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Chaleureux. Les rayons du soleil qui s’invitent au travers les rideaux de la fenêtre réchauffe mon visage. Et je reste là, un moment. Il y a une douceur dans la chaleur qui se diffuse par l’astre qui se réveille, une certaine sérénité dans la chambre silencieuse, n’ayant que la respiration de Lei et la mienne. Ce n’est pas le silence tendu, celui assourdissant, qui prend le dessus et amplifie les pensées. Ce n’est pas le silence provoqué par l’angoisse étouffante qui emballait les battements du myocarde, ne laissant qu’eux aux tympans. Ce n’est pas le silence auquel je suis habitué, quand il n’y a plus personne dans le laboratoire, les appareils continuant de ronronner, si bien qu’on se croirait encore entouré ; mais étrangement, étrangement seul. Parce qu’au laboratoire, c’est l’essence des obscurs qui plane. Entre travailler pour un remède et perfectionner les stéroïdes ; deux poids, deux mesures. Ici, maintenant, c’est le calme qui s’étend. Le calme d’un ami qui dort à mes côtés, de sa respiration régulière et paisible, comme si j’étais soudainement intouchable. La ville, toujours éveillée, tourne pour autant au ralenti aux petites heures du matin, alors que les voitures au loin passent à des intervalles si éloignés ; il faut tendre l’oreille pour pouvoir vraiment les noter. La chambre de Lei représente une bulle insonorisée, imperméable aux attaques extérieures et je n’ai pas envie de m’en extirper. Je veux profiter de ce silence agréable encore un peu. Je pourrais presque le qualifier de complet, s’il n’y avait pas les manifestations du bois qui craque, de la population qui commence tout juste à s’animer, tous les sons complètement étouffés qui me semblent à des années-lumière de moi.

Mais l’immobilité finit par avoir raison de moi, et en prenant soin de ne pas réveiller Lei, je m’échappe du lit en attrapant mon sac dans lequel se trouve d’autres ensembles. Parce que je ne sais jamais combien de temps je vais traîner chez Lei, je m’assure toujours d’avoir plusieurs vêtements de rechange. Et puis, cet homme dont je partage le lit semble apprécier me voler mes chandails, alors pourquoi pas s’arranger de sorte à ce qu’il en ait à récupérer ? Enfiler jogging et t-shirt. Je récupère mon ordinateur portable au passage avant de sortir en refermant délicatement la porte pour ne pas tirer Lei de son sommeil. Personne dans l’appartement. C’est bien, je pourrais me pencher sur mes notes et mes statistiques. Les organiser un peu mieux, un peu plus.

Se munir d’une canette de boisson énergisante du réfrigérateur et s’installer à la table pour s’y mettre. L’excel, les flow-charts et le document texte ouverts, il faut commencer par tout relire. Cause à effet. Imani m’a beaucoup aidé à comprendre comment cibler le paramètre exact pour que l’agressivité se dirige vers les autres Pokémon. La substance est développée, elle fonctionne désormais et j’ai remis les premières fioles à Alceste, mais je suis désormais dans la phase analyse et effets à moyen et long-terme. Je compile également les procédés utilisés, parce que franchement, c’est important. Et que ça peut aider à comprendre comment annihiler le virus lui-même directement chez ceux affectés. Même si ce sera plus délicat comme opération. C’est une juste d’extraire les séquences génomiques précises désirées, c’en est une autre de modifier les gènes à la source.

« Putain ! » L’alarme de mon téléphone me provoque un violent sursaut, je n’ai pas vu le temps passer et nous voilà déjà à presque 10h. Mais au moins, les couleurs sont présentes, les points de mes listes en ordre, j’ai très bien avancé. J’ai mes hypothèses inscrites pour le sérum. Dernière gorgée de la boisson et filer à la douche. Laisser l’eau chaude embuée le miroir si rapidement, mais également dénouer les muscles. C’est toujours agréable, les matins chez Lei, tout comme la nuit qui les précède. Franchement, nos performances, rien à redire. Ça permet de penser à autre chose, en plus. De chasser l’orage. De l’ignorer, au moins. Et il se débrouille vachement bien. Fermer la paupière, inspirer longuement. Mon domaine me rattrapera toujours, mais je peux au moins essayer de faire abstraction de la noirceur planant dans mon âme pour le moment. Sortir de la douche quand l’eau cherche devenir froide, s’habiller et … oh. « Bonjour ! Tu n’es pas Lei. » Non, en effet, ce n’est pas Lei. Ses cheveux bruns en bataille, ses yeux jades, ses traits fins, sa petite taille… par contre, il serait adorable avec Lei. Ils feraient un beau duo, côte à côte. « Je vais faire des crêpes et des parfaits pour le petit déjeuner et préparer des ramens pour le déjeuner, rejoins-moi dans la cuisine si tu veux m’aider ou juste… parler. Je ne sais pas quand Lei se réveillera. » Et sans attendre, retrouver la dite pièce, ressortir une boisson énergisante, l’ouvrir, sortir les ingrédients. Tranquillement, tout préparer ce qui doit être prêt pour le réveil de Lei, démarrer la machine à café, fouetter la crème en y ajoutant vanille et soupçon de sirop d’érable. Assembler les petits bols de verre des parfaits, préparer les crêpes, chauffer la poêle. Franchement, c’est simple et pourtant, Lei me donne le sentiment de faire de la haute gastronomie.

Après, Lei mange des ramens en sachets. Erh. Horreur. Comment il ose ? C’est un affront. Bon, au moins, quand je suis là, il est bien nourri. « Tu aimes le café ? » lancé à l’adresse de l’invité. Et puis, c’est un surnom que j’entends souvent qui résonne, « Hello kitty, enfin réveillé ? Il ne me restait qu’à mettre tes crêpes dans ton assiette et préparer celle de ton ami. » En lui lançant un coup d’œil, la pupille pétillante, geste de tête pour qu’il se tourne vers … tiens, je ne lui ai même pas demandé comment il s’appelle.

Lei est adorable à observer, si éparpillé, passer de son invité à moi et moi à son invité. ((L’orage est là, en arrière-plan, au-dessus de la tête, mais je l’ignore ; pas maintenant)) mais comment, comment ne pas songer à elle et ses tremblements et son angoisse, quand nos peaux se découvraient. Les réflexions s’étaient tenues en retrait, je ne sais pas ce qui les a libéré, alors que je me concentre sur mes gestes, sur la préparation du petit déjeuner pour Lei (et maintenant, pour ce jeune homme dont je ne connais strictement rien). Et Lei qui nous a rejoint et le sourire fantôme sur mes lèvres alors que je l’observe du coin de l’œil et que j’apporte les plats sur la table.

Auprès de Lei, je parviens souvent à retrouver la légèreté qui m’habite, à laisser les nuages sombres de côté pour simplement profiter de sa lumière dans laquelle il me traîne involontairement. C’est agréable. Je peux respirer. Mais rien n’est jamais éternel et je le réalise toujours. Ça me rattrape maintenant alors que Lei nous présente. Cette douleur si brusque, si profonde, qui provient de mes entrailles et qui me rappelle les erreurs commises, les sacrifices posés, la noirceur impénétrable dans laquelle je me trouve et si, et si je peux tenir au creux de mes mains des étincelles pour m’éclairer, ce n’est toujours que temporaire. Petit rire quand il me qualifie de dieu. « Voyons kitten, n’exagères pas. Je suis rien de plus qu’un humain. » Je n’ai jamais été davantage que l’humanité pure, dans toute son imperfection la plus horrifique.

« Enchanté, Bae’. » Ma voix est douce, intonations accueillantes. Bouger un peu trop rapidement pour prendre en compte l’environnement que je ne vois plus et mon épaule rencontre le réfrigérateur. Un léger grognement s’échappe. C’est dur un frigo quand même bordel ! … Oui, c’est logique. C’est bâti pour être solide. Secouer la tête et se contenter de l’ouvrir pour attraper le sirop d’érable et la confiture (que je lui ai ramené, pourquoi je le laisserais s’empiffrer de celle industrielle quand je peux lui en préparer, hein ?) et les déposer sur la table. Avec son café, parfaitement aromatisé comme il l’aime. « Tu veux du café, Bae ? Je sais que tu m’as dit ne pas avoir faim, mais c’est important le petit déjeuner, alors, sers-toi, je t’en prie. Tout est fait maison sauf le sirop d’érable parce que bon, c’est un peu trop compliqué de récolter la sève. »

Debout, dos contre l’appareil ménager dans lequel je me suis cogné quelques secondes auparavant, je balaie de mon œil la cuisine en inspirant profondément. Il y a une ambiance si agréable enfermée ici, alors pourquoi ne suis-je pas capable de complètement me relaxer ? Ce fight or flight continuellement actif qui ne s’endort jamais. Lei a sûrement dû remarquer que je ne suis presque jamais dans le lit quand il se réveille, incapable de tenir en place, incapable de dormir davantage que trois petites heures, le sommeil n’est pas réellement mon ami. Ne l’a jamais été. Et puis, et puis, quand nous étions dans la rue, je devais les veiller. Et je devais les protéger. Je ne pouvais pas dormir. Je ne pouvais pas me laisser aller dans les songes qui se transformaient toujours en cauchemar. Ma conscience qui me parlait, le karma qui me rattrape. you’re not the arms that hold you

Je commence à nettoyer la surface utilisée pour cuisiner. « J’espère que je ne t’ai pas incommodé, Bae’. Je ne savais pas que quelqu’un serait là ce matin. » Après tout, je ne croise que très rarement les autres habitants de l’appartement. ((Je suis toujours un fantôme)) celui que l’on croise, celui que l’on ne connaît pas. Celui qui ne reste pas. Qui disparait quand le soleil se hisse haut dans le ciel et je suis celui que l’on recherche, celui qui tend la main, qui règle les situations, mais tourne la tête et il s’évapore. Comme avec Lukas. Mais avec Meera, je suis resté. Je l’ai tenu dans mes bras, je l’ai bercé. Je ne pouvais pas la laisser. Pourquoi est-ce que je pense à elle maintenant ? ((Un, deux, trois.))

Je me rapproche du petit duo et reprends ma place contre le réfrigérateur en étirant mes doigts, massant mon poignet également. La raideur toujours bien présente, qui se manifeste encore plus dans ce type d’activité. « Alors, Bae’, veux-tu me parler de toi ? » Pour que j’apprenne à te connaître, pour que j’effleure les contours de ton cerveau, le fonctionnement de tes neurones. Pour que je saisisse ton fonctionnement. Je m’accroche à comprendre les autres pour oublier que je ne me comprendrais jamais.
Sauve-moi un peu en me parlant de toi et me permettant d’oublier le tonnerre qui rage. La brume qui s’infiltre entre les interstices des murs et la neige qui recouvre un toit là où elle devrait fondre.