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C’est idiot. Une idée à la con, encore, une idée soudaine et impulsive qui l’avait prise en voyant l’affiche, devant un Centre Pokémon. Les refuges de Lentis ont besoin d’aide, jusque-là, rien de spécial. Que Violet souhaite soudainement les aider, pourquoi pas — ça lui arrive, comme ça, sans prévenir. Mais pourquoi Adamantia ? Pourquoi l’île du froid, pour se retrouver maintenant dans les rues à cailler comme un Obalie congelé, et, a fortiori, en compagnie d’un frère de Vlinder ?

C’est ridicule et idiot. Mais elle n’avait pas prévu que ça se passe comme ça, quand elle s’était présentée dans le hall du refuge. On l’avait vite fait briefée avec d’autres bénévoles d’un jour, puis il y avait eu une histoire de Chaglam perdu. Des volontaires choisis au hasard, parce que c’était simple et que les plus expérimentés avaient déjà tellement de choses à accomplir. Alors Violet s’était retrouvée dans la rue, en compagnie de Zamas, visiblement pas très enchanté à l’idée de chercher un Chaglam avec elle.

Violet s’était demandée si Zamas savait qui elle avait été. Elle n’en est pas certaine. Il ne donne même pas l’impression de savoir son nom ou quoi que ce soit, ils avancent seulement côte à côte sur les pavés. S’il sait qui elle a été pour Vlinder, il n’en laisse rien paraître, en tout cas — alors Violet se dit qu’il ne sait pas. Ça la rassure, un peu.

« Souvent, faut chercher dans les recoins, s’il a eu peur. Sinon on peut l’appâter, l’appeler aussi. Ça dépend un peu de son caractère. Ils t’ont rien dit de plus, à toi non plus ? »

Juste une photo et un nom, inscrit au feutre et à la va-vite. À se demander si ses propriétaires l’appréciaient tant que ça, à vrai dire.

« Au fait, moi c’est Violet », fit-elle avec un peu d’appréhension, de crainte qu’il ne fasse, peut-être, le lien.

Est-ce que Vlinder avait vraiment parlé d’elle à ses frères, au fond ? Ce n’était pas si certain, même si ce serait étonnant de sa part. Vlinder est plutôt du genre à tout raconter à tout le monde. En tout cas, s’ils devaient se séparer pour appeler le Chaglam ou quoi que ce soit, ce serait plus simple s’ils connaissaient le nom l’un de l’autre.

« J’ai un Flamiaou, alors j’ai des friandises sur moi. Peut-être que ça pourra nous aider. »

Mais, pour l’instant, dans ces rues complètement vides sans réel indice, la meilleure option lui semble être de crier le nom du fugueur. Alors, rangeant la photo dans une poche de sa veste, Violet place ses mains en porte-voix et appelle le Chaglam — sans parvenir à donner assez de confiance et de souffle dans sa voix pour qu’elle porte réellement.

« Ouais, j’vois t’es qui. »

Merde. Elle aurait peut-être mieux fait de se taire.

« T’es la copine de Vlind’, c’est ça ? »

Coup de couteau qui s’enfonce entre les côtes, souffle coupé, hochement de tête pour faire bonne figure — mais c’est douloureux, douloureux de se dire que c’est faux, qu’elle a tout gâché et que — non, c’est pas ça. Pourtant elle n’a pas la force de nier. Plutôt se faire oublier, changer de sujet, penser à la mission au Chaglam à tout ce qu’il y a autour maintenant et surtout, surtout ne pas penser à Vlinder.

Alors Violet s’arrête quelques secondes, plonge la main dans son sac pour trouver les friandises de son Flamiaou, ouvre la boîte et en dépose quelques-unes dans la paume de sa main. Elle referme, sans un mot, le regard fuyant, l’attitude relativement fermée vis-à-vis de Zamas — oh, ce n’est pas vraiment sa faute, c’est le contexte, et puis c’est bizarre de se retrouver là avec le jumeau de son ex et le silence et le froid qui glissent entre eux deux.

Le froid qui a gelé des corps et des villes entières.
Et Zamas qui- « Oh attention » et sa langue qui se perd au milieu de mots qui ne finissent aucune phrase, parce que de la glace recouvre encore le sol et que ses pieds ont glissé, coupé l’expression dans son élan. Il tend la main, cherche quelque chose à laquelle se raccrocher et c’est seulement le bras de Violet qu’il trouve ; Violet tangue et vacille et c’est difficile de rester stable lorsqu’on vous tire vers le bas. Elle dérape, se rattrape de justesse d’une main au sol qui épargne son bassin, du moins, mais les voilà tous deux à terre et les friandises éparpillées autour d’eux.

« Shit ! »

Le juron sort, réaction-réflexe. Violet se redresse, s’assure ensuite qu’aucune douleur ne semble l’handicaper — puis s’inquiète :

« Ça va ? »

En tout cas, il y a maintenant une bonne poignée de friandises éparpillées sur le sol — gâchées —, ne reste qu’à espérer que l’odeur parviendra au museau de celui qu’ils cherchent ; surtout, que Zamas n’a rien, parce que Violet n’a aucune compétence pour jouer les infirmières ((et s’il fallait appeler Vlinder ?)) Ce serait trop de risques de bafouiller comme une adolescente perdue.

Ce n'était pas une si mauvaise idée, les friandises. Le problème, c'est qu'ils ont attiré plus d'un Chaglam. Devant Violet, deux truffes avides se rapprochent en gobant les carrés aromatisés, et là, encore, trois paires de moustaches frétillent d'envie. Violet distingue quatre petites taches noires sur le plus petit, à droite, mais ils sont déjà cinq autour d’elle et aucun ne porte de petite flamme blanchâtre sur son pelage.

Avant que tout ne disparaisse, Violet s'est accroupie et commençait à ramasser ce qui peut l’être, mais elle ne récupère que six petits bonbons Pokémon avant de se redresser et de reculer de quelques pas, par crainte qu’ils n’en viennent à lui bondir dessus pour récupérer ce qui reste. Au moins, Zamas ne s’est pas fait mal, à en croire sa réponse et son assurance. C’est sans doute le principal. Même si c’est quelque peu rageant, de perdre l’équilibre et au passage ce qui semblait être le meilleur moyen d’attirer le fugueur.

Zamas râle un peu, et ses éclats de grogne provoquent un léger rire chez Violet. La tension redescend un peu, juste un peu ; avant qu’il n’aperçoive un Chaglam de plus et s’exclame avant de lui courir après. A-t-il tourné sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler — est-ce enfin le bon ? Il y a désormais huit chats autour d’eux, et les doigts de la main libre de Violet jouent avec un élastique neuf — Warwick en a encore déchiqueté un. Est-ce qu’elle doit suivre Zamas ? Est-ce qu’il a enfin trouvé le bon ?

À vrai dire, ce sont davantage les dix paires d’yeux principalement braqués sur elle et les quelques friandises qui restent, qui la poussent à la décision. Violet s’éloigne, accélère le pas, sans se presser autant que Zamas parce qu’ils viennent tout juste de s’étaler au sol et qu’elle ne tient pas à recommencer. Elle essaie seulement de le rattraper, lequel essaie de rattraper un Chaglam qui a déjà filé également. Course-poursuite inception ?

En tout cas, Zamas lui tend du bras l’angle d’une rue. Apparemment, il ne peut pas continuer plus loin. Violet fronce les sourcils. Elle n’en serait pas si certaine. Pour en côtoyer quelques-uns, des Pokémons félins, elle sait à quel point ils ont peu de barrières. Ils grimpent, filent et se faufilent, à tel point qu’ils disparaissent presque aussi bien que les spectres.

« J’cois que s’il veut vraiment filer, il trouvera un moyen, mais il me reste quelques croquettes. »

Elle entrouvre ses doigts pour dévoiler les quelques friandises sauvées — quoi qu’il en reste encore dans son sac, mais ils ont déjà suffisamment gaspillé comme ça. Mais elle referme la main aussitôt : elle a retenu la leçon.

En tout cas, le Chaglam est bien là, au coin de la rue. Violet inspire un grand coup ; il faut qu’elle n’ait ni peur ni empressement pour que le petit félin ne se fasse pas la malle une nouvelle fois. De sa main libre, elle cherche une Pokéball, qu’elle entrouvre discrètement — au coin de la rue — en espérant que le Chaglam ne la voie pas, parce qu’elle ne veut pas l’effrayer.

« Moros, doucement. J’voudrais que tu t’approches quand il sera près de moi, pour qu’il puisse pas s’enfuir. T’acceptes de le ramener au refuge ? J’aurais pas assez de force pour le maintenir s’il s’effraie ou quoi et… »

Et à vrai dire, elle ne fait pas réellement confiance à Zamas pour ça. Il a l’air trop tête-en-l’air — prévisible, vu la famille —, trop brusque, trop… Pour tout un tas de choses, de toute manière, Violet ne fait confiance qu’à elle-même. Son Absol sera parfait pour transporter le Chaglam dans sa gueule comme un bébé Absol, même s’il ne sera sans doute pas ravi de le faire — aussi peu sociable que sa dresseuse. Mais il s’en remettrait.

Alors elle s’approche, doucement, à petits pas et la main tendue avec les friandises. Zamas lui a laissé le champ libre, alors elle s’est baissée, les genoux fléchis, et elle appelle d’une voix douce et rassurante. Du moins, elle l’espère. Mais la truffe et les moustaches frémissent, curieuses et encore un peu inquiètes. Violet s’arrête, à quelques mètres du Chaglam, et elle se baisse encore. Elle dépose une croquette au sol et attend, le bras tendu. Elle est concentrée, patiente, et sursaute un peu quand Zamas lui précise qu’il lui fait un chemin. De quoi, elle ne sait pas trop, mais elle avisera plus tard. Le principal, c’est de rester concentrée sur le Chaglam pour qu’il s’approche, enfin.

Finalement, il fait quelques pas, et c’est là qu’on voit qu’il s’agit bien d’un Chaglam domestique et pas d’un Chaglam sauvage. Il s’approche et il grignote une croquette et puis une deuxième que lui dépose Violet. Et là, Moros fonce et attrape le Chaglam avant qu’il n’ait le temps de couiner. Violet se redresse, tandis que l’Absol tient le fugueur dans sa gueule comme il le ferait d’un tout jeune petit, la mâchoire bloquée sans lui faire mal. Ça aide généralement à ce que le petit ne glisse pas ; dans ce cas, ça aidera surtout à ce qu’il ne s’enfuie pas à nouveau.

Zamas est parti devant avec son Pokémon, les bras en arrière comme un personnage de dessin animé. Violet s’étonne une demi-seconde — rien n’est vraiment surprenant chez les Allens. En tout cas, ce n’est pas que Vlinder. La dresseuse et son compagnon lugubre emboîtent alors le pas du jeune homme, mais sans se presser. Ils ne sont pas embêtés : Zamas a bien fait sa part, et peut-être aussi que l’aura de Moros défend quiconque de l’approcher.

Il ne reste qu’à faire le chemin en sens inverse, avec plus de précaution : il s’agirait de ne pas retomber une seconde fois sur la glace qui parsème les pavés. Mais, doucement et précautionneusement, suivie de Moros au regard plissé, babines légèrement retroussées, visiblement condescendant envers celui qu’il transporte. Pour autant, il l’amène à bon port, et Violet peut le remettre aux bénévoles du refuge avec un sourire gêné. On les félicite et les remercie — quel temps gagné pour eux de ne pas s’être lancés à sa recherche —, on leur propose un café, aussi, alors finalement Violet reste quelques dizaines de minutes supplémentaires. Elle ne peut pas dire non à un café en compensation d’une chute sur les pavés et de friandises perdues.