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I/ Enfance.

Pierrette avait dix ans lorsque sa mère mourut. Dix années passées en Kalos, dans un petit village isolé. Dix années auprès de sa famille ; son frère aîné Michel, sa petite sœur Églantine et le petit dernier Simon. Dix années durant lesquelles seule l'insouciance comptait. De ces dix ans, elle ne se souviendra que de bribes, de courts passages ayant marqué sa tendre enfance, quelques odeurs et quelques fragments de voix.
Dix années durant lesquelles Pierrette savait sa mère malade, sans en comprendre réellement le sens. Enfant joyeuse et toujours souriante, elle apportait la bonne humeur dans le foyer.

Ce fut son père qui découvrit un matin que sa femme ne respirait plus. Il n'y avait rien à faire ; le corps était déjà froid, rigide, un sourire figé au coin des lèvres. Il n'y avait rien à faire car il n'y a jamais rien à faire lorsque la mort surgit, imprévisible. Il n'y avait rien à faire à part prendre une nouvelle inspiration, et encore une autre, en contemplant celle que la mort venait d'emporter avec elle. Et encore une inspiration. Comprendre que la vie ne s'arrêtait pas, même si tout semblait vide de sens, détraqué, comme si le temps lui-même s'était arrêté.
La vie ne s'arrêtait pas.

Dans la maison, les éclats de voix des enfants, naïfs, joyeux, insouciants. Il fallut leur annoncer la triste nouvelle. Les plus petits ne comprenaient pas, Pierrette baissa la tête, son sourire effacé. Elle ne comprenait pas tout ce que cela impliquait, mais il y avait une chose que tous les enfants comprirent ; leur mère était partie et ne reviendrait pas. Pierrette n’avait jamais été réellement confrontée à la mort jusqu’alors, et pourtant elle s’y attendait. Elle s’attendait à la mort de sa mère comme on s’attend, un soir d’été, à voir le ciel éclater en un orage déchaîné. Sans savoir exactement quand, ni comment il éclaterait, on s’y attendait. Mais si les orages d’été avaient quelque chose de vivifiant, comme un renouveau après trop de jours de sécheresse, la mort de cette femme eut l’effet inverse.
Certes, l’orage éclata. Les larmes qui pleuvaient à verse, la douleur qui perçait tels des éclairs, déchirants, et une sensation, comme si l’atmosphère était lourde, si lourde qu’on ne pouvait pas la porter. Comme si les nuages étaient si sombres qu’ils éclipsaient entièrement le soleil, laissant la maison dans la pénombre.

Lorsque les flèches d’un Lovdisc transpercent deux êtres, l’un ne peut plus vivre sans l’autre. En un sens, le père de Pierrette cessa de vivre en même temps que sa compagne.

Les deux aînés, Pierrette et Michel reprirent la maison en main. Pierrette ne voulait pas s’arrêter de vivre, et rapidement son sourire réapparut. Elle s’initia à la cuisine, au jardinage, aux tâches ménagères qu’elle partageait avec Michel. La maison vivait de nouveau, comme si tout n’était qu’un mauvais souvenir. Un souvenir qui avait laissé de terribles cicatrices, à présent refermées, mais des cicatrices qui ne s’effaceraient jamais complètement.


II/ Premier pokémon.

Pierrette eut son premier pokémon à l’âge de quatorze ans. Il s’agissait d’une Miaouss. Les voisins tenaient un petit garage où ils réparaient des voitures, mais fréquemment, des voyous venaient voler des pièces. Le félin, un pokémon de collection qui ne savait pas se battre, n’était pas d’une grande utilité pour faire fuir ces bandits. Aussi, les propriétaires achetèrent deux Démolosse, qui n’aimaient guère la présence de la chatte. Très attachés à leur Miaouss, il leur fallait pourtant se résoudre à s’en séparer. Pierrette s’amusait de temps en temps avec le pokémon, et naturellement, les propriétaires la lui offrirent en échange de pouvoir la voir quand ils le souhaitaient.

Pierrette et sa petite sœur s’amusaient beaucoup avec Minette, l’habillaient d’une robe fabriquée par l’adolescente, en tissu bleu cobalt. Minette aimait courir et sauter avec la grâce habituelle aux félins, émerveillant les enfants qui observaient ses danses dans le salon.

Ce fut à cette époque que Pierrette commença à rêver. Ils n’avaient pas la télévision, mais elle avait entendu parler des shows, avait vu des affiches. Les concours pokémon, où les plus grands coordinateurs dansaient avec leurs pokémons qui lançaient des capacités pour sublimer le tout de jeux de lumières et effets spéciaux. Mais elle s’empêchait de trop y penser ; elle avait arrêté la danse quatre ans auparavant, à la mort de sa mère, pour s’occuper de sa famille.


III/ Tracer sa propre voie.

Rester assise derrière un banc ne lui plaisait pas. Pierrette rêvait de liberté. Elle suivait le vol des oiseaux par la fenêtre tandis que se récitait le cours sans queue ni tête. Être libre. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Elle qui, toutes ces années, s’était enchaînée à sa famille, désirant plus que tout les protéger et les aider à s’épanouir, elle ignorait ce que signifiait être libre ; et pourtant assise sur le banc de bois vernis, ayant décidé elle-même de venir s’installer en ville pour étudier, elle ne s’était jamais sentie aussi peu libre.
Elle rêvait d’être un oiseau, un Nirondelle peut-être, ou bien un Étourmi. Elle rêvait d’être ailleurs, de voyager, de survoler les vastes étendues de ce monde qui lui tendait les bras. Elle rêvait pour s’échapper de la prison dans laquelle elle s’était elle-même enfermée, ne sachant plus comment ouvrir la lourde porte de métal.

La jeune femme ne voulait pas être ici, ne voulait pas étudier. Elle ne savait même plus ce qu’elle faisait là. Alors un jour, après avoir longuement réfléchi, elle fit sa valise et ses adieux et prit le train, pour rentrer chez son père. Elle avait encore quelque chose à récupérer, la chose la plus importante : Minette, sa Miaouss. La chatte l’avait attendue patiemment, certaine que sa dresseuse reviendrait. Pierrette le lui avait promis, et elle ne voulait pas tenir sa promesse.

La maison semblait vide, sans son frère Michel. Même les deux plus jeunes vaquaient à leurs occupations, et s’il n’y avait pas eu le père de Pierrette, assis sur le fauteuil de cuir, on aurait pu croire la maison inhabitée.
La jeune femme récupéra quelques affaires. Une gamelle pour sa Miaouss, quelques jouets tricotés, son papier à lettre et un livre. Ses économies, qu’elle gardait sous son matelas. La pokéball de son pokémon. Elle inspira pour se donner du courage et s’en alla, ne sachant pas très bien où ses pas la conduisaient, ni quand elle reviendrait dans la maison où elle avait passé son enfance.

Mais elle n’avait pas tourné le dos à sa famille, puisque les pas la conduisirent droit chez son aîné. Un peu hébétée, comme si elle ne s’attendait pas à se retrouver là, elle frappa à la porte.

« Michel ? C’est Pierrette, tu es là ? »

Des bruits de pas, un silence. La porte s’ouvrit. Son frère n’avait pas changé. Il prit sa sœur dans ses bras en la voyant pour la première fois depuis de longs mois. Il prit de ses nouvelles. Elle lui raconta tout.
Elle savait ce qu’elle voulait faire. Sa véritable passion. Ce qu’elle avait laissé de côté pour ses études, et pour sa famille.
La danse.


IV/ Heure de gloire.

Pierrette mentirait si elle disait que tout avait été facile. Elle dut se remettre à danser, alors que d’autres n’avaient jamais arrêté. Elle dut apprendre beaucoup de nouvelles choses à Minette. Et elle dut se faire un nom.
Et se faire une place dans ce milieu était particulièrement difficile. Mais elle tenait bon, elle s’accrochait, optimiste, certaine que ses efforts finiraient par payer.

Ses efforts finirent par payer. Elle monta sur scène avec Minette, et fit une prestation presque parfaite, qui lui valut son premier ruban. Un monde fou l’avait vue, elle, avait vu Minette, la Miaouss en tutu. Et avoir un ruban dans ce milieu était une réelle porte d’entrée pour d’autres concours, d’autres événements.
Pierrette monta sur bien d’autres scènes sous les applaudissements retentissants du public.

Un jour, Minette évolua en Persian.

Un autre jour, Pierrette attrapa un Évoli qui, à son tour, évolua en Nymphali.

Et on proposa à Pierrette de monter sur d’autres scènes, loin de Kalos. À l’étranger. À Unys, à Alola, à Galar. Elle accepta, évidemment, consciente de ce que cela représentait. Elle avait de nombreux rubans à présent, des trophées qui remplissaient les étagères, des médailles gagnées aux quatre coins du pays.


V/ Rencontre.

Hoa’nui. C’était son nom. Il était plutôt petit mais élancé, avait le teint hâlé des habitants d’Alola, les yeux d’un noir profond et brillant, comme deux petites pierres précieuses. Ses mèches bouclées retombaient sur son front, et ses dents paraissaient très blanches lorsqu’il souriait.

Ils s’étaient rencontrés après une représentation. Il avait regardé Pierrette danser dans l’ombre, en retrait, tout le long, sans la quitter du regard. Il ne l’avait approchée qu’après la représentation, lorsque les étoiles brillaient dans un ciel d’encre, et que la jeune femme s’était installée à une table du petit restaurant sur la plage. Ils avaient discuté longuement, de tout et de rien, et s'étaient séparés juste comme ça, l’un dans un sens, l’autre dans l’autre sens.
Pierrette était revenue souvent sur la plage, et c’était comme si Hoa’nui l’attendait ; ils se revirent souvent, et finirent par tomber amoureux – ou alors l’étaient-ils depuis bien longtemps ?

Hoa’nui et Pierrette. Pierrette et Hoa’nui.
Ça ne sonnait pas si bien, et pourtant. Pourtant, Pierrette resta à Alola et choisit l’amour à la gloire. La gloire ne lui servait plus à grand chose ; avant, elle envoyait de l’argent à sa famille, mais aujourd’hui même les plus jeunes avaient quitté le nid et son père était mort quelques mois auparavant. Elle pouvait continuer à vivre sa passion, à danser avec ses pokémons, même sans monter sur scène. Elle avait trouvé mieux, beaucoup mieux à ses yeux que n’importe quel spectacle.


VI/ Migration.

Ils se marièrent à Alola et firent la fête toute la nuit, avec des danses et des chants traditionnels. Pierrette commençait à connaître la culture de l’archipel et aimait l’ambiance qui y régnait. Elle pouvait y vivre, elle voulait y vivre. La plage et les coquillages colorés, les recettes qu’elle apprenait à faire, l’alcool et les jus tropicaux de baies étonnantes, il y avait tant à découvrir.

Et elle tomba enceinte. Elle avait 27 ans. Le couple avait de l’argent, une petite maison confortable, tout ce dont ils avaient besoin. Petite famille heureuse, Pierrette donna naissance à un fils qu’ils appelèrent Unu’tea et qui fit ses premiers pas sur la plage, à quelques mètres de la maison.
Mais assez vite, ils finirent par s’ennuyer sur cette île. On en avait vite fait le tour, et le tour des autres aussi. Et puis Hoa’nui avait entendu parler de cet archipel, Lentis, où il y avait de drôles de phénomènes et des pokémons que personne n’avait vu ailleurs.

Ils décidèrent de déménager – Pierrette rêvait toujours de voyages et de découvertes, et après quelques années à Alola, l’envie de bouger était revenue.

Ils quittèrent tous les trois Alola, Hoa’nui, Pierrette et Unu’tea qui avait deux ans et demi, avec leurs pokémons, une vieille Miaouss, une Nymphali et un Froussardine. Et ils atterrirent à Lentis.


VII/ Time flies.

Les années étaient passées, aussi vite qu’on cligne des yeux. Pierrette avait profité de sa famille, de son fils, de voyages sur l’archipel. Elle avait dépensé sans compter pour lui, vivant au jour le jour, participant à des spectacles de temps à autre pour gagner de l’argent. Hoa’nui pêchait des huîtres pour récupérer les perles, à Alola, et par chance, il y en avait à Kopadia, là où la famille s’était installée. Il reprit ses activités, et Pierrette s’occupait de la maison.

La routine était brisée par les vacances fréquentes sur les autres îles où ils partaient explorer, randonner, tester les recettes locales. Unu’tea grandit et finit par quitter la maison pour s’installer un peu plus loin, revendiquant son indépendance bien qu’il travaillait dans l’exploitation d’huîtres d’Hoa’nui.

Hoa’nui mourut un matin, sur la plage. Un arrêt du cœur, quelque chose comme ça, malgré son jeune âge, à peine cinquante ans. Pierrette fut très affectée et organisa un enterrement digne de ce nom pour Hoa’nui Ehu-kai, à la fois une fête et un moment solennel. Elle portait une robe colorée et avait préparée beaucoup de nourriture, tout ce que son mari appréciait.

Puis elle se retrouva seule. Minette était morte, elle aussi avait eu droit à un bel enterrement. Il ne restait que sa Nymphali, Chaussette, qui commençait à se faire vieille elle aussi. Pierrette décida de profiter de son temps, de s’occuper, de vivre pleinement puisqu’elle ne savait pas lorsque sa vie allait s’arrêter. Elle partit vivre à Calleis un temps, puis à Haptos.
C’était près du volcan qu’elle découvrit Fripouille. Jeune fossile, elle était entrée dans l’appartement de location de Pierrette pour trouver à manger, alors que la vieille femme faisait une sieste sur le canapé. L’Arkéapti revint plusieurs fois et Pierrette faisait semblant de dormir pour l’observer discrètement. Finalement, un lien se créa et Fripouille se laissa capturer par la vieille femme.

Pierrette revint à Kopadia lorsque la femme de Unu’tea eut son premier-né. Elle voulait être là pour l’enfant, elle qui était si heureuse d’être grand-mère et de retrouver une famille à s’occuper. Et Pierrette n’allait pas être déçue ; peut-être que Unu’tea avait été frustré d’être fils unique, mais il y avait au total 11 petits-enfants, que Pierrette chérissait de tout son cœur. Elle leur préparait à manger, s’occupait d’eux lorsque les parents travaillaient, toujours dans cette ferme d’huîtres.

Les petits grandirent à leur tour. Mais à présent bien entourée, Pierrette savait que peu importait le passé, elle avait fait les bons choix.