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Je ne sais pas comment vous vous êtes rencontrés; maman ne m’en a jamais parlé. Elle n’aimait pas parler de toi, ça s’est évident. Peut importe ce qui est arrivé, vous ne vous êtes pas quittés en de bons termes, ça je sais. Mais que dire; j’ai vu des photos de l’époque, et j’ai assez de jugeotte pour savoir ce qui t’a attiré chez elle; c’était un grand brin de femme, terriblement belle derrière ses lunettes un peu trop grosses pour son visage. Ah; puis je dis ça sans aucune humilité, on me dit toujours que je lui ressemble. Grand, les cheveux noirs, le visage un peu rond- tout ça, ça vient d’elle, même si cette année j’ai fini par la dépasser, enfin. J’aimais bien la taquiner sur le sujet, et ranger les chips juste un peu hors de sa portée. C'est comme ça; on était très proches, elle et moi. Alors tu comprendras que toi, t’es qu’un inconnu, et je me sens pas obligé de t’aimer parce qu’on partage le même bagage génétique. C’est comme ça, t’es mon gardien, mais je suis pas obligé d’aimer la situation ou de te rendre la vie facile. T’avais qu’à t’insérer dans ma vie avant, si tu voulais y avoir une place. Passons.

Ce que je sais pas, c’est si vous vous aimiez. Je crois qu’elle, elle t’aimait; mais ma mère c’est une personne bien, même si elle est un peu rigide et stricte. Alors d’apprendre que t’es un ex-taulard, et que t’étais marié, et que t’avais déjà ta petite famille… ouais, c’est sûr que tout ça a été un choc pour elle, comme ce l’est pour moi. Et malgré ses quarante ans passés, et même si je sais pas dans quelles circonstances, elle est tombée enceinte de moi. Une grossesse difficile comme on peu l’imaginer, un·e gamin·e né·e trop tôt, qui est resté·e à l’hôpital quelques semaines le temps de prendre des forces. Prématuré, qu’on dit, d’habitude. Mais pas moins aimé, ça c’est sûr. Et puis le reste, on en a déjà parlé un peu : pas juste un bébé prématuré, un bébé intersexe. Tellement pas grave -pas la fin du monde, juste une statistique de plus. Ma mère, elle a des opinions sur tout -et surtout, elle était contre les chirurgies sur de si petits êtres, alors j’en ai pas reçu. Tant mieux, ça m’arrange.

Puis, y'a la vie de parent monoparental. Pas facile; maman est débarquée directement de Sinnoh quand elle était plus jeune parce que Lentis a beaucoup de potentiel comme région, parce qu’elle pouvait y effectuer des recherches qu’on pourrait conduire nul par ailleurs. Elle était très fière de son travail, elle m’en parlait souvent. Tout ça pour dire qu’elle n’avait pas le support de sa famille; qu’elle a bien considérée rentrer à Sinnoh quand elle m’a eu, mais au final elle a décidé de rester à Lentis; je crois qu’elle avait besoin de se prouver qu’il n’y avait rien qu’elle ne pouvait pas entreprendre. Alors son côté de la famille, je le connais pas trop; quand j’étais jeune on faisait parfois le chemin entre les régions pour voir mes grands-parents et mes tantes, mais sans plus. J’aurais du mal à te dire à quoi ils ressemblent, ou même leur nom. C'est comme ça; c’est pas pour rien que je suis tombée entre tes pattes.

Puis je pense que maman s’inquiétait vraiment pour moi. Pas que j’étais mauvais enfant, mais on dit souvent que la pomme tombe pas très loin de l’arbre, alors elle faisait extra attention à être une bonne influence dans ma vie, à m’inculquer le bien du mal. Pour dompter ce qui est en moi qui lui rappelait toi. C’est certes pas très juste d’imposer ça à un enfant, peut-être qu’elle était parfois trop stricte et qu'elle exagérait. Ouais; c’est d’elle que je tiens toutes ces idées arrêtées que j’ai, c’est elle qui m’a fait croire que les tatouées sont tous des criminels et que je finirai mal si je m’applique pas dans mes devoirs. Le genre de mensonge qu’on fait souvent aux enfants, je crois; mais moi, je l’aime tellement, ma maman, que j’ai cru tout ce qu’elle m’a dit, sans démêler le bon du mauvais. Parce qu’elle a toujours eu mon bien à cœur, alors pourquoi est-ce que j’aurais remis ses paroles en question?

Mais va pas croire que c’était que rigueur morale dans notre appartement à Anthos. On s’amusait beaucoup, aussi, on riait tout le temps. Elle était la maman parfaite qui malgré son travail de plus en plus prenant, avait toujours le temps de me demander comment ça se passait à l’école, pour me parler des mes amis, pour me lire une histoire si je le souhaitais (je le souhaitais). En grandissant, j’ai bien vu à quel point elle travaillait fort; alors je me suis mis à développer mon autonomie. Parait que c’est bon de développer ça jeune, enfin, pas trop jeune, mais au début de l’adolescence. Alors à la maison, je faisais le ménage, je faisais mes repas du midi et parfois je cuisinais ceux du soir, je faisais toujours la vaisselle et ça toujours sans rouspéter. Difficile à croire, tu dis? Bah t’es pas elle, pourquoi je me fendrais en quatre pour toi? Puis t’as que ça à faire, toi, t’occuper de ta cabane. Alors fait pas comme si.

Puis, le début de la fin. Pour moi, en tout cas. Enfin -pour elle, plutôt, je devrais dire. Mais y'a une grosse partie de moi qui est partie avec elle, tu sais? Quand on a installé les Monolithes, à Anthos, ma mère a été affectée au projet; je connais pas les détails, et c’est pas elle qui a fait l’installation, mais elle était chargée de monitorer l’effet des monolithes sur la nature anthoise, tout ça. Je sais pas ce qu’elle a pu faire pour- pour mériter ça, mais elle et son équipe ont été attaqués par un de ces obscurs. Elle s'est battue; je le sais, parce qu’elle a eu le temps d’appeler ses pokémon à la rescousse. Elle, ses pokémon, son équipe… tous morts, ou presque. Elle a été apportée encore vivante à l’hôpital, parait… mais ils ne m’ont pas laissé la voir, alors elle devait pas être en très bon état, déjà. Puis elle a fini par mourir sur la table d’opération, et- et tout ce qu’il me reste d’elle, c'est son dernier pokémon. Je le hais- parce qu’il n'a pas su la défendre. Pour me faire l’affront d'avoir survécut, lui, et pas elle. Mais je sais qu’elle l’aimait… et comme c’est le dernier bout d’elle qu’il me reste, je peux pas le repousser à bout de bras comme je repousse le reste de l’univers. J’en veux à tous les pokémon, lui compris; mais lui, c’est le seul que je supporte. Pour elle.

Et puis le reste, tu le sais; y’a de la famille qui sont venus de Sinnoh pour les funérailles, et je pensais dur comme fer que j’allais repartir avec eux. Mais non; ils ne voulaient pas s’encombrer d’une gamine. Ils ont préféré me laisser à toi… alors tout naturellement, je les hais eux aussi. Les pokémon, toi, eux, les autres; c’est tout du pareil au même. Alors je m’arrange bien tout seul. Pas le choix; a Adamantia, des amis, j’en ai pas, et j’ai pas envie de m’en faire. Je finirai les cours dans trois ans, et puis je partirai pour n’importe où ailleurs, loin de Lentis, loin de toi, loin des obscurs.