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Hugo était en retard. Eylian l'attendait depuis une dizaine de minutes dans sa tente, hésitant à aller le retrouver lui-même à Verpré au lieu de patienter ici. Après tout, il sortait de son job et devait en plus faire le chemin jusqu'ici après être repassé par chez lui d'abord – quoique, est-ce qu'il travaillait depuis son appartement ? – alors que, techniquement, il avait passé une commission. Est-ce que ce n'était pas plutôt à Eylian d'allait le trouver lui-même et lui apporter ?

Plus il restait immobile, plus il y repensait – et comme par magie, il finit par baisser à nouveau les yeux sur la bougie qu'il tenait entre les mains. Il l'avait récupérée le matin même auprès de l'une des Calléisiennes les plus agées de l'île, après l'avoir vue en train de mettre en forme son futur stand pour le parc d'attractions d'Ike Kai, le soir d'Halloween ; il l'avait aidée à franchir la faille scindant Harmon'île en deux, et elle l'avait remercié d'une bougie, avec quelques explications qu'il ne parvenait pas à se sortir de la tête. Elle allait les proposer gratuitement le trente-et-un décembre, pour permettre aux proches de suivre et accompagner l'âme des morts vers le repos – pour les apaiser et leur rendre hommage, car selon elle, le dernier jour d'octobre était celui durant lequel le voile entre le monde des vivants et des morts était le plus fin, et permettait de voyager entre les deux.

Eylian ne savait pas s'il y croyait. Il avait grandi avec toutes sortes de légendes et de dieux, enfant bercé dans trois cultures différentes ; les mythes s'étaient emmêlés, Xerneas pour Kalos, Arceus pour Sinnoh, Shaymin pour Floraville, et les mythes guerrières de Galar pour couronner le tout. L'ensemble existait, à ses yeux ; peut-être pas de la façon dont certains cultes ou certaines religions pouvaient l'imaginer, mais ces Pokémons avaient existé, existaient peut-être encore, et avaient été surpuissants, de la même façon que les Luminescents avaient veillé sur les anciennes populations de Lentis. Mais- la vie après la mort ? Un monde pour les morts, un monde pour les vivants ? Tout ça, il ne savait pas s'il devait y croire, ou s'il devait y rester sceptique ; il n'y avait pas de "preuve", pas de marque, pas de signe ; si c'était le cas, ils en auraient trouvé, non ? Ou du moins des connaissances et découvertes abondant en ce sens – mais d'un autre côté, face aux pouvoirs immenses des Pokémons, surtout Légendaires, qu'est-ce qu'eux humains savaient vraiment, au fond ?

Xerneas avait apparemment ramené à la vie des Pyrax pour en faire des Luminescents ; et puis, même en-dehors de ça, il existait bien un type Spectre, non ? Il était composé de fantômes ou d'objets hantés – est-ce qu'ils étaient des Pokémons normaux que les humains avaient eux classés en tant que Spectres, ou bien les légendes à leur sujet étaient-elles réelles, et certains avaient-ils été des hommes, un jour ? C'était pareil pour Aki, ou Bellum – Gaby et Kiya avaient l'air de croire dur comme fer au fait qu'ils étaient revenus à la vie l'année précédente, lors de la veille de novembre, dans le brouillard du cimetière d'Harmon'île. (Eylian se rappelait avoir vu d'étranges Pokémons, là-bas, oui, mais tout de même…) Peut-être qu'il y avait un voyage après la mort, au fond ; une nouvelle vie, un repos éternel ; peut-être rien, aussi. Il ne savait rien de ce genre de croyances, ne connaissait pas son propre positionnement, mais préférait garder l'esprit ouvert – (s'ils sont encore là, quelque part, est-ce que ça ne rend pas tout encore plus cruel ?)

Si Halloween était un temps d'accompagnement et de respect aux morts, il pouvait bien les aider avec une bougie – apaiser leurs esprits.

Lueurs dans la nuit,
Les minutes fuient octobre
Guidant les esprits.

Il ne l'avait jamais trop connu, mais il voyait l'impact de sa disparition sur sa famille, régulièrement – Jeremiah, le grand frère de Gaby et Nathaniel, qui aurait eu son âge, maintenant. Apparemment, il lui avait beaucoup ressemblé ; grand, né la même année, rouquin, couvert de tâches de rousseur. Gaby l'avait adoré – sa mort avait été terrible. (Personne ne devrait mourir si jeune ; personne ne devrait avoir à dire adieu à un ami, un enfant, un frère.) Si ça peut t'aider, sache que l'on pense à toi. Et, briquet à la main, Eylian approcha la flamme de la mèche de la bougie, avant de la regarder brûler, solitaire et douce au milieu de sa tente. Il irait en chercher une autre le jour même, pour réitérer le geste.

Tu leur manques, Jeremiah.

Une trentaine de secondes plus tard, la bougie était éteinte, un coup de vent ayant réussi à passer la barrière de sa yourte pour abattre sur la pauvre flamme toute la fureur des zéphyrs d'Harmon'île. Briquet à la main – tiens, d'où est-ce qu'il venait, même son briquet ? Eylian n'en avait aucune idée. Probablement de Romeo, à bien y réfléchir, puisqu'il éparpillait régulièrement ses affaires – il dut s'y reprendre treize fois encore avant de finalement parvenir à faire tenir la petite flamme de façon durable.

Chiyoko dormait sur sa table de bureau, étalée à côté de la commission faite pour Hugo, jolie Farfaduvet se cramponnant à une chaussette définitivement volée à ses tiroirs. (Il la reconnaissait, même – il la cherchait depuis une semaine, bon sang.) Elle s'agita dans son sommeil, renversant- Arceus, et Eylian tendit aussitôt le bras, mais – merde – ne put que regarder avec horreur son casque audio s'écraser sur le sol, heurter un coin de pied de table et se fendre en atterrissant finalement par terre. « ...Xerneas. » Le casque avait été vieux, mais tout de même, il aurait pu tenir encore quelques mois, voire quelques années. Eylian soupira, s'accroupissant pour ramasser l'objet avant de le reposer sur son bureau, à côté d'un morceau de pain posé à l'envers et de son vieux verre d'eau n'étant toujours pas passé à la vaisselle. (Sa faute.)

Et puis – clac.

Bruit sec, surpenant, inquiétant, presque ; il ne l'avait jamais entendu avant. Ca ressemblait à un craquement, une rupture ; Eylian pivota, perplexe. Okay – rien n'était tombé, Chiyoko n'avait pas bronché, Mitsu et Aki étaient toujours roulés en boule sur son coussin et jouaient avec le tissu à l'aide de petits cris adorables… Uh, est-ce que le pan de la yourte au-dessus de son lit avait toujours été aussi bas ? Oh, Arceus – l'une des sardines qui tenait la tente s'était rompue, pas vrai ?

Merde – et il fila hors de ladite tente, claquettes mal enfilées et les pieds effleurant l'herbe humide tandis qu'il faisait le tour jusqu'à l'endroit du problème. Il avait plu toute la matinée, et il bruinait encore, évidemment ; tout pour lui faciliter la tâche, hein. Okay ; où était le fil ? Et la sardine ? Le sol n'avait pas l'air retourné, mais sa yourte penchait bel et bien. Xerneas. Où est-ce qu'il l'avait enterrée, déjà ? Pas très loin de l'arbre à côté, non ? Okay, il – bruit d'envol. Eylian leva aussitôt les yeux, suivant la volée de Cornèbres qu'il avait manifestement alertés en s'approchant, puis finit par secouer la tête pour se reconcentrer. Focus. D'abord, trouver la sardine. Ensuite-

Douleur. Evidemment. Evidemment, il avait fallu qu'il trébuche sur cette fichue sardine, se recouvre le petit orteil de terre mouillée en plus de lui faire subir les foudres du métal, et manque de se prendre l'arbre en conséquence. Bon. Au moins, le problème avait été trouvé ; la sardine s'était décrochée, peut-être pas assez enfoncée. Etape suivante : récupérer son petit marteau, prendre le fil de la tente, et tout replanter.

À l'intérieur, ça n'avait pas l'air trop grave ; un pan était enfoncé, mais ça n'était pas non plus dramatique. En fait, il ne l'aurait peut-être même pas vu avant le soir – quoique, il n'était pas aveugle non plus. Okay – où était son marteau, déjà ? Avec les tournevis, dans la mini boîte à outils qu'il gardait, non ? Uh, est-ce qu'il la mettait sous le bureau ou sous le lit, d'ordin- Arceus, mais qu'est-ce que c'était que ça ?

Une ombre, flippante et immense, se dessinant au travers de l'une des parois de sa yourte ; s'étendant peu à peu sur tout un angle, accélérant son pouls et au dos comme arrondit ; comme portant une carapace. Eylian- respire, parce que ce n'était rien, juste son imagination, pas vrai ? S'il y avait vraiment un problème, il aurait entendu des cris (il les connaissait encore par coeur, même presque un an après) ; là, il n'y avait rien eu, alors quoi-

« Eylian ? »

Oh- Bon sang, okay, c'était Hugo.

« Yep !, » l'appela le cartographe, brusquement soulagé, se penchant pour ouvrir l'entrée de sa yourte et saluer son ami. Gros sac à dos sur les épaules – okay, c'était donc pour ça qu'Eylian avait cru apercevoir une tortue ninja ombreuse sur les "murs" de sa tente – et un imperméable vert pour se protéger de la pluie, le jeune homme le suivit à l'intérieur, admirant la pièce avec un sourire aux lèvres, et- …entreprit de se battre avec son parapluie, qui décida de se rouvrir deux ou trois fois au milieu de la tente avant de s'avouer vaincu et d'enfin rester fermé. « Désolé du retard, on m'a collé un truc à la dernière minute que j'ai dû finir en vitesse. » Eylian secoua la tête, souriant. « Pas de souci, j'avais pas spécialement de trucs prévus. » Hormis réparer sa yourte, apparemment. « Près pour voir le résultat ? »

Les yeux scintillants et un grand sourire aux lèvres, Hugo hocha la tête.

« Plus que près, oui ! J'pouvais pas me concentrer de la journée, j'tenais plus en place. » Eylian étouffa un rire. Ce n'était pas vraiment étonnant – Hugo était venu le voir deux semaines plus tôt, enfin, l'avait contacté par messages, lui demandant s'il prenait les commissions. Il n'en avait jamais faite, en fait ; il adorait dessiner, n'y était pas trop mal doué (l'image de l'expression de Romeo s'il l'entendait se qualifier de pas trop mal lui monta en tête, et il réprima un autre rire) mais ça ne lui était encore jamais venu à l'esprit de proposer de dessiner pour d'autres et d'y vendre son talent.

Il avait voulu faire ça gratuitement, puisqu'Hugo restait un ami, mais celui-ci avait insisté, arguant qu'il n'allait pas le voir pour un traitement de faveur, mais bien parce que son style de dessin était parfait pour ce qu'il avait en tête, et qu'il le paierait comme il aurait payé n'importe qui. Il était têtu, n'empêche – et Eylian n'avait pas trouvé d'argument à lui opposer, alors il avait cédé et demandé plus de détails sur sa commission, qui était- Franchement, vraiment adorable. (Félix allait être ravi. En tout cas, Eylian l'espérait – mais connaissant le bassiste, c'était presque sûr.)

« Uh, par contre, pourquoi t'es trempé ? » Ah, oui, c'était vrai. « Une sardine de ma yourte s'est défaite, et j'étais en train de choper un marteau pour la renfoncer avec le fil, » puis il avait vu une ombre cheloue, s'était fait tout un film, avant de brusquement se calmer en réalisant que ce n'était qu'Hugo. Il passa la deuxième partie sous silence, encore un peu self-conscious de la chose.

Hugo fronça les sourcils, inquiet. « Oh wow, ça risque pas de tomber ? » Normalement, non, sauf s'il passait plusieurs jours sans faire attention avant de se réveiller un sursaut, tout un pan de la tente dans la tronche. « Pas de suite, en tout cas. » Etrangement, ça n'eut pas l'air de satisfaire son ami. Peut-être parce que ce n'était pas la plus rassurante des réponses. Peut-être. « En vrai, tu veux pas que j't'aide à réparer ça ? Et ensuite tu me montres le résultat, et j'passe une heure à m'extasier dessus. » Heh. « T'es sûr tu vas savoir tenir ? »

Hugo haussa un sourcil, bras croisés. « Eh, j'ai hâte, mais j'suis pas un animal, non plus. Me compare pas à ton me- Uh, à ton semi-coloc. » Eylian refusa de commenter le lapsus (le fait qu'Hugo aie pensé que Romeo et lui étaient déjà ensemble lorsqu'il les avait rencontrés n'aida absolument pas la chaleur à lui monter aux joues, à son grand damn) et se contenta d'enfiler un imperméable, prenant cette fois une précaution supplémentaire avant de s'offrir aux aléas de la météo Calléisienne. « D'acc, alors chope ton parapluie et on y va, ça devrait pas être long. » Petit marteau et nouvelle sardine dans l'une des poches de son blouson, il s'éclipsa à l'extérieur, rapidement suivi d'un Hugo qui commença par glapir, ayant heurté l'un des pans de la yourte et s'étant pris tout une vague de gouttes d'eau avant d'avoir eu le temps d'ouvrir son parapluie et de mettre sa capuche.

C'était censé être une journée sympathique, avec un cadeau à offrir, un sourire à voir naître sur le visage d'Hugo – Eylian espérait vraiment que le dessin allait lui plaire, quoique ça serait tout de même assez étonnant que le jeune homme lui dise de but en blanc qu'il ne lui plaisait pas – mais voilà qu'ils se tenaient sous la pluie, capuches et parapluie essayant tant bien que mal de les protéger des trombes d'eau s'acharnant à leur tomber sur les épaules tandis qu'ils progressaient le long de la yourte en cherchant à dénicher la sardine s'étant décrochée. C'était déjà assez compliqué de tenir les tous outils dans ses mains en même temps sans les faire tomber (Eylian remercia ses années de dessinateur pour lui avoir donné la technique de tout coincer entre ses phalanges), mais l'humidité et l'averse n'aidaient absolument pas.

Derrière lui, quelqu'un (définitivement Hugo, donc) émit un bruit surpris qui ressemblait beaucoup à une chute rattrapée au dernier moment. Xerneas – à ce rythme-là, entre le sol boueux et les fils difficiles à repérer sous les nuages gris, ils allaient arracher plus de sardines qu'ils n'allaient en replanter. Et, si c'était possible, Eylian préférait garder sa tente en l'état. C'était plutôt sympa, d'avoir un toit – même fait de toile – sous lequel dormir et se reposer.

Essuyant son visage et les gouttelettes ruisselant sur ses joues tout en collant un peu ses cils à la peau, l'étudiant plissa les yeux. Normalement, ça s'était défait juste là, à quelques pas, devant. Oui, il voyait le piquet arraché, la terre retournée, les petites flaques se formant déjà autour (Arceus, ç'allait être infâme d'essayer de replanter le tout dans un sol aussi spongieux) ; et puis- une mélodie. D'abord presque parfaite, mélancolique, aux accents doux mais tristes, rapidement remplacée par un silence presque douloureux.

Un silence – une mélodie ? Qu'est-ce que c'était ?

Il s'approcha à pas lents, un peu perplexe, ignorant la pluie sur ses épaules. Là, juste à côté de la sardine arrachée, perdu dans un carton détrempé, quelque chose s'agitait. Quelque chose de grelottant, gelé, avec des- Oh. Avec des coquilles d'œuf éparpillées sur la terre autour de lui. Oh. C'était petit, c'était mignon, c'était- c'était même adorable, en fait. Eylian s'approcha lentement, un pas devant l'autre, ignorant l'appel interrogateur d'Hugo, dans son dos ; il tendit les mains vers la créature et esquissa un sourire. Cute. Une journée pas trop mal, en fin de compte.

C'était un Toudoudou : tout petit et adorable, à peine sorti de l'oeuf tandis qu'Eylian s'efforçait de le récupérer dans ses doigts, posant (et oubliant, soyons honnêtes) petit marteau et sardines sur le sol afin d'avoir la place de l'en sortir. Hugo s'était approché, penché au-dessus de son épaule, curieux (et trempé, un peu, aussi, le parapluie ne servant pas à grand-chose lorsqu'on le penchait de la façon dont il le faisait). « C'est un bébé ? » Le cartographe hocha la tête. « Oui – un petit Toudoudou. » Pourquoi est-ce qu'apercevoir un tout petit Pokémon le ravissait à ce point, il n'aurait pas su le dire ; mais c'était trop mignon, tout minuscule et pataugeant, désorienté, dans la boue, avec ces grands yeux le fixant comme s'il avait toutes les réponses du monde. Et il essayait de chanter, comme un réflexe, sauf que c'était maladroit, pas tout à fait ordonné, le rythme manquant, les notes parfois tremblantes.

(Est-ce qu'Eylian devait se sentir vexé que malgré ça, un Pokémon né depuis quoi, dix minutes, chante déjà mieux qu'il ne le faisait lui-même ?)

« Où est ta maman ? » Evidemment, le Toudoudou ne répondit pas ; Hugo avait pivoté sur lui-même pour chercher une silhouette rose, le chant d'un Rondoudou ou même de son évolution, sans succès. « J'crois qu'il est tout seul. » Tout seul ? Pourquoi – mais d'un autre côté, le carton avait bien été posé là par quelqu'un, non ? Et si c'était le cas… « Okay, je l'amène se réchauffer sous ma tente, on règlera l'histoire de la sardine plus tard. » Hugo hocha la tête.

Le Toudoudou était à peine récupéré qu'il se blottissait déjà dans ses bras, petite boule de fourrure rosée absolument adorable. Bon sang, Chiyoko allait à nouveau être jalouse – mais la créature était si petite, et si choute, et- …Yeah. Romeo allait soupirer, pas vrai ? Déjà qu'il passait son temps à le charrier sur sa tendance à recueillir tous les Pokémons tristes qu'il croisait (Aki et Mitsu en premiers exemples, même alors qu'il n'avait rien à dire lui-même, entre Diesel et Alew), s'il apprenait qu'il commençait à craquer presque automatiquement pour un petit chewing-gum rose (Eylian l'entendait déjà lâcher ça avec raillerie)...

…

C'était un problème pour un autre jour.

De retour sous sa yourte, Hugo agitant le parapluie pour en ôter les gouttes avant de l'accompagner, Eylian s'assit sur son lit, attirant l'attention d'Aki et Mitsu, lesquels s'arrêtèrent de jouer pour jeter des coups d'oeil curieux vers la petite créature que leur dresseur avait sur les genoux. À les voir trébucher dans les draps pour s'approcher, le jeune homme ne put retenir un sourire – Arceus qu'il les adorait. Et Romeo dirait qu'il aimait tout, tout le temps, mais comment ne pas le faire ? L'Amour l'étreignait dès qu'il observait son Togepi dépasser sa peur pour dire bonjour à un inconnu, lui enlaçant la poitrine de ses bras doux et chauds et posant son menton sur son épaule pour observer la scène avec lui ; elle serrait, parfois, presque trop fort, presque douloureuse, trop puissante pour lui, pour qui il était. Elle riait avec lui, presque trop vive et bruyante lorsqu'il passait un coup de fil à ses parents, à ses grand-parents ; elle le tirait par les bras et l'invitait à danser, à courir, à bouger, tout dépenser, lorsque ses pensées s'égaraient vers lui – elle s'agrippait à ses épaules, ses longs cheveux lui chatouillant les côtes et picotant ses joues, tout en le hissant vers le haut de ses larges ailes assurées.

Elle était constamment là, présente, ébouriffant les cheveux de Gaby lorsqu'al lui racontait une anecdote ou râlait à propos d'une autre, assise sur une racine tandis qu'il levait les yeux vers un crépuscule magnifique pour le reproduire sur son bloc-notes après un jogging un peu trop matinal, paisible et éternellement avec lui. Elle avait mille facettes, mais toutes brillaient ; et elle souriait, constamment, qu'il s'agisse d'une risette malice, d'un éclat scintillant ou bien de ce sourire triste qu'elle conservait même alors qu'elle plantait ses ongles sous son plexus et creusait, creusait jusqu'à lui donner envie de se plier en deux sans jamais pouvoir en arrêter l'hémorragie.

Elle était une telle partie intégrante de sa vie qu'il ne choisirait jamais de la renier, d'ignorer ses conseils – parce que le monde devenait toujours un peu plus beau lorsque l'on choisissait d'écouter ses murmures tendres.

Mouvement – devant lui, Hugo lui tendait une poche, contenant un paquet bien mieux fait que tout ce qu'Eylian pourrait un jour espérer réaliser (il avait toujours été une vraie bille en paquets cadeaux) avec un sourire aux lèvres. « Tiens. » Uh. Ils n'étaient ni en Décembre, ni en Février, date de son anniversaire. « ...Merci- mais, heu, pourquoi ? » En face, l'Anthois haussa les épaules. « C'était en plus du paiement, pour te remercier de la commission, mais elle a l'air de grelotter, alors ça lui sera sûrement utile, » et il désigna la petite créature d'un geste du menton, laquelle s'était pelotonnée, trempée et minuscule, dans le coude d'Eylian. Oh.

Avec un grand sourire, toujours un peu perplexe, il prit le paquet et entreprit de l'ouvrir.

Eylian semblait vraiment perturbé – comme si ça n'était pas normal qu'Hugo lui offre quelque chose pour le remercier. Il lui avait demandé ça un peu au dernier moment, deux semaines et demi avant Halloween, maximum, parce qu'il n'avait pas eu l'idée avant ; c'était normal de lui faire un cadeau en retour, non ? Et en plus, au début, il avait refusé qu'il le paye. Alors que n'importe quel artiste aurait demandé un prix pour leur art, ce qui était, ben normal, vu que c'était souvent leur boulot. Et d'accord, Eylian était cartographe, maintenant, mais il méritait quand même qu'on lui achète ses productions, pas qu'on en profite. Enfin, sauf peut-être Romeo, puisque de toute façon, les deux étaient déjà quasiment ensemble – alors, paiement ou pas, ça ne changeait pas grand-chose quand le chanteur pouvait l'inviter au restaurant le plus cher d'Ike Kai d'un claquement de doigts.

(Hugo ne mentionna pas le côté quasiment ensemble à voix haute. Romeo prenait une drôle d'expression chaque fois qu'ils se faisaient charrier sur le sujet, et Eylian lui jetait toujours un coup d'oeil un peu étrange. Il préférait ne pas creuser ça. C'était quelque chose qui les concernait eux, personne d'autre.)

Devant lui, Eylian ouvrit le paquet avec curiosité. Et son visage s'éclaira aussitôt – suivit d'un rire, sincère et amusé. C'était toujours si facile, de lui faire plaisir. Hugo n'avait même pas eu à se prendre la tête sur quel cadeau lui faire, alors que la commission qu'il comptait apporter à Félix le faisait encore douter. (Penser à son copain fit picoter quelque chose dans son estomac, et il se mordit la lèvre, presque sans réfléchir.) « Okay, j'adore le bonnet. » Hugo rit. « J'sais pas, j'ai vu le truc, j'ai pensé au fait qu'il commence à faire froid, j'me suis dit "ça, c'est pour Eylian". » Tricoté, en laine pâle et beige, avec un pompon au bout (okay, c'était peut-être fait exprès pour la blague, ça), le bonnet serait parfait pour lui tenir chaud aux oreilles. Enfin, pendant les jours où il ne serait pas en train de squatter chez son- chez Romeo. Kopadia ne semblait jamais affectée par l'hiver, tout comme Adamantia ne l'était jamais par l'été.

« T'as raison, en tout cas- c'est parfait pour lui, » et il déposa le petit Toudoudou gelé dans le bonnet, lui tirant trois notes ravies tandis qu'il s'y blottissait aussitôt, soulagé. Et puis- oh ? Il sembla hésiter, dévisageant la créature avant de finalement déposer le bonnet plus loin sur le lit et de se lever. « Allez, à ton tour. On va voir si la commish te plaît. » Oh – et Hugo se retint de bondir, se contentant de le regarder aller fouiller dans ses tiroirs pour en sortir un long paquet solide et plat, comme un cadre enveloppé de papier-cadeau (...plus ou moins – Hugo réprima un ricanement en se rappelant des rumeurs comme quoi le Calléisien ne savait pas se débrouiller avec les empaquetages). « Merci beaucoup, d'ailleurs ! » Et puis un pivot, quelques pas vers lui, et, et-

Hugo avait peur et hâte de l'ouvrir à la fois.

« Oh, c'est solide ? » Eylian haussa les épaules, souriant. « Ouais, j'ai ajouté un cadre pour pas qu'il s'abîme. Tu peux l'ouvrir maintenant ou bien le découvrir avec Félix, comme tu veux. » L'Anthois prit le paquet, hésitant. Uh. …Ouais, non, il était un peu trop anxieux pour oser tenter le sort et le découvrir en même temps que son copain. « J'vais voir là, en vrai. » En face, il sourit. « Parfait, comme ça, tu m'dis c'que tu penses du final et ce sera à toi de refaire un paquet. »

Hugo éclata de rire.