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TW et CW du topic - consommation récréative d'alcool + allusions et gestes sexuels + conduite à risques + mentions de mort + kinda jeux d'argent ?

Nuage de fumée opaque recraché dans l'air frais de la soirée - elle s'éparpille au vent, dans la brise haptaise qui souffle sur les quartiers oubliés des fraîcheurs descendues des dunes. L'animation est à son comble, ce soir - foule pas si dense mais agitée d'une euphorie exaltée qui t'entraîne malgré toi.
Adossé contre la caisse qu'on t'a prêtée pour la soirée, manches de ta chemise retroussées, cheveux éparpillés sous un bonnet léger, bracelets cliquetants aux poignets et acier d'une bague tapant la cadence des basses - son lourd qui s'élève des véhicules tunés aux coffres ouverts - contre le verre de ta bière, tu laisses ton regard couler sur l'ivresse générale qui compose toujours ces instants-là.
La tête qui dodeline en rythme, tu portes le goulot à tes lèvres pour avaler une gorgée plus si froide, plus si piquante non plus. Une hésitation, une grimace, amertume, tu renverses la tête et termines d'un trait.

Bouteille abandonnée dans le premier sac plastique qui déborde, bouffée nicotinée sur une cigarette déjà trop entamée et cendre éparpillée plus tard, tu t'enfonces entre les anonymes et les familiers ; les visages connus et ceux qu'on n'a jamais vus.
Folie douce - tu te laisses porter, léger, par les tumultes des moteurs qui grondent, les éclats de voix, la musique qui frappe, frappe, frappe, les entrechocs des canettes en verre ; tu vogues d'un groupe à l'autre, salues, heurtes poing contre poing, rend quelques étreintes, murmures quelques provocations bien dosées ponctuées de sourires espiègles et de clins d'œil équivoques avant de t'échapper.

Tu surprends les paris, charries les mises pour inciter les frileux à griller quelques billets supplémentaires, tu t'amuses de leurs hésitations, de leurs regards méfiants, pariez pas sur moi pour distiller des doutes et des erreurs - et des rires en travers de ta gorge. Une ou deux courses ? qu'on te demande, et tu hausses les épaules en écrasant ton mégot, on verra si j'survis à la première, et sourire plus grand, et les prunelles lumières, comme si ça ne comptait pas vraiment - et puis tu repas à la dérive, chaviré à l'envie, appelé par l'effervescence de tous les côtés, la démarche papillon égaré mais l'attitude roi du monde et terrain conquis.

On annonce le départ prochain de la première course - tu n'as le temps que de quelques pas en avant avant que tes prunelles n'accrochent, dans le halo des phares, une silhouette qui rappelle à ta mémoire quelques images, à ton corps quelques sensations fantômes. Un sourcil haussé, une stupeur brève - tu lui emboîtes le pas, presses le tien pour la rejoindre.
Distance abolie, ton bras entoure les épaules de la jeune femme - geste à la familiarité déplacée, signature de ta personne. « J'me disais bien qu'j't'avais r'connue, » sourire gaieté, sourire surprise, « j'avais pas qu't'étais finalement entrée dans le club très très sélec' des prévenus. » Des pas qui dévient dans les allées sablonnées. « Tu dates, » et petits éclats qui s'amusent au fond des yeux, « tu m'as brisé l'cœur quand t'es partie sans m'laisser ton numéro. »

Un regard croisé - ses yeux sont toujours aussi bleus, même dans les clairs-obscurs d'une nuit tombée depuis longtemps -, une risette pour contredire les mots - vous saviez tous les deux pourquoi vous étiez chez toi, et peut-être même qu'après cinq mois révolus, il y a prescription sur les matins abandon - et puis un mouvement de tête vague en direction des glacières pleines de bières. « T'en veux une ? » Tu te penches pour cueillir deux canettes ; froides et trempées par l'eau des glaçons fondus depuis longtemps.
L'une tendue dans sa direction, un rictus au bord des lèvres, un sourcil haussé - une curiosité dans tes traits. « Pourquoi t'es là ? J'croyais qu't'avais pas l'permis. » Et tes prunelles qui interrogent déjà, portées par tes rêves de perdition - est-ce que tu accepterais de tout risquer à mes côtés, si je te le proposais une deuxième fois ?

Avant l’été - une demi-éternité. Mémoires un peu floues, images couleur de nuit et clairs-obscurs envoûtants - sensations feu et fièvre ; son parfum te ramène, de loin, à tes lèvres qui goûtaient sa peau et au résidus de son souffle contre ton cou, souvenirs de tes doigts contre sa gorge et de la chaleur de son corps prisonnier du tien. Des étincelles dans les idées, pour plus tard, des intentions évidentes, on pourrait recommencer.

Tu décapsules la canette froide et trempée qui te gèle déjà les doigts et la portes à tes lèvres - combien en as-tu alignées depuis que t’es arrivé ? Une gorgée - toujours pas le moindre signe d’ivresse ; pas le moindre indice d’une alerte entamée.
On te dirait sûrement de ne pas boire avant de prendre le volant ; encore moins, peut-être, quand ta vie tient sur le fil d’un réflexe et d’une fraction de seconde près - mais, s’ils savaient combien de verres il te faut, aujourd’hui, pour ressentir le moindre effet, ils glisseraient d’eux-mêmes les cinq prochaines bières entre tes mains.

(Tu oublies, parfois, qu’il ne suffit pas de se sentir entamé pour l’être ; que chez toi les sensations sont altérées par l’accoutumance mais que ton corps réagit toujours aux substances qui endorment sa vigilance.)

« Moi non. Mais toi, oui. Ça serait dommage que t’aies déjà un co-pilote. » Une stupeur sincère, un « Oh, » un peu instinctif sur le bord des lèvres, et puis les braises, dans tes yeux, qui s’allument un peu - avides. Affamées. « J’pensais pas qu’t’oserais. »
Un pas en avant - proche, trop proche, ta main libre s’aventure sur sa hanche, contact léger. « J’avais presque oublié à quel point t’es joueuse, » boutade enjouée, les prunelles qui défilent sur ses traits et se rappellent de son visage dans la pénombre d’un salon que n’éclairait que la lune - lueur blafarde sur peau pâle et paupières closes, corps tendu sous l’assaut des vagues brûlantes et des soupirs éparpillés.

Pensées tortures - tu mordilles le fermoir du barrel à ta lèvre et avales une gorgée froide dans une tentative de chasser les idées ; celles que tu nourris toi-même l’instant d’après, penché à son oreille. « Ça m’plaît. » Un murmure rauque contre son lobe, tes lèvres qui effleurent sa gorge, un instant - ton souffle qui s’y égare et puis un baiser, contre la carotide. « T’as des plans pour après ? » sur le même ton - chuchotement brûlant, murmure invitation.

Quelques dizaines de mètres plus loin, son strident et pétarade de moteurs montés dans les tours, crissement des pneus et exclamations enjouées. Tumulte des klaxons, nuage de sable balayé par la brise et quelques grains vous atteignent, qui te font plisser des yeux par réflexe même si tu cilles à peine - habitué au bruit ambiant.
« Tu veux aller voir ? » Tu te redresses sans t’écarter, juste assez pour porter le goulot à tes lèvres et laisser tes yeux courir sur elle et puis plonger dans les siens.

Des envies de répéter les vices d’une autre nuit - t’es pourtant pas de ceux qui se risquent aux encore une fois les corps consommés ; parce que c’est dangereux, parce qu’on finit toujours blessé, tu le sais, alors tu fuis, tu évites les redites, tu te dérobes à toutes les chances de recommencer. Pourtant, cette fois, c’est dans tes yeux que se rallument en premier les cendres d’un désir déjà consumé - alcool chauffé à blanc que t’aimerais bien distiller dans ses veines à elle aussi ; qu’elle se perde à tes côtés, loin, loin comme vous vous y êtes déjà emmenés.

À quel moment l’as-tu laissée faire chavirer tes idées ?

CW - allusions et gestes sexuels.

Un éclat de rire et des images qui superposent ; personne a des dizaines de visages, des dizaines de peaux, des dizaines de voix et des dizaines de soupirs, des souvenirs flous et souvent altérés par les substances consommées, les verres descendus, les pilules avalées. Des résidus de picotements sous la peau, petites vagues de chaleur qui commencent dans le ventre et un peu plus bas.

Les soirées, les concerts et leurs afters - tu fréquentes trop d’endroits où l’on s’oublie pour rentrer souvent seul le soir. Tu habilles la solitude de compagnie pour ne pas qu’elle te ronge, parce qu’elle ne te ressemble pas mais qu’elle t’aime plus que tu l’aimes - le silence de ton appartement, en sa présence, prend des airs de purgatoire à la nuit tombée.

« Ni l’un, ni l’autre, » tu minaudes, les intonations lentes et marquées de ton accent venu d’ailleurs, de loin, de terres de plus de pluies que des chaleurs étouffantes qui vous entourent et où dansent particules de poussière et de sable. « J’suis juste opportuniste, » habile à saisir les occasions, à ne pas laisser filer les possibilités entre tes doigts quand elles se présentent de cette façon-là - sous les traits d’une semblable à la présence un peu hypnotique, aux grands yeux bleus, brûlante et probablement douée d’un peu plus d’esprit encore que toi.

Ses doigts filent - électrochocs éparpillés sur leur trajectoire, des rappels de comme ses empreintes dansaient sur ta peau nue quelques mois plus tôt. Proximité en appel - tu bascules en avant sans broncher pour plonger dans son souffle, ta main toujours contact invitation sur sa hanche qui se resserre d’un rien, sur les vêtements et ce que les tissus dissimulent encore mais que les clairs-obscurs de ton salon ont déjà sublimé.

« Garde le contrôle. » Les yeux dans les yeux ; ton inspiration coince un peu en travers de ta gorge, une seconde - rappel presque douloureux qui jettent tes dents en quête du barrel à ta lèvre tandis qu’elle recule d’un pas. Garde le contrôle - du véhicule, tu comprends ; mais les non-dits mémoires font leur effet (ton self-control ou rien dans les idées).
Images bleues et sensations fantômes - tu portes le goulot de ta bière à tes lèvres dans l’espoir que deux gorgées froides t’ancrent sur le terrain vague investi par les caisses pimpées.

Une inspiration, un rire un peu rauque, et tu tends le bras pour l’inviter à se glisser sous ton étreinte habituelle - geste familiarité dont on ne t’a jamais défait. Quelques pas, direction la piste improvisée, et tu te penches dans sa direction, sans la regarder, les prunelles jetées en avant et le sourire au bord des lèvres - éternel. « J’en connais une qui va prendre cher, » un peu provocation, un peu rire, promesse ou menace, un peu des deux, un peu de tout.

Tu sillonnes, jusqu’au bord de la piste - tu fends la petite foule rassemblée pour te tenir au plus près et, par habitude, tes prunelles sont à la recherche de l’éclat des phares, au loin. Le bruit des moteurs résonne encore, se répercute contre les tours des immeubles dispersés, s’étouffe dans les cris, les sifflements et les musiques qui s’échappent de toutes les enceintes poussées à fond dans votre dos.

Le paysage est une obscurité tranchée par la clarté blafarde de la lune, quelques groupes d'âmes amassées et qui chahutent dans les recoins d'herbe gorgés de sable. Les phares des véhicules exposés derrière vous dessine vos propres ombres en avant ; de loin on vous verrait en ligne humaine noire sur fond blanc, contre-jour éclaté. Aux balcons des HLM, quelques curieux pour observer.

« Pas encore croquée par un Mangriff, donc. » Un coup d’oeil en biais, une risette. « T’en as finalement marre d’être en vie, ou tu fais juste assez confiance à ma non-envie d’canner pour grimper avec moi ? » Même moi j’trouve ça plus marrant d’m’en tirer vivant.
Pas lassé de défier les Dieux ni les chiffres - tu continueras de faire mentir les statistiques.

Tu lèves ta bière déjà bien entamée dans sa direction. « À tout ce qui déconne chez nous ? » Un rappel, encore - un autre jeu, un peu moins feu, un peu plus gris ; parce qu’avant de cambrer vos corps vous avez parlé de mort, drôle de combustible à vos cendres déjà consumées.

À tout ce qui déconne (encore) chez vous et qui ne vous a toujours pas tués - ton point-virgule pas encore menteur -, tu bois. Une gorgée pour elle, une pour toi - et une pour cette soirée à risquer sa vie sous prétexte de la célébrer.

Elle parle de mort - et tu souris. Quand tu trinques à ces vies qui pourraient s’éteindre ; à la tienne, et puis celle que tu pourrais entraîner dans la spirale égoïste de ta fin - tu souris. Tu souris au bord des vides, au bord d’une piste, d’un virage où la moindre perte de contrôle pourrait vous être fatale aussi.
Sauter ensemble, plonger ensemble, mourir ensemble, finir en cendres - vous pourriez mourir ce soir. De tant de façons différentes, et sans même la moindre pulsion brûlante dans les veines, sans la moindre extase, sans la moindre adrénaline - vous pourriez mourir en spectateurs, pour vous êtes trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

L’idée t’effleure - tu ne recules pas.
En premier ligne des peut-être ; ici, il n’y a pas de barrières pour vous préserver des dommages.

La nuit vous appartient - qu’elle nous dise ce qu’on devient.

Les bruits des moteurs, au loin, ne sont qu’une sentence irréelle ; qu’un glas trop abstrait pour que sa menace ne t’atteigne vraiment. Les poussières que soulève leur passage attire ton attention par dessus ta canette. Un regard sur ta droite, en direction de l’écran du portable d’un type, branché sur le live d’un probable spectateur de là-bas, de l’autre côté, te donne une vague idée du déroulé des évènements. Derrière vous, les paris s’emballent - certains maugréent et tentent de négocier, certains doublent ou triplent.

Le sourire, sur le bord de tes lèvres, s’élargit d’un rien.
Il suffirait d’un coup de volant pour renverser les certitudes qu’ils ont que les jeux sont déjà faits.

« Pas d’autre point-virgule, » tu lances, haussement d’épaules bref en guide de ponctuation. « Pas trop d’humeur à monter des plans pour m’rater, » une risette et un coup d’oeil en biais.
Pas trop d’humeur à mourir, ces derniers jours, non plus ; c’était compliqué la semaine dernière, la tête bien dans l’eau mais la volonté de croire qu’aussi loin que supporte ton corps, ou même plus loin s’il le faut, tu continuerais de reculer ton heure, de soudoyer le passeur, mais la dernière petite centaine d’heures écoulée tient des rebords d’un rêve un peu moins amer. Des mois à t’imaginer rebondir et tu l’as enfin fait - ton album dans les bacs, complet, ton coeur, ton âme et tes triples sur des accords épuisés.

Un feu, presque nouveau, que tu refuses de laisser mourir dans tes veines - le songe incertain que la vie mérite quelquefois qu’on l’aime.

Tu l’as fait.

Une autre gorgée, un peu froide, un peu piqûre sur la langue et le palais. « Uh… Well, avec un peu de magouilles, carrément. » Tu fronces le nez - quelques airs un peu fripon, un peu espiègle, plus garçon joueur qu’homme accompli. Les odeurs d’essence - le tumulte des moteurs rugit plus fort que ta voix, soudainement, alors tu te tais.
Tu te tais quand les véhicules, apparus à l’angle d’un virage, une centaine de mètres plus loin, foncent en ligne droite dans votre direction. Par prudence, quelques uns s’écartent, reculent ; vous n’êtes qu’une poignée à ne pas bouger, immobiles sur l’allée sablonneuse, comme offerts en pâture aux coups du sort.

Il faudrait savoir mettre fin à tous ces regards éteints, à ceux qui embrassent l’idée de la fin avec la même sérénité placide que vous. Ton coeur s’emballe d’un rien, prisonnier de la cage fragile de tes côtes - tu te demandes, le temps d’un souffle, si ton corps s’écarterait par réflexe. Si ton instinct de survie reprendrait le contrôle de ton être, une seconde avant l’impact - ou si la volonté suffirait à te garder immobile quoiqu’il arrive.
Les carrosseries luisent sous l’éclat des flashs et des lampes - reflets hypnotisants. Tu fixes des yeux les lumières sans te détourner, tu contemples avec l’air de ceux subjugués par la beauté dangereuse qui finira par les condamner. Ce qui brille est un leurre, ce qui brille peut fondre au soleil, ce qui brille peut tuer.

Virage.
Les véhicules font une embardées sur votre droite, soulèvent un nuage de poussière et de sable qui t’oblige à lever un bras pour t’y soustraire, les yeux plissés et le souffle un peu court.
Quand tu regardes par dessus ton épaule, ils sont encore plus nombreux à s’être écartés - et ton sourire s’élargit encore, rien qu’un peu. Aujourd’hui j’ai peur de vivre, demain j’aurai peur qu’on m’oublie alors, tant pis, ce soir tu fais de toi celui qui reste, qui dérange, qui inquiète ; roi infernal des délices de savourer les moments d’une vie que tu étais prêt à perdre l’instant d’avant.

Un regard en biais, de l’autre côté - quelques âmes éparpillées et tu te demandes, un instant, pourquoi ces gens persistent à vouloir mourir ; qu’est-ce qui les pousse à rester, qu’est-ce qui les garde face au danger.
Qu’est-ce qui les empêche de fuir quand la mort menace de les faucher ?

Quels sont leurs Mangriffs et leurs points-virgules ?

Drôle de rire en travers de la gorge ; si nombreux dans la poussière, atmosphère électrique et, par moment, des sentiments de symbiose et de grandeur complémentaire, seulement regarde comme on est seuls, comme ça veut rien dire, comme on aurait pu mourir ici et qui se serait rappelé de nous cette nuit-là ?

Une inspiration, un soupir - tu ris un peu plus fort. « J’sais plus c’que- Ah, si ! Oui, la thune, uh… » Tu reprends comme si tu n’avais jamais été interrompu. « Perso on m’prête des caisses. J’roule pour eux, parce qu’ils ont la trouille d’le faire eux-mêmes. En échange on m’refile une partie des gains des paris, » tu hausses les épaules, tu bois - un peu amusé, un peu nonchalant. « T’auras qu’à la récupérer, la thune, ce soir, s’tu veux. J’en ai, genre, vraiment pas b’soin, » proposition sans feu.

Les moteurs rugissent de plus belle, dans une nouvelle embardée qui les éloigne.

« Okay, pendant qu’ils partent pour l’second tour, tell me… » Tes prunelles cherchent les siennes. « Si on est encore vivants en passant la ligne d’arrivée, j’aurai l’droit d’connaître ton prénom ? » Vivants.
Pas de grande promesse, seulement vivre ce qu’on peut vivre, rester libres, et pourvu qu’tu m’suives.

« Parce que moi j'ai l'air d'en avoir besoin ?
– T’en as probablement plus besoin que moi, tu rétorques, l’intonation jeu et les prunelles posées sur elle. »

Parce que c’est vrai, parce que c’est comme ça ; parce qu’elle n’a jamais fait mention de toi, jamais fait mine de te connaître, parce qu’elle ne connaît pas ton prénom, parce qu’elle n’est pas de ton milieu (tu connais un peu trop ceux qui gravitent dans ton art) - elle pourrait être d’un autre, d’une autre sphère de gloire et de richesse, elle pourrait être un simple nom fortuné, aussi, sans d’autre fierté que celle d’être née dans le bon berceau… Mais elle n’en a pas les attitudes, la posture, les gestes ni le parler - quoiqu’elle pourrait tout avoir des rébellions risibles des enfants lassés de leurs prisons dorées.

« … t'essayerais pas de m'acheter, par hasard ? » Tu lèves les yeux au ciel, ta bière portée à tes lèvres et une gorgée peut-être plus si fraîche avalée, tu grimaces et tes paupières se plissent avec accusation et perplexité. « Comme si j’avais b’soin d’ça, » tu lâches à voix basse, tes intonations couvertes par le ronronnement lointain des moteurs grimpés dans les tours, tandis que ton regard s’égare à la dérive. « Si gagner implique de me donner l'argent des paris et de connaître mon nom, je dois considérer que tu pourrais payer pour que je te le dise ? » Tes prunelles reviennent chercher les siennes, se verrouillent au fond de ses iris bleus.

« God, » un souffle, quelque part entre le rire et la complainte, « tu sais quoi, j’garde la thune, » tant pis pour toi, « et puis garde ton prénom, tant qu’à faire, » et un pas de côté, dans sa direction, « j’continuerai d’t’appeler la fille aux Mangriffs dans ma tête. » Parce qu’il n’est question que de ça, que des dangers qui vous définissent, que de vos travers, que de vos ruines - vos adrénalines et vos dégringolades à venir.

Les véhicules font une nouvelle embardée à quelques mètres de vous, dans un tumulte de crissements de pneus et de hurlements de moteurs dans la nuit, des ovations qui vous entourent et un déchaînement de cris et de sifflements lorsque la ligne d’arrivée est franchie et le drapeau à carreaux secoué dans les airs sur le bord du circuit. « It’ll soon be our time to shine, » tu minaudes, le sourire aux lèvres, en célébrant l’impatience d’une gorgée. L’instant d’après, d’un geste de tête, tu lui intimes de t’emboîter le pas et contourne l’attraction de l’instant pour t’enfoncer un peu plus loin sur le terrain.

Ta monture se tient là - blanche et trop rutilante pour la promesse de sable et de poussière des courses haptaises. Une pression sur la clef prêtée, les portières déverrouillée, tu te glisses sur le côté de la voiture pour ouvrir celle côté passager et croiser les bras à son sommet. Tes prunelles posées sur la jeune femme à tes côtés, tu lui désignes le siège d’un coup d’oeil, un rictus accroché aux lèvres. « Votre carrosse est avancé, milady, » tu lances, des espiègleries dans la voix.

« Si t’es toujours sûre de toi. »

Et tu tends ta bière en avant, par dessus la portière - pour trinquer une dernière fois ;
à la vie, à la mort - à ce que les Dieux et les cendres voudront faire de vous…

(de toi.)

Le tintement verre contre verre, presque inaudible dans le tumulte ambiant, comme une ultime sommation ; renoncez ou tremblez, vacillez sur le fil, (jouez de vos vies les quelques secondes d’adrénaline arrachée au danger de tout y sacrifier). « Qu’est-ce que je risque ? » Un rire, sur le bord de tes lèvres ; tu y portes le goulot pour t’y noyer une dernière fois, baiser empoisonné pour te soustraire aux dernières chaînes qui te retiennent du côté du public insouciant. « Tout. » Tu vises et lances la bouteille depuis ta position ; elle rebondit dans un fracas sonore et puis plonge dans le sac en plastique. « Rien ? Va savoir. »

Un haussement d’épaules plus tard, le véhicule contourné d’un pas grisé et un peu dansant, porté par le bruit des basses et des cris et les voix qui annoncent les prochains concurrents - ton nom tonne et soulève quelques acclamations familières, qui creusent ta fossette de la satisfaction des conquérants - tu tires la portière et t’installes sur le siège, sans la refermer tout de suite sur ta gauche.

« Si je meurs, et dans l’hypothèse où tu survis, fais moi plaisir : Te fais pas tatouer un Mangriff en souvenir de cette fille dont tu as le sang sur les mains. Va plutôt les divertir à ma place. » Et- Et un rire, léger, qui éclate dans l’habitacle avec la simplicité des drames qui ne t’atteignent pas - comme si c’était une plaisanterie légère plutôt qu’un ultime avertissement (si la taule plie, brise-toi aussi). « J’irai leur dire bonjour de ta part, si ça arrive, ils vont kiffer, » et tu tends la main dehors, à l’attention d’un type qui te connaît bien - il approche et tient déjà sa pièce entre les doigts.
« Mais j’espère que si j’me foire j’crève ici, ce sera plus spectaculaire. » (J’veux pas disparaître en silence ; un fracas ou la vie).

La pièce saisie sans un mot, le rituel évident, rebond simple entre les doigts, pile et une risette marquée, un soupir, la pièce rendue et la portière enfin fermée, tu tires sur la ceinture pour la boucler. « Le hasard a décidé… » (Tu te joues des incendies.)
Moteur ronronnant, phares allumés, frein levé, tu t’engages en direction de la ligne de départ, où ton adversaire du soir t’attend déjà. Caisse sombre, quelques chocs sur la droite, les jantes pleines de sable - un peu d’espoir quand tes yeux se lèvent en direction du conducteur mais qu’un brin de déception quand ils n’accrochent pas la silhouette du seul concurrent à la hauteur que tu aies jamais croisé sur les pistes lentoises.

Une inspiration, tandis que la midinette en short, crop-top et casquette s’avance au milieu de la piste - t’as jamais trop compris l’intérêt, mais ça fait kiffer les badauds dans les fossés (et même toi, tu laisses tes prunelles traîner sur les parcelles de peau dévoilées).
Un rappel la voix forte - deux tours ; un troisième si le doute persiste d’un vainqueur un peu trouble, ton attention bascule sur ta passagère plutôt que d’écouter ce que tu connais déjà par coeur. « T’as peur, toi ? »

Toi tes mains tremblent - toi c’est tout ton corps sous tension, des bouillonnements dans les veines et des électrochocs dans les nerfs ; toi c’est tout ton être qui hurle la fuite et puis le plongeon, tout à la fois et puis son contraire (l’instinct de survie qui se heurte aux appels du vide permanents).
Trois- ça résonne par dessus le désordre, et même malgré la vitre fermée.
Deux - le moteur qui gronde, sur ta gauche ; et tu presses la pédale pour faire rugir dans les tours, réponse et provocation.
Un - et les phalanges resserrent leur prise sur volant, tu serres les dents mais tu souris.

Le départ soulève un nuage de poussière et de sable dans votre sillage - c’est tout le véhicule qui proteste une seconde et puis s’offre à l’irrégularité de la piste improvisée. Le bruit monte dans les aigus - bientôt, les visages sur le bas-côté filent trop vite pour les discerner, les sons du rassemblement s’étouffent, loin derrière, et il ne reste plus que les étendues lointaines et le grondement sourd des moteurs comme des orages médisants.
L’embardée du virage, presque coupé par l’autre véhicule qui vous précède d’un rien, vous jette sur la gauche - ton épaule se heurte presque à la portière, un rire t’échappe (tu perds le fil des instants ; quelques secondes ou une heure toute entière - ce sont les lumières des phares tout autour qui t’indiquent le premier tour achevé).

Et il est toujours là, toujours devant - de peu, de si peu que ç’en est insolent ; ça attise tes brasiers jeu, ça nourrit le feu de tes compétitions. « Accroche-toi » lâché entre tes dents - pas un regard dans sa direction, les prunelles dardées sur la piste et tout l’être qui aspire au contrôle du moindre des soubresauts.
Le souffle un peu court, comme en apnée - c’est à l’aube du dernier virage que tu lances la nouvelle impulsion. C’est toute la carcasse du véhicule qui donne l’impression de trembler, de lutter, (putain de caisse de merde) mais les mètres avalés et le virage en ligne de mire - tu dépasses l’autre par la gauche, presses, presses, respires (allez, allez, allez) et le rappel, un peu lointain mais un peu glace, (j’ai quelqu’un à côté) mais pas le moindre geste d’hésiter, (si j’me foire elle prend de plein fouet) et le dernier élan et-

Tu braques.
Ça glisse dans le sol meuble, ça dérape, tout l’acier proteste et s’abîme, s’enraille sur les grains de sable glissés sous le capot - l’autre, la route coupée par ton audace, tourne le volant pour t’éviter ; et c’est de justesse, de si peu, ça vous frôle côté passager comme un (peut-être) en suspens. Le tête-à-queue l’immobilise et toi tu files, les respirations lourdes et (j’l’ai fait) en décharges exaltées, un éclat de rire en travers de la gorge - tu te donnes même le loisir de ralentir pour franchir la ligne d’arrivée, et laisser le kilométrage mourir sous ton pied, le volant lâché et la tête renversée contre l’appui.

Ton inspiration est de plomb - profonde et un peu tremblante, elle s’étouffe dans un mélange de ricanement victorieux et de toux asphyxiée. Les mains agitées, tu décroches ta ceinture et renverses la tête en direction de ta passagère, tandis que, de l’autre côté de la vitre, l’autre conducteur franchit à son tour la ligne d’arrivée. « Verdict ? » La voix rauque et un rictus, et des étincelles fauves au fond des yeux. « C’était à la hauteur de tes Mangriffs ? »

« J’ai jamais vu un Mangriff d’aussi près. » Et- Et un rire, absurde, les décharges d’adrénaline qui retombent et te font tourner la tête - ça continue de picoter sous ton épiderme, de battre son plein sous tes côtes, dans tes veines, tumulte à tes tympans frappés des coups de sang. Les images sont floues - t’as pas eu tant de passagers, dans ta vie ; t’as pas misé tant de vies à tes côtés, ça se compte sur les doigts d’une main et ce sont parfois des visages aimés, Meera il y a longtemps, Jill parfois, et puis des anonymes ou presque, pour l’extase et l’amour du risque de ceux (celles) que le quotidien ennuie.

Elle fait partie de ceux-là, anonyme mais pas étrangère, de celles qui ne plantent leurs racines que dans les terreaux des insolences qu’on jette à la vie, doigts d’honneur adressés aux statistiques tant qu’on n’en fait pas partie. Elle fait partie de ceux-là ; de ceux qu’on croise la nuit, sur des bords de route sans barrières, offerts à tous les dangers pour un frisson, pour une sensation d’exister - tu connais ;
(t’es l’un d’entre eux aussi).

« Nyna, » elle lance, dans le silence sourd de l’habitacle, et tu cilles une seconde. « Je m’appelle Nyna. » Nyna, Nyna, Nyna, Nyna je ne t’oublierai pas, tu n’oublieras pas le bleu de ses yeux, le cri d’extase jeté dans les rugissements du dernier virage, l’éclat que l’adrénaline a fait brûler dans son regard - tu n’oublieras pas, ces poignées de minutes au-dessus d’un vide indomptable.

Les doigts glissés dans les mèches de tes cheveux pour les repousser et dégager ton front, tu libères un soupir et relâches tes épaules. Dehors, le bruit bat son plein - des tonnerres de cris et de sifflements, familiers, qui creusent un peu plus ton sourire malgré toi. « Et maintenant ? J’imagine que tu dois rapporter la caisse et toucher tes thunes ? » Tu hoches la tête, lentement, inspires et puis te redresses. Les pieds reposés sur les pédales, une main sur le volant, tu jettes un coup d’oeil dans ton rétroviseur. « Ouaip… Et après, s’tu veux, j’te paie quelques tournées dans un bar sympa du coin. »

La voiture au pas, tu sillonnes avec prudence entre les badauds rassemblés là, groupes de potes éparpillés qui ne s’écartent qu’une fois sur deux, parfois les bières levées pour saluer votre passage. Véhicule écarté de la piste, arrêté là où sont garés tous les autres, tu coupes le contact. Main sur la poignée, tu marques un temps d’arrêt, les yeux posés sur ta passagère. « Au fait, j’m’appelle Romeo. » Et un sourire, avant d’ouvrir et de poser le pied dehors - il y fait étonnamment frais, soudainement.

On t’aborde aussitôt - pas de temps mort, que tu lances le jeu de clefs dans les mains de son propriétaire qui, la seconde d’après, te colles une grande claque dans le dos. Grimace sur les traits, tu te laisses ballotter sans broncher, un regard de désolé à l’attention de l’autre Kopédienne. « T’as failli m’éclater ma caisse, » un ton de reproche - tu ricanes. « Yup, mais j’aurais plus été là pour le voir, » et un silence, en face, quelque chose qui se désarme dans son attitude, et tu lèves le menton, conquérant.

(Parler de mort et réaliser qu’elle a frôlé de si près, ça chavire le commun des mortels.)

« T’as ma thune ? » L’autre hausse les épaules, et tu t’écartes d’un pas. « C’est Micka qui s’en occupe, mais j’sais pas où il est. » Zacian, pourquoi faut-il toujours que ça se passe comme ça ? « ’Kay, j’vais l’chercher du coup, » et un signe de tête, adressé à l’attention de Nyna - tu glisses un bras autour de ses épaules lorsqu’elle se trouve à portée. « Tu viens d’rencontrer Alex, pas méchant mais pas- Comment vous dites ? Pas le couteau le plus coupant du tiroir ? » Tu hausses une épaules. « La plupart du temps c’est un autre qui m’prête sa caisse, mais il était pas là ce soir, du coup j’ai aimablement prêté mes services à quelqu’un d’autre. »

Micka, Micka, probablement dans une marée humaine, quoi que, la prochaine course ne va pas tarder, alors, ils ont déjà dû se disperser et- « Rom’ ! » Tu tournes la tête - et c’est Mickael en personne qui se dirige vers vous, les cheveux bruns en vrac, les yeux pétillants, le sourire large et l’air enjoué, liasse de billets froissés dans la main. Tu tends la tienne, cueilles le fruit de ta victoire et, portefeuille tiré de ta poche arrière, les fourres à l’intérieur sans même les compter. « Verdict ? » L’autre, qui a salué ta passagère d’un mouvement de tête et d’un sourire, relève les yeux vers toi. « Super bonne soirée ! C’était ouf, » et il reporte son attention sur celle qui t’accompagne. « T’as pas trop flippé ? C’était super impressionnant vu de l’extérieur, vous êtes vraiment pas passés loin, ça va ? »
Et il y a de l’inquiétude, dans sa voix, qui t’arrache l’ombre d’un sourire, mi-doux mi-amusé.

C’est parce qu’ils sont comme ça, effrayés, que c’est à toi qu’ils confient le volant - n’ont-ils pas encore compris que c’est parce que tu n’as pas peur, toi, que tu continues de l’emporter ?

« Eh, Nyna, » tu lances, pour attirer son attention sur toi, « plutôt bar huppé ou rave illégale dans les souterrains ? »