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La tempête gronde sous les paupières closes;
L’électricité violente qui se décharge dans tout le corps ― quand on te murmure d’être sage, qu’on essaie de te rendre docile; quand les promesses ne suffisent pas pour calmer l’orage en approche, que les larmes ne sont ni dissuasives ni apaisantes.

― les histoires d’horreur bercent les feux de camps, jamais ne devraient rythmer les quotidiens d’enfants.

On t’a jeté au loup quand tu n’avais que huit ans, en espérant que tu saches te conduire autrement.
Arrachée aux bras d’une mère dont la tendresse s’était éteinte au profit d’un regard aussi vide que les paquets de nourriture s’entassant dans la poubelle pleine à craquer. Tu n’as jamais été ce qu’on a désiré que tu sois. Enfant turbulente refusant de s’installer sagement sur des bancs d’école, sous les portes closes
Les reproches.
“Ce n’est qu’une enfant.”

Pourquoi pense-t-on les enfants ignorants, incapables de comprendre ce qui se passe autour d’eux ?
Quand tu voyais les regards passionnés se consumer, pour être remplacés par des cendres froides.
Lorsque tu comprenais que l’idylle n’avait rien de plus qu’un goût amer de déception désormais.

L’amour ne sauve pas l’irréparable, l’irrécupérable. À genoux devant toi, promettre de se repentir pour les prochains mois à venir. Tu te souviens d’avoir posé ta main sur la sienne. Main d’homme adulte beaucoup plus grande, plutôt plus chaude également, et d’avoir scellé derrière un regard perdu des sanglots grandissants.
“Ne pars pas.” un murmure; comment aurais-tu pu vouloir perdre celui qui t’amenait en cours, qui te faisait étudier, celui dont la patience révolutionnait ton existence ?
“Je reviendrais te chercher.”

((alors pourquoi n’as-tu jamais reçu d’appel ?))

Tumultes amplifiés par l’injustice d’un abandon qui résonnait comme trahison, comme injustice. Tu n’étais qu’une enfant, pourquoi te faire payer les torts d’adultes ne sachant pas se comporter ? T’abandonner aux mains d’une mère dont le divorce ne laissa que des blessures béantes qu’elle ne tenta même pas de soigner.

Aux nuits de refuge devenues doucereuses;
Aux nuits apaisantes devenues catastrophes;

Balancée dans des familles qui ne voulaient pas de toi, jusqu’à ce que la lumière éteinte se teinte d’une crainte muette. On voulait de tes éclats davantage de discrétion, un peu moins d'opposition ― mais au côté de cet autre gamin, tu fuyais les bancs d’école et imposais le chaos.

Tu te laissais enrôler dans la fumée et les mondes secondaires, illusoires ― pour oublier qu’ici-bas, ça n’avait pas de saveur.
Pour oublier qu’à treize ans déjà, aucune famille ne voulait te laisser une chance de faire tes preuves. Preuves que tu détruisais au creux de tes mains. Personne ne voulait de toi, ils voulaient du calme. Tu étais leur tempête. Et ce rôle était celui que tu avais pris, t’imposant comme bouclier, comme arme, pour les enfants plus jeunes, plus sensibles, plus craintifs. De ceux qui se faisaient bousculer;
De ceux qui se faisaient malmener;

S’imposer pour les protéger.
Tout en continuant de ne faire de ta vie rien de plus que l’équivalent des morceaux de verre que ta mère ne daignait même pas nettoyer. Nul n’essaya de te montrer le chemin à prendre, d’aucun ne tenta de te prendre dans leurs bras et, de quelques murmures incertains, te promettre que tout ira mieux.

Romeo ; d’un nom sur le bout de tes lèvres, d’une amitié que tu n’aurais jamais tenté de surclasser, toujours ensemble, toujours dans les conneries ― des boucles d’oreille offertes et le cœur qui se serre. Mais un jour, le voilà qui ne revient pas. Mais un jour, le voilà qu’il n’est plus à tes côtés. Laissée à toi-même, à ta colère grondante, aux éclats s’enchaînant et l’école ignorée. Les éclairs s’enchaînaient, tu rejetais tous ceux s’approchant de toi, tu protégeais tous ceux en ayant de besoin ― mais jamais tu ne devenais leur amie.

Et puis : la majorité.
T’envoler pour t’installer ailleurs après avoir longuement communiqué, t’être battue pour obtenir de l’aide financière dans cette île prénommée Lentis, dans cette région prénommée Haptos.
Pour vivre une nouvelle ère, mais laquelle ? Trop d’ego pour se contenter des bassesses des services à la clientèle, sans pour autant cracher sur ceux faisant ces petits boulots pour amasser quelques centimes. Tu les admirais même.

Flâner dans les rues comme tu savais si bien le faire, cigarette à la main, toujours tuer le temps.
Et tous les jeudi soir, dans son cabinet, à cracher un venin que tu n’es promis de ne jamais reprendre dans tes veines. Haptos était le point de départ d’une nouvelle vie,abandonnant derrière toi tous les démons d’un foyer qui n’avait su te protéger.

Au fil des jours et du temps, entre temps perdu dans des rues qui n’étaient plus vraiment tiennes, à défendre tous ceux qui en avaient de besoin, sans crainte d’utiliser tes poings… de fil en aiguille, les rencontres défilèrent. Certaines sans te marquer
― une autre en laissant une douceur amère sur le palais.

Les aperçus brefs d’un monde qui n’a jamais été tien, aux bras d’un prêtre associé à la noblesse venant d’Adamantia, tu as vu ce qui ne t’appartiendra jamais. L’injustice sur le bout des lèvres, mais l’attachement qui te permettait de te taire suffisamment pour ne pas faire de scènes. De quel droit la vie donne tout à certains, rien à d’autres ?

Tu avais alors troqué l’errance des bas-fonds, de la pauvreté et les odeurs douteuses, pour les hautes sphères de la société. Trophée s’accrochant à son bras, tu souriais de la chance que la vie semblait désirer t’offrir soudainement. Mais la révolte intérieure ne se taisait pas : d’autres que toi la méritaient davantage. La misère côtoyée quand tu remettais les pieds dans ton appartement te poussait à haïr les frivolités de cet univers lui appartenant. Ce dans quoi il avait grandi. D’une facilité qui te donnait des hauts-le-coeur, mais ce n’était pas que ce mode de vie qui te faisait te tordre suite à des nausées violentes. Le quotidien dans lequel Alceste t’avait embarqué s’était rapidement rythmé de perturbations physiologiques dont la cause fut longuement mentalement ignorée.

C’était trop tôt, pas le bon moment, pas le bon endroit. Qu’aux balbutiements d’une relation dont tu ne savais rien de l’avenir. Dont les projets d’avenir se faisaient à tâtonnements de ta part, manque de confiance flagrante en ce destin qui se jouait si facilement de vous.  
Mais quand elle se trouvait dans tes bras, l’effroi semblait moindre, d’une importance dérisoire, éclipsa la séparation qui venait tout juste d’avoir lieu. Sans aucune compréhension des motivations de celui qui t’avait alors amené pendant autant de temps partout dans les soirées, essuyant les regards que vous aviez.

Parce que si tu n’avais pas compris, entre vous, le respect était resté. Teintant l’amertume d’une douceur, d’un « bon temps » que vous aviez passé ensemble, et si votre éphémère moment offrait un rayon de soleil… Pour toujours, tu viendrais à bercer vos souvenirs. Nostalgie doucereuse, parce que malgré tout : une séparation n’était jamais agréable.

Mais la joie apportée par une nouvelle présence prenant le prénom de Kalypso fut rapidement éclipsée par des nuages grisâtres.
Les nuits trop calmes, les journées trop mouvementées quand rien n’apaisait les pleurs étouffés, laissèrent une inquiétude planer et les rendez-vous médicaux s’enchaîner les trois premiers mois passés. Après avoir entendu des “laissez-lui le temps” et “tous les enfants ne se développent pas au même rythme”, le diagnostic fut sans appel. Kalypso ne pouvait pas encore, et les chances étaient qu’elle ne pouvait pas parler.

Toutes les avancées et nouvelles, les lui communiquer parce que tu voulais qu’il soit présent dans la vie de l’enfant.
C’était un nouveau défi à affronter : apprendre à cohabiter avec une petite fille qui ne pouvait communiquer efficacement ses besoins ni adéquatement s’exprimer. Ce fut de batailler pour trouver une garderie avec une éducatrice spécialisée dans les besoins particuliers, pouvant poser les bases de la langue des signes, trouver des cours en ligne pour toi-même t’y initier et mieux l’accompagner dans son quotidien tout en continuant de te présenter de façon hebdomadaire à tes propres rendez-vous.

Tu avais même remis les pieds dans un environnement scolaire pour lui promettre un meilleur avenir que celui que tu avais eu.
(toutes les erreurs de tes parents, tu ne les reproduiras pas;
de toutes les erreurs du système, tu la protégeras)