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« Qu’est-ce que donne les géloses ? » Sous la lueur de la flamme du bec bunsen qui danse tranquillement, de sa couleur bleue envoûtante, la gélose semble vouloir nous parler. Il faut simplement savoir parler son dialecte. Mais c’est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Attrapant mon fil à boucle, je bouge délicatement ce qui a poussé pour en étaler une portion sur une lame à microscope, m’attelant immédiatement à son observation. D’étranges motifs se mélangeaient aux composés habituels que l’on peut s’attendre à trouver à la surface d’un Tic ― ce virus se modifie et s’adapte selon l’hôte sur lequel il se dépose. Les Pokémon à sang, il s’infiltre directement dans leur sang pour atteindre l’ADN et provoquer des mutations ; tandis que les métaux, eux, se retrouvent infectés au travers leur « peau ». Comme fonctionne la rouille, réaction chimique avec les composantes régulières de leur corps, modifiant peu à peu leur apparence et comportement. ((Plus nous avançons sur l’analyse du virus et plus je parviens à peaufiner la substance que je donne à Alceste, plus l’idée qu’un jour les humains puissent en être affectés me traverse l’esprit)) « Viens voir de toi-même. » Parce que ce sera plus parlant ainsi.

Je me tasse pour lui laisser la place et Imani s’installe. Le silence flotta longuement sans qu’aucun de nous ne sache quoi dire, comment réagir, aux informations que nous parvenons à récupérer. Alors, on se contente mutuellement de noter. C’est sans doute tout ce que nous pouvons réellement faire. Se levant, elle me tend la gélose et je m’empresse de la ranger dans l’incubateur. Nous avons testé plusieurs températures et ce truc semble invincible. Clairement eurytherme, puisque les grandes variations de température ne paraissent pas l’affecter. Secouer la tête, jeter mes gants et accrocher mon sarrau à l’emplacement qui lui revient. Imani me rejoint sitôt qu’elle a fini de ranger les instruments et nous voilà dans le SAS à nous laver les mains.

« Je comptais aller me perdre dans la forêt de Calléis, tu m’accompagnes ? » Je sais qu’elle s’est trouvée un appartement à Adamantia, pas très éloigné du mien d’ailleurs ― c’est cool, j’apprécie sa compagnie ― pour son séjour temporaire à Lentis. Venue d’abord à ma demande, elle est restée par curiosité scientifique plus grande qu’elle et Adamantia était une évidence, elle qui habite dans les montagnes de Couronneige, appréciant le froid plus que la chaleur. Donc peut-être qu’elle voudrait rentrer après cette journée. Et je comprendrais. « Avec plaisir ! » Mais je sous-estime régulièrement son besoin de connaissances, son entrain à découvrir de nouveaux endroits, surtout quand ceux-ci sont aussi particuliers que la forêt l’est.

Ça faisait un bon moment que je songe à y aller, parce que franchement, qui ne peut pas se trouver attirer par une forêt qui préserve les quatre saisons ? Surtout quand, de l’extérieur, on ne peut rien voir parce qu’elle est entourée d’un brouillard encore plus épais que celui qui m’envahit régulièrement. Un brouillard duquel on ne peut rien percer. Il faut s’y engouffrer et espérer pouvoir retrouver son chemin vers la sortie lorsqu’on souhaite rentrer chez soi ((et les aventures, ça ne m’a jamais effrayé)). On la dit étourdissante, je la dis intéressante ((je saurais la dompter)). La brume, je la connais.  C’est parti. ((Comme ça, je peux mettre de côté tout ce qui ne tourne pas rond ; oublier un instant l’erreur que je suis ; oublier un instant le chaos que j’apporte partout où je me trouve))

Ensemble, on se rend au téléporteur de Verpré dans un silence confortable ― nous n’avons jamais eu besoin de nous perdre continuellement en des discussions simplement pour ne pas laisser les mouches se faire entendre. Directement déposés dans un petit recoin de la forêt. Ce que c’est pratique, les téléporteurs réparés. Plus besoin de passer des journées entières à marcher, rouler ou voler, selon le mode de transport choisi, puisque désormais, des points stratégiques existent pour nous rapprocher de là où nous souhaitons nous rendre. Comment cette forêt. « Bonsoir, clairière… » Et le murmure se perd, s’envole, s’égare. La pluie nous accueille, petite bruine qui pourrait vite se transformer en torrent ((mes pokéball à la ceinture, libérer Fear)) parce que la pluie, ce n’est pas exactement les précipitations qu’apprécie Flare. Nous y voilà enfin.

((Alors que le soleil s’endort et nous laisse aux murmures d’une forêt enchantée)) ou est-elle maudite ? Je le découvrirais bien assez tôt.  

Fear étire ses ailes, les secoue en me jetant un regard irrité. Parce que lui-même n’est pas exactement un fan de la pluie, hausser les épaules parce qu’à l’inverse de Flare, lui au moins, ses capacités ne sont pas drastiquement affectées par cette température. Alors il n’a qu’à accepter que parfois, il faut accepter d’être un peu inconfortable. Nous avons une forêt à découvrir, une forêt à comprendre, à percer les mystères qui l’embrument. Et rien ne m’empêchera de le faire. Imani à mes côtés, sa présence que je ressens sans avoir besoin de la regarder ― tellement reconnaissant qu’elle ait accepté de venir, qu’elle choisit de m’aider malgré le peu d’informations que je lui offre. Parce que je ne veux pas la mêler à mes choix de vie douteux. Elle mérite beaucoup mieux et il ne faudrait surtout pas qu’elle perde sa licence, alors le moins d’informations qu’elle possède sur ce que je fais, le mieux c’est (sauf quand il s’agit de participer à l’élaboration d’un sérum ça, tout va bien).

« C’est … magique. » et je ne peux qu’hocher la tête. L’ambiance de la Forêt Sibylline est définitivement enchantée et maudite, un mélange des deux, alors que la pluie qui nous entoure apporte soleil et flocons de neige aux alentours. Les saisons cohabitent dans un étrange mélange qui ne devrait pas être possible, alors comment font-elles ? Je doute que nous puissions trouver la réponse, mais ça ne m’empêchera pas de l’observer, de la découvrir, de m’enfoncer sans crier gare, sans faire preuve de prudence.

Elle ne me résistera pas longtemps ((j’ai toutes les capacités nécessaires pour la décortiquer)) soleil brûlant, ardent, soleil essentiel je suis le soleil qui éclaire les secrets tapis dans la noirceur ― elle le découvrira bien assez tôt. « Vraiment. C’est incroyable, je ne peux pas croire que j’ai pris autant de temps avant de venir, ça fait des siècles que je voulais m’y atteler et non, jamais. » Je ressens le poids du regard d’Imani qui brûle mon dos sans pouvoir saisir la raison de cette hésitation puissante qui se dégage d’elle.

Pourquoi attendre ? Nous sommes forts, préparés, entraînés. Nous pouvons tout affronter, roc invisible qui se contente de s’ébrécher, nous sommes au sommet, à regarder le contrebas éclairé par la lueur d’une journée infinie. Pourquoi hésiter ? ((Je vais bien)) Je vais très bien, mieux que je ne me suis jamais senti depuis tellement de mois. L’univers entier est à ma portée, il me suffit seulement d’étirer les doigts pour l’effleurer, l’attraper ; le rendre mien. Un pas après l’autre, avancer dans la brume épaisse ((qui n’est pas uniquement matérialisation de mon esprit, cette fois)) accompagnée de cette bruine humide. Elle aurait pu être froide, ça aurait pu être pire.

Pourquoi attendre ? ((Le monde s’effondre sans jamais prévenir)) ― dans une heure, peut-être deux ou encore un mois, dans une seconde encore, glissement de terrains et ouragans, tremblements de terre et éruptions volcaniques. Attendre, c’est prendre le risque que tout s’efface le pas suivant. Attendre, c’est accepter de mettre en suspens ce qui pourrait étinceler, milles merveilles à découvrir, pour se retrouver emporter par le vent d’un typhon. Attendre ; c’est abandonner derrière soi toutes les opportunités s’étalant devant notre regard.

Pourquoi attendre ? Allons-y et je m’engage entre les arbres, pas rapide, respiration calme ((le monde est nôtre))   « Tu viens ? » Ma voix portée par le vent atteint Imani restée en arrière et dans son regard, des éclats inquiets qui m’échappent. Que je ne comprends pas. Il n’y a aucune raison d’être soucieuse. Je suis là, nous sommes vivants, parfaits et invincibles. Plongeons dans les mystères de cette forêt. Nous avons tant à découvrir. « J’arrive… » et même sa voix se révèle murmure. ((confusion))

Dans les airs, un ronronnement qui se mélange à la pluie. Un ronronnement doux et attendrissant qui traverse le bruit régulier d’une douce pluie n’attendant que le bon moment pour véritablement éclater et au loin, au loin, le printemps qui rayonne (sur mes cheveux, des flocons de neige provenant d’un autre biome que nous ne pouvons apercevoir). Lueur bleutée dans les environs, rapide à trouver, à discerner au travers le brouillard qui envahit les bois, mais je ne m’approche pas. Mon but n’est pas de déranger la faune. « C’est si parfait ici ! » Elle résonne, ma voix, plus que je ne l’avais prévu ((et les pensées bousculées, rapides, effrénées)) refusant de se calmer, coulant et coulant, abeilles bourdonnant et s’excitant. Les pensées en ébullition. Je me rapproche d’Imani pour attraper sa main, pour la tirer un peu plus rapidement, courir dans la forêt, courir à en perdre haleine, courir jusqu’à ce que les poumons réclamant oxygène et pause.

Courir jusqu’à trébucher et me retrouver sur la terre humide et le rire qui rejoint les airs. Le rire qui embaume l’atmosphère. Je suis vivant ; je suis soleil et univers. Intouchable, phare dressé au milieu des tempêtes les plus brutales, continuant d’éclairer de cette lumière stable, pour que tous puissent retrouver leur chemin ((et je suis enchaînement de mauvaises décisions, mais qu’importe, qu’importe ; parce qu’aujourd’hui l’éclaircie est revenue)) et la joie sous l’épiderme, qui envahit tout le corps. Et l’incapacité à rester en place, besoin de bouger et courir, et se relever pour continuer d’avancer. Les sujets s’envolent, ne restent qu’une fraction de secondes dans mon esprit, soufflés par une bourrasque impatiente. « Nous allons découvrir le sérum et soigner les obscurs. » Parce que nous sommes capables de tout, des plus grandes merveilleuses, des découvertes les plus immenses et importantes. Nous sommes pions centraux. « Tu penses qu’elle a une fin, cette forêt ? »

Je pense qu’elle est infinie, éternelle, comme nous. Que nous allons avancer jusqu’à réaliser que la ligne d’arrivée ne cesse de se reculer et franchement, l’idée me plaît. « Tout a une fin, Oya’. » Mais je ne suis pas d’accord avec elle.

Je ne veux pas penser à l'après.
((À la fin)) à la chute. Qu'on me laisse dans les nuages, qu'on me laisse dans les étoiles — je ne veux pas songer aux chants des sirènes provenant des profondeurs, qu'après la lumière vive, c'est le vide. Laisse-moi étincelles et idées plein la tête, laisse-moi électrifié et grandiose ((intouchable)) peut-être que cette fois, je resterais dans les flammes et que la glace ne m'atteindra plus.
there's ghosts in my house and i can taste blood in my mouth je veux rester là, ici, si haut, si haut que rien ne peut me faire redescendre. Je sais que l’océan m’attend, mais je vole et c’est tout ce qui importe, là, maintenant. Alors ne me dis pas que tout se termine un jour, je ne veux rien entendre.

Avancer, pas à pas, découvrir cette forêt si magnifique, si incroyable, emplie de mystères qui n’attendaient que nous pour être percés. « Fais attention, on ne sait pas quelles créatures on dérangera en étant ici. » Mais faire attention, ce n’est pas exactement mon domaine — c’est même souvent le parfait opposé. Plonger, plonger sans regarder autour, sans prendre en compte les dangers entourant l’emplacement ; sans réfléchir, pas de second guess ; tout envoyer valser, tout envoyer en l’air, parce que ce n’est pas intéressant, la prudence. Hausser les épaules, lancer un « T’inquiètes pas » même si elle possède toutes les raisons possibles de s’en faire, avec moi, à ce niveau. Après tout, le danger est ma source de vie, là où je puise mon énergie. Sans danger, je tombe, chute infinie qui ne s’arrête pas. Adrénaline dans les veines comme essence pour chaque battement de mon cœur ((chute)) brouillard qui s’étend, nous entoure, se mélange à la pluie et — rugissement.

Imani sursaute, je ris. Les réactions tranchent tant elles sont différentes. Je ris, je suis en vie. La pluie tombe, enterre les murmures, le danger tout autour de moi et l’adrénaline au cœur ; je suis en vie, nous sommes en vie. ((attente)) « Tiens, on a de la compagnie. » Il est là, brillant et clair, scintillant et se détachant des arbres, il est là, effrayé, choisissant l’attaque comme défense parce que c’est sans doute la meilleure chance de survivre. Il est là — mais nous aussi, nous aussi nous somme là. Là pour rester, là pour exister, rire, pleurer, courir, nous perdre et nous égarer. Nous sommes là, existant, respirant, au sommet des plus hautes montagnes, volant parmi les nuages et nous sommes intouchables, nous sommes armoire de glace et d’acier, roc se tenant et se dressant au milieu des plus puissantes tempêtes ((nous sommes)) et c’est tout qui important, n’est-ce pas ?

La pluie, goutte après goutte, s’intensifie un peu et il est là tout comme nous, décidant que coexister, ce n’est pas une option. Il a peur ((mais je ne connais pas ce sentiment)) et je le dévisage ; je le dévisage en écoutant ses sabots dont le son est étouffé par la terre mouillée. Fear le fixe, prêt à réagir, prêt à attaquer, s’apprête à répliquer, mais je me contente de lever ma main pour l’arrêter, claquer ma langue sur mon palais dans un ordre non-verbal, reste ; nous ne recherchons pas à déranger la forêt. Mais à la comprendre, à la percer. Alors je ne commencerais pas à attaquer des espèces qui essaient de défendre leur territoire ((enfin, pas maintenant, s’il attaque, peut-être)) mais dans l’immédiat, observons « c’est fascinant, comme créature » Ma voix se perd dans la pluie, dans le bruit ambiant, alors que je décortique visuellement le Ponyta devant nous. « Vraiment, elles sont si charmantes. » Et du coin de l’œil, je peux la voir sourire. Elle est belle, quand elle sourit. Elle devrait sourire plus souvent. Comme Vlinder, Vlinder devrait sourire vraiment plus souvent ((Zamas aussi)).

Longtemps. Une seconde, peut-être une heure ; est-ce que le temps a du sens ? Une seconde, peut-être une minute, c’est étrange, le temps ((et l’esprit en fragments)) et les pensées en saccade, cascade. Longtemps, ou peut-être rapidement, je ne saurais pas trop le dire, mais à un moment, le Ponyta recule et puis, disparait dans la forêt, se laisse emporter par la brume et le brouillard. Par la pluie et bientôt, même son scintillement disparaît, nous laisse dans l’obscurité provoquée par les nuages épais dans le ciel. Le prochain endroit que nous irons explorer, ce sera le labyrinthe à Anthos, quand nous serons préparés, encore plus forts que maintenant, quand nous serons entraînés encore plus.

((Champion d’Adamantia)) le titre me paraît si ironique. Je suis un étranger. Débarqué de nulle part, enfant de la terre et de l’univers ; je suis un étranger m’étant imposé dans cette région qui n’aime pas les nouveaux venus, ceux qui proviennent de derrière leurs remparts et pourtant, je me suis hissé au rang de champion, représentant leur île de glace, défendant leur honneur. Affrontant ce Guériaigle, participant aux efforts de reconstruction de la serre quand je le pouvais. Je me suis immiscé, au travers leur population, je me suis incrusté. Fantôme et poison, lentement, sournoisement, je suis devenu pièce maîtresse d’un casse-tête duquel je ne provenais même pas à la base. Et regarde-moi, maintenant, maman — regarde-moi briller, étoile sur terre, regarde-moi, important (travaillant aux côtés des scientifiques pour les aider à élaborer un sérum, leur apportant mes observations, mes découvertes) me perdant dans la recherche jusqu’à oublier de dormir. Regarde-moi, si haut dans la stratosphère (ne me laisse pas tomber, encore une fois) je ne veux plus vivre comme ça.

Je fais signe à Imani pour que l’on avance, Fear à nos côtés, et nous plongeons encore plus profondément dans cette forêt. Et je ne peux m’empêcher de me demander quand nous allons changer de biomes, est-ce que la pluie s’étend encore pour beaucoup de kilomètres, est-ce que la neige est proche ? Des bourrasques nous parviennent, secouent les gouttes accumulées sur le feuillage pour les envoyer directement sur nous. Et je peux sentir le froid, son odeur qui attaque les narines, qui imprègne les sens, au travers l’humidité ambiante. Si particulière, cette façon dont les diverses météos se mélangent, entre les arbres d’une jungle où on ne s’attendrait pas à affronter une tempête de sable ou de neige. ((Elle me fascine)) elle est les extrêmes, là où est ma place. Cette forêt est mienne.

Et cette forêt qui ne veut pas de nous ; qui nous refuse, nous repousse ― c’est la deuxième créature qui s’élance des autres pour nous menacer ((je ne partirais pas)) qu’on me heurte de toutes les attaques possibles, me lacère et me dépièce, je suis plus grand que la douleur et les hésitations ((immensité indescriptible, impénétrable)) je suis forteresse et rien ne me fera plier. Je suis ici pour rester et c’est tout ce dont les Pokémon ont besoin de savoir ; tout ce que cette brume doit comprendre. Je suis ici pour rester, peu importe ce qui se passe; peu importe ce qui vient à arriver. Chaque partie de cette forêt, je découvrirais. Et rien ne me fera me retourner et rentrer dans ce téléporteur pour aller à mon appartement.

Fear se prend l’attaque de plein fouet, son rugissement embêté résonne dans la clairière alors que son plumage devient entièrement ébouriffé et qu’elle étend ses ailes de toute leur envergure, prête à répliquer. ((Mais devancer, elle ne peut agir)) ce qui ne semble pas du tout lui faire plaisir, mais qui suis-je pour m’interposer entre les désirs de mes Pokémon ? C’est Frigo qui s’est élancer dans les airs pour qu’une poudre étincelante, brillante, qui se mélange à la pluie et la colore d’une étrange teinte mauve ― rappelant sans mal la teinte qui devienne de plus en plus sombre sur les espèces atteintes de ce stupide virus ― ne tombe sur ce qui représente dès à présent un adversaire.

« Cette nature est vraiment sauvage. » et si les paroles peuvent être négativement interprétées, j’entends toute la fascination dans sa voix ; tout l’émerveillement scientifique et la curiosité qui s’infusent dans ses intonations, ainsi que la crainte normalement à ressentir face au sauvage, face au danger. Celle que je ne connaîtrais jamais, que je ne comprendrais jamais.

Une goutte après l’autre ― elles se fracassaient contre la fenêtre de la voiture, comblant le silence si lourd de l’habitacle ((une dispute avait éclaté si peu de temps avant qu’il ne reçoive l’appel de l’hôpital)). Jamais assez ; je n’étais jamais assez. Toujours trop et jamais suffisant, jamais à la hauteur des attentes qu’il érigeait, des échelons qui prenaient en hauteur à chaque fois que je m’en rapprochais. Alors, se contenter de fixer le paysage qui défilait, brouillé par la pluie qui accompagnait notre route. Une goutte, deux gouttes, trois gouttes. Compter. Quatre gouttes, cinq gouttes, six gouttes, s’occuper. Elles laissaient un sillage précis dans leur course pour se retrouver sur le rebord de la fenêtre, dans le petit creux où elles s’accumulaient, avant de s’envoler, emportées par les bourrasques fouettant l’auto.

Rythme régulier apaisant, qui me berçait ; je voulais lui demander quand on arrivait, quand est-ce qu’on reverrait enfin maman, mais les mots restaient coincés dans ma gorge. Je ne voulais pas le frustrer davantage. Il n’avait pas aimé que je colore sur le mur blanc de ma chambre, mais le blanc m’étouffait, me rendait si inconfortable, alors je souhaitais le combler, le chasser, pour pouvoir respirer. Il ne comprenait pas. Mais la pluie, elle, elle saisissait mes états d’âme, ces tentatives constantes de lui convenir, à lui, qu’il m’approuve. À la place de me disputer. Est-ce que ce serait différent, avec les jumeaux ? Papa m’avait dit qu’ils étaient nés il y a une dizaine de minutes, que le temps qu’on arrive, ils seraient de nouveau dans la chambre d’hôpital de maman et que je pourrais les prendre. L’impatience m’envahissait. J’avais si hâte de pouvoir les connaître. Est-ce qu’ils aimeraient la pluie ? Comme celle qui tombait du ciel présentement, martelait la vitre dans un bruit caractéristique. Parfois, c’était un son un peu plus prononcé et alors, je savais que y’avait un peu de grêle dans l’eau. Et quand on était en montagne, ça rendait les chemins tout boueux, glissant ; parfois, papa tombait et on riait avec maman, avant de s'assurer qu'il ne s'était pas blessé. Parce que les montagnes, ça cachait plein de roches, et quand une roche s'enfonçait dans ta peau, ça faisait vraiment mal.

Dans la voiture, l’odeur humide de la météo ne parvenait pas à s’infiltrer, mais sitôt nous allions poser les pieds dehors, ça envahirait nos narines ― il y aura probablement même tellement de flaques dans le stationnement pour que je saute dedans ! Et que j’éclabousse tout ce qui m’entourerait. Enfin, si papa me laisserait. Parce qu’il devait sans doute avoir très hâte de retrouver maman et les jumeaux. C’étaient ses enfants, après tout. Mais moi aussi, j’étais son fils, alors pourquoi je ne semblais jamais lui suffire, lui convenir ? J’essayais tellement fort, mais chaque oubli, chaque éclat d’énergie impossible à contenir, impossible à épuiser, le faisait tellement souffler et soupirer et rouler des yeux. Comme si moi entier était une erreur à corriger, mais qui refusait d’être rectifiée, comme si j’étais la plus ignoble des montagnes qu’il refusait d’approcher, d’aller en randonnée.  Maman, elle, elle m’aimait comme ça. Quand je m’élançais pour projeter l’eau encore plus loin des flaques laissées par la pluie. Quand je chantonnais au rythme des gouttes de pluie, que je traçais leur route de mon doigt sur les fenêtres embuées. Comme maintenant, mais sans fredonner, parce que papa réclamait le calme et le silence.

Alors j’écoutais la pluie, je la laissais me murmurer des secrets partagés avec les montagnes visibles à l’horizon ― silencieux, dans mon siège, à regarder chaque goutte essayait de me rejoindre, arrêtée par la barrière qui nous séparait. Je l’aimais beaucoup, la pluie, qu’elle soit froide ou chaude, elle était agréable et elle teintait l’air d’une odeur si agréable, d’humidité, de vie même, parce que la nature avait besoin d’elle pour continuer à briller. Et jouer dans la pluie, c’était vraiment amusant, alors j’attendais avec une grande impatience ces jours où le ciel pleurait ― la nuit, c’était la seule berceuse qui réussissait à emporter mon esprit dans un sommeil un peu moins agité qu’à l’ordinaire. Alors vraiment, j’espérais si fort que les jumeaux l’aiment autant que moi. Comme ça, on pourrait courir dehors quand tout est détrempé, et ce serait si amusant. Et je pourrais les amener découvrir les recoins que je préfère à la montagne, dans la forêt.

Dérapant légèrement à cause de l’eau sur l’asphalte, papa entra dans le stationnement de l’hôpital et se gara dans une place venant tout juste de se libérer. Je me dépêchai à me détacher pour ouvrir la portière et m’engouffrer dans cette ambiance si réconfortante, une senteur fraîche et forestière, qui me rappelait inévitablement les randonnées, les virées dans la montagne pendant les fins de semaine où on s’installait au chalet, cette odeur si terreuse, particulière. C’est comme si toute la végétation se concertait pour libérer des molécules olfactives. Le vacarme nous accueillit, l’averse paraissait bien plus tamisée de l’intérieur de la voiture ― dehors, le ciel se déchaînait, se relâchait, pleurait tellement. Torrentiel, je pense, qu’on dit. Température si agréable. Il pourrait toujours pleuvoir comme ça, ça me rendrait heureux.

Papa ajusta ma capuche en me tendant la main et je m’empressai de l’attraper ; parce que c’était la hache de guerre qu’il enterrait. Et fallait surtout pas que je manque la levée du drapeau blanc, au sommet de la montagne, le pic le plus haut pour qu’il soit parfaitement aperçu. Visible. Je le voyais. Et je serais les protections se hissant pour protéger tous les revers de la fameuse montagne, que rien ne puisse l’atteindre et la détruire et ― oh, voici la chambre. Ici aussi, la pluie s’acharnait sur la fenêtre, mais le bruit se montrait plus étouffé parce que le verre était visiblement plus épais, plus solide. C’était agréable. Se précipiter vers maman ― « Maman ! » et un peu « chhht » affectueux et tendre, me désignant les jumeaux de la main ; ils dormaient. Fallait ne pas faire de bruit. D’accord. Mission discrétion et infiltration ((comme quand j’essayais de me faufiler hors du chalet pour explorer la montagne en plein milieu de la nuit ; tout se révélait milles fois plus intéressant après que le soleil s’était couché))

Sur la pointe des pieds, s’approcher ― ils semblaient tellement paisibles, tellement petits, mais franchement, pas vraiment très beaux. Pourquoi les adultes agissaient comme si les nouveaux nés représentaient la septième merveille du monde ? Il y avait vachement plus beau que des nouveaux nés, croyez-moi.
― lentement, avec beaucoup de précautions, frôler la petite main du bout de mon doigt et dans son sommeil, Zamas qui entoura mon doigt de sa main entière ((et mon cœur qui s’emballa, mon cœur qui fondit)) c’est sans doute à cet instant précis que j’ai su, qu’importe les obstacles à franchir, je déplacerais toutes les montagnes nécessaires pour eux. Y’a pas une seule montagne qui sera trop imposante, trop lourde, trop volumineuse, pour moi si la motivation résidait en leur existence.

((jamais je n’aurais pu prévoir, prédire, les cendres qui neigeraient sur notre avenir ― tant d’années plus tard, même hôpital, atmosphère drastiquement différente.
Déambulant dans ces couloirs déserts, défiguré et désemparé ― désillusions désordonnées et cœur dépiécé, mes pas défilaient (virée déconseillée, décidés à me garder alité). Visage décomposé, nouvelles déferlantes, poussant à défaillir ; décharge violente laissant démuni l’enfant désespéré que j’étais. Déconfort menant au découragement profond, le myocarde qui se débattait, déchaîné, déloyal à cette envie de décamper, se défiler, la défiant même.  Incapable de me dédouaner (même si je le désirais) de cette situation désolante ― tenter de les démentir ― détruisant les cœurs des concernés (moi également) ― se démarquer dans le vide déconnecté de l’endroit.
Parce que notre existence venait de drastiquement changer. Et les orages grondaient à l’horizon. Ce n’était plus une simple montagne qui nous faisait face, c’était un volcan prêt à exploser et nous recouvrer de sa lave. ))

― « Oya ? » brusque sursaut ; pensées envolées si loin et la pluie qui continue de tomber, de s’intensifier. Pluie, pluie, continue de te présenter ; tu me ramènes sur des berges plus douces. Je me tourne vers Imani avec une moue désolée, devinant sans difficulté qu’elle venait tout juste de terminer une tirade dont je n’ai entendu … absolument aucune partie. J’étais avec la pluie, bien plus loin, à des années-lumière d’ici, mais également sur d’autres rivages. L’humidité amplifiée par l’eau qui tombe du ciel pousse ses cheveux à friser légèrement, c’est adorable. Dans cette forêt, l'effluve de l'humus nous envahit si franchement quand l'eau imbibe la terre, c'est différent d'Illumis et la légère odeur forestière qui flottait dans l'air ― je pourrais rester ici pendant des heures, à seulement écouter chaque goutte s’écraser contre le feuillage environnant. Ce n’est pas la forêt qui me perdrait, mais moi qui choisirais de m’y égarer.

Doucement, lentement, le calme revient lorsqu’on éloigne la créature sauvage nous ayant pris pour cible. Pourtant, je le sais mensonger, je le sais temporaire. « Restons sur nos gardes … » Un souffle, un murmure, que le vent emporte et brouille dans la cacophonie provoquée par la pluie continuant de massacrer les feuilles à nos pieds. Pourquoi rester sur nos gardes ? Rien ne peut nous arriver. Nous sommes intouchables, invincibles ((j’ai survécu)) aux flammes, au courroux d’un obscur, à un accident ; j’ai survécu aux griffes de la mort qui ont tenté maintes fois de m’attraper et m’arracher. Rien ne peut avoir raison de moi, et ce ne serait certainement pas cette forêt qui signerait mon arrêt. Nous sommes bien plus forts que Lentis ― plus résistants, plus résilients.

Nous tiendrons, au milieu des ouragans. Rien ne nous aura. Vents violents ou tsunami géants, serres meurtrières enfoncées profondément dans l’épiderme ou hurlements sans lendemain, avertissements inutiles presque ridicules ― tempêtes incessantes aux grondements de tonnerre bien présents, bourrasques brusques et impétueuses aux calmes les plus effrayants, assourdissants, silences mortels d’outre-tombe ; cœurs derrière murailles de fer, inaccessibles, dressés contre les menaces immenses aux espoirs illusoires. Cœurs intouchables. Cœurs fortifiés. Cœurs blessés et malmenés, cicatrices profondes et béantes, hémorragie constante, mais cœurs toujours debout. Cœurs toujours présents. Cœurs toujours vivants — la chute éloignée, creux dans la terre loin de nos pieds, tombes rayées de l'existence.

Un pas et puis un autre, Imani qui me suit ((elle ne resterait pas en arrière ― son désir de comprendre, d’apprendre, d’analyser ; son esprit scientifique toujours en soif de nouveaux mystères, ne supporterait pas de tourner les talons et retourner à son appartement)). Nous sommes deux. Deux contre l’univers qui nous entoure, contre cette forêt si étrange, si particulière ― si intéressante. Rien ne pourra nous atteindre, les abysses se brouillent, les fonds marins s'éclaircissent. Nous sommes illuminés, nous sommes ((intangibles)) esprits volatils, papillons voletant entre les arbres sans que rien ne puisse nous attraper, ne serait-ce que nous frôler.

L'humidité de la jungle vient friser légèrement les cheveux d'Imani qui tombent en cascades sur cette épaule. Dans ce décor mystique, sa beauté est multipliée. C'est comme si je la voyais pour la première fois, comme si je la redécouvrais. Mais l'élan pour l'embrasser (briser l'amitié)) coupé par les échos d'une nuit encore fraîche dans ma mémoire. Suppliques désespérées, déchirantes, lacérant mon coeur et ma volonté ((faux sourires abordés, prétendre que tout allait bien — mais les fondations avaient été ébréchées et les protections annihilées)) un instant, je vacille et le soleil se couvre, les nuages se tapissent. Non ! ((Je refuse)) mouvements précipités, souffle accéléré, ma main dans la sienne pour l'entraîner dans mon momentum ; l'instant est nôtre et le monde nous appartient. Ses avertissements frôlent mes tympans, mais mon cerveau est sourd. Courir, courir dans cette forêt, courir à perdre ma respiration, courir pour sentir le vent contre mon visage. Courir pour rester au sommet.

Ne jamais m'effondrer. Jusqu'à finir par me carboniser, trop près du soleil pour survivre. « Oyaris ! » Choc électrique qui me pousse à m'arrêter ; Imani qui halète, cherche sa respiration et mes poumons incendiés, essayant d'attraper la moindre molécule d'oxygène pour continuer de fonctionner. ((Combien de temps ai-je ainsi défié l'anatomie humaine ?)) Heureusement qu'elle n'est pas tombée, ne s'est pas blessée. Je n'aurais pas su me le pardonner. L'inciter à se poser, s'asseoir, parce que mon corps me réclame également une pause, un arrêt, quelques secondes pour que tout se remette en marche adéquatement — s'allonger à même le sol humide, complètement détrempé.

Au loin, les grondements du tonnerre, les éclairs qui illuminent une partie plus profonde de la forêt et l'odeur glaciale d'un vent d'hiver. Les mystères de la forêt sibylline qui nous narguent, nous entourent, nous égarent. Cette brume qui prend du terrain, je ne la sais réelle ou imaginée ((les mots ne s'échappent pas d'entre mes lèvres)) et nous restons, nous restons immobiles à reprendre notre respiration. Nous restons ici ((vivants)).

« Attention ! » De nulle part. Le feuforêve sort de nulle part, d’entre les arbres, sa forme spectrale se cachant dans la brume qui envahit la forêt, atteignant Frigo de son onde de plein fouet. Mes sourcils s’arquent légèrement. La satisfaction se voit, si évidente, dans tout le comportement de ce qui est désormais un adversaire ((pense-t-il véritablement pouvoir nous battre, avoir le dessus ?)) c’est un rire qui m’ébranle parce que cette créature audacieuse se trompe complètement. Nous sommes en charge. Et ce n’est pas son attaque ayant plongé Frigo dans la confusion qui allait changer ce fait.

Imani se rapproche de moi, je peux sentir sa présence en arrière ; la tension dans ses muscles, l’incertitude qui transpire des pores de sa peau, mais il ne faut pas qu’elle s’inquiète. Rien ne peut nous atteindre. Nous sommes au-dessus de toutes les menaces qui peuvent surgir de ces bois, rien ne peut nous faire tomber ((nous sommes rois, nous sommes soleil)) et quiconque s’approche de trop repartira avec des brûlures. C’est également le cas de ce Feuforêve ayant osé nous considérer comme des proies faciles. « Partons Oya… » mais sa voix ne franchit pas le flot ininterrompu de pensées qui assaille mon esprit, ce tourbillon constant de réflexions, cerveau en surchauffe qui ne parvient pas à s’arrêter. Ce n’est pas grave, je hais le silence. Je hais le vide. Je préfère quand les neurones se grillent elles-mêmes, que la fumée s’envole, remplisse l’espace de mon esprit, de mon cerveau, embrouille les décisions, précipite le danger. Rien ne peut m’anéantir.

Peut-être qu’elle insiste, peut-être qu’elle choisit de se taire parfaitement consciente que peu importe les mots prononcés, ma décision ne ploiera pas, ne se modifiera pas : nous restons. Et nous affrontons cet impertinent qui a choisi de débarquer de nulle part et prétendre être en contrôle ; c’est moi qui possède les cartes du jeu, pas lui.  


« Frigo, t’es capable de dépasser la confusion. Frappe. Giga-sangsue. » Malheureusement, Frigo n’est peut-être pas le plus approprié pour répliquer, considérant que ce spectre est résistant aux attaques de type insecte. Mais ce n’est pas grave, pas du tout ; c’est l’opportunité parfaite de lui démontrer que même en étant complètement à désavantage, nous allons pouvoir le massacrer et que de lui ne restera que son égo fragilisé. ((À nous deux)) tu seras perdant.