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Le monde changeait, dernièrement.
Il y avait eu cet appel étrange, déjà, que tu avais entendu - fin janvier. Et puis, les Pokémon étranges qui étaient venus à Adamantia, aussi. Et puis, il y avait eu Seven - et il y avait eu les échanges avec Rez, qui n’était plus Rez… Il avait dû perdre son téléphone, et son numéro avait changé, mais tu ne perdais pas espoir. Enfin bref - tout ça pour dire que cela faisait un petit moment déjà que les choses étaient étranges.
Et maintenant, ça touchait tout Adamantia - maintenant, il se passait quelque chose, dans les montagnes. Il y avait des rumeurs, il y avait une ambiance, quelque chose qui avait changé.

Et toi, dans tout ça ? Toi… tu ne voulais pas rester là à rien faire. Ces événements étranges, ils t’appelaient - comme les voix t’avaient appelé dans la sapinière. Ce n’était qu’une suite. Et tu sais que ç'aurait dû te servir d’avertissement - que ça devrait, peut-être, te dissuader de ressortir… Mais c’était mal te connaître. Parce que toi, tu avais soif d’aventures, soif de découverte. S’il se passait des choses étranges, s’il y avait des mystères - tu voulais essayer de les découvrir ! Et avant, tu n’avais jamais eu assez de courage pour le faire, parce que tu étais trop tête en l’air, trop malchanceux, trop… toi.
Et puis, quand t’avais eu Lentis - tu t’étais dit que tu pourrais partir à l’aventure, avec lui à tes côtés ! Mais… Mais maintenant, Lentis n’était plus là. Il était enfermé dans sa Pokéball, rangé au fond d’un tiroir - parce qu’il était un danger pour les autres.
Par ta faute.
Alors, pour lui faire honneur - pour honorer vos promesses, même s’il aurait préféré que tu restes en sécurité, tu avais décidé d’aller voir par toi-même ce qu’il en était… Et qui sait - qu sait ? Peut-être que tu trouveras un truc pour le guérir. Pour tous les guérir ! Enfin, il faudrait un miracle, pour ça - et les miracles, ça ne te connaissait pas vraiment.

Tu avais décidé d’y aller sans prévenir qui que ce soit, parce que… Pour être honnête, tu n’étais pas sûr qu’on t’aurait laissé partir sinon. Tu savais que tu n’étais pas le mieux placé pour explorer, tu savais que tu étais un boulet, aussi… Tu savais qu’on t’aurait probablement empêché de partir. Mais tu voulais savoir.
Cependant, tu savais aussi que c’était dangereux - malgré ton innocence et ton inconscience face au danger. Oui, y aller seul, c’était… Ah, c’était inconscient. Mais, plus que tout, tu ne voulais plus embarquer ceux que tu aimais dans tes histoires, dans tes malheurs… Non, tu ne voulais plus leur faire du mal. Alors tu n’avais rien dit. Tu avais juste décidé de partir, essayant de te préparer au mieux - une pile de lettres posée sur ton lit, au cas où. Eylian, Oyaris, Vlinder, Zamas, Eagle, Fae, Seven, Rio, Neffie, Skylar, Mora, Shino, Lucida, Chloé, Papa, Maman, Rez. Une lettre pour chacun de tes amis, une lettre adressée à tous ceux que tu aimais - dans le cas où tu ne reviendrais pas. Oh, tu aimerais bien pouvoir les déchirer en rentrant, c’est sûr ! Mais…
Mais tu ne pouvais pas toujours tout prévoir - alors, pour une fois, c’est le mieux que tu pouvais prévoir - de ne pas revenir. Enfin, tu étais sûr de revenir, après ! Tu étais préparé, tu avais de quoi appeler les secours, tu avais Murph et Pochi avec toi… Alors forcément que tu allais revenir, non ?
Et puis… Ce que tu avais écrit sur la lettre de Rez, il fallait que tu lui dises de vive voix. Alors il fallait que tu reviennes.

Prenant une grande inspiration, le sac rempli, prêt à toute éventualité - ou du moins… Presque toute, tu regardes la montagne, les cimes d’arbres qui t’appellent, avant de baisser le regard vers Murph à tes côtés - un peu mécontent de s’aventurer, mais prêt à te suivre pour te protéger. Pochi, lui, flotte près de ton épaule.

« Allez, allons-y… »

Et puis, déterminé - tu te lances alors, emporté par le vent, suivant le chemin tracé par les flocons.
Pour Lentis. Pour maman.
Pour toi.

Peut-être que t’enfoncer tout seul dans la nature Adamantoise n’était pas une bonne idée… Enfin, non - ce n’était définitivement pas une bonne idée. Mais que pouvais-tu y faire ? Tu voulais découvrir, tu voulais savoir ce qui se cachait derrière ces événements étranges… Oui, tu étais curieux, trop curieux. On t’avait toujours barré la route à l’aventure, parce que tu n’étais pas adapté à l’aventure - trop naïf, trop gentil, trop imprudent, trop éparpillé, trop… malchanceux. Mais aujourd’hui, tu voulais remédier à ça - tu voulais partir, explorer. Tu ne t’amélioreras jamais si tu n’essaies jamais, n’est-ce pas ?
Et puis… Peut-être que c’est ce que tu voulais, au fond. Disparaître, arrêter de causer du mal à tous ceux qui t’entoure. Oh, bien sûr - tu voulais les revoir ! Tu voulais encore pouvoir rire avec eux, tu voulais t’amuser, vivre. Ne pas leur causer de tristesse… Mais ta présence ne faisait que cause des problèmes - alors, une petite partie, toute petite partie de toi, te soufflait que ce n’était pas si grave si, au final, tu ne revenais pas.
Mais tu voulais - c’était certain… ou du moins, tu te le persuadais - revenir à la maison, et rire avec eux à nouveau.

Tu t’étais alors enfoncé dans les zones sauvages, les zones encore inexplorées d’Adamantia. L’atmosphère était pesante, étrange - plus tu avançais, plus tu avais l’impression de tourner en rond… Mais tu avais ce tambourinement au creux de la cage thoracique, ce boum, boum, boum d’excitation à chaque pas dans la neige. Et oui, tu appréhendais un peu - parce que chacune de tes explorations s’étaient toujours un peu mal finies…
Ça avait commencé avec ta simple première balade avec Lentis, dans le sentier des colons - attaqué par un obscur.
Ça avait continué à ta première sortie à Anthos, où tu t’étais fait d’abord happer par un moulin - avant de te faire attaquer par divers Pokémon… Et si les premiers n’étaient pas si agressifs, tu te souviens encore du regard de l’Absol qui défendait ses terres, et avait assommé Lentis en un coup. Et dire que tu avais failli traîner un ado dans tes problèmes…
Il y avait également eu ton retour à Anthos, lorsque tu avais rencontré Chloé, et que vous étiez rentrés blessés au centre Pokémon - ou la fois d’après, à Adamantia, ou elle et Elliot avaient dû s’occuper de toi, parce que tu étais incapable, que tu attirais encore les Pokémon, et que tu paniquais… Oui, chaque fois que tu t’éloignais des villes, ça ne se terminait jamais bien - l’exception était peut-être la soirée d’Halloween avec Rez. Peut-être que Rez te portait chance…
Mais Rez n’était plus là.

Tu t’enfonces - tu t’enfonces toujours plus loin, plus prêt, tu ne sais plus. Est-ce que ça fait une heure, vingt minutes, ou deux jours que tu marches ? Tu ne sais pas - la dernière option te semble peu probable, mais le temps a l’air de s’étirer et de rétrécir, comme si chaque pas te transportait dans une temporalité différente.
Et puis - c’est devant toi. Une plaine gelée, surplombée d’un château de ruines, fusionné avec un arbre. Haletant, joues rougies, bouche grande ouverte, tu observes la vision qui se dévoile à toi avec excitation.
T’as réussi ? T’as vraiment réussi - tout seul, sans encombres ? Ça ne peut pas être réel, si ?

N’y croyant pas tes yeux, tu secoues la tête, venant te tapoter les joues, pinçant tes pommettes du bout des doigts. Mais c’est bel et bien réel.
Un sourire béat se dessine sur ton visage - sourire ému, t’en a presque les larmes aux yeux.
T’as réussi. T’as réussi tout seul ! Enfin, avec Murph et Pochi. Et t’as un petit pincement au cœur, parce que t’aurais aimé que Lentis soit là, il aurait été super fier, t’aurais pu lui montrer comme tu te débrouilles bien ! Mais ça fera une histoire à lui raconter, quelque chose à lui conter pendant qu’il est enfermé dans sa Pokéball, pour essayer de l’apaiser - et si jamais il n’entend pas, ça sera un exploit à lui raconter une fois qu’il sera guérit.
Mais t’as réussi - t’as enfin réussi quelque chose sans encombres, sans problème, sans détruire, sans attirer des malheurs. Et ça te rend heureux.

Évidemment, tu n’allais pas tout simplement prendre une photo souvenir et rentrer sans explorer un minimum. Parlons de photo souvenir, d’ailleurs - tu sors ton téléphone, ce serait débile de ne pas en prendre une ! C’est un endroit inexploré, non ? Si tu reviens en un seul morceau à la ville, il faut bien des preuves de ce que tu as vu !
Cadrant d’abord avec tes mains pour avoir une idée de la composition, tu viens ensuite placer ton téléphone avant d’appuyer sur la photo à prendre. Clic !
Ramenant ton appareil à toi, tu observes alors la photo avec un sourire. On y voit la plaine enneigée qui surplombe les sommets, on y voit ce château ancien qui y règne, surplombe le reste - accompagné de ce tronc tordu, qui semble se tortiller pour se sortir des entrailles de bois de la bâtisse, le couvrant cependant de ses branches comme pour le protéger, comme s’il était le gardien des lieux. Veut-il fuir ou rester ? Ils sortent presque du cadre, à deux - mais t’as fait en sorte que tout rentre dans ta photo, pour qu’on y observe la totalité. Il y a cet effet de contre-plongée menaçante, comme si le château et l’arbre nous toisaient de leur grandeur, comme s’ils étaient rois de ces nouvelles landes, rois d’un monde oublié.
Il y a ce ciel, ce ciel menaçant - ce vide qui prend une partie importante de la composition, qui semble même prendre tout l’espace, presque. Ça a un effet pesant, un peu, surtout avec la vieillesse de la bâtisse - on dirait une photo tirée d’un film d’horreur, un peu - tirée d’un songe, rêve étrange qui nous laisse la tête lourde et pleine de questions.
Il y a cette atmosphère mystique, qui règne - avec le vide, le vide, et rien que le vide qui accompagne les ruines et le tronc, et cette neige qui embaume le tout comme un manteau, comme un dôme - comme pour sceller le danger, sceller les secrets.
Tu souris - heureux de ta photo, caressant l’écran du bout du pouce un instant, ton petit trésor, avant de ranger l’appareil dans ta poche, et de t’avancer vers les ruines, carnet en main, cette fois. Il était l’heure d’explorer, maintenant.

Les murmures te guident, une nouvelle fois - approche, approche encore, entre - et tu les suis, la tête levée, alors que tu t’approches du château, passe l’encadrement - observant les branches, la carcasse de la bâtisse. Un frisson parcours ton échine, une pression vient peser sur tes épaules - tu ne partiras pas.
C’est une assomption qui vient résonner dans ta tête - tu ne partiras pas… jamais. Et cette voix te fait frissonner - et t’es curieux, curieux d’en apprendre plus - mais, joues gonflées, tu es aussi déterminé à lui prouver le contraire…
Parce que tu as des gens à retrouver.

Et pourtant, la bâtisse t’appelle.
Elle ouvre ses portes à toi, comme pour t’inviter - et mieux t’enfermer en son sein.
Mais, Milo - si penser que tu ne partiras pas à l’aventure est mal te connaître, penser que rien ne t’arriveras l’est tout autant.
À peine passes-tu l’encadrement de la porte que ton pied se prend dans une branche, et tu trébuches. Tu cherches à te rattacher à quelque chose, mais non, tu sombres, tu chutes, la peur te prenant aux tripes - le vide t’appelant, ouvrant ses bras pour t’avaler.
Est-ce que c’est fini ?

Vlam !
Tu t’écrases au sol - sol de givre, de glace, une douleur et une vague de froid se répandant dans ton corps tout entier, alors que tu grimaces. Mais au moins, si tu ressens quelque chose, c’est que t’es en vie - non ?
Les voix reprennent, plus fortes - elles te figent. Elles qui, avant, étaient douces, accueillantes - elles sont maintenant menaçantes, oppressantes. Était-ce leur but depuis le début, de t’attirer pour t’emprisonner ? Était-ce un piège auquel tu n’étais pas préparé ?
Tu relèves la tête - parce que le silence soudain ne te rassure pas, et tes yeux s’écarquillent lorsque tu réalises que toute sortie est condamnée. Comment ? Tu y es passé il y a à peine quelques secondes !
La peur te prend au ventre, soudainement - tu cherches tes Pokémon du regard, mais tu n’as pas le temps de réagir qu’une force te plaque au sol, te comprimant le torse, t’empêchant presque de respirer. Surpris, tu ouvres la bouche, essayant d’aspirer de l’air - alors que tes yeux dardent aux alentours, affolés, terrifiés, mais tu es incapable de bouger.

Une silhouette se dresse devant toi, et tu plisses les yeux pour la discerner - le souffle court. C’est une espèce que tu n’as jamais vue, pas même dans les livres - mais t’as pas vraiment le temps de te réjouir, trop paniqué par la situation en question, trop affolé de savoir comment vont tes Pokémon. Tu ouvres la bouche, mais ton rythme cardiaque s’accélère, ton souffle s’échappe - tu paniques, tu paniques beaucoup trop. Où sont Murph et Pochi ?
Calme-toi, Milo. Rappelle-toi - rappelle-toi comment te calmer. Rappelle toi les exercices, d’accord ?
Cinq - qu’est-ce que tu vois, Milo ? Il y a les branches, au-dessus de toi. Il y a la terrifiante espèce qui te toise - d’une aura violette menaçante. Il y a les quelques flocons éparpillés - il y a les planches de bois rongées, en ruines, brisées. Il y a, au plafond, les vestiges d’un lustre qui a dû s’écraser au sol.
Quatre - qu’entends-tu, Milo ? C’est là le plus complexe - tu n’entends rien, que le silence. Mais fait un effort, un petit effort. Ferme les yeux, et écoute - qu’entends-tu ?
Il y a ces pas, grattement sur la glace. Il y a ton souffle, apeuré et rapide, qui résonne au creux de tes oreilles. Il y a le craquement des branches et du bois, très léger - et il y a… le couinement de Murph.
Reste concentré, Milo - ne pars pas.
Trois - qu’est-ce que tu touches ? Tu ne peux bouger, alors c’est compliqué, là aussi. Mais tu es étalé au sol, tes mains touchent la glace. Les yeux fermés, tu tente de te concentrer encore plus - l’index de ta main droite peut encore sentir le stylo que tu utilisais un peu plus tôt, il est juste à côté de toi. Et tu peux également sentir tes mèches de cheveux caresser tes joues rougies et gelées. C’est bien, Milo - continues comme ça.
Deux - que sens-tu, Milo ? L’odeur du froid te prend à pleines narines - et te gèle l’odorat, mais tu fais un effort, encore, et tu essaies, essaies - et avec assez de détermination, t’arrives à sentir, ou peut-être à imaginer l’odeur du bois pourri du château.
Un - que goûtes-tu, Milo ?
Le sang - t’as dû te mordre la langue. La peur, aussi.

Le souffle à peine calmé, tu rouvres les yeux - la panique décuplant dès que tu vois que tout ça n’est pas un cauchemar, et que tu es toujours cloué au sol - mais tu te répètes tout ça en tête, essayant de te concentrer sur autre chose que la panique. Et puis-

« Pardon-», souffle, murmure étranglé. « Je- je suis désolé, je- je voulais pas déranger. Je- je voulais- »

Tu ravales ta salive, larmes perlant au coin de tes yeux, alors que des visages défilent devant tes yeux. Les reverras-tu seulement ?

« Je- je suis désolé, je- je suis une erreur, je le sais, je-... J’voulais juste, j’voulais juste savoir, pardon- je dérangerais plus, si c’est ce que vous voulez, je- »

Poings légèrement serrés, larmes gelées défilant le long de tes joues, tu fermes les yeux.
Je veux pas mourir.
Je veux pas mourir.
Je veux pas mourir.
Et pourtant…

« … Si- si j’dois disparaître, je….Je comprends. »

Mais je veux pas mourir.
Je veux les revoir - tous les revoir.

Ton esprit est confus, tout se mélange - il y a des flashs dans ta tête, des flashs de souvenirs, mais de souvenirs qui ne sont pas les tiens. Il y a des murmures, dans ta tête - des images qui grouillent, des choses que tu ne sais pas, mais qui pourtant, coulent dans ton esprit comme un ruisseau le long d’un flanc de montagne.
Ce sont ces voix qui chuchotent, grésillent dans ton crâne - ce sont ses bruissements qui résonnent dans ton âme, ces questions qui tournent et tournent, encore et encore.

Et puis, bang, le silence - le silence assourdissant, silence qui résonne au creux de tes tympans - il bourdonne, crépite, comme un millier d’insectes vrombissants. Il ronronne, encore et encore - accompagné des sifflements stridents du vent, entrecoupé par tes larmes, tes souffles rauques, douloureux - ces soupirs qui te brûlent la gorge.
Le silence, silence insupportable, terrifiant - un silence de mort, qui t’annonce ton destin.

Il fait froid, si froid, et t’es cloué au sol, incapable de bouger - si ce n’est quelques tremblements, frémissements sous l’absence de chaleur qui saccadent ton corps. Les larmes perlées au coin de tes yeux viennent geler tes pupilles, glacer les sillons de culpabilité et de frayeur sur tes joues.
Pourquoi t’es là, Milo ? Pourquoi t’es-tu lancé dans cette aventure sans queue ni tête ? Pourquoi es-tu parti seul, sans prévenir qui que ce soit ? N’as-tu pas cherché cette situation, un peu ?
Tu t’en veux. Oh, tu t’en veux terriblement. Quelle sera la réaction de ton père, quand il va rentrer du boulot et t’appeler, une fois, deux fois - s’inquiéter de l’absence de réponse, monter dans ta chambre pour voir si tout va bien, si t’as pas re-craqué, et découvrir la pile de lettre à envoyer sur ton lit, au cas où.
Oh, Papa, je suis désolé - que tu te dis, les yeux rivés sur le plafond gelé et troué. Je suis désolé, je suis désolé- tu devrais pas avoir à subir ça, tu devrais pas avoir à subir…
Moi.
Tu t’en veux, la culpabilité te ronge, elle vient pétrifier ton corps déjà cloué au sol, mais elle vient aussi le secouer de nouveaux sanglots. Pourquoi, pourquoi faut-il que tu sois impulsif comme ça ? Pourquoi faut-il que ta malchance retire ta mère de la vie de ton père, pourquoi faut-il qu’elle t’arrache ensuite ? T’avais été stupide, stupide de croire que tu pourrais revenir, stupide de penser que ces lettres ne seraient jamais postées, ni même trouvées - que leur destin serait d’être déchirées et oubliées à jamais.
T’avais été stupide d’y croire.
T’avais été stupide - de faire vivre ça à ton père, une deuxième fois. De faire vivre ça à tous ceux que tu aimes - tous ceux à qui tu avais écrits. T’allais les faire souffrir, oui, c’était toi la source de cette souffrance, toi la source des douleurs, toi la source des sanglots et des pleurs. C’était toi, le problème.
C’est toi, le monstre. Entre la créature violette, et ta propre personne qui semait le chaos - qui était le plus monstrueux ? Sûrement pas la pauvre bête qui était seulement chez elle, sur son territoire - sûrement pas la créature chez qui tu t’introduisais, chez qui profanais ses terres.
Non. Le monstre, c’était toi, ça l’avait toujours été - toi, et seulement toi.
Peut-être que c’était comme ça que ça devait finir, au final. Peut-être que ce château était destiné à être ton tombeau.
C’est là que ton histoire se termine.

… Ou pas ?
Cette pression qui t’assaillait tout le corps, qui te clouait au sol, comprimait ton souffle - cette force invisible qui t’empêchait de bouger, t’empêchait de respirer, ces murmures qui te confiant que tout était terminé…
Ils s’envolent, s’évaporent. Tout s’envole.
Et t’entends un bruit, léger, et tu sens la présence s’en aller.
…. Comme ça ? Simplement comme ça ?
Est-ce un coup du karma ? Est-ce ta malchance qui balance ? Ou es-tu déjà passé de l’autre côté - es-tu déjà dans le royaume des morts ?

L’air pénètre à nouveau dans tes poumons, une grosse bouffée, et une douleur saisissante lorsque ce souffle gelé vient griffer, trancher tes voies respiratoires comme des lames. Un gémissement, halètement à l’arrivée de cet air violent - mais qui, pourtant, prouve que tu es vivant.
Lentement, tu t’appuies sur ton coude pour te redresser - ton corps est lourd, il est pesant, c’est comme si chaque os pesait une tonne - et le froid, le froid qui se répand partout, dans tes doigts, ta peau, tes muscles, tes pigments, tes cellules, froid qui devient une partie même de toi, si bien que tu ne serais pas surpris de voir un nuage glacial échapper de tes lèvres gercées si tu poussais un soupir, ni de pleurer des larmes de gel.
Tu es devenu le gel.

Et alors que tu te redresses, essayant de reprendre ton souffle malgré la douleur que l’air glacial te provoque en tirant sur tes cordes vocales, malgré les milliers de picotements de souffrance que te procure un simple mouvement - tu regardes aux alentours, essayant de comprendre, de savoir, pourquoi, pourquoi t’es encore là, pourquoi t’es épargné, pourquoi il t’a lai-
Et tes yeux s’écarquillent, souffle à nouveau coupé.
Parce qu’il est là - derrière ce mur invisible, ce champ de force qui grésille, te fige sur place. Il est là, oui - mais ce qui est terrifiant, dans cette vision d’horreur, ce sont ses pleurs.
Les larmes qui coulent, les sanglots qui viennent faire écho aux tiens de plus tôt. Ces plaintes, lamentations qui s’accaparent les alentours, prennent tout l’espace - et rapidement, tu n’entends plus qu’eux, tu ne vois plus qu’eux.
Tu as fait pleurer un Pokémon.
Tu as fait pleurer un Pokémon divin.
Quel genre de monstre es-tu, Milo ?

« Je..- »

Voix qui se brise, gorge asséchée, engourdie, gelée - et tu ravales ta salive, la main qui se tend lentement vers cette créature inconsolable, vers ce mur infranchissable.

« … Est-ce que- je-... Est-ce que ça va ? Est-ce que je… Je peux t’aider ? »

Mais à peine les mots quittent tes lèvres que tu réalises, et ton bras retombe lourdement, alors que l’air se fait lourd dans tes poumons, et qu’à chaque inspiration, tu as l’impression d’ingérer du plomb.

« … C’est… C’est ma faute, n'est-ce pas ? »

Et puis, hoquet peiné, alors que tu plisses les yeux sous l’arrivée de nouvelles perles gelées.

« C’est… C’est moi… C’est moi qui t’ai rendu comme ça ? »

L’évidence est inévitable, et elle te brise le cœur, oui, elle te déchire l’âme, même.
Quel genre de monstre peut faire pleurer un Pokémon innocent ? Quel genre de démon peut infliger autant de peine à une créature qui n’a rien demandé ?
Tu es un monstre, Milo. Tu es le fléau de ce monde.

« Pardon- », murmure entre tes sanglots en chœur avec ceux de la créature. « Je- Je… Je suis désolé, je- »

Et tu pleures, tu pleures en prenant ta tête dans tes mains - et tu aimerais te boucher les oreilles, ne plus à avoir à écouter les lamentations de la pauvre bête - mais c’est ta sanction, que tu te dis - tu mérites cette souffrance, tu mérites ce déchirement, tu mérites cette détresse - parce que c’est toi, c’est toi qui l’a rendu comme ça.
Assume, Milo - assume tes fautes. Assumes-en les conséquences.

« Je suis désolé, je- je…. Je voulais pas te blesser, je voulais pas te vexer, je - j’suis vraiment vraiment désolé, je- j’suis horrible, terriblement horrible, j’ai pas le droit te faire pleurer, je…»

Le souffle se fait court, t’arrives pas à prendre le temps de respirer entre tes mots, tellement tu es en détresse, et tu trembles, tu trembles de tout ton corps, par le froid, mais aussi d’agonie, parce que tu mérites pas d’être là - t’aurais jamais dû exister en premier lieu.

« J… J’suis un monstre. », tu souffles, tétanisé, mais aussi, certain de ce que tu n’avais jamais voulu imaginer : que certaines personnes ne méritaient pas d’exister, ou plutôt, une personne en particulier - et que cette personne, c’était toi.
La vie t’avait été offerte par erreur.

« J’suis un monstre, une erreur. », tu répètes. « Je suis désolé, je suis désolé, je-.... Tout est ma faute, tout, je le sais, je le sais, je- »

Tes sanglots se font plus fort, tes tremblements aussi, et l’air, l’air qui quitte ton corps plus rapidement qu’il n’y revient - tu suffoques, étouffe, mais tu ne peux t’empêcher de parler, de t’excuser, encore et encore - la moindre des choses, pour commencer à expier tes pêchés.

« C’est, c’était ma faute pour l’obscur- », tu commences à énumérer, mains crispées sur les mèches de tes cheveux. « C’est, c’est ma faute pour Azalée, j’en suis sûr - je, j’les ais attirés… Et, et c’est ma faute pour Maman, aussi - parce que, parce que j’attire les problèmes, parce que, parce que j’étais son fils, alors forcément que c’est ma faute, non, j’aurais pu la sauver, hein, si j’y étais allé ? Pourquoi je l’ai pas sauvée ? Et, et - »

Cris, lamentations, tu avoues là toutes tes fautes, tu avoues tout ce qui t’as marqué, tout ce que tu sais que tu as déclenché.

« Et- et c’est ma faute si Lentis est malade, et - et pour Seven, aussi, et… Et tout, et toi, aussi, c’est ma faute, je suis désolé, je - j’aurais dû disparaître y’a longtemps, non, j’aurais jamais dû naître, ils avaient raisons, je, j’suis désolé, désolé, tellement désolé, je… »

Lèvres tremblantes, il reste une chose que tu n’as pas avouée, une chose que tu as refusé d’accepter - que tu as fui jusqu’à maintenant, que tu ne voulais pas entendre - que tu as décidé d’oublier.
Mais tu ne peux éternellement défiler de tes responsabilités - et s’il y a un jour où tu dois l’avouer… Oui, c’est aujourd’hui. Parce que c’est l’heure, l’heure de ton jugement dernier.

« C’est ma faute… », tu ravales ta salive, lèvres tremblantes. « … Si Rez est plus là. »

Bras retombant le long de ton corps, tes yeux fixent le sol.

« Je suis désolé. », tu souffles. « Je sais que c’est trop tard, pour m’excuser… Et, et je promets que rien de tout ça était voulu, même si ça excuse pas tous mes pêchers, je… »

Tu relèves la tête vers la créature, visage rougi par les larmes, voix effacée, enrouée, éraillée.

« Je… Je veux me faire pardonner, je… » nouveau sanglot, reniflement, tu baisses les yeux. « Mais, mais je sais que c’est impossible, parce que- parce que j’ai fait trop de mal, je… »

Te laissant retomber sur la glace, tu te recroquevilles, entourant tes bras autour de tes jambes - corps à nouveau secoué.

« S-si j’disparais, s-si j’suis effacé, tout sera réglé ? E-est-ce que c’est assez ? »

Tu veux les revoir, oui.
Mais plus que tout, Milo, tu veux leur offrir un monde harmonieux, dénué du chaos que tu apportes à chaque pas. Alors, cesse d’être égoïste, Milo - et lâche prise à ce droit qui t’as été donné par erreur, abandonne cette vie que tu ne mérites pas.

« Je veux juste… qu’ils soient en sécurité. »