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L’histoire d’Octa’hani n’est pas bien longue ; il n’a que quinze ans.
L’histoire d’Octa’hani n’est pas bien exceptionnelle ; il n’est qu’un huitième parmi onze.
L’histoire d’Octa’hani n’est pas bien pleine ; il lui a manqué beaucoup.

Le huitième enfant des Ehu-Kai naquit le 22 août 2007. L’enfant, plus tard, apprécia beaucoup cette date : tout allait toujours par deux dans sa vie, à l’exception de son anniversaire. Cette date, ces quelques minutes avant minuit qui lui donnèrent le nom d’aîné parmi les jumeaux, furent tout ce qu’il eut “rien qu’à lui” pendant très longtemps. Même si “anniversaire” chez les Ehu-Kai ne rime pas forcément avec “cadeaux”, le 22 août est resté son jour à lui. Pour son plus grand bonheur.

Même si Octa’hani adore cette unicité du jour, ça ne l’empêche pas d’adorer sa vie en double. Durant des années, les jumeaux ne se séparaient jamais. Toujours fourrés ensemble, ils étaient certains d’avoir quelqu’un avec qui jouer, en toutes circonstances, d’avoir quelqu’un avec qui faire les quatre cent coups, d’avoir quelqu’un à qui parler, d’avoir quelqu’un à écouter, d’avoir quelqu’un, tout simplement. Octa’hani n’est pas certain d’avoir un jour connu la solitude. Il voulait tout faire avec son frère, et ils ont tout fait ensemble : marcher, parler, courir, rentrer à l’école, faire tourner en bourrique la maîtresse, chiper des affaires à leurs aîné·es, être malades, apprendre, perdre, tomber, pleurer. Il y avait pour certains quelque chose de curieux dans leur capacité à passer les “étapes de la vie” ensemble, comme s’ils s’attendaient inconsciemment. Et, plus tard, la volonté de l’un suivait toujours celle de l’autre ; pas besoin de mots, ils étaient toujours d’accord.

Il n’empêche que, si les deux frères étaient nés physiquement identiques, on se rendit rapidement compte que les caractères étaient eux, bien différents. Il y avait un leader et un suiveur ; un impulsif et un réfléchi. Il y avait Octa’hani qui voulait faire une bêtise et son frère qui le couvrait. Il y avait Octa’hani qui voulait aller trop loin et son frère qui le retenait, qui avait une meilleure idée, et puis les rôles s’inversaient. Il y avait aussi celui qui brille et celui qui s’efface, et petit à petit, on les différencia à leur attitude. Octa’hani ne comprit pas pourquoi ses camarades de classe parvenaient mieux à poser un nom — ou plutôt un surnom, comme pour chaque Ehu-Kai — sur chacun d’entre eux.

Ils grandirent, gagnèrent l’adolescence, se différencièrent encore davantage. Octa’hani choisit qu’il détestait l’école ; peut-être parce qu’elle avait emporté Eka’ana’ana et brisé ses rêves, peut-être parce qu’on la lui rappelait sans cesse, ou peut-être parce qu’il y préférait largement courir en plein air. Octa’hani s’entraîna plus durement au football ; peut-être pour atteindre le niveau de Gino’ha et espérer combler le départ d’Ataro’ha. Octa’hani apprit à s’occuper des plus petits ; peut-être pour soutenir Mana’arii qui semblait plus affaissé qu’Atlas, sans Caheala'ni. Octa’hani apprit à plonger ; peut-être parce que ça lui semblait le meilleur moyen de venir en aider à sa famille à la dérive. Octa’hani cherchait sa place, celle qui serait la plus utile et la plus bénéfique. Mais, quand on est onze, où trouver le creux où manque encore un rouage ?

Octa’hani apprit aussi à s’éloigner. À trouver sa, ses propres passions ; inutiles dans ses conceptions si productivistes et utilitaires de sa personne. Pourtant, observer, trier ses pierres et en apprendre à leur sujet le rendait heureux. S’asseoir sur le toit et observer la Voie Lactée, cherchant à reconnaître les constellations, l’apaisait. Courir sur la plage avec son Dynavolt, même crasseux et sans grâce, lui donnait la sensation d’être libre. Et l’idée que, peut-être, rien de tout cela n’intéressait son jumeau, le terrifiait.