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Quelques notes de musique résonnant dans le casque, jolies basses en fond et un marmonnement inaudible pour en accompagner le rythme, Eylian tourna le crayon entre ses doigts pour en utiliser la gomme, effaçant rapidement un trait mal positionné avant de réessayer, les yeux décrivant une navette entre son bloc-note peu à peu usé et le parterre de fleurs qu’il avait déniché pendant son exploration rapide. Enfin, parterre n’était pas le mot - celles-ci poussaient presque en dépit de tout, pétales colorés de rouge et tachetés de noir s’efforçant de se développer entre deux troncs d’arbres si serrés que la tâche relevait de l’impossible.

Il était sorti pour reprendre son projet principal, un peu oublié les jours précédents - cartographier la zone, ou plutôt l’intégralité de Lentis s’il en avait un jour la possibilité, mais autant commencer plus petit - sauf que Calléis était si belle qu’il s’était déconcentré, mélodies familières en fond sonore et une flore incroyable sous les yeux. Jusqu’à finalement décider de s’asseoir, d’ouvrir son sac et de dessiner ; paysage et fleurs déterminés comme muses du jour, il avait fait défiler le papier jusqu’à une page libre, sorti une petite trousse de crayons et entamé sa tâche, recouvrant peu à peu le beige granuleux de gris argent.

Tout passait par l’observation, d’abord. Repérer les proportions, les angles, les détails qui formaient tout ; l’équilibre de la tige, de l’écorce en fond, et la manière dont les pétales, puis les sépales, étaient agencés. Ensuite, les quelques premiers traits ; essayer de bâtir le squelette du croquis, faire attention aux distances, à la perspective, les tailles et les formes - gommer, encore et encore, jusqu’à jauger l’échelle et la représentation suffisamment acceptables. Avec le temps, c’était devenu de plus en plus instinctif, et de plus en plus rapide. Maintenant, selon ce qu’il cherchait à immortaliser, ça pouvait prendre à peine une poignée de secondes - évidemment, c’était facile lorsqu’il n’y avait qu’un seul élément à prendre en compte.

Il faisait désormais le reste, traçait les vraies esquisses par-dessus le squelette, appuyait un peu plus le crayon, hésitait à passer au fuseau ; un vent soufflait, parfois, à travers les bois, agitant ses fleurs et l’obligeant à pauser sa tâche pour ne pas être forcé à effacer et redessiner constamment ; jusqu’à-

Chiyoko, qui l’avait suivi avec enthousiasme dans sa balade jusqu’à présent, finit par se lasser, flottant lentement jusqu’à son bloc-note pour s’y poser innocemment.

Eylian la fixa, puis ôta son casque, le laissant reposer autour de son cou.

« T’en as marre de rester là, c’est ça ? » Pas de réponse ; un simple regard implorant, une Doudouvet à l’air malheureuse, et il réprima un sourire. « Je finis juste mon- eh, » et elle s’envolait déjà, hors de portée, son carnet à croquis récupéré et maintenant hors d’atteinte, trousse et crayon renversés dans l’herbe sans vergogne. Xerneas. Affaires rangées en vitesse, sac refermé et appel lancé pour rappeler la petite créature, Eylian pressa le pas ; elle s’était éclipsée à coups de bonds flottants dans les airs, probablement ravie de sa farce.

« Chiyo, s’il te- » et puis un cri, «  » bien fort à travers la forêt, et- hein, le sursaut, l’incompréhension, jusqu’à tourner sur lui-même et- oh, apercevoir l’adolescente perdue, ayant manifestement hurlé, perchée sur une branche et le fixant. Merde

Oubliant son bloc-note, Eylian la rejoignit en plusieurs enjambées, levant la tête avec une pointe d’inquiétude. Au secours, avait-elle dit, non ? Est-ce qu’elle était coincée, est-ce qu’elle s’était faite mal ? « Tout va bien ?, » demanda-t-il sitôt suffisamment proche, examinant l’arbre rapidement. « Tu peux plus descendre ? T’as besoin d’aide ? » Et les yeux plissés pour mieux voir son expression - vérifier si elle grimaçait de douleur ou s’il s’agissait d’autre chose - Eylian posa son sac sur le sol une main contre le tronc, attentif.

Et- une seconde. Cette tête-ci, il la connaissait. Il ne l’avait pas vue depuis une éternité, ça, c’était certain, et ça n’avait été qu’une connaissance de Kalos, mais- Arceus, il ne s’était absolument pas attendu à la croiser ici. « ...Madeleine ? C’est toi ? »

Peut-être que l'appeler par son prénom, chose qui pouvait être surprenante venant de quelqu'un qu'on pensait être un inconnu complet en pleine forêt, avait été une mauvaise idée – l'instant précédent, la jeune femme s'efforçait de se préparer à- uh, sauter, il semblait ; l'instant suivant, elle trébucha, dégringolant le tronc. Xerneas- Eylian fit un pas en avant supplémentaire, tendant rapidement les bras dans l'espoir d'agripper un bras, une épaule, un genou, n'importe quoi pour éviter qu'elle ne se fracasse le crâne contre le- oof. L'épaule un peu douloureuse, mais la demoiselle récupérée à temps, il la déposa plus doucement sur le sol que ce qu'elle avait failli vivre, un sourire soulagé aux lèvres. Okay ; elle était peut-être tombée, mais au moins, elle n'avait rien de cassé. C'était le principal.

« Ma-Madeleine?! » Uh, oui ? Enfin, à moins qu'il se soit trompé de prénom ? C'était bien la petite championne de full-contact, qu'il venait de secourir, non ? Celle qui avait étalé des types deux fois plus larges que lui sans souci, malgré les regards ou les remarques stupidement sexistes que certains avaient eues en la rencontrant sur le ring, lorsqu'il faisait encore lui-même des compétitions, à Illumis ? Peut-être que ça faisait longtemps, mais il était quasi certain de ne pas se tromper- Ou alors, c'était quelque chose de semblable, du style, uh- Non, pas Mandarine, ça, c'était certain. Marylène ? Marie-Madeleine ? Mylène ? Marie-Hélène ? Ça finissait bien par le son ène, son prénom, pas vrai ?

« Lilian ! » …Lilian ? « Enfin Eylian ! » Oh, oui, okay. « Tu t’es aussi perdu en forêt, c’est fou comme c’est dangereux la forêt ! Et tu as pas mal changé ces temps-ci ! Enfin, pris en carrure, ça manque presque de confort! » Dis-donc, elle n'avait pas changé, en tout cas pas s'il se fiait à ses souvenirs. La confiance en elle débordante, et aucune hésitation à prononcer le fond de sa pensée. Lâchant un rire, il s'écarta pour s'étirer la nuque, l'épaule encore un peu douloureuse – enfin, pas pour prétendre qu'elle était lourde, loin de là. « Nope, j'suis pas perdu, » répondit-il, un brin amusé. « Je vis à Calléis, uh, depuis Juillet- Je connais le coin. » Peut-être pas si bien que ça, ou qu'un nouvel arrivant le devrait, surtout qu'ils étaient effectivement bien paumés au milieu des arbres ; mais il avait passé suffisamment de temps à repérer les environs, cherchant quelques futurs repères de cartographie pour son projet un peu trop titanesque de cartes de Lentis, qu'à force, il avait au moins retenu les parages les plus proches de son île d'accueil.

Le reste de l'archipel, c'était une autre histoire.

« J'imagine que j'ai changé, ouais- ça fait quoi, deux ans ? Trois ? Plus ? » Il avait un peu de mal, parfois, avec les dates ; ou avec le temps passant, aussi. Néanmoins, ça ne devait pas non plus faire si longtemps ; il ne l'avait pas croisée avant la fac, ça, il en était certain. Et puis, combien avaient-ils d'écart, cinq ans ? Elle devait encore avoir été en primaire lorsqu'il commençait le lycée – bref, ça n'était pas important. « Tu t'es pas fait mal, d'ailleurs ? Tu t'es bien cassé la figure, » ou bien avant, peut-être ; puisqu'elle s'était perdue. « Désolé de t'avoir appelée sans prévenir, j'imagine que c'était inattendu. »