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You told me, "Son, you'll learn one day
Sometimes you try to run away”

✦ 01. ONE LIE, ONE QUESTION - OR A BIGGER BIRTHDAY PRESENT.

Petit, Lukas était très curieux.

Jusqu’à ses six ans, chaque jour ressemblait plus ou moins au précédent, avec des hauts et des bas de temps en temps - mais la vie était une ligne droite. Sa mère, avant de rencontrer son père, subissait des horaires horribles sur un travail épuisant ; mais peu à peu, après plusieurs années à se connaître, à être ensemble, puis à emménager ensemble, et finalement à se marier, elle et son père avaient trouvé un fonctionnement fluide ; elle avait finalement pu diminuer ses heures grâce à lui, qui apportait des revenus solides quoique devait souvent partir de longues journées.

Avec son temps lui appartenant à nouveau, elle adorait passer du temps avec son fils, puis, à leur naissance, avec ses deux filles, Jade et Ambre, ayant respectivement quatre et cinq ans de moins. Elle lui appris à lire, un peu en avance sur son âge ; répondit à toute interrogation sur le monde. Il était calme, curieux, écoutait attentivement.
Quant à son père, après plusieurs jours à promettre qu’il rentrerait plus tôt pour au final ne pas pouvoir, il instaura rapidement un accord ; quelques mots qui suivraient Lukas bien longtemps après.

Chaque fois que je te mens, tu as droit à une question. Ou bien un cadeau d’anniversaire un peu plus grand, comme tu veux.

One lie, one question - or a bigger birthday present.

Presque systématiquement, Lukas choisissait la question. Lorsque leur père annonçait qu’il rentrerait le soir, et au final revenait le lendemain - “T’as déjà visité une des autres îles ?” Lorsqu’il mentait honteusement pour les faire venir à table en promettant que le repas ne se constituait pas d’épinards - “C’est possible de toucher une étoile ?”

Et rien ne changea jusqu’au divorce.


✦ 02. “ALWAYS” DOESN’T EXIST.

Cette phrase-ci ne lui vint pas de son père.

Après le divorce, leur mère dut reprendre plus d’heures, s’épuisant progressivement et ayant énormément de mal à supporter la séparation. Lukas, Jade et Ambre passaient une semaine chez leur père, qui était présent sans être là, prenant le temps de s’occuper d’eux mais absent plus de douze heures par jour ; l’autre semaine, chez leur mère, était plus compliquée. Il lui était difficile de joindre les deux bouts, et le deuil de la relation était dur.
Elle leur adressait de vagues regards, physiquement dans la pièce mais pourtant jamais là.

Lukas l’entendit alors qu’il passait dans le couloir.

”Toujours” n’existe pas.

Always doesn’t exist.

Les choses ne restaient jamais comme elles devaient l’être. Rien n’était éternel.

Pourtant, cette situation bancale dura longtemps ; leur père rentrait toujours tard, le nombre de questions que Lukas pouvait lui poser augmentaient constamment, sans toujours avoir le temps de le faire. Leur mère dégringolait. Un autre homme arriva, repartit, laissa un dernier petit frère - Charlie. Ils mangeaient bien chez leur père ; mais Charlie ne pouvait pas les y suivre. Lukas ne faisait plus confiance à sa mère pour s’occuper de lui. Alors il prit l’habitude d’apporter des choses d’une semaine à l’autre, dissimulées dans son sac, sous son pull, avec un sourire et une mine pleine d’innocence. Et entre le vide d’un côté et la négligence de l’autre, il apprit tant bien que mal à s’occuper des trois plus jeunes.

Le jour de ses onze ans, le cadeau qu’il reçut n’avait jamais été aussi gros. Pourtant, son père lui accordait une question à chaque mensonge, non ? C’était étrange - mais, après tout, il n’allait pas s’en plaindre.

Il n’apprit jamais que son père faisait partie, depuis le début, d’une organisation criminelle située sous une boîte de nuit connue comme le Dancewolf. Il n’apprit jamais que ce cadeau avait été un remboursement de tous autres mensonges de son père, ceux qu’il n’aurait jamais pu dévoiler. Un bel œuf Pokémon, apparemment acheté à un bon éleveur - quelque chose qui avait dû coûter cher. Son père l’aida même à nommer le futur Pokémon, un Airmure qu’il espérait aller apporter un peu de sécurité à son fils et ses filles pendant ses longues absences.

Mais non, Lukas n’apprit jamais tout ça, et son père n’eut même pas le temps de voir le Pokémon éclore, parce que deux semaines plus tard, il était mort.

Joyeux onze ans, Lukas.

Les semaines passèrent, l’Airmure éclôt finalement ; ils déménagèrent définitivement chez leur mère, s’entassèrent à cinq dans le petit appartement étroit. Il y eut un enterrement, plusieurs condoléances apportées, “Un malheureux accident, vous comprenez, un Pokémon dans une zone dangereuse”, et des jours et des jours de vide un peu trop confus, un peu trop immense.

Sa mère avait raison. “Toujours”, ça n’existait pas.


✦ 03. RISK OR REWARD.

Les premiers temps furent particulièrement compliqués. Il fallait s’adapter à leur nouvelle situation ; vérifier que Jade et Ambre tenaient le coup ; s’habituer à partager un espace brusquement bien plus petit ; et puis, prendre le temps de faire son propre deuil, aussi.

Leur mère devait encore plus travailler que d’habitude, ayant maintenant la garde entière des quatre ; elle était également affectée, ayant passé des années avec leur père, divorce ou pas. Ils manquaient de place ; ils manquaient d’argent, ils manquaient de quoi se vêtir, ils manquaient d’un peu trop de choses et surtout, ils manquaient d’attention.

Au bout d’un peu plus de deux mois, Lukas prit les choses en main.

Entre voler un paquet de pâtes de chez son père pour l’amener chez sa mère, et voler un paquet de pâtes entre deux étalages dans le supermarché le plus proche, après tout, quelle différence ? Il lui suffisait de prendre un pull large, avec une poche ventrale, de viser les petits paquets, et de poster son Airmure en observation, même s’il était un peu jeune et n’aimait pas vraiment s’éloigner de lui de plus de quelques mètres. Personne n’allait suspecter un gamin de onze ans, non ?

Et puis, il pouvait aussi essayer de trouver de quoi gagner une ou deux pièces, par exemple en aidant une personne âgée à monter ses courses jusqu’à l’étage, en guidant un visiteur à travers la ville, en rangeant des bouquins à la bibliothèque, en aidant à porter des choses lourdes avec son Airmure, ce genre de choses. Et puis s’il avait de bonnes notes, plus tard, il aurait un bon métier, non ? C’est comme que ça marchait, n’est-ce-pas ? C’était simple, au fond.

Alors il le fit. Il fit tout ça, enfila des pulls discrets mais larges et remplit ses poches de nourriture, gagna de quoi éventuellement acheter des choses plus difficiles à voler à force d’économiser trois pièces à la suite. Il relut ses cours, s’échina à comprendre les concepts avec lesquels il avait le plus de mal - les mathématiques, ça allait, et l’histoire et la géographie étaient intéressantes, mais sérieusement, pourquoi devoir apprendre un autre langage en plus de celui de tous les jours ?

Leur mère, heureusement, avec toutes ses heures, gagnait de quoi par exemple, leur payer des vêtements ; ils étaient tous en pleine croissance, et Lukas ne se serait pas vu capable de dérober trois t-shirts par trois t-shirts, surtout qu’il n’était pas spécialement doué. Après tout, il n’avait jamais vraiment volé.

Et puis peut-être que la chance lui sourit, peut-être que c’était juste une coïncidence, mais il finit par croiser Oyaris. Au départ, il se méfia ; c’était qui, celui-là, et pourquoi est-ce qu’il prenait la peine de le prévenir que la sécurité l’avait vu, et lui offrait de payer ce qu’il venait de voler… et pourquoi aussi de lui apprendre à être plus discret ?

Sauf qu’il était sincère ; et Lukas comprit comment être plus subtil, appris même à faire les poches des gens. Il devint plus téméraire, pendant un moment ; personne ne le voyait jamais, ou presque, et lorsque ça arrivait, le temps qu’on réagisse, il avait sprinté suffisamment loin pour ne plus être embêté. C’était parfait.

Jusqu’à ce qu’il se retrouve dos au mur, paniqué, face à trois hommes qu’il n’aurait probablement jamais dû prendre pour cible. D’ordinaire, faire les poches de quelqu’un au hasard conduisait, même dans le pire des cas, à un cri d’alerte et une expression choquée ou offensée sur le visage. Ça ne l’avait jamais conduit dans cette situation-ci, à chercher une sortie des yeux, le coeur battant à tout rompre et l’estomac serré, les jambes tremblantes et terrifié, pendant que l’homme très en colère qu’il avait fait l’erreur de choisir s’approchait, un poing levé - les deux autres se positionnant bien de manière à lui interdire toute fuite.

Avec du recul, ç’aurait pu être pire - mais le temps que son Airmure n’intervienne, Lukas avait mal aux côtes, une lèvre fendue, et un futur oeil au beurre noir.

Il se montra plus prudent. Il choisit mieux ses moments, ses cibles, se mit à prévoir quoi faire en cas de problème. Il adopta un troisième mantra - Risk or reward. Les risques contre les bénéfices. Bien peser chaque pour et chaque contre. Même lorsque le prix, à la fin, était très attirant, ne jamais prendre de risques trop élevés. Se montrer plus malin, réfléchir.

Il ne tenta plus jamais le coup sur des passants de plus de dix centimètres de plus que lui.

Bientôt, ses journées se résumèrent à une sorte de routine ; aller en cours ; réfléchir à ce qui manquait dans le frigo, dans les placards - ah, Jade l’avait prévenu qu’elle avait cassé sa trousse, il allait falloir en acheter ou en récupérer une ; est-ce que la voisine d’en face avait à nouveau besoin de quelqu’un pour passer un coup de balai dans son appartement ; est-ce qu’il avait le temps de passer au supermarché avant sa fermeture ; est-ce que Charlie avait suffisamment de chaussettes ; quels devoirs lui restait-il à faire ; est-ce que c’était à lui de faire à manger ou bien est-ce que leur mère rentrait plus tôt ce soir-là ; combien d’argent avaient-ils encore et combien pouvait-il ajouter avant la semaine suivante…

Étrangement, régulièrement, quelqu’un déposait quelques billets dans leur boîte aux lettres. Au début, Lukas s’était méfié ; ça ne pouvait pas être bon. Sauf qu’au bout de plusieurs mois, rien d’étrange ne s’était passé. Et puis ces billets étaient tout de même bien trop attirants, surtout lorsqu’on n’en avait pas assez. Alors, tant pis ; autant les utiliser. Peut-être qu’un jour, il essaierait de savoir d’où venaient-ils ; pour l’instant, il n’en avait pas le temps.

Il avait trop à faire.


✦ WORDS ARE LIKE SMOKE. SHOW US.

Lukas, tout au long de sa - certes pour l’instant courte - vie, avait peu à peu retenu trois phrases ; une de son père, une de sa mère, et une de lui-même, sur lesquelles il continuait à s’appuyer, sans vraiment le vouloir mais sans pouvoir s’en empêcher. Même ses sœurs le lui faisaient remarquer ; le dernière fois qu’il avait répété le mantra de son père devant elles, Ambre avait froncé les sourcils et Jade avait juste soupiré.

Lukas, il est mort, tu te rappelles ?
Ça veut pas dire que d’un coup, ça fausse tout ce qu’il avait dit.

Malgré sa manière d’y penser, d’avancer, Jade n’avait pas toujours tort ; et la dernière phrase qu’il retiendrait vint d’elle.

Leur mère, petit à petit, allait mieux ; elle avait pu, enfin, obtenir une augmentation ; elle avait moins besoin d’heures pour gagner la même chose. Elle recommençait à être en état de s’occuper d’eux. Elle s’était excusée, un soir - et si pour Lukas, ça ne changerait plus grand-chose, il avait quand même été présent lors de la conversation.

Je suis désolée, je- Je ferais n’importe quoi, n’importe quoi, pour me rattraper.

Et elle avait l’air sincère ; elle pleurait, et Ambre pleurait, et Charlie ne pipait mot. Lukas se contentait d’écouter, un peu à l’écart, parce qu’il avait depuis longtemps abandonné l’idée de pouvoir compter sur elle. Et s’il avait été plus empathique, peut-être aurait pu comprendre ; peut-être aurait-il pu lui donner une chance, essayer la laisser prendre soin d’eux. Mais il ne ressentait plus rien envers elle, tout simplement. Pas la force, pas le temps d’être en colère, ni blessé ; juste une indifférence vague.

Et Jade avait regardé leur mère, les yeux durs.

Tes mots, c’est comme de la fumée. Tu veux te rattraper ? Parfait. Pas besoin de parler, de faire des grands discours comme quoi tu t’en veux. Si tu veux te rattraper, si t’es désolée, alors montre-le.

Words are like smoke. Show us.

Alors elle le fit. Elle fut plus présente. Commença à aider Charlie à faire ses devoirs, passa plus de temps avec Ambre, avec Jade. Pris des jours de congé, quitte à prendre plus d’heures la semaine suivante. Il y eut même quelques journées, çà et là, passées dans un coin sympa - ou bien à aller au cinéma, par exemple.

Lukas déclinait systématiquement.

La seule chose qu’ils faisaient, c’était discuter de quoi acheter, combien ils avaient d’ici la semaine suivante. Qui cuisinait le soir-même. Sa mère pensait qu’il s’était juste trouvé un petit boulot ; il ne tenta pas de la détromper. Il voyait bien qu’elle aurait aimé renouer avec lui, aussi ; réapprendre à le connaître. Savoir ce qu’il était advenu du petit garçon qui la bombardait de questions.

Trop tard.

Mom, don’t you know I’m too young ? Can’t you hear me calling you ?
Nothing hurts me now.

”résumé”: