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Maman est malade.
C'est pas souvent que Maman est malade - enfin, c'est même jamais arrivé. Je l'ai déjà vue fatiguée, c'est sûr, mais jamais vraiment mal. Parce que Maman, elle est forte, elle peut tout combattre. J'l'ai vue gérer des soirées où le restau était plus que complet et s'en sortir comme une cheffe.
Mais là, Maman est malade. Le travail du restau a été trop et elle a fait un malaise, et elle est pas bien. Et je peux pas l'aider parce que j'ai mon propre boulot à Haptos, et parfois je vais les aider le week-end, mais elle et Papa ont dit que j'avais pas besoin de venir les aider pour ça, qu'ils allaient juste fermer pendant quelques temps et que Papa allait prendre soin de Maman. Sauf que je le vois que Papa est fatigué aussi, il peut pas tout gérer. Et ils font comment s'ils ont pas de rentrée d'argent ? Ils vont plus pouvoir manger, et ils auront plus la maison, et-
Et ça me stresse. Je ferais quoi sans Maman, moi ? Je ferais quoi si demain on m'appelait pour me dire qu'elle est plus là, et que Papa a pas les moyens pour garder la maison, et qu'il finit dans un cabanon sur la plage, qui se fait emporter par la marée haute ?
J'serais pas qui je suis sans Maman. C'est Maman qui m'a rendu comme ça. C'est Maman qui m'a appris à rire, à sourire, à être joyeux. C'est pour elle que j'ai cherché à dessiner des sourires sur les lèvres des autres en dansant et chantant.
Si Maman est plus là, je sais pas si j'aurais la capacité d’illuminer la vie des autres.

J'suis triste. Je regarde les fantômes lumineux qui se tiennent la main affichés au plafond. C'est vrai que c'est réconfortant un peu de lumière, fin quand j'ai plus la mienne pour briller et pétiller partout. La vie à l'air beaucoup plus sombre, d'un coup - mais au moins, j'ai une petite torche pour me protéger du noir. Après, même si j’suis triste, j'essaie - j'essaie de sourire et de répandre la bonne humeur, parce que si j'y arrive pas, à quoi je sers ?
Mais c'est quand même différent.

J'arrive pas à dormir. Fin je somnole, mais le sommeil vient pas. J’pense juste à si Maman et Papa vont bien, et si j’devrais pas aller les aider quand même, mais après je risque de perdre mon boulot et ils vont s'inquiéter et je serais un mauvais enfant si j’inquiète mes parents. Puis ça va les rendre tristes s'ils voient que je suis inquiet aussi, et je veux pas ça. Mais j’me dis que je pourrais genre passer sur l'aprem car je bosse en général le matin, ou au moins le week-end pour les aider un peu ?

Je réfléchis, regardant les fantômes qui défilent en me demandant si Maman aussi elle viendra me tenir la main quand elle sera plus là, pour me rassurer, et y'a vraiment des mains qui viennent serrer les miennes (ce qui me fait sursauter un peu, j'avoue- et paniquer parce que je pensais pas ça dans le sens que Maman était déjà un esprit), mais c'est Bae qui me prend les mains et vient chuchoter quelques mots à mon oreille, et je hoche machinalement la tête sans trop réfléchir parce qu'en général je suis Bae (ou plutôt c'est moi qui le tire partout), mais s'il me demande un truc je fonce (comme pour la veilleuse), parce que c'est Bae et parce que même si je suis triste faut que je le fasse sourire, lui aussi.

Alors j’me lève et je mets ce quil me donne (sans me soucier de si ça va ensemble, je jugerait tes goûts plus tard, Bae, quand j'serais plus réveillé et un peu moins en doute maybe), et j’le suis dehors. Même si c'est la nuit y’a toutes les lumières des bâtiments, et ça me rend un peu triste parce que du coup je peux pas voir le ciel comme à Kopa, et ça me rend un peu triste parce que j'aurais pu me sentir plus proche de Maman - mais probablement qu'elle le voyait pas non plus, si elle dormait. J'espère qu'elle dormait. Alors je marche un peu aléatoirement, je sais pas trop où Bae veut aller, je le laisse aussi mener la marche.

J’me sens mal parce que Bae est inquiet. J’le vois qu’il est inquiet. Fin, je pense aussi qu’il est inquiet. I mean, s’il l’était pas, il m’aurait pas proposé de sortir au milieu de la nuit, hein ? Probablement qu’il fait ça pour me changer les idées. Mais du coup j’me sens mal, parce que Bae devrait pas avoir à essayer d’me remonter le moral et à me faire sourire. J’devrais être capable de sourire tout seul, nah ? Et de distribuer du sourire aux autres. C’est mon rôle, de faire sourire les autres, de tirer ses joues pour que ses lèvres s’étirent, de v’nir chatouiller ses côtes ou de faire le pitre pour entendre son rire. C’est mon rôle vis-à-vis de lui, et vis-à-vis de Maman. Ç’à a toujours été mon rôle d’apporter de la joie et du bonheur aux autres, d’être cette étoile, ce rayon de soleil, ce phare pour ceux qui sont perdus. Mais le visage de Maman a toujours été c’qui m’a permis de continuer à aller de l’avant, et maintenant que je sais qu’elle est pas bien, j’sais plus quoi faire parce que j’aimerais être là-bas pour l’aider, mais je sais que c’est pas faire le pitre et danser qui va la soigner. Et j’suis pas doué en soin parce que j’ai pas fait d’études de médecin, mais maybe c’est ce que j’aurais dû faire si je voulais vraiment aider les gens, puis j’aurais gagné plein d’argent et j’aurais pu mettre Maman et Papa en sécurité, et jamais elle serait tombée malade, et jamais Papa aurait été sujet à l’être aussi.
Maintenant, j’me dis que je peux les perdre à tout moment - et ça me fait peur, parce que j’ai jamais perdu personne. Y’a que Grand-Maman qui est partie, mais c’était différent avec elle. Parce que si Papa ou Maman disparaissent, je sais pas ce que je vais devenir.

J’ai pas trop vu où on marchait, j’avais la tête a moité levée pour essayer de trouver les étoiles, mais on les voit pas d’ici. J’essayais quand même, parce que peut-être que si elles brillent assez fort à travers les lumières, alors j’peux briller assez fort pour soigner Maman. Mais du coup j’ai pas suivi où on est allés, mais y’a un banc et on s’assoit, fin, je laisse Bae me tirer à côté de lui. J’ai envie de parler, j’ai envie de rire, de pétiller, mais honnêtement j’ai rien qui me vient à l’esprit, et ça me stresse parce que qu’est-ce que je suis si je suis plus cette boule d’énergie, hein ? Si j’suis plus là pour rendre les autres heureux ?
Un peu inutile, en soi. Fêlé, cassé. C’est comme si j’étais plus Lei, en soi.
Mais Lei, c’est qui, au final ?

Bae me demande ce qui va pas, il me prend les mains - et c’est con, hein, mais cette simple phrase me déclenche une boule bizarre dans la gorge. J’ai jamais ressenti ça avant, je crois. Et elle veut pas redescendre ni sortir, elle reste là, bloquée, et ça fait mal parce qu’elle est en travers de ma trachée, et j’arrive pas à respirer. Alors quand il parle à nouveau je fais juste oui de la tête parce que j’ai l’impression que si j’ouvre la bouche, quelque chose va se casser en moi, et en général, je m’en fous un peu des apparences, j’suis une drama-queen qui peut beugler au milieu du centre commercial, mais là, j’sais pas, j’sens que c’est contre moi, un peu. J’sais pas comment expliquer. Et puis Bae m’embrasse, et j’me laisse aller contre le contact parce que c’est chaud, ça fait du bien, et ça fait presque fondre cette boule dans ma gorge qui gonfle et gonfle plus encore.

Je fais confiance à Bae, vraiment. C’est peut-être la personne à qui je fais le plus confiance, I mean, on vit ensemble, Bae connaît littéralement tout de moi. Mais je sais pas comment lui expliquer, comment lui dire, parce que y’a dix mille pensées qui fusent dans mon esprit, y’a dix-mille questions qui se posent et pourquoi je suis aussi nul comme ça ?
Pourquoi j’suis un enfant pathétique, pas capable d’aider ses parents comme il devrait ?
Pourquoi j’suis devenu inutile, et j’peux plus faire sourire les autres ?
J’deviens quoi, moi, si j’perds la seule chose qui fait de moi ce que je suis, hein ?
J’deviens qui, si j’peux plus apporter le bonheur aux autres ?

J’sais pas. J’sais pas, mais je lève la tête vers Bae, car j’essaie de le regarder, et j’veux sourire et lui dire que tout va s’arranger. Mais mes yeux piquent, ils piquent et collent et Bae devient tout flou devant moi.

« Bae… ? », et je doute que ce soit moi qui parle parce que j’ai jamais entendu ma propre voix être aussi tremblante et aussi douteuse. Et puis, j’essaie d’avaler la boule pour mieux parler, mais elle gonfle, et crac-

«… Tu penses que- que Maman va mourir ? »

Et les mots sortent comme un ballon qui éclate.

Je comprends pas ce qui m’arrive. Je comprends pas ce qui m’arrive, parce que ça m’est jamais arrivé, je crois. J’arrive pas à me concentrer sur Bae devant moi, parce que son visage devient tout flou, et mes yeux me piquent, et je sens un fluide qui en coule et se déverse sur mes joues - et y’a comme un hoquet incontrôlable qui me prend, et qui m’empêche de respirer correctement, ébranlant tout mon corps. Et je renifle, je renifle, et j’inspire de l’air - mais j’arrive pas à en avoir assez, et ça continue à me faire trembler.

Je comprends pas ce qui se passe, mais malgré le voile qui floute mes yeux, j’sens Bae qui me serre contre lui, et j’sais pas comment dire, mais ça fait du bien parce que j’me sens safe, j’ai l’impression que j’peux m’effondrer, tomber en miettes, et Bae sera toujours là pour me tenir entre ses doigts. Sûr, ça m’fait mal de pas être moi, de pas être comme d’habitude - mais là, dans ses bras, j’ai l’impression que c’pas grave. Que j’peux être quelqu’un d’autre l’espace d’une minute, une heure, une nuit. Alors j’me laisse aller contre lui - parce que qu’est-ce que j’peux faire d’autre ?
Qu’est-ce que j’suis censé faire tout court, même ?

L’étreinte de Bae est chaleureuse, réconfortante - et mon corps finit par arrêter de trembler d’lui-même, et les hoquets se calment, l’air revient peu à peu dans mes poumons quand j’inspire - et j’renifle un peu, calmé, c’comme si percer le ballon avait fait du bien - parce que c’est dans les mains de Bae qu’il avait éclaté. Et Bae lève mon menton pour que j’le regarde, et j’cligne des yeux parce qu’ils sont encore un peu trop humides, un peu trop remplis, mais au moins, j'ai plus ce poids dans la gorge. Et les mots de Bae me font peur, parce que j’aurais aimé qu’il me dise que non, que Maman va jamais mourir, qu’elle sera toujours là - même si je sais que c’est faux. Mais c’est mieux qu’il me dise la vérité, plutôt que je sois déçu - car je suis pas rancunier, mais peut-être que si Maman mourrait vraiment, je lui en aurais voulu de me faire croire qu’elle survivrait.

Ma gorge se serre, mais j’essaie de ravaler les nœuds et d’me concentrer sur ce que dit Bae, sur sa voix, parce que ses bras et ses mots sont tout c’qui m’aide à pas m’perdre et à pas m’désagréger comme plus tôt. Et j’secoues la tête lorsqu’il propose de prendre des congés, parce que j’peux pas trop le permettre - parce que j’dois payer trop de trucs, et surtout, faut que j’puisse aider Papa et Maman si les deux sont en pause pendant un moment.

« Non- », la voix qui craque, et j’ravale ma salive encore une fois parce que j’arrive pas à parler. « Non- faut que j’travaille pour pouvoir les aider. »

Et puis, j’peux pas laisser Bae s’occuper d’tout non plus. J’l’ai invité chez moi pour l’aider, pas pour lui donner encore plus de problèmes. Oh, est-ce que j’suis en train d’tourner comme l’autre folle ? J’espère pas. J’laisserai Bae partir s’il le voudrait, hein ?
… Non, j’sais pas si j’pourrais, en fait. Pas quand il est le seul à pouvoir me voir comme ça.

Et j’ouvre la bouche, parce que j’allais ajouter quelque chose, lui expliquer la situation - mais d'un, je sais pas vraiment comment lui expliquer le problème, car je sais même pas exactement ce qu’elle a, Maman - je sais juste qu’elle est malade, qu’elle va pas bien.
Et de deux, quand j’ouvre la bouche, y’a un truc qui brille - et honnêtement, j’aurais aimé dire que c’est mon âme d’étoile qui est revenue et qui attend à mes pieds pour reprendre sa place, mais c’est pas du tout ça. Mais c’est peut-être mieux, en un sens.
C’est le Pokémon de Bae qui brille, brille, brille encore - si bien qu’il est plus éclatant que les étoiles dans le ciel, plus illuminant que n’importe quelle fête Kopadienne. Il brille, et ses lumières prennent une teinte bleutée, et il change de forme, prenant plus de place - et j’observe toute la scène, bouche bée, parfois entrecoupés de quelques hoquets ou reniflements. Mais j’regarde toute la scène, sans bouger, et son Pokémon vient essuyer les dernières traces d’humidité sur mes joues, et j’suis encore un peu secoué par ce qui vient de se passer, fixant le Pokémon devant moi.

« C’est beau…  »

Murmure, j’suis pas sûr que ma voix a déjà été aussi basse, et j’laisse ma tête s’enfouir contre la laine du Pokémon, cacher mon visage hideux, visage qui n’est pas le mien - qui ne me ressemble pas. Cacher ce visage fêlé, brisé, aux peintures effacées.

« …Maman s’est effondrée au restau. », les mots sortent tous seuls après un silence. « J’sais pas exactement ce qu’elle a- mais ils doivent fermer pour l’instant. »

Je suis pas comme ça, d’habitude. J’ai jamais été comme ça, même. J’dirais pas que c’est être faible, parce que Maman a été comme ça plein de fois, et je l’ai aidée et je l’ai fait rire à en pleurer des larmes de joie, cette fois. Nah, c’est pas être faible - j’ai pas c’genre de mentalité de m’dire que si j’m’effondre dans les bras d’quelqu’un, c’est que j’suis la personne la plus misérable qui existe. Au contraire, ça prend d’la force, d’laisser les autres voir ce visage inhabituel qu’on porte. Ça prend d’la force de leur montrer, de dire tiens, j’sais que d’habitude j’suis un ressort, une étoile, un soleil- mais aujourd’hui, j’suis plus rien. Parce que quand on passe son temps à faire rire et sourire les autres, à se donner pour répandre de la joie - on peut seulement s’attendre à ce que les autres partent quand on fonctionne plus correctement, n’est-ce pas ?
Mais Bae est pas comme ça. J’suis tout cassé, mais il reste là. J’sais qu’il passera des heures à recoller tous les morceaux s’il le faut, et ça m’fait un peu mal parce que j’ai pas envie de lui infliger ça. J’tais censé le tirer d’une situation compliquée - pas l’emmener dans une autre. J’tais censé le faire rire et effacer les doutes de son visage.    
J’tais pas censé devenir comme l’autre.

Alors j’me sens coupable, j’ai cette sensation qui tire au creux d’ma poitrine. J’serais toujours là pour toi, que j’lui avais dit. J’ai pas envie d’être un poids pour lui, quand j’dis ça - j’ai envie que ce soit pour améliorer sa vie. Mais p’t’être que c’est pareil pour lui, car il a dit tout à l’heure qu’il était là, lui aussi.
T’es pas tout seul, que j’lui avais soufflé ce soir-là - et c’est sûr que là, j’me sens pas tout seul non plus.

Parfois j’me demande un peu à quoi je sers. Et si j’ai pas un souci quelque part. Parce que j’ai quand même 23 ans, et j’suis pas capable de gérer tout seul le fait que Maman soit malade - alors que si ça s’trouve, c'est pas quelque chose de vraiment grave. Fin j’sais pas, je m’y connais pas en maladie moi, comment je peux savoir ce qu’elle a ? Comment j’peux savoir si c’est mortel ou non ? C’est l’ignorance qui m’fait mal, qui m’fait paniquer. Parce que j’l’ai jamais vue dans cet état.
Mais j’me sens mal parce que ça devrait pas être à Bae de me relever comme ça, ça devrait pas être à lui de porter mes craintes sur ses épaules. Bae, il est tellement mature pour son âge, et j’lui inflige tellement plus de stress et d’problèmes quand il en a déjà trop eu - alors que j’devrais tout faire pour alléger ses soucis et lui offrir la meilleure vie. Parce que j’suis plus âgé, parce que j’devrais prendre des responsabilités.
Mais j’suis comme ça, un gamin, en soi. J’ai jamais appris à grandir. Comment j’peux prendre soin d’Bae si j’arrive pas à prendre soin d’moi ? Comment j’peux lui offrir tout ce dont il a besoin si j’peux même pas le tenir par la main - quand c’est lui qui prend ce rôle ?
Pardon, pardon, Bae. Pardon de t’infliger un rôle si important, pardon de mettre autant d’poids sur tes épaules. J’jure qu’un jour, je ferais d’mon mieux pour qu’elles soient plus légères qu’une plume.

J’lève la tête vers lui quand il parle, et- et j’suis pas d’accord, mais les mots ne sortent pas, parce qu’il est trop rapide, parce qu’il propose trop de choses, et j’ai envie de m’effondrer dans ses bras à nouveau, mais j’me suis déjà brisé une fois, j’peux pas continuellement devenir de la poussière entre ses doigts.

« Je… Ok, j’prendrais deux jours. Deux jours, pas plus, mais- mais Bae-»

Et j’attrape ses mains, et j’le regarde dans les yeux, cette sensibilité toujours présente dans la voix, fragilité qui fait trembler le son d’ordinaire si enjoué.

« J’peux pas. », murmure effacé, étranglé par le ballon qui essaie de remonter - j’le ravale, et j’le regarde plus sérieusement, reniflant. « J’peux pas t’laisser faire ça, Bae. C’trop. »

Et j’essaie, hein, d’étirer mes lèvres - mais j’crois qu’ça tourne plus en grimace qu’autre chose, et j’veux pas que Bae voie cette horrible grimace sur mon visage (même si peut-être qu’il serait moins inquiet si j’ressemblais à un clown plutôt qu’à un cadre fêlé), alors j’le tire contre moi pour le serrer - aussi parce que ça m’fait du bien, d’le sentir là, contre moi. D’savoir qu’au moins lui, il est là avec moi. Parce que même si Maman est pas là, même si elle va pas bien et j’sais pas ce qu’elle risque, y’a quelqu’un worth smiling for.

« Merci.», murmure envolé, j’le serre un peu plus fort. « Mais faut que tu gardes tes économies pour toi, aussi. J’peux pas… J’peux pas être un poids pour toi. »

Main qui se loge dans ses cheveux soyeux, j’les frotte, ébouriffe un peu - ça fait du bien, ça aussi, j’saurais pas l’expliquer. C’plus pour me rassurer moi que pour le rassurer lui, en soi.

J’ai l’impression que même si j’avais refusé de prendre des jours de congés, Bae l’aurait fait pour moi. Le ton de son murmure lorsque je cède me laisse penser ça - qu’il aurait flanché à aucune excuse. Et au final, p’têt que c’est ce dont j’aurais eu besoin. Un p’tit coup de pouce, une p’tite tape dans le dos pour me forcer à prendre un peu soin d’moi. Car j’sais pas vraiment prendre soin de moi - fin, je sais, dans le sens où j’fais des masques et des soins, parce que j’aime prendre soin d’mon corps. Mais j’crois que j’sais pas prendre soin de moi, en dessous, au fond. Parce que j’pense jamais que j’ai besoin d’le faire.
Parce qu’en général, j’ai pas besoin d’le faire.

Et pour moi, c’est d’jà assez - que Bae fasse tout ça pour m’aider. Qu’il me fasse voir la réalité en face, qu’il me force à prendre un peu soin d’mon esprit, pour que j’puisse mieux m’occuper de Papa et Maman. Mais il insiste pour aider plus. Il veut aider au restaurant gratuitement, malgré ses autres occupations. J’me sens mal, j’me sens mal de lui imposer ça, même si c’est lui qui propose. C’est sa réponse à mon état désespéré, à mon manque de solutions. Si j’savais quoi faire, si j’étais pas stressé, si j’pouvais sourire, guérir tous les maux, il aurait pas à s’donner autant d’mal.
C’juste parce que mon éclat est fané.

Et puis, c’est sa supplique- parce qu’il veut aider. Et j’me sens mal, oh ça fait mal , ce ton de voix. Bae, pourquoi tu m’regardes comme ça ? Pourquoi il y a cette plainte dans ta voix ? J’peux rien te refuser quand tu m’parles comme ça. Parce que j’aurais l’impression de briser les derniers murs dressés de mon monde. Parce que ça m’ferait encore plus mal de voir ton visage être déçu de mon entêtement, souffrir parce que t’as l’impression de rien pouvoir faire.
Voir sur ton visage ce que je ressens au plus profond de mon être. Et pourtant-

« Bae-», voix fragile, encore, tremblante. « Je… »

Pensées qui s’emmêlent, comment ne pas t’emporter dans mon mess tout en te laissant satisfaire ta soif d’me tendre la main ?

« J’veux bien que tu m’aides…»

(Parce que j’peux pas t’refuser quand j’ai l’impression que ça détruirait ton monde - qui est tout c’qui m’tiens encore debout).

« … Mais j’peux pas… J’peux pas te d’mander autant, fin… »

J’relève la tête vers lui, et j’sais pas trop à quoi j’ressemble - mais j’sens que mes yeux sont encore humides. Ils sont reconnaissants, oui - mais aussi inquiet.

« Fin… C’est beaucoup d’boulot, je… Ça va pas être trop, pour toi ? J’veux dire… Même si c’est quelques heures… T’as l’café à côté, puis tes autres activités…»

J’ai juste peur, peur que Bae en fasse trop, puis qu’il gagne plus assez après, qu’il arrive pas à mettre de côté pour son propre futur. J’ai peur qu’il fasse trop, qu’il soit fatigué, et qu’il puisse plus continuer c’qu’il fasse rêver.
(N’abandonne pas tes rêves pour une étoile effacée.)

Je reviens enfouir mon visage contre son épaule, parce que j’ai l’impression que mes pensées qui tournent, tournent comme une tornade sont sur le point de me refaire éclater.

« J’veux pas que tu tombes malade, toi aussi. J’m’en remettrais jamais… ’fire.»

Souffle qui s’éclipse de mes lèvres, de lui-même - ‘fire, comme la chaleur qu’il m’apporte, à chercher à m’aider, me rassurer.
J’ferais tout pour qu’il continue à brûler.

J’ai peur, j’ai peur parce que si Maman est malade, Maman qui est forte, Maman qui a tout porté sur ses épaules et battu toutes les tempêtes jusqu’à aujourd’hui - si elle, elle est malade, alors n’importe qui peut l’être, pas vrai ? Et j’tiens trop à Bae pour le voir tomber malade aussi. J’ferais comment, si les seules personnes qui me motivent à rire et à répandre mon sourire peuvent plus m’aider ? J’sais que j’ris pour tout l’monde, j’apporte de la lumière pour tout l’monde - mais si j’l’ai plus, cette lumière, cette étincelle, comment j’vais faire ?
J’ferais comment si Bae s’éteint, lui aussi - si j’ai plus mon p’tit ‘fire pour me réchauffer, m’réconforter ?

Les questions et les doutent se mélangent dans ma tête, mais Bae essaie, encore, de m’rassurer, m’affirmer que tout ira bien, qu’il a déjà fait pire, petit clin d’œil pour alléger ses propos. Et j’ai peur, j’ai peur, mais il essaie tellement de m’convaincre que j’ai envie d’le croire - mais j’ai pas non plus envie de complètement me remettre à lui, parce qu’il à autre chose à penser, aussi. J’suis pas un enfant, j’devrais pouvoir me débrouiller.
(J’devrais, oui).

Et puis, ses mots, ses mots si doux qu’un souffle s’échappe de mes lèvres, venant chatouiller ma gorge - ah, j’ai l’impression que ça faisait une éternité que je n’avais pas gloussé. Un gloussement un peu stupide, celui d’une jeune fille qui se fait complimenter par celui qu’elle aime, ou qui rit en relisant encore et encore les messages échangés par son bien-aimé.
Oui, c’est un petit feu, petit pétillement qui retentit au fin fond de ma gorge, et j’peux pas m’empêcher d’passer ma main le long de la joue d’Bae, posant mes lèvres à la base de son cou, juste derrière son oreille.

« Of course que j’te fais confiance, ‘fire.», souffle murmuré près de son pavillon, avant d’enfouir ma tête contre son épaule, main posée dans son dos. Silence qui s’installe pendant quelques secondes, juste le taptap de quelques Pokémon sur le sable qui retentit, et puis-

« … Seulement quelques jours. Trois. Pas un de plus. »

Tête qui se relève, front qui se pose contre le sien, mes yeux qui se perdent dans la jade éclatante qui me fait face.

« Et si c’est trop… Tu me dis et t’arrêtes. Ok ? »

J’doute, oh, j’doute qu’il me le dise. Parce que j’sais qu’il veut m’aider, et qu’il serait prêt à s’laisser s’fatiguer. Mais j’me sentirais encore plus mal si Maman allait mieux, pour trouver Bae qui va mal.
J’me sentirai horriblement mal, même. Alors j’mets tout ce que j’ai dans mes yeux - j’sais que j’ai un peu un charme de Chat Potté, quand j’le veux.

Et puis, frssh - il y a ce chatouillis, frottement contre ma jambe qui m’fais légèrement sursauter (parce que j’m’attendais pas qu’un truc frais vienne s’frotter à ma jambe, me sniffer, même) - et j’manque même de couiner d’surprise, mais j’me retiens, me tournant vers d’où ça vient. Et là, y’a deux p’tits Gruikui. Deux p’tits Gruikui qui nous r’gardent avec des yeux plus grands que le ciel de la nuit. Et y’en a un des deux qui est tout rose, tout sparkly. Ils ont l’air perdus, un peu.

« Oh, Bae, regarde… »

Et j’me pose même pas la question, j’tends la main pour la présenter aux deux p’tits cochons, les laisser m’renifler, tout en posant ma tête contre Bae.

« … On peut les garder ? »

Si on m’écoutait, c’est le désert entier qu’on emporterait.