visage maculée de sa- Respire. Une odeur de fer, une odeur de mort, quelque chose qui coince en travers de la trachée et continue de respirer, pas le choix, une inspiration après l’autre malgré la tête qui tourne et les mains qui tremblent, j’te tiens.
Un tumulte, au loin, une bataille qui ne se tait pas, comme la présence de Liang qui s’est effacée, et plus rien d’autre que nous, qu’elle entre mes bras, que sa présence que je refuse de lâcher parce que- Parce que, putain, ça devrait être moi à ta place, ça devrait pas être comme ça, t’aurais pas dû être blessée et, et, pourquoi, tu m’connais pas, on s’connait pas, à peine, tu devrais pas, tu devrais pas t’abîmer pour des gens comme moi, tu- « Je- » Et les pensées en sourdine.

« Je m'appelle ... Kiya'na Ehu-kai ... » Et- Et quoi et oh et quelques fils de pensées qui s’emmêlent, inaccessibles, qui se perdent et font des noeuds, la sensation désagréable de louper quelque chose malgré la stupeur qui s’installe entre mes côtes et sur mes traits. « Pourquoi la question ? Tu veux pas ... Mon num' j'espère ... » Uh- « Quoi ? » Un souffle étranglé, inquiet - mon coeur bat une chamade folle que mes inspirations ne parviennent pas à apaiser, j’ai la gorge et l’estomac noué, rien ne fait sens et un je veux que ça s’arrête en boucle dans les idées.

Un rire.
Absurde, insensé ; juste un tressautement dans la voix, quelque chose qui n’existe que parce qu’il n’y a plus aucune raison de rire et que des milliers d’avoir peur - un rire pour transcender l’horreur. « Bordel, tu- » Je secoue la tête, lentement. « T’es de la famille de Mana’arii…? » Un souffle - et puis, un éclat rougeoyant, qui me force à relever la tête et- Oh, la bataille ; oh, cette lutte désespérée, oh, Unseelie et Oneira, toujours jetées en avant et-

Un poids, sur ma main, qui m’incite à dégager la mienne sur le tissu. Je baisse les yeux - un Capumain a pris ma relève, que j’observe le temps d’une seconde avant de me redresser, d’un rien. « Tu veilles sur elle pour moi ? » En laissant glisser mon sac de mes épaules, précautionneusement, je viens me dégager, l’allonger, la tête sur mon sac en guise de coussin de fortune. « … Force pas. Laisse-nous te protéger, pour une fois. » Je me lève, sans attendre de réponse, et je tourne les talons - volte-face en direction du combat à l'instant où les premières gouttes de pluie commencent à tomber.

Je ne comprends pas.
Je ne vois que le Kabutops ; son éclat vacillant, les craquelures qui se dessinent à mesure sur sa carapace, fruit de nos heurts mais pas seulement. C’est toute sa carcasse qui vacille, qui tremble à chaque pas même s’il ne faiblit jamais. Nos éclats l’abîment mais il était déjà condamné au premier instant ; comme s’il n’était qu’imparfait. Comme si les hommes n’avaient pas exactement parvenu à l’accomplissement de leur projet… Comme s’ils avaient échoué.

Est-ce que tu la sens, la douleur, dis ? et le coeur serré.
Est-ce que tu la veux, cette vie à laquelle on t’a promis sans que tu l’aies demandé ? et un pas en avant.
Veux-tu réellement être un dieu de pacotille au nom d’hommes qui t’abuseront ? et un regard en direction d’Unseelie, renvoyée en arrière de ma présence.
Ne voudrais-tu pas la paix, plutôt que de cette version de toi-même, brisée, morcelée ? et Sasha qui tombe et Glenn qui se précipite et-

« Oneira- » Un souffle, enroué par le fil de mes pensées, par le tremblement de mes mains et de mes idées ; un coup de tonnerre au loin - je cille et je me hais, je n’ai pas le droit de décider, pas le droit souhaiter te voir mort et en paix plutôt que- … Mes prunelles braquées sur lui ; es-tu seulement en vie ? Es-tu seulement vraiment toi-même, que t’ont-ils fait ; es-tu seulement qui tu étais ou bien ta raison, ton identité, t’en ont-ils également dépouillé ?

Je serre les poings - paume poisseuse, bras nus offerts à la froideur de la nuit, à l'averse, aux gouttes froide, à l'obscurité plus même éclairé par cette putain de lune ; il n'y a plus que lui. Lui et sa lumière blasphème, lui et sa lumière injure.

Lames d’eau dressées dans les airs - c’est comme apercevoir la scène au ralenti, sans réellement saisir ce qu’elle signifie. Une chute à ses pieds, une ombre qui s’élance en avant - quelqu’un pour arrêter le fil du temps, pour rompre l’inéluctable, pour- sauver.
Sauver Sasha, sauver Charlie (où est Liang dans le fond du crâne mais toute l'attention un seul point de chute), me sauver moi, sauver Kiya’na…

Un frisson.
Qu’on vainque ou qu’on perde ; qu’on vive ou qu’on meure…
Qui viendra te sauver, toi, quand tout sera terminé ?

Tu t’effondres.
De toute ta hauteur ; de toute ta carcasse brisée - tu t’effondres sous nos yeux, blessés, vaincu, la carapace morcelée. Peut-être épuisé - victime d’un monde qui te condamnait avant même ton premier souffle. Tu ploies, tu tombes - et le monde tremble autour de moi ; ça tourne, c’est vertigineux et asphyxiant, je pourrais m’écrouler moi aussi mais quelque chose me tient debout.

Quelque chose me tient debout, à quelques mètres de toi, à la fois si loin et si proche de toi et ton souffle imperceptible. Personne ne viendra te sauver. Personne ne viendra te ranimer, personne ne viendra abréger cette vie qu’on t’a inventée à tes dépends. Combien souffres-tu ? J’esquisse un pas dans ta direction, et puis je m’arrête.

Je réalise - pas d’exclamation de joie, pas de soupir de soulagement, pas de victoire sonore non plus. Vivants mais brisés, et c’est sur le bord d’une tombe que nos vies se tiennent, sur le bord d’un fil que nos existence te survivent. Pardon dans les entrailles ; et la sensation est de glace entre mes côtes quand je lève les yeux et que je réalise que je suis le seul encore debout sur le champ de bataille.
Que Glenn est blessé, Sasha à son chevet, que Kiya’na ne s’est pas relevée, qu’il manque des âmes à l’appel et- Où sont-ils ?

Je tourne sur moi-même - pour réaliser qu’ils s’agitent. Qu’ils s’animent. Qu’ils avancent - et que leur lenteur, inhabituelle, est terrifiante. Qu’il y a quelque chose de menaçant, de presque fataliste ; comme s’ils étaient si certains de nous tenir qu’ils n’avaient même plus besoin de s’épuiser à courir pour nous atteindre.

Une inspiration - fébrile, tremblante, et mes poings serrés.

Si je m’arrête, je meurs, alors j’avance - d’un pas et puis de deux. Je m’acharne parce que je connais que ça, je continue parce que j’ai déjà été si loin ; à quoi ça rime si j’abandonne maintenant ?
Tant que mon coeur bat, j’ai encore un rôle à jouer ici.

(Je choisis la vie.)

Celle qui en vaut la peine ; celle qui coule dans nos veines, celle qui lutte, celle qui résiste, celle qui bat son plein.
… La tienne est déjà perdue, pas vrai ?

J’approche - mais je ne sais pas au nom de quoi. Je ne sais pas ce qui me porte, je ne sais pas ce que me murmurent mon âme et ma raison.
Ai-je seulement droit d’y songer ?
Ai-je seulement le droit de m’accorder un pouvoir que je ne possède pas ? Un pouvoir qui n’aurait jamais dû être celui des hommes ; un pouvoir qui ne devrait pas être celui d’un enfant…

« Glenn, » et ma voix est sans vagues - une plénitude étrange, une paix qui ne m’appartient pas (j’ai la gorge nouée). « T’es ranger, non ? » Parce qu’à Calléis tout se sait, parce que les visages sont familiers, parce que personne ne sait taire les secrets. « T’as bien- Je sais pas, un couteau, un canif… N’importe quoi. » Quel ranger n’en aurait pas ?
Mes prunelles le cherchent - sans rien vouloir des réponses que mes questions silencieuses (ai-je seulement le droit ?) pourraient y trouver. « S’il-te-plaît. »

Au nom de la vie - sacrée.
Au nom de la mort - et ce qu’on lui laisse de dignité.

(Suis-je prêt à payer l’ire de mes Dieux si je décide pour eux ?)

« Personne viendra l’aider, » un souffle étranglé. « Personne viendra le sauver. » Et la solitude ; et le froid qui grimpe et qui ronge et qui dévore, et d’être seul quand on songe à sa fin, je sais ce que c’est. J’ai connu - je l’ai vécu. Livré à moi-même aux ruines et à la pluie - déjà vaincu. Vide et sans espoir, sans rage, sans feu - je connais la sensation glaciale de se savoir perdu.
Mais Redolent m’a trouvé…
(Personne ne viendra-t-il vraiment l’aider ?)

Une pensée brève - j’ai le mien dans mon sac, non ? Depuis juillet, depuis la peur, depuis la pluie ; depuis que j’ai commencé à songer survie, depuis que je projette de m’éloigner des villes pour dénicher les secrets que Lentis s’évertue à me dissimuler. J’ai le mien, pas vrai ? Celui qui devait ne m’aider qu’à couper des morceaux de corde ou d’écorce ou des bandages, des pansements… Il n’a jamais été taillé pour ça.
Jamais pour- N’y pense pas.

(N’y pense pas mais c’est dans tous mes souffles, dans tous les battements de mon cœur, dans tous les soubresauts de mes épaules sous le froid de l’averse sur mes bras nus.)

Mes doigts tremblent quand ils se referment sur le manche du canif, et je recule avant qu’on tente de me dissuader..
Un pas, deux - je pose le genou à terre à ton chevet. Tu respires encore - ton être entier paraît lutter. Je rêve après l’aube, mais toi, la verrais-tu seulement se lever ? Peut-être serait-elle belle - mais aurais-tu encore assez de lumière dans les yeux pour l’admirer ?

J’ouvre la lame - ma main se pose sur les fissures qui ont entaillé l’armure de ton crâne. Mon geste est doux - presque une caresse. J’aurais aimé- J’aurais aimé être encore celui que j’étais ; celui qui aurait pu t’aider. Celui qui avait ce don-là - de sauver plutôt que d’annihiler.
Mais il ne me reste plus que ça - plus que moi. Moi, mon corps qui tremble et ma volonté, quand mes doigts glissent dans l’interstice où l’armure cède à la chair. Ton pouls pulse contre mes empreintes - mon coeur se serre.

Tu n’es qu’une création imparfaite, une erreur, un contresens. Déjà morte - tu ne devrais pas exister. Mais ils t’ont créée - et j’ignore ce qu’il reste de toi et ce qu’ils t’ont volé.
Toi… Sauras-tu me pardonner ?

Sauras-tu me pardonner cette lame qui se glisse contre la peau, à l’endroit où mes phalanges sentaient ton coeur battre l’instant d’avant, sauras-tu me pardonner mes instants de doutes et toutes mes hésitations, sauras-tu me pardonner… D’avoir simplement osé y songer ?

Mes mains soignaient. Mes mains faisaient briller.

Auraient-elles seulement la force d’éteindre ; celle de tuer ?

J’inspire. Xerneas, je t’en prie ; accueille-le à tes côtés, et aime-le comme tu aimes tous tes enfants. Ne laisse pas le blasphème des hommes dérober son âme à ton royaume… Ne me pardonne pas - mais pardonne-lui. Guide-le dans ta lumière - rends-lui cette vie qu’il méritait et que mes pairs lui ont volée.

Un tremblement ; un souffle comme en asphyxie. Je ferme les paupières, je déglutis, je les rouvre et je baisse les yeux sur toi. Je ne me détournerai pas. Si je dois reproduire le crime originel qui nous a faits mortels, je ne fuirai pas. Je ne fermerai pas les yeux ; je ne me soustrairai pas à mon propre geste. Je te regarderai jusqu’à la fin - jusqu’à ce que ta Lumière s’éteigne.

(Je ne laisserai personne m’arrêter.)

« Pardonne-moi, » un murmure - et, d’un geste sec, avant que la peur ne me dissuade, j’appuie mon poids sur la lame. Résistance brève, bruit immonde, à peine audible, peut-être même que je l’ai rêvé, odeur et goût de fer sur le palais. La tête me tourne et mes mains tremblent, mon souffle s’étrangle dans un hoquet tandis que je m’écarte, à genoux dans l’herbe et la boue. Bruit blanc dans la tête et nausée vague, je tente de me redresser mais tout se met à tanguer autour de moi. Haut-le-cœur brusque, coup dans l’estomac - je me penche en avant pour respirer.

Je viens de- Une pensée figée, inachevée ; je l’ai- comme en écho mais tout qui se tait. Est-ce que j’ai- mais rien, plus rien qui répond, qu’un bourdonnement sourd dans les idées.

…
Qu’ai-je fait de mes mains qui ne savent plus soigner ?

« Kiya’na, » un souffle coupé, une impulsion, c’est presque ramper puis me redresser en tremblant, ciller, quelques pas en avant et « Eh, j’suis là, » et j’sais plus bien si je lui parle à elle ou aux Pokémons qui l’accompagnent - à moi ou à Oneira et Unseelie qui se glissent dans mon sillage, témoins silencieuses de tout ce que je suis devenu (de tout ce que je n’étais pas lorsqu’elles m’ont emboîté le pas) - et « LIANG ! » Un éclat, la voix qui brise quand j’étouffe un sanglot et plus rien à faire de crier, que ce soit trop fort et même un peu désespéré ; ils savent déjà qu’on est là, ils nous on déjà vus, à quoi bon faire semblant ? À quoi bon prétendre qu’il reste quelque chose à sauver ?

Les gestes nerveux mais précautionneux, j’essaie d’oublier le poisseux sous mes doigts quand, tant bien que mal, je tente de maintenir le tissu déjà gorgé contre la plaie tout en nouant les manches derrière sa tête, prise ferme pour l’empêcher de glisser, bandeau de fortune et putain, putain j’ai peur parce que ça saigne et parce que même dans la nuit et même sous la pluie j’ai l’impression qu’elle a pâli et- « CHARLIE ! » Et mes prunelles qui les cherchent, putain où est-ce qu’ils sont et-

(Et si mes mains la condamnaient aussi ?)

Un silence, un vide - je cherche des repères dans l’absence de ceux que j’ai juré protéger. Quelque chose qui tord le coeur, qui casse un peu l’âme - je me sens seul au bord du vide, je me sens seul au bout du monde. (Revenez.)Revenez si l’endroit où vous vous êtes réfugiés n’est pas plus sûr qu’ici mais- Putain, et mon attention sur Kiya’na, parce qu’elle est blessée et que c’est à cause de moi, parce que j’étais là, parce que j’ai pas réagi assez vite, parce que j’ai eu peur, parce que c’était elle ou moi mais ç’aurait dû être moi et-  « O-Okay, Kiya’, est-ce que… Est-ce que tu- Tu peux t’lever ? » Et je force mes intonations à un calme que je n’éprouve pas, l’estomac retourné, secoué de nausées vagues - j’essaie d’ignorer les larmes qui me brouillent la vue, brûlent sous mes paupières. « Appuie-toi sur moi, » un souffle à voix basse dans le tumulte de l’averse, mon bras qui se glisse sous le sien et dans son dos, malgré tout mon corps qui tremble et toutes les vannes qui menacent de céder. « J’te lâche plus. »

(Mais j´t’en prie me lâche pas non plus.)

Se tenir debout. Avancer. Continuer.

Combien de fois suis-je déjà tombé ?
Combien de fois me suis-je déjà relevé ?

Le corps tremblant, éreinté, je pose un pas devant l’autre comme si ma vie en dépendait - en m’efforçant d’oublier qu’il ne s’agit pas que d’un comme si. Inspiration lourde après inspiration lourde, la gorge nouée et un bruit blanc en travers de l’esprit - encéphalogramme plat entre les côtes. Qu’un coeur serré, plus même emballé - qu’un calme placide et qu’une résignation vaine dans l’être éteint (comme un peu déjà mort).

Elle dit merci et je songe en quel nom, elle dit merci et je songe à quoi bon - je resserre d’un rien mon étreinte autour d’elle, sous le prétexte de l’empêcher de trébucher. Merci mais pourquoi ; je suis là mais combien j’ai payé, je te tiens mais avec ces mains que même la pluie qui s’abat sur nous ne peut plus rincer.
Qu’est-ce que ce monde ; qu’est-ce que cette nuit a fait de moi ?

Vous êtes tous tombés.
J’étais seul, debout, au milieu de ce charnier ; vous étiez tous à terre et moi-
Et moi je suis toujours là, debout, éternellement, mais avec cette sensation de tomber, de chuter sans fond.
(J’ai peur d’entendre le bris de mes os quand j’irai m’éclater sur les rocailles acérées de la réalité ; j’espère que la vie me tuera avant la douleur de renoncer.)

L’acier proteste sous nos pas quand on s’enfonce à l’intérieur de la roulotte. Maigre barricade, dernier rempart - cet endroit sera un improbable miracle ou notre dernier tombeau. Unseelie me précède de peu, Oneira perchée sur sa tête brinquebalante, et je prends soin de ne pas marcher sur le tissu gorgé d’eau tandis qu’elles s’abritent et nous à leur suite. Un pas, deux, précaution dans l’obscurité et-

Un bruit.
Un bruit de fer et un peu gluant aussi, quelque chose qui s’ouvre et des pas et-

Et mon coeur en chute libre et ma vue qui se trouble, c’est pas possible et si et c’est horrible et rassurant et c’est la pire et la meilleure chose qui soit et c’est mieux comme ça et ça devrait pas être comme ça c’est- Je bats des paupières et réprime le picotement de mon nez tandis que Charlie enlace Kiya’na ; l’élan de son désespoir en bousculade légère. Vous deviez vous enfuir mais comment, comment ; on est tous prisonniers ici, condamnés à la même obscurité, nos récits ponctués par la même fatalité.
(Non ; non, ça peut pas être écrit, ça peut pas être destiné.)

C’est Liang dans le sillage de l’enfant, sa présence victoire, sa présence échec - on devait vous sauver, au moins vous parmi nous ; mais on est ensemble si tout s’arrête, sentence et bénédiction, Xerneas, je voulais qu’ils vivent si on ne voyait jamais l’aube se lever.)
C’est Liang, son front posé sur mon épaule, tout son être enduit de la même matière visqueuse que l’Imposture de Luminescent et ses mots qui tremblent et se brisent, s’excusent et- T’as bien fait dans les idées, écho de ceux de Kiya’na à mes côtés ; tu devais partir, tu devais vous sauver, tu devais-
Tu devais porter nos mémoires de l’autre côté de cette nuit, de l’autre côté de ces eaux.

(Tant pis.)

Mes prunelles, jetées dans le vide, observent la pénombre par dessus lui. Je lève ma main libre, un instant - comme l’instinct de vouloir enlacer, mais mon geste demeure en suspens et puis retombe.
Je ne peux pas.
(Je ne peux plus.)
Pas avec ces mains-là - pas… Pas quand je les sens encore lourdes d’une horreur dont une bouteille d’eau ne suffira pas à me débarrasser.
(Peut-être plus jamais.)

Les gestes prudents, j’aide Kiya’na à s’asseoir avant qu’elle ne s’effondre et, dans le halo d’une lampe de poche jeté sur nous, je cherche son regard un instant, et puis celui de Sasha, quelque part non loin de nous, pilier solide aux côtés d’un Glenn pas non plus épargné. J’ouvre la bouche, m’apprête à demander, tu peux t’occuper d’elle ? mais mes mots s’étranglent et je me redresse sans avoir parlé.
La gorge nouée, comme proie d’un sanglot éternellement réprimé - silencié par une douleur qui s’acharne à m’intimer l’ordre de me briser.

Je m’écarte, d’un pas, deux, trois, pour me saisir d’une des lampes - main qui tremble et vue brouillée, Oneira perchée au bord d’une table et qui tend ses racines dans ma direction et que j’ignore parce que j’peux pas, j’peux pas, j’peux pas te toucher, j’peux pas ternir ton éclat, je-

La chaleur d’une main, paume familière glissée contre la mienne et doigts entremêlés - c’est toute ma volonté ébréchée qu’il me faut pour ne pas reculer, pour ne pas me dérober, pour ne pas dire non et voler en éclats, là, sur le sol trempé et sous leurs yeux. Souffle coincé en travers de la gorge, un instant - j’inspire comme un hoquet et, les yeux obstinément baissés, j’emprisonne tous les recoins alentours à Oneira d’un cercle de lumière un peu vive et qui arrache à la Spododo des protestations fatiguées.
(Je serre sa main un peu plus fort entre mes doigts.)

C’est tout qui tremble, rien qui fait sens ; c’est j’ai tué mais comme une réalité lointaine qui s’écoule à l’image des grains d’un sablier, vérité inéluctable qui s’immisce sous ma peau comme se glisse le sable sous toutes les coutures. J’en retrouverai des résidus dans un millénaire ; c’est gravé à même mes chairs, à même mes rétines et j’ai pas détourné les yeux, putain et une inspiration, encore, lourde, lourde, lourde comme les trombes d’eau, lourdes comme mes fringues gorgées collées à ma peau, lourdes comme le monde à porter, lourdes comme tous mes secrets.

J’ai tué (et aucun de ceux qui auraient pu me pardonner n’ont vu ce que j’ai fait.)

L’emprise douce qui serre, d’un rien, comme en retour, comme s’il savait, comme s’il lisait mon silence et mon regard qui fuit, mon absence et mes respirations sifflantes, comme si- L’étreinte m’accueille comme un chez soi ; un chez-soi quitté il y a longtemps, quelque part où l’on n’était plus certain de retourner. Un chez-soi mélancolie, un chez-soi souvenir (doux-amer), un chez-soi qui l’a toujours été mais qu’on a presque oublié, un chez-soi perdu, un chez-soi retrouvé (changé).

Un chez-soi où l’on entre comme bouleversé - et qui fracasse à l’instant où je réalise
(c’est moi qui ai changé).

Je cille - je faiblis. Mes doigts lâchent la lampe et mes bras se glissent autour de lui, l’entourent, l’enlacent, légers, comme de crainte d’abîmer, comme de peur de… J’ai peur de tout, putain et à quoi bon et une seconde, deux, trois et mon étreinte se resserre, plus solide, plus ferme, plus j’ai besoin de toi, plus steuplaît me lâche pas, plus j’y arriverai pas, plus merci d’être là et tout qui tremble et pleure pas pleure pas pleure pas (ça coule tout seul jusque dans mon cou) en litanie silencieuse, en murmure réprimé,
(j’t’en supplie me lâche pas.)

Mais il le faut - il le faut parce que notre temps est compté, il le faut parce que rien n’est joué (pas vrai ?), il le faut parce que, putain, putain, j’veux pas mourir ici, j’veux- J’veux rentrer, j’veux rentrer, retrouver les autres, Alice, Mana’arii, Fleur, Axiom, je veux pas mourir ici, là où personne viendra nous chercher, là où personne saura, je veux pas mourir ici, j’veux pas qu’on devienne des on sait pas, des chiffres perdus, des noms mémoires et hommages, j’veux pas qu’on pleure pour nous j’veux pas mourir ici j’veux pas mourir et qu’on soit seuls loin de tout je- Il s’écarte et (j’ai froid) j’inspire, profondément, longtemps.
J’veux pas mourir aujourd’hui.
Je cherche ses yeux, sans un mot, une seconde. Mes mains tremblent encore, j’ai pas la force de parler, pas celle de lutter, à peine celle de tenir debout. Tout est trouble et insensé (ça dévale toujours en silence sur mes joues), mais-

J’esquisse un sourire (j’essaie) - une ombre ; un instant volatile, sans force et sans courage (j’y arrive pas mais j’essaie).

Je ne laisserai rien t’arriver, j’ai promis.
(Je ne te laisserai pas mourir ici.)

Lampe torche récupérée, tout l’être encore bousculé, je retourne à mon exploration de l’endroit. Secondes avalées dans un silence de plomb, jusqu’à ce que le halo blafard éclaire un rectangle sombre posé dans un coin de bureau mal rangé. Je tends la main, referme mes doigts sur l’appareil ; qui se met à grésiller doucement à l’instant où je presse, maladroitement (lampe coincée dans la jointure de mon pouce et de mon index, dictaphone entre l’index et le majeur), l’un des boutons. Une hésitation, peur du bruit, mais ils savent déjà qu’on est là, alors quelle importance ?
J’appuie sur play.

Une seconde de rien - puis un frisson glacé.
Ça s’élève dans les airs comme un mauvais présage, quelque chose de dérangeant, d’un peu malsain, ça donnerait presque aux ombres des airs de silhouettes cauchemardesques, ça ferait presque ressembler le silence à la sécurité. C’est une mélodie grise, éclats mauves, étincelles vertes, musique poison, musique peur, terreur, musique horreur.

La voix de Liang s’étrangle, à mes côtés - et je finis par presser pause pour taire les notes désordonnées sur lesquelles mon coeur s’est emballé.
Le silence, nos souffles - je n’ose plus bouger.

Je ne comprends pas.
Je ne comprends pas.

Ça ressemble à une mauvaise blague ; ça ne fait pas sens, c’est comme un mauvais film, c’est- Je ne comprends pas. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce qu’on est censés comprendre, je ne comprends pas ce qu’ils préparaient, ce qu’ils voulaient, ce qu’ils attendaient, ce qu’ils- « H-hey- » et la main tirée, l’emprise douce et mon attention qui décroche du dictaphone reposé. « N-Noah, regarde- » Et mes prunelles jetées dans sa direction, sans comprendre, quelque chose qu’il cherche à déposer entre mes bras et mon étreinte qui se resserre doucement dessus, par réflexe et-

Petit éclat coloré, oh, le Statitik et ses yeux levés vers moi et- Oh.

Oh.

Oh-

« Il- il est okay, il s’est réveillé et- et il est okay. » Il s’est réveillé. Ses mandibules s’agitent doucement ; ses yeux tressautent un peu, dans ma direction et puis sur les alentours plongés dans la pénombre, curieux, surpris, effrayés, clairs et vifs.

Un bruit blanc, encore, dans le crâne.

Il est okay.

C’était qu’une impulsion, qu’un geste désespéré, qu’un je dois au moins essayer, sans conviction, sans certitude, c’était rien qu’un peut-être et qu’un j’assumerai… Mais il est okay. Réveillé. Libéré.
J’ouvre la bouche mais pas un son n’en sort - j’ai la gorge nouée et la sensation que je pourrais m’effondrer.

Je remonte la petite présence inquiète, pour la blottir quelque part près de mon coeur - et je la sens qui s’agitent, s’agrippe, de toutes ses petites forces fatiguées. Vivant. Il est vivant, il est- Sauvé.

Sauvé parce que j’ai refusé de croire que c’était terminé.
Sauvé parce que je-

…

Je l’ai sauvé.

Mes mains- Mes mains l’ont sauvé.
Mes mains ont tué - mes mains n’ont pas soigné.
Mais elles l’ont arraché au sort que renoncer lui promettait.

(Est-ce que lui aussi, j’aurais pu l’aider ?
Est-ce que c’est mon renoncement qui l’a tué ?)

Sonné, je ne bouge pas - je ne bouge pas quand la présence de Liang s’agite à mes côtés, que sa voix résonne de nouveau, basse et lointaine. C’est comme de l’entendre par-delà la distance et le tumulte de la pluie sur la taule de la roulotte, au travers d’un tunnel, ou d’une salle trop feutrée. C’est étouffé, ça ne me parvient qu’à moitié, j’entends parler, j’entends les mots mais c’est sans le moindre sens, c’est comme écouter un langage qu’on n’a jamais appris, c’est- Les secondes filent, j’entends Statitik et je n’ai pas lâché des yeux celui dans mes bras, que je contemple comme s’il était le dernier rempart à ma bascule, le dernier barrage avant la chute.
Je ne tiens bon que parce qu’il est là, entre mes bras, un peu plus éveillé au fil des secondes, craintif et méfiant, accroché aux fibres de mon t-shirt trempé de ses pattes avant mais son corps écarté du mien, comme pour établir une distance prudente tandis qu’il me fixe et me jauge.

(S’il attaque j’suis mort, la pensée qui file et presque une envie de rire, un éclat absurde, insensé, ravalé - l’ombre d’une seconde de sourire malgré tout.)

La voix qui se tait, les pas qu’on emboîte malgré soi, je me laisse entraîner sans quitter l’insecte des yeux - vivant, vivant, vivant et- Et si lui est vivant, alors-
Un frisson le long de l’échine, parce que je me souviens de la palissade au bois éclaté, des échardes, des tâches sombres qui les imbibaient, et du carmin (noir de jais dans la nuit) qui couvrait chaque parcelle du centre de soin et-
Est-ce qu’il vaut vraiment mieux être vivant, après ça ? et mon étreinte qui se resserre d’un rien (de quel droit ?) tandis que je réprime un hoquet.

Je relève la tête.
Mes prunelles effleurent Glenn et Kiya’na, la pensée pour les blessures, pour les cicatrices qui resteront, sur les chairs et dans les mémoires, et puis Sasha, à leurs côtés et, elle s’était fait mal aussi, non ? et puis- La main de Liang qui tremble (à moins que ce soit moi qui n’ait pas cessé ?) et mon attention qui bascule, sur lui, pour-

Un bruit.
Un bruit, à geler le sang, à glacer les os (du givre en picotement terrible sous la peau). Un bruit, venu de dehors ; un bruit terreur, un bruit menace - ils nous ont atteints ? Ça vient de derrière, de l’autre côté et la pensée peur on n’a pas fait le tour, on n’a pas regardé, on a filé droit à l’intérieur parce qu’on avait que ça et- Et le coeur qui s’emballe et la vue trouble et putain, pitié qui s’étrangle en travers de la gorge.

(J’veux pas mourir ici.)

Un pas, deux, j’abolis la distance qui me sépare de Liang - là où il s’est appuyé, pâle et le regard perdu, les traits tirés dans un quelque chose qui m’échappe et que je ne comprends pas, comme un choc qui n’était pas là l’instant d’avant et-
(On est tous en train de craquer.)

On arrive à bout - au bout de nos forces, au bout de notre courage, au bout de notre volonté, au bout de notre entêtement à y croire. À croire que quelque chose nous attend, à croire que l’aube se conjugue encore au futur pour nous.
On n’est déjà plus que des simulacres de nous-mêmes, vaincus, comme un tronc frappé par la foudre, que les flammes auraient consumé avant que les vagues ne viennent balayer les cendres de ce qu’on était.

Que resterait-il même de nous une fois le jour levé ?

« Liang, » un souffle et puis plus rien d’autre ; trop bas pour que ma voix se brise. Murmure pour le ramener, murmure j’comprends pas, murmure y’a un truc qui déconne mais j’sais pas comment t’aider, murmure résigné, murmure fatalité.

J’attends les contours d’un tumulte qui ne vient pas.
Pas de cris, pas d’autre bruit, pas de déchirure, pas de coups sur la taule, pas- Rien.

Une pression, légère, sur sa main, et je lâche, et je recule. Pas prudents et silencieux en direction de la porte - pas un geste pour l’ouvrir, mais j’approche jusqu’à presque y coller mon oreille. À la recherche d’un bruit, d’une menace, de quoique ce soit qui s’approche, d’un bruit de course, d’acier, de griffe, d’un râle, n’importe quoi.

Je m’en écarte au bout d’une poignée de secondes - et l’observe comme si je pouvais voir au travers ; comme s’il y avait quelque chose à en tirer.
Qu’est-ce qui nous attendrait, si on l’ouvrait ?

(Miracle ou tombeau ?)

Je recule de nouveau.
Encore, et encore, et encore - jusqu’à me heurter au bureau derrière moi. J’inspire, tandis qu’Oneira se glisse près de moi, Unseelie à mes pieds.

(J’veux pas mourir ici.)

« On va mourir si on sort pas d’ici. »
Un murmure - sans feu, sans flamme, sans braise.
Poussière, résidu, ruines - une vérité jetée dans le vide de ce qu’il nnous reste à sauver.