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Ding.
La porte s’ouvre avec fracas, tournant les têtes curieuses de plusieurs clients du bar ; les habitués la détournent bien vite, d’autre s’attardent sur l’inconnue obligée de baisser la tête pour passer l’entrée.
Lilium ne s'attarde pas ; ses pas méchanique par habitude, elle ignore le regard désapprobateur de sa supérieur et traverse le bar pour s'engouffrer dans l’arrière-salle. La porte se referme, elle savoure le silence ((silence entâché par les éclats de voix qui traversent le mur, entâché par les sons de la tuyauterie, entâché par son soupire épuisé.)) Lilium n’aime pas le silence, mais elle apprécie ce qui s’en approche.
((c’est qu’il y a toujours des cris d’enfants à la maison, des enfants pour qui elle se saignerait, mais des enfants qui ont trop d’énergie et des cordes vocales en bonne santé))

Son casier est d’un triste vide, mais elle n’a jamais pris le temps de le décorer. Elle n’en a jamais eu l’envie, jamais réfléchi à ce qu’elle pourrait y mettre. Rien d’important ; ce qui est important reste chez elle. Rien qu’elle ne possède ; ce qu’elle possède est important.
Alors le casier reste vide et terne et triste, d’un acier froid où elle jette son sac et accroche son vieux manteau trop usé pour vraiment stopper le vent d’hiver.
Il ne fait pas vraiment froid à New Pyra, et elle reste à l’intérieur à Ike Kai. Qu’elle ait froid en marchant – c’est pas très important.
C’est jamais très important.
((elle est pas très importante.))

« T’es en retard.
– Ta gueule. »

La porte se referme doucement derrière la nouvelle venue et son ricanement exaspéré.
Lilium ne fléchit pas sous le regard insistant qu’elle sent dans son dos, ne prête pas attention au silence patient. Willow attend qu’elle se retourne pour l’écouter, et Willow attendra longtemps.
Lilium était bornée.
((et elle pouvait mettre son uniforme sans se retourner))

« T’as ton shift avec le nouveau. C’est son taf étudiant, essaie de pas le faire quitter direct parce que t’es insupportable.
– Pff, insupportable? S’il a survecu a ton radotage plus de dix minutes il est prêt à tout.
– Ha-ha. Whatever. J’ai mon break, grouille-toi, ‘commence à y avoir du monde. Et nettoie tes mains, ça se voit encore. »

Le temps qu’elle baisse les yeux précipitamment vers ses mains – usées par le service et les barres métalliques, charcutées par les débris et les mâchoires, aux ongles soignés et aux dos maculés de cicatrices – Willow avait franchi la porte arrière.

Quand Lilium retourne dans la salle principale pour prendre sa place derrière le bar, son uniforme aux plis marqués parfaitement noué dans le dos, elle a son sourire commercial sur les lèvres, ses longs cheveux roux tiré en arrière en une tresse pratique, et plus aucune trace de sang sous les ongles.

Elle aperçoit le nouveau dont Willow lui avait parlé lorsqu’elle se glisse derrière le bar et achève de fermer le petit battant derrière elle.
La rumeur d’une nouvelle recrue était sur toutes les lèvres des employé.es depuis des jours avant l’annonce de la manager la veille, tous impatient.es de faire de connaissance avec quelqu’un de nouveau. La nouveauté amenait une fraîcheur dans leur quotidien qui avait tendance à être répétitif, ne comptant que sur les histoires et interactions des clients pour s’en distraire.
Lilium avait trop à faire pour trouver son quotidien monotone; trop à penser pour penser à quoi que ce soit d’autre, et trop de travail pour se centrer sur celui-là en particulier.
Mais Lilium sans quotidien fait partie de ceux qui ne se répètent pas et qui changent jour par jour, de ceux qui distraient à défaut de l’être, avec leur impulsivité et colère maladives qui les contrôlent plus qu’elle les contrôle.

Alors elle aperçoit le nouveau dont Willow lui avait parlé, et s’en approche en ignorant le client s’approchant du comptoir.
« Salut.
– Salut. »
Le temps qu’il lève ses yeux similaires aux siens –noirs où se tapis l’ennui derrière une politesse curieuse– vers son visage, son sourire commercial se fait carnassier, indiscret. Du haut de ses talons Lilium ne se baissera pas, habituée à regarder les autres d’en haut tant qu’elle le pouvait ((tant qu’on ne la regardait plus d’en haut, tant qu’elle n’était plus jetée au sol, plaquée dans des draps ou contre les graviers, le mépris sur les visages et le dédain emplissant les yeux)).

« Moi c'est Neas, je suis nouveau.
– Je sais. Lilium. Ravie. ((creux)) Elle le dévisage un instant de haut en bas –l’uniforme bien mis, le plan de travail parfait, un soupçon de stress au bout des membres. Premier taf dans un bar, je me trompe ? »
Elle n’avait pas spécialement envie de devoir enseigner à quelqu’un les ficelles du métier, surtout qu’elle entendait d’ici ses collègues lui conseiller de ne pas le faire. Trop brutale, trop hypocrite, trop critique ; elle n’avait sa place ici que parce qu’ils se fichaient bien de ce qu’elle pouvait dire et comment elle agissait, tant que son agressivité était suffisamment dirigée vers les clients problématique pour ne pas avoir besoin d’engager de sécurité.
Et puis certains réguliers l'appréciaient –le pourquoi échappait à tous, même à elle.

« Hem, excusez-moi?
– Mh? Bonsoir ! ((vide)) Elle pivote sur les talons, s’approche du comptoir et se penche légèrement vers l’homme qui recule de quelques centimètres. Qu’est-ce que je vous sers ?
–  Euh, un dry martini et un cosmopolitan.
– Dry martini et Cosmopolitan, très bien.»
Vodka en main, elle pivote à nouveau pour attraper deux verres –et un à shot qu’elle remplit à moitié pour le garder de côté– et en glisse un vers Neas, une lueur calculatrice au fond des yeux. « Je te laisse faire le dry martini? »
Elle ne s’occupe du plus compliqué que pour sa conscience professionnelle d’aller vite, avant que d'autres clients affluent, certains après un ou plusieurs verres, dans différents états, différentes patiences –avant que son propre manque de patience la fasse boire le shot à proximité.