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Ton texto n’avait rien d’anormal, au fond. Des réponses à mes questions par rapport au progrès que fait Klimat dans son, eh ben, acclimatation à la vie domestique, des photos de tes pokémons envoyées sporadiquement, et puis une mention t’es libre ce soir? et, comme c’était le cas, un simple Yup, je passe te voir après la réserve pas d’heure, mais une promesse tacite tout de même de passer. Mais pour, pour mon boulot je bouge pas mal, alors j’suis passée par mon appart’ avant de prendre les téléporteurs. Une douche pour sentir bon, refaire certains bandages qui se sont décollés à cause de l’eau, mettre un nouvel habit qui était plus approprié à la température calléisienne, parce que s’il faut chaud à Harmon’île, il faut quand même bien plus froid là-bas en début février qu’il puisse en fait à Kopadia. ÀKopadia, la seule neige qu’on voit, après tout, c’est celle artificielle que les forains s’entêtent à produire sur le bord des plages. Encore heureux, c’qu’ils utilisent c’est biodégradable au contact de l’eau…

Bref, tout ça pour dire que je sais pas c’que t’as envie de faire (si c’tait la tournée des bars, tu s’rais plutôt venue vers Ike Kai), mais je porte un collant sous des shorts (toujours les mini shorts avec moi, c’est mon branding), de grosses bottes de cuir qui remontent sous le genoux (ce sont supposés être de mi-cuisse, mais bon, vu ma taille…), de la résille et des layers; un chandail à manches longues noir, un t-shirt de concert rouge par-dessus, bref un look d’enfer tu vois? Arrivée aux téléporteurs avec pas même un sac sur le dos (tout ce dont j’ai de besoin, je peux le porter dans mes poches, non?), je me faufile vers Calléis sans bruit. Certes, utiliser les téléporteurs n’est pas très subtil, mais vu l’heure qu’il était, tellement de gens ne faisaient que rentrer chez eux qu’une personne de plus, ça devrait aller.

Pas que les gens d’Harmon’île ne sont pas accueillants, mais ils ont évidement certaines réserves quant à moi que je n’ai pas envie d’aborder ce soir, tout simplement. On est vendredi, j’ai plutôt envie de passer une soirée à faire tout sauf me pendre le chou. Mais quand j’arrive dans ta yourte – sans frapper, sans m’annoncer, juste en entrant comme si c’était chez moi – je tombe avec quelque chose… quelqu’un. Quelqu’un qui n’est pas toi, quand bien même votre matériel génétique est très, très similaire. Vous êtes des jumeaux, quoi. Non-identiques, bien sûr, considérant que l’autre un pén-

« Zamas » et mon ton se fait froid, défensif; c’est que mon amour passionné et ma haine enflammée sont comme toi et ta sœur; des jumelles qui, contrairement à vous, sont parfois bien difficiles à différencier. Amour et haine – deux êtres qui dansent dans mon cœur une ronde sans fin, qui m’invitent dans une masquarade où je suis la seule à ne pas avoir de masque. Quand l’un est au rendez-vous, l’autre n’est jamais bien loin. Mais au fond c’est que je suis celle qui a du mal à les démasquer. Parce que l’amour ne se fait jamais passer pour la haine, timide qu’elle est, mais la haine, elle, est insidieuse, sait s’habiller des atours de sa sœur pour me faire tourner en bourrique. Saloperie, va. « Ta sœur, elle est où? » droit au but – on ne s’attarde pas, parce qu’avec toi toute conversation menaçant de tourner au pain dans la gueule. Celle de qui, ça, par contre, c’était pas encore dédicé. « Elle m’a donné rendez-v- » et puis j’m’arrête. Je te fixe un instant. Je sais pas pourquoi ta sœur s’est mis dans la tête qu’on pourrait être ensemble – déjà parce que t’as une copine et, si j’suis pas la plus agréable des personnes, à tout le moins je ne flirt pas avec les mecs pris – mais tout ça puait le stratagème pour nous forcer à se parler. À tout le moins, peut-être pour enterrer la hache de guerre.

Je n’ai, évidemment, aucunement l’intention d’faire ça.

« Elle est où? » que je répète, cette fois avec plus de presse dans la voix. Je m’approche – quelques pas faits dans ta direction. Trois, plus exactement, parce que malgré am petite taille je fais des pas de géants, et puis aussi parce que la yourte de ta sœur est quand bien même pas si norme non plus. Je sors mon portable, rompant le contact visuel le temps de voir si elle m’avait envoyé un texto, une tentative vaine, bien sûr J’lui envois quand même un p’tit mot en mode Je suis là, et toi? juste au cas où elle m’aurait oublié et puis, dans un soupir las et bien appuyé, je viens m’asseoir sur la première surface disponible pour accueillir mon cul. Mes yeux noirs te scrutent comme si tu était le coupable de toute cette charade – bien que je sache, à quelque part, que tu en es très certainement la victime également…

J’fais même pas mine de tiquer à l’insulte lancée, vu que - « Moucheron? Vraiment, c’est le mieux que tu puisses trouver pour m’insulter? Vraiment, t’es champion. Je l’ai jamais entendus, celle-là » je roule les yeux au plafond et, comme par défi, je m’enfonce un peu plus profondément dans la yourte. « T’inquiètes pas chou » dis-je d’un ton faussement doucereux, « J’suis pas là pour te piquer ta sœur » et si ça a l'air sarcastique, et si j’ai l’air de râler, la vérité c’est qu’au fond je trouve ça vraiment chouette que vous ayez le genre de relation où vous voulez vous voir tous les jours de la semaine (pas littéralement mais l’idée est là). Tu t’accroches à elle et tu veux pas partager, ça au fond je sais pas si c’est sain, mais ça fait contraste aux gens qui n’en ont rien à faire de leur famille et – et moi ça vient titiller une corde sensible dans mes entrailles et ça me donne juste envie de te faire un gros câlin et de te dire qu’on l’attendra ensemble, tu vois?

Mais je peux pas me permettre de faire des trucs comme ça. Si je laissais voir la guimauve au fond de moi, on l’utiliserait pour me blesser. Alors je dis rien, je fais comme si, je râle. Mais je me suis rapprochée de la même manière que je me rapproche de pokémons récalcitrants, sans mouvements brusques. Et même si je sais in my heart of hearts que c’est un piège tendu par Vlinder, j’ai presque envie de jouer le jeu… pour peu qu’on oublie que t’as une copine. Mais à vrai dire si on joue le jeu, on risque de la trouver plus rapidement qu’autrement. « Elle va comment ta copine? » et c’est sorti tout seul, comme un fiel dégoulinant d’entre mes lèvres. Je l’aime pas, je veux pas savoir si elle va bien, mais c’est pour moi la manière la plus simple de mentionner son existence, comme pour la manifester, comme pour me rappeler qu’elle est dans le portrait.

« Tiens, c’est weird ça » dis-je en m’assoyant à la table avec toi, quoiqu’à une distance raisonnable. Y’avait un papier plié en deux et je l’attrape vivement entre mon pouce et mon indexe, le dépliant de l’autre main alors que je le lis en diagonale, paraphrasant en même temps pour ton plaisir; « J’suis partie en forêt… Ce sera pas trop long… Y’a du thé et des gâteaux en attendant… » je lève les yeux du papier pour apercevoir, effectivement, des biscuits et un thermos. Curieuse, je te tends le papier pour que tu puisses le lire de tes propres yeux et je me lève pour me diriger vers la collation surprise. Haussant des épaules, je viens servir deux tasses que je pose sur la table devant nous en plus de délivrer les gourmandises de leur emballage.

« C’est fou ça quand même, qu’elle nous appelle chez elle et qu’elle se barre » et en fait quand je dis ça, pour moi c’est évident qu’il y avait une arrière-pensée là-dedans, mais j’essayais surtout de sonder ta réponse, de voir comment toi tu interprétais la chose. Mais bon, même si c’était un peu fou, j’avais pas envie de juste la laisser en plan, même si c’était assez simple de retourner à la maison avec les téléporteurs. « Tu crois qu’on devra attendre combien de temps? Quinze minutes, trois heures, deux jours? » ouais parce que connaissant Vlinder et son sens de l’orientation… je me demandais même comment elle avait fait pour survivre à Calléis jusqu’ici.

Ouais; je suis pas forte sur les câlins (surtout en public), je suis pas forte sur les mots d’encouragement, on m’a jamais connu, en dehors des mes adelphes, comme une épaule sur laquelle on peut pleurer. Et j’sais que c’est pas ce que tu veux de moi, de toute manière, en ce moment. Tu as été clair, tout ce que tu veux c'est que je parte – mais quelque chose me pousse à rester. Ce que c’est emmerdant, quand même ,de devoir faire semblant que je ne vois pas que tu pleures. Mais je me dis, si tu prends la peine de les cacher, ces putains de larmes, c’est sûrement parce que t’as pas envie que je sache qu’elles sont là. Et même si tu fais vraiment pas un bon job pour les cacher, j’peux au moins faire semblant que c’est le cas. C’est la moindre des choses.

Mais il faut que tu le saches : je suis douée pour aucunes de ces choses, mais pour toi, je les ferais. Je t’offrirais un câlin si tu en avait de besoin, même si c’est en riant pour cacher le malaise que ce genre d’émotion me cause. Je t’offrirais des mots d’encouragement si je savais d’avance qu'ils pouvaient te toucher, non pas comme un fardeau, mais comme quelque chose qui allègerait tes maux. Je te laisserais pleurer sur mes épaules jusqu’à en tremper mes vêtements, et je te ferais même moucher ton putain d’nez plein d’morve. Mais toutes ces choses là crient le je t’aime et je ne suis pas près de te le dire, ça.

Alors on reste comme ça, moi bras ballant de chaque côté de mon corps, comme retenant mon souffle si ça pouvait faire que tu oubliais ma présence. Si ça peut t’rendre plus confortable. Mais plus que tout ça, moi- moi, je serais sûrement pas la raison pour laquelle tu pleures. Là, c’est différent; certes, c’est vrai que si j’avais pas mentionné ta copine, tu serais pas en train de pleurer, mais c’est vraiment moins à propos de moi et vraiment plus à propos de vous, n’est-ce pas? Les même mots mentionnés par quelqu'un d’autre t’auraient sans doute fait le même effet.

C’est, en tout cas, ce que je vais continuer de me répéter.

Elle est partie; c’est comme une perche tendue et moi, connasse, je ne comprend même pas ce que tu dis vraiment. Ce que c’est chiant, quand même, ce genre de méprise.  « Bah oui, je sais qu’elle est partie » et dit d’un ton tellement bête en plus, genre comme si t’étais un épais, et comprend, toi, tu parles de ta copine (ton ex, maintenant, je suppose) et moi, je parle de ton insupportable sœur jumelle qui s’est barrée dans l’espoir de créer un « rapprochement » entre nous deux. Et si j’avais compris que c’était de ton ex que tu parlais, alors j’aurais compris pourquoi Vlinder s’amusait à créer un rapprochement qui, autrement, était totalement immoral de sa part.

J’agite la feuille de papier sous ton nez; « La jungle est dangereuse, si tu sais pas. Fait pas ton agaçant » que j’ajoute avec une pointe un peu sèche, « Vlinder s’est peut-être vraiment foutu en danger pour cette… blague de mauvais goût » que je soupire, posant la feuille sur la table avec un peu de gusto, ma main tapant sur la table du même mouvement. « Et pense pas qu’tu vas y aller tout seul, le casse-pied, hein, je te vois venir d’avance. Je vais juste être doublement plus inquiétez quand vous r’viendrez pas » roulement d’yeux vers le sommet de la yourte. C’est vrai, ça, j’allais juste me ronger les ongles jusqu’au sang en attendant votre retour.

Et dans ma tête, le petit Zamas qui a élu domicile me répond juste que c’est pas son problème, ça. C’que t’es fatiguant, même dans mes pensées! « De toute, je vois pas comment tu ferais pour m’empêcher de te suivre » haussement d’épaules et sourire de gros vainqueur sur le visage, dès lors que j’ai dit ces mots, j’ai su que j’allais le regretter. Parce que t’es Zamas, après tout. Un vrai chieur. Un chieur au cœur d’or, avec des belles boucles, de beaux yeux, des bras dans lesquels on veut se perdre…

Ah. Hum. Enfin tout ça pour dire que-

« Allez, lève ton cul, on va chercher ta jumelle »

« Avec plaisir » dis-je avec le plus haut eye roll de l’histoire de l’humanité, ne comprenant absolument pas pourquoi t’avais besoin de t’énerver pour chaque petite chose. « Des frites et un soda avec ça? » que j’ajoute, passant du passif-agressif à l’absurde parce que bon, tant qu’à passer pour la meuf qui dit des trucs qui font pas d’sens, autant jouer le rôle jusqu’au bout, hein. « Oui, prend les devants, je ne sais pas ce que je deviendrais, pauvre femme que je suis, sans ton aide » dis-je, et pour une fois, c’était vraiment de l’humour que je faisais, pas un commentaire sur ton stupidité. On pourrait en dire long sur le fait que tu t’étais approprié mon plan pour faire comme si c’était ton idée depuis le début (typique, on dira, de l’homme moyen), mais à vrai dire ça m’arrangeait grandement, alors j’allais certainement pas me plaindre. Parce qu’après tout, ça voulait dire que tu t’étais levé, que tu sortais de la yourte et qu’on avançait vers là où ta sœur s’était dirigée.

« Tu sais où ta sœur va se perdre, habituellement? » même, si ça se trouve, le fameux lien entre jumeaux te permettra de la retrouver, pour ce que j’en sais. Je n’ai pas de réponse (ou alors, je n’ai pas entendu ce que tu me disais vu le boucan que tu faisans, grand homme macho que tu es, en déplaçant branches feuillues et buissons épars sur ton chemin en t’enfonçant dans la jungle); et mine de rien, moi avec mes petites pattes, j’ai vraiment besoin de les faire aller vite si j’veux pas qu’on s’perde de vu. Je les aime, mes courtes pattes, mais parfois, je me demande ce que c’est, la vie, quand on est grand. Enfin, habituellement je me demande surtout pour Zangoose, qui est, on le notera, quand même bien plus grande que toi.

Et puis-

Et puis tu retires ton haut comme ils le font dans les films. Je m’arrête un instant, sidérée par le fait que t’aies pas plus de gêne que ça. C’est sûr, là, j’ai les yeux qui coulent d’abord sur tes muscles et ta peau nue, et puis ensemble, avec un peu plus de tristesse, sur tes nombreuses cicatrices, certaines récentes et d’autres pas. Oh; des cicatrices, j’en ai aussi, et je suppose que vu nos métiers respectifs, on doit s’y attendre, mais ça veut pas dire que ça m’fait plaisir ou que je préfèrerais pas qu’t’aies pas mal. Je tente de reprendre la marche pour amoindrir l’écart entre nous deux, mais à vrai dire je suis plutôt occupée à faire sortir mon téléphone de la poche trop serrée de mon mini-short. « Donne moi deux secondes, je dois éterniser ta connerie. Quelle belle idée de se promener en pleine jungle, avec les plantes venimeuses, sans son haut » oui bon ça, c’est la bonne excuse que je me donne. La vérité, c’est qu’j’veux juste avoir ta photo torse nu pour… plus tard.

Me demandez pas ce que je vais en faire, je doute que vous voulez savoir la réponse. Passons.

Quand même, me voilà, grimace sur les lèvres, en train de me pencher pour ramasser ton putain de chandail et ta veste. Oh; je vois rouge, vraiment. Y'a pas un seul homme qui m’fera ramasser ses vêtements au lieu de les mettre lui-même au panier de linge sale, hein, ah non. « Bravo l’écologie hein » que je note; parce que rien ne disait que d’une part on allait passer par exactement le même chemin pour revenir et, en plus, rien ne disait qu’un pauvre pokémon sauvage n’allait pas les chopper entre temps pour l’emmener plus profondément dans la jungle. Vraiment, toi, un truc te passe par la tête et tu le fais sans penser aux conséquences. Maugréant, ne voulant pas perdre de temps précieux parce que, quand même, on était là pour chercher ta jumelle, voilà que j’enfourne tes vêtements dans mon sac à bandoulière, résistant de peu à l’envie de te les balancer en pleine figure (parce qu’après toi, moi, tant que tu les as pas, ça veut dire que tu les remets pas, et je me plains pas de la vue).

C’est vrai; t’as un beau dos. Des épaules proportionnellement plus larges que tes hanches, on pouvait voir le mouvement de tes muscles sous la peau alors que tu écartes les feuillages sur ton chemin. Bon : est-ce que je me prends des branchages en pleine tronche ici et là? Oui. Est-ce que je vais m’en plaindre? Ah ça, oui. Je vais quand même pas me retenir, y'a personne d’autre ici pour me sauver de ce fouettage désagréable. « Mais arrête! » que je gueule finalement, au bon de ma patience; « Y’en a plein l’cul d’recevoir des branches en pleine gueule, après te demande pas pourquoi je te suis de loin! » ouais, je boude, ouais, on est comme des enfants, mais la prochaine fois je te fais un tackle, rien à faire que ça parte une émeute!

Franchement Vlinder, t’aurais pu trouver mieux comme séance rapprochement.