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TW: Mention de discrimination & de dysphorie liées au genre et à son expression, ainsi que de violences qui y sont liées. C'est léger mais je voulais prévenir  

Maman m’a toujours dit qu’un sourire pouvait être la solution aux problèmes de la vie. Quand j’étais petit, pas plus haut que trois pommes (certes, aujourd’hui, j'en fais à peine quatre - mais chut !), il arrivait que je retrouve Maman en train de pleurer, ou le regard un peu vague, perdu dans ses pensées. J’étais petit, je comprenais pas forcément ce qu’il se passait - mais je sais que je faisais des grimaces ou des galipettes pour la faire rire, et que j’allais lui faire un câlin après - et son visage s’illuminait, un rire mélodieux venait sonner au creux de mes oreilles, et je me mettais à glousser, moi aussi.

« Lei, n’arrêtes jamais de sourire », disait-elle en me prenant dans ses bras. « Ton rire pourrait soulager des âmes. »

Et sans vraiment m’en rendre compte, c’était devenu mon but - de toujours faire rire les gens. Les faire rêver, et éloigner leurs problèmes.


Ma famille n’a jamais été très riche. Papa et Maman tiennent un petit restaurant touristique qu’ils gèrent à deux, et qui permet de couvrir la plupart des frais, après ça dépend beaucoup du tourisme, et il y a des mois plus creux que d’autres.
Quand j’étais petit, Papa et Maman travaillaient beaucoup pour pouvoir payer les dettes et les courses, et la vie en général.  Alors, c’est Grand-Maman qui s’occupait de moi - Grand-Maman, c’était la mère de la mienne. Elles ne s’entendaient pas tout le temps pour des histoires que je n’ai comprises que bien plus tard, mais quand j’étais petit, je les voyais juste élever la voix, avoir des différents, parler de cailles ? Bref - je comprenais pas quand j’étais jeune, mais je sais que Maman finissait en pleurs. C’est une des raisons pour lesquelles je n’aimais pas vraiment grand-mère, parce qu’elle rendait toujours Maman triste, et ça devrait pas être le cas, hein ? Les parents devraient soutenir leurs enfants, pas les rendre tristes… Maman, elle essaie toujours de me faire rire, en tout cas, et quand je pleure parce que je suis tombé, elle vient me faire un bisou magique et me dit que tout va bien aller.
Maman, elle est magique. Et elle est belle, aussi, très belle ! Maman, on dirait un peu une princesse de ces films populaires, là. On arrive à en regarder, parfois.

C’est donc grand-mère qui s’occupe de moi, mais je sais pas, j’ai jamais été à l’aise. Elle a une aura un peu stricte, et la façon dont elle me regardait, c’était toujours étrange. Oh, elle était pas forcément méchante, hein ! Enfin, au début, en tout cas… Elle disait que j’avais un beau visage, de beaux cheveux, que j’aurais pu faire une petite fille parfaite. Je comprenais pas vraiment ce qu’elle voulait dire, mais elle aimait passer du temps à me brosser les cheveux, à les attacher, à m’habiller en petites jupes ou en robes. Moi, je trouvais pas ça forcément moche, non, c’était mignon, adorable même ! Puis, c’était agréable à porter, aussi, et c’était une nouvelle manière de me voir quand je grandissais. Je sais que d’autres enfants se moquaient de moi et je comprenais pas trop pourquoi, est-ce qu’ils étaient jaloux ? Ça me paraissait normal, moi - c’était juste des habits, des habits différents de ceux que je portais d’habitude, oui, mais ça restait des habits. Je voyais pas pourquoi les autres à la garderie ou à l’école me jetaient de drôles de regards quand je me ramenais avec des couettes et une petite jupe. Ils avaient l’air confus, et parfois même certains avaient l’air de vouloir m’éviter - mais moi, j’étais déjà très extraverti à l’époque, alors j’allais facilement vers les autres, je blaguais, je riais, et je finissais par réussir à m’intégrer dans les groupes - malgré les quelques regards étranges qu’on me lançait.
Grand-mère, elle ne voyait pas le problème non plus. Et puis, elle trouvait que ça m’allait bien - et comme j’étais jamais à l’aise avec elle, je pensais que ça allait nous rapprocher… J’étais bien loin du compte.

Parfois, je mettais des shorts, parce que j’aimais bien les shorts aussi - et j’allais jouer dehors, je rentrais couvert de sable et d’eau de mer. Quand je rentrais, grand-mère s’énervait contre moi, et me forçait à aller me laver et à me changer, et elle me pouponnait pour que je soit de nouveau mignonne. Et au début, je pensais juste que c’était pour que je ne salisse pas la maison. Mais au fur et à mesure, elle devenait plus stricte, sa voix était plus forte, elle m’attrapait par le bras et le serrait fort pour me forcer à me changer, et ça en devenait…
Oppressant. Moi, j’aimais bien m’habiller comme je le sentais en fonction des jours - je prenais parfois les jupes qu’elle m’avait achetées, et parfois, je sortais en short. C’était normal, non ? Mais, grand-mère, elle voulait que je mette uniquement des robes et des jupes, et que je m’attache les cheveux avec des nœuds. Et plus ça allait, moins ça me mettait à l’aise, et plus j’avais cette sensation désagréable quand grand-mère était là, et qu’elle m’habillait. Ça me rendait malade, et j’avais peur… Peur d’elle.

Je sais qu’un jour, c'était allé trop loin, quand j’avais huit ans, je crois, mais je me souviens pas de ce qui s’est passé. Juste que j’étais en pleurs, que j’étais tétanisé, et je crois qu’il y avait du sang… Mais je me souviens pas du reste, seulement de Maman et grand-mère qui s’engueulaient en fond. Papa s’était occupé de m’éloigner de la scène, alors j’ai pas entendu ce qu’il se passait. Après ce jour, grand-mère ne s’est plus jamais occupée de moi, et j’ai pu reporter ce que je voulais sans sentir cette sensation oppressante.
Papa et Maman essayaient de se relayer malgré le travail, ou alors après les cours, j’allais à leur restaurant pour qu’ils puissent garder un œil sur moi pendant que je jouais ou faisais mes devoirs. Ils étaient vraiment très attentifs avec moi, ils me demandaient toujours si ça allait, et ils essayaient toujours de me donner la meilleure atmosphère. Je sais pas si ç'avait quelque chose à voir avec ce qu’il s’est passé, vu que j’en avais déjà pas souvenir à ce moment-là, mais je leur assurais toujours que tout allait bien. Ils faisaient de leur mieux pour moi, alors moi aussi, j'allais faire de mon mieux pour eux !

Grand-mère nous a quittés définitivement quand je devais avoir douze ans. Et, je sais pas vraiment pourquoi, mais j’ai pas pleuré quand elle est partie. Le seul picotement que je sentais au creux de mon abdomen, c’était de la culpabilité - culpabilité d’être presque soulagé. J’en parlais pas, non - je voulais pas que Papa et Maman sachent que j’ai cette part de mocheté en moi. Parce que même si je n’avais pas revu grand-mère, je crois que Papa et Maman étaient retournés la voir parfois, et Maman avait beaucoup pleuré, aussi, quand elle est partie.
Moi, je me sentais mal de rien ressentir… Alors, j'avais pris la main de Maman, et je lui avais fait un sourire, pour la rassurer. Et je crois qu’elle pensait que j’étais fort, mais en vérité, j’étais surtout laid.

Parfois, j’animais un peu le restau. Je dansais, je faisais des acrobaties, je chantonnais. J’étais qu’un enfant, mais les clients appréciaient, ça les faisait rire, sourire - et moi, ça me faisait du bien. Je sais pas, voir tous ces yeux pétillants, tous ces sourires sur le visage des gens - les voir rire et applaudir, ça me rendait heureux. J’ai rapidement compris que c’est quelque chose que je voulais faire, faire rêver les gens, mais j’avais jamais vraiment mis le doigt sur quoi exactement. Jusqu’au jour où je suis tombé sur une vidéo d’idols sur scène, et ça m’avait mis tellement de bonne humeur juste à regarder la vidéo, que j’avais compris que c’est ce que je voulais faire. Parce que j’aimais chanter et danser, en plus, et que c’était un super moyen de transmettre des sentiments ou de la joie, de transmettre des rêves et de la bonne humeur.
Alors, c’était devenu mon rêve - devenir cette lueur d’espoir qui venait remonter le moral des gens. Et je faisais tout pour y arriver - je chantais au restaurant, je dansais, je faisais des miniconcerts, parfois même que ça rapportais un peu plus d’argent à mes parents, car ça attirait du monde !

Aussi, j’avais fini par apprendre pourquoi Maman et grand-mère se disputaient tout le temps. Un jour, quand je rangeais des affaires, j’étais tombé sur un livret avec le nom Kai dessus, l’encre un peu effacée par le temps. C’était un livret de grossesse, mais il datait, couvert d’une épaisse couche de poussière. J’étais allé voir Maman, pour lui demander - et étonnamment, elle m’avait tout raconté, déclarant qu’elle avait prévu de m’en parler un jour.
Quand elle avait seize ans, elle était tombée enceinte. Mais elle était jeune, et son partenaire de l’époque n’avait pas assumé, il l’avait forcé à abandonner l’enfant, la menaçant de partir, de la laisser se débrouiller seule, et elle n’aurait pas pu finir ses études à devoir élever un enfant seule. Évidemment, sa mère l’aurait aidée - mais la situation aurait été difficile, et elle n’aurait probablement pas eu les ressources pour élever un enfant dans un environnement sain, et lui offrir une vie digne de ce nom. Elle avait alors pris la décision la plus difficile de sa vie, pour que son enfant ait peut-être une chance de grandir dans un meilleur environnement. Kai avait été le prénom qu’elle lui aurait donné, mais elle n’avait pas laissé de papiers, alors il avait probablement un autre nom, aujourd’hui.
Au final, deux ans après, elle s’était séparée de cet homme - et sa mère lui en avait toujours voulu, toujours reproché d’avoir pris cette décision. Au lieu d’accompagner sa fille dans la décision qui lui avait brisé le cœur, elle avait toujours ramené le sujet sur la table pour lui mettre la pression…
C’était triste. Je sais pas vraiment si c’est possible, mais même si c’est seulement mon demi-frère, j’aimerais bien trouver Kai, un jour. Peut-être que ça pourra apaiser la souffrance de Maman… Peut-être qu’elle n’aura plus ce regard triste, par moments.

Kai ne sait probablement pas que j’existe, donc ça va être compliqué. Mais peut-être que si lui aussi veut retrouver Maman, et que je deviens une idol, ce sera plus simple, non ?
D’ailleurs, en parlant de ça, je sais que Kopadia est l’endroit plus adapté pour ce genre de métiers - mais j’ai quand même décidé d’aller m’installer à Haptos, après mes études. Parce que c’est grand, et qui dit grande ville dit grandes ambitions ! Et puis, ça ne m’empêche pas de renter souvent à Kopadia. Je me dis juste que là-bas, j’aurai peut-être plus d’opportunités, et c’est aussi plus simple de gagner de l’argent (enfin, tout aussi simple d’en perdre, aussi - mais passons), et une plus grande audience !
Si je veux conquérir les cœurs de tous - si je veux faire rêver le monde, il faut bien être ambitieux et commencer par le plus gros, non ?

D’ailleurs, Haptos, c’est vraiment fun. J’aime bien tenter un peu tous les petits boulots qui passent pour me faire de l’argent - bon, c’est aussi car j’arrive pas trop à rester dans la même branche sans me faire virer, mais on va pas le dire. Récemment, je suis devenu éboueurs, et je trouve ça plutôt sympa, pour être honnête. On dirait pas, mais j’aime beaucoup ! Et puis, un matin j’ai découvert un petit sac de déchets qui avait l’air tout triste, il était là à pas bouger, les yeux un peu vides. Enfin, au départ j’étais pas sûr, parce que ç'aurait tout aussi bien pu être juste un sac normal accompagné d’une paréidolie - mais après l’avoir observé un peu plus longtemps, j’avais réalisé qu’il s’agissait bel et bien d’un Pokémon. Et je sais pas, je pouvais pas le laisser là, fin, qui sait ce qui allait lui arriver ? Maman m’a toujours dit que j’avais un peu tendance à ramener trop de trucs - je lui ramenais souvent des pierres ou des coquillages qui trainaient, et plusieurs fois j’ai voulu ramener des Pokémon blessés aussi, mais on pouvait pas toujours s’en occuper. Mais là, le pauvre, il avait vraiment l’air tout triste et tout gris. J’allais pas le laisser comme ça ! Alors je l’ai pris avec moi - parce que même lui mérite un peu de couleur dans sa vie.
Tout le monde mérite de la couleur, même.