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Bordel de- Où était passé Kehlani, sérieusement ? Verpré était plongée dans le chaos, les points de téléportation déversant en continu un flot presque inarrêtable de réfugiés, provenant très probablement d'Haptos après les attaques s'y étant déclenchées – dans sa poche, le portable de Neas vibrait de temps à autre, les notifications s'enchaînant les unes après les autres, sûrement sur la conversation de groupe créée plusieurs mois plus tôt par Romeo. Apparemment, ça ne suffisait pas que ni Eylian, ni Romeo ne répondaient pas (ce qui était quand même bien stressant si l'on prenait en compte qu'ils étaient à Anthos et qu'Anthos avait également commencé à exploser à son tour), non, il fallait aussi que Neas perde de vue la personne avec qui il s'était pointé à Verpré.

Viens me faire visiter Verpré, qu'iel disait. Ce sera une aprem fun, qu'iel avait prétendu, ou en tout cas avec tout un tas de phrases de ce genre-là, Neas n'avait pas spécialement retenu. Super, la visite touristique. Bienvenue à Lentis, où les villes font boum et l'où il pleut des Pokémons assoiffés de sang envoyés par une mégalomane dont ils ne comprenaient toujours pas les motivations. (Comment est-ce qu'elle avait fait pour leur balancer autant de Pokémons dessus d'un coup ? Elle s'était préparée ? Surtout qu'ils étaient sortis de Pokéballs, et pouvait pas enfermer d'Obscurs dans des Pokéballs une fois la transformation entamée, non ? Putain, plus il y réfléchissait, plus la situation paraissait flippante. Et grave, mais ça, n'importe qui aurait pu le deviner rien qu'en écoutant les nouvelles pendant trente secondes.)

Quelqu'un le bouscula, éclat de douleur, cri vaguement réprimé – côtes de merde. Non seulement il devait se débrouiller au milieu d'une flopée de gens paniqués, mais il devait aussi le faire en étant très loin d'avoir recouvert de l'autre débile l'ayant passé à tabac un peu plus tôt dans le mois. « Putain de- Faites attention, sérieux, » cracha-t-il à l'attention d'un groupe agité étant passé à côté de lui sans ralentir, le poussant et le conduisant à se plier en deux sous la douleur.

Au final, Neas opta pour passer par des rues moins pleines de monde – ce serait plus compliqué pour retrouver sa fuyarde de pote, mais moins pénible pour littéralement son corps entier. Peut-être qu'il aurait dû s'abstenir, peut-être que ce fut une bonne chose ; lorsqu'il fut capable de relever la tête pour fixer les rues et même carrément le ciel (incroyable ! Cet exploit ! Enfin, sans trop se redresser parce qu'il morflait, sinon), la première chose qu'il aperçut, ce fut une silhouette à l'air humanoïde littéralement tomber du ciel, quelque part, loin d'ici, dans les restes de Verpré.

Tomber du ciel.

Un humain.

Il ne fallait pas être un génie pour comprendre.

« Evite de paniquer si tu vois des gens, on est en ville, » lâcha Neas à l'adresse de son Germéclat, l'ayant aussitôt sorti. Les cons leur ayant balancé des Obscurs à la figure étaient probablement encore là, et celui-ci était carrément venu du sol avant d'échouer à… à quoi, en fait ? Comment est-ce qu'il avait commencé à s'élever ? Ils se la jouaient kidnapping version extraterrestres, à Aureas ? (Vas-y). Va- hein. Non, non non, ça ne pouvait pas recommencer. Pas encore, pas à nouveau, pas maintenant, pas comme ça, « cassez-vous, » ça n'existait pas n'existait pas n'existait pas

Va voir.

Neas pressa le pas dans les allées vides, ignorant ces murmures sinistres se pressant à ses oreilles, et- choc – il trébucha, lâcha un cri de douleur, et se plia en deux avec l'impression qu'on lui lacérait le torse. Des points de couleur dansaient devant ses paupières. « Putain, putain, putain, » fichues côtes de merde qu'il allait finir par bazarder à la flotte avec le reste de son système nerveux incapable de lui- « Tout va bien, côtes cassées mais ça date, juste pas assez apparemment, » articula-t-il, s'efforçant d'inspirer calmement en relevant le menton pour fixer son- oh, bah tiens. Il la connaissait, celle-ci. Enfin, de loin, quoi.

« Salut, » et c'était un peu éraillé, la main en travers du ventre, les respirations calmes pour s'efforcer de ne pas s'évanouir. « Qu'est-ce que tu- T'es à Verpré ? » Ouaip, bravo, Sherlock.

Meera se contenta d'un rire plus ou moins gêné, ou nerveux – sans relever qu'il avait posé la plus stupide des questions. « …Oui. J’ai euh…un date… » Oh ? Un date, hein ? Pendant un instant, Neas se demanda si Romeo était au courant – puis la pensée partit aussi vite qu'elle était venue, d'une part parce que c'était le genre de pensées qu'il valait mieux ne pas avoir et encore moins partager au vu de, eh bien, …tout ça, et d'autre part parce qu'il n'était pas assez payé pour commencer à se mêler des affaires des autres. Une seconde, il n'était pas payé du tout, en fait. « Enfin je crois que là c’est foutu, haha… » Boh, si son date et elle appréciaient une petite ambiance type film d'horreur pour leur fond romantique, ça pouvait toujours passer. Ta gueule, Neas.

« Est-ce que ça va ? Tu peux te relever ? » S'il savait, il aurait tenté, déjà – mais de toute façon, qu'il soit plié en deux ou debout, il allait probablement souffrir, de toute façon. « Ecoute, on va le savoir très vite, » dit-il, chopant sa main et suivant le mouvement tandis qu'elle le tirait lentement, lui permettant de se camper un peu plus sur ses pieds sans pour autant ôter son bras d'en-travers de son torse. Et finalement, ça ne faisait pas si mal : au lieu d'avoir l'impression qu'on lui lacérait les côtes, la douleur s'apparentait juste à une série d'aiguilles. (Depuis quand est-ce que c'était une échelle de douleur acceptable dans sa vie, ça, sérieux ?)

« Oh fuck off- » Uh, pardon ? « Pardon ! Pas toi… c’est euh- » Ouais, il l'avait plus ou moins deviné, que ça ne s'adressait pas à lui – sinon, elle aurait changé d'attitude envers lui de façon hyper abrupte, et sans raison apparente – mais ça restait, eh bien, surprenant. Viens, va voir et putain, quand est-ce que ces foutus murmures allaient la fermer, sérieusement ? Ils devenaient comme pires, en ces instants, le harcelant en arrière-plan pour qu'il se la joue Watson et commence à enquêter sur le type, ou le truc, bref la silhouette un peu trop humanoïde à son goût qui était tombée du ciel. (Ciel d'où les Obscurs étaient venus, ciel louche et définitivement étrange, qu'est-ce que tu caches, et puis, et puis cette explosion, avant même que lesdits Obscurs ne soient aperçus à travers Verpré, et- bref.)

« Sorry, j’ai perdu mon chien et j’ai des voix dans l’oreille qui me disent d’aller voir un truc bizarre qui vient de tomber du ciel, je sais pas trop où j’en suis… » …Est-ce que c'était une blague ? Ou un trait d'humour particulièrement ironique de la part d'il ne savait quoi, Lentis, peut-être ? Neas fixa Meera, s'efforçant de ne rien laisser paraître des milliers d'émotions en vrac, à l'intérieur – parce que putain, putain, il ne voulait pas que ça existe, ça n'existait pas, ces chuchotements et ces voix et ça ne pouvait pas exister mais elle les entendait également, tout comme Romeo les avait entendues l'année précédente, en Juin, tout comme-

Parfois, il haïssait sa vie.

Soupir – les bras qu'on croise, puis la grimace qui sort parce qu'évidemment, le geste a ravivé les pointes dans le thorax. « Ouais, » lâcha Neas – défaite, reddition, qu'le monde aille se faire foutre. « J'suis dans l'exacte même situation, sauf que perso c'est pas un chien, c'est un pote. » Fichu·e Kehlani. Ou fichue foule, c'était pareil. « On a été séparés dans le flot d'arrivées venant des TPs, et j'sais pas où il est depuis. » Inspirant lentement, Neas testa les eaux en posant un pied, puis l'autre devant lui. Okay : ça n'avait pas l'air trop mal. Il allait pouvoir se remettre à marcher.

« Le "truc" qui est tombé ressemblait pas mal à un type quand je l'ai aperçu, et genre- …Ouais, c'est juste ultra louche, étant donné la situation. » Uh, où était Azurité ? Son Germéclat n'était pas un fuyard, pourtant- ah, oui, il s'était dissimulé un peu plus loin, derrière un panneau publicitaire. Neas lui fit un geste de la main, mais son Pokémon se contenta de flotter un mètre vers lui avant de s'immobiliser, probablement rendu méfiant par la présence d'une parfaite inconnue. Ecoute, s'il avait envie, hein. « J'sais pas s'il faudrait alerter genre, des rangers ou quoi, vu qu'ils sont probablement- occupés. »

« I don’t know, » répondit Meera – Neas dut se faire violence pour ne pas automatiquement lui répondre à l'aide d'un simlish qu'il avait peu à peu perfectionné pour se moquer, d'abord de Romeo, puis d'Oyaris à force de les entendre constamment parler en Galarois. (En même temps, 'fallait bien qu'ils arrêtent de se comporter comme s'il pouvait automatiquement les comprendre.) « Ton ami, il répond pas à son téléphone ? Tu veux qu’on- » Couinement, là-haut ; Neas leva la tête un peu trop vite, puis grimaça quand le mouvement lui tira un éclair de douleur. Ouch. Ce n'était qu'un Pokémon, et apparemment un Pokémon que Meera connaissait, parce qu'elle s'adressa à lui avec familiarité. (Ou elle, peut-être – il n'était pas expert en identification Pokémonale.)

Il avait bien tenté d'envoyer un message à Kehlani, mais vu son caractère, il doutait qu'elle choisisse de lui répondre plutôt que d'apporter, au hasard, toute l'aide du monde à celleux qu'elle allait croiser. Et c'était tout à son honneur, évidemment, mais ça restait un trait de caractère que Neas, en cet instant, maudissait un peu. « Do you uh- sorry, je crois qu’elle a retrouvé mon Pokémon, est-ce que…tu veux bien m’accompagner ? On pourra peut-être retrouver ton ami grâce à lui après, il a un bon flair. » Franchement, c'était la meilleure idée qu'il avait entendue de toute la journée – Neas hocha la tête. « Je crois qu’il vaut mieux ne pas rester seul dans l’immédiat… » Heh. Elle l'avait dit, oui.

« Ouais, » et c'était lourd, un peu – c'était pesant, c'était presque amer, mais c'était vrai. Des Obscurs pleuvant les villes ; des explosions, des mecs ou humanoïdes chelous tombant du ciel, des putain de voix aux oreilles ; l'ensemble était un immense drapeau rouge clignotant sous leurs yeux de faire attention. « Azurite, on y va, » héla-t-il, pivotant pour jeter un coup d'oeil à son Germéclat, qui continuait à se cacher. Bon sang. « Eh, la piedra, c'est ça ou j'pars sans toi, » prévint-il, puis- eh bien, l'ignora. S'il voulait revenir à l'état sauvage, c'était tout à son aise, mais Neas n'était pas certain que ça lui plaise.

« C'est parti pour ton chien, puis, avec un peu de chance, il pourra retrouver mon pote, après. » Est-ce qu'il avait de quoi permettre au Pokémon de l'identifier, même ? Ce n'était pas comme si Kehlani lui avait laissé une écharpe ou un pull, après tout. Il n'aurait qu'à retourner sur ses pas et attendre que le chien de Meera repère une odeur proche de la sienne, et puis croiser les doigts pour qu'il s'agisse de celle de la Kopédienne.

Les murmures accompagnaient, tandis qu'ils avançaient, presque pressants, ou enthousiastes, bref- casse-couilles ; et ça donnait envie de faire demi-tour, de laisser tomber, de se dire tant pis, parce que si ces putain de voix étaient ravies qu'ils avancent dans cette direction, ça ne voulait dire qu'une chose – qu'elles n'allaient définitivement pas la fermer de sitôt, et que Neas avait deux fois plus de chances de rentrer chez lui en ayant pété une durite.

« Elles ont l'air bien contentes qu'on aille par là, » marmonna-t-il – s'il gardait tout ça pour lui, avec la façon dont elles lui susurraient des trucs, il allait finir par exploser brutalement. Vos gueules, vos gueules, vos gueules – qu'elles se taisent, qu'elles la ferment, vous existez pas, ça n'existait pas, ça n'était rien.

« Yeah, je sais pas si c’est bon signe ou pas… » Si on lui demandait son avis, Neas aurait lâché sans hésiter que c'était mauvais signe. D'une part parce que ça signifiait que ces foutus murmures n'allaient pas les lâcher de sitôt, et d'autre part parce que, s'il y avait une signification à tout ça, ils marchaient droit dessus. Vos gueules, vos gueules, qu'ils la ferment et qu'ils le laissent tranquille – il n'était pas leur Messie, il n'était pas là pour eux, bon sang ; il était le renégat, plein de contrition – celui dont l'impiété marquait bien plus souvent que l'empathie.

« T’as eu des nouvelles des autres, au fait ? » Des- Il en avait eues grâce à la conversation de groupe qu'ils avaient créé sur Discord, mais rien d'autre. Et tout le monde n'avait pas répondu – ce qui n'arrangeait rien. « Tout le monde va bien ? J’ai juste eu des nouvelles de Romeo qui m’a dit qu’Eylian et lui étaient en train d’aider des réfugiés de New Pyra… » Des nouvelles de- Neas se figea un instant, reprenant sa marche d'un pas pressé. « Putain, t'as eu des nouvelles d'eux ? » Téléphone sorti, il pianota en marchant, écrivant à toute vitesse sur le Discord du groupe. « Ils répondaient à personne sur le groupe, on a tous flippé. » Bande d'idiots. Peut-être qu'ils allaient finir par croiser Roman en aidant les réfugiés, tiens. « Sinon, Roman est à Verpré, Hugo et Félix aussi. Félix est allé retrouver Hugo dans sa coloc, » et était probablement occupé à le rassurer – parce que l'Anthois n'avait aucune nouvelle de ses potes, tous New Pyréens – « et Roman aide les réfugiés, apparemment. Uh, Avril était à Kopadia j'crois ? Dyn l'est aussi, il aide. Chris est en sécurité. » En bref, tout le monde allait bien.

Physiquement, en tout cas.

Les voix continuaient, accompagnatrices discrètes, subtiles et pourtant si bruyantes, incapables de se taire ne serait-ce qu'une seconde – venez, encore, encore (non) et non et non, il ne venait pas, ils ne viendraient pas, ils ne cherchaient que le chien de Meera, rien d'autre ; et ce n'était pas parce qu'elles devenaient plaintives, suppliantes, qu'elles semblaient prises en proie à l'inquiétude ou la pression, qu'il allait changer de-

((s'il
vous
plaît))

Putain, mais qu'elles aillent se faire voir.

(C'était difficile, de leur refuser ce qu'elles voulaient ; surtout lorsque la petite boule rose de Meera flottait dans la direction qu'elles semblaient leur indiquer, lorsque le monde entier devenait brume et obscurités, lorsque la fumée embrasait les poumons et tirait des quintes de toux – quitte à lui faire se tenir les côtes tandis qu'il s'efforçait de s'en empêcher, chaque râclement de gorge lui donnant l'impression de lui scier le thorax – lorsque leurs yeux devenaient aveugles à tout, autour, jusqu'à ne reprendre vie, jusqu'à ne reprendre attention que lorsque, brusquement-)

Silence.

Brusque, violent, étouffant ; elles s'étaient tues, les voix, elles s'étaient éteintes, les demandes, les plaintes, les suppliques ; alors pourquoi est-ce que leur absence était comme pire, en cet instant ? Pourquoi est-ce que Neas aurait presque préféré les entendre à nouveau, quitte à vouloir s'y éclater le crâne contre une pierre de frustration ? Parce qu'elles n'étaient pas parties. C'était comme retenir son souffle – des présences par milliers restant muettes mais bien loin d'avoir décidé de s'éclipser. Allez-vous en, et un silence ; partez, et un vide.

Ils étaient à l'extérieur de la ville, et il n'y avait plus aucun bruit.

« Star ? » Star ? Qui était Star ? Est-ce que- ah. Devant eux, à quelques mètres, à moins de trois mètres, un petit Fulgudog couinant se tenait, la queue pendante et la bouille triste. Star, probablement. Mais sa présence restait bien moins, disons, surprenante – et bien moins macabre – que ce devant quoi il se tenait, forme si large que Neas se demanda comment ils ne l'avaient pas repérée plus tôt. Elle était grande, elle était impressionnante ; elle aurait presque pu être belle, ou élégante – avait dû l'être, un jour – sans ces marées rouges lui sortant peu à peu du corps, sans cette fourrure brune, grise et mauve tachée d'écarlate. Une Bruyverne ; pas Obscure, pas agressive, mais agonisant au bord de ces portes lourdes auxquelles Neas pensait un peu trop souvent.

Le flanc atteint d'un pan de métal, une patte manquante, ses yeux écarquillés et terrifiés, Meera se précipitant à son chevet, les bruits d'agonie, gargouillements, atroces, les respirations difficiles, son expression, putain, il n'en avait pas grand-chose à faire des Pokémons d'ordinaire mais putain, putain, c'était juste horrible, comme façon de partir ; c'était juste- Injuste.

Neas, planté là, statue de pierre face à cette Méduse mourante, avait étrangement froid.

« Neas ? » Ouais, oui, oui, lui, elle l'appelait, okay. « T’as de quoi l’aider ? Je sais pas, des pokémons soigneurs, ou- ou… » Des- mais elle était condamnée, la Bruyverne ; elle rendait ses derniers souffles, ils ne pouvaient plus rien pour elle ; malgré les caresses sur son museau et deux genoux en guise d'oreiller et ce silence à leurs tympants et putain, est-ce que c'était une main, là ? Une trace de main, écarlate, tâchée du sang de la créature, probablement – main qui avait peut-être appartenu à cette silhouette tombée du ciel, parce que pourquoi, comment- Qu'est-ce qui avait blessé la dragonne ? Métal et patte arrachée – l'explosion du labo ? Les trucs, dans le ciel ? La personne hypothétique qu'ils avaient vue chuter des hauteurs ?

Il aurait pu gronder, rager, élans de violence et de fureur mal contenus dans le corps – qui avait osé, qui avait fait ça, sans même trop comprendre d'où tout cela venait ; sans capter, sans se poser de questions, colère aussi artificielle que personnelle, serrant ses tripes aussi fort que ses tempes, une infinité de c'est injuste en travers de la gorge. Elle allait mourir, sous leurs yeux, et les responsables n'avaient toujours pas payé.

(Pourquoi est-ce que ça le touchait autant ?)

« I’m so sorry, » ciller, se reprendre, secouer la tête pour sortir des brumes et des colères ayant plongé son crâne dans l'eau trouble – qu'est-ce que j'fous ? Neas s'agenouilla lorsque Meera lui jeta un regard dévasté, s'approchant de la créature sans trop savoir comment s'y prendre. « Eh, …salut. » Pouvait-elle le comprendre ? Elles étaient intelligentes, ces bêtes – parfois plus que certains types qu'il pouvait croiser. « On peut pas vraiment t'aider, mais t'es pas seule. » Et ça comptait, pas vrai ? De ne pas être entièrement seul ; d'avoir des gens, des créatures, n'importe qui à côté pour apaiser un instant la douleur – d'être accompagné.

(Lorsqu'il comptait les secondes, les yeux rivés sur le plafond, dans sa chambre éteinte et de son corps oublié, savoir qu'il y avait derrière quelques messages réguliers quelqu'un sachant tout et simplement l'attendant aidait bien plus qu'il n'aurait pu croire, avant.)

« Je sais pas ce qui peut- » Si. Si, il savait. Il n'avait pas de Pokémons de soin, ne les connaissait largement pas assez pour savoir desquels il s'agissait, de toute façon – probablement pas Azurite, parce que le Germéclat était de type poison, et que du poison n'était absolument pas ce dont ils avaient besoin là de suite, mais il en avait d'autres. Une petite bougie liée aux ténèbres, Spectre discret mais sachant probablement comment- uh, faire "passer" une âme ? Ne plus croire en rien n'aidait pas à comprendre l'existence de ces Pokémons, ni leurs capacités, tiens. Et, en plus d'elle- Neas se tortilla, saisissant ses Pokéballs et laissant sortir Apa ainsi que Cebolla l'une après l'autre.

« Cebolla, est-ce que- j'sais pas, t'es une plante, tu sais endormir ? » La Mystherbe, un instant paniquée par le soleil vif et son environnement, se dissimula aussitôt derrière son tibia. « Tu me comprends, ou tu- » Elle sortit, lentement, ses feuilles et puis sa tête, remarquant pour la première fois la Bruyverne étendue devant eux. Apatheia flottait déjà devant ses yeux, bougie veilleuse aux airs attristés.

Le monde était silence.

Peu à peu, une légère poudre grisâtre s'éleva des feuilles de Cebolla, se laissant doucement porter par une brise jusqu'alors inexistante en direction de la Bruyverne. Celle-ci l'inspira – sans vraiment avoir le choix, au fond, immobilisée comme elle était – et son souffle se fit plus profond, moins agité, ses yeux se refermant lentement. Oh. Elle l'avait endormie ; l'avait plongée dans un sommeil tranquille, apaisant ses dernières secondes pour les rendre bien moins violentes à vivre. Ou à mourir.

« Merci, » murmura Neas.

Le silence fut balayé dès que la Bruyverne rendit ses derniers souffles, son poitrail s'abaissant finalement pour ne plus se relever – immobile, endormie, partie, comme le murmurait le monde autour d'eux. (Pour une fois, ça n'était pas irritant, pas torturant – pour une fois, Neas écoutait ces voix vibrantes de peine puis de rage et comprenait.) Partie, partie, partie et ils ne l'avaient jamais croisée que dans ses derniers moments mais ça faisait mal, ça faisait colère, ça faisait fureur dans les intérieurs. Qui avait fait ça ? Est-ce que c'était le même type de gens que ceux ayant lancé leurs foutus Obscurs depuis le ciel pour ravager villes et innocents, au nom d'ils ne savaient quelle cause ?

Quel genre de cause pouvait justifier tout ça ?

Ce ne pouvait pas simplement être pour retrouver un gosse, si ? (Quel genre de gosse était-ce, pour que tuer, encore et encore, en devienne la solution ou le prétexte ? Il ne pouvait pas croire à ces mains soignantes, les gens n'étaient pas pourvus de pouvoirs magiques – mais alors, pourquoi ?)

(Coupable), grondaient les voix. Coupable, coupable, et Neas observa la petite boule rose (c'était quoi le nom du Pokémon, déjà) de Meera lâcher quelques fleurs au-dessus du corps de la dragonne avec l'impression d'être ailleurs trop présent à la fois. Le sang avait coulé, coulait encore, presque, et chaque signe, chaque chuchotement ne menait qu'à une chose : cette empreinte sanglante, là, sur le sol. « Quelqu’un est peut-être blessé… » Il- quoi ? « Blessé ? » Et c'était calme mais c'était sombre, c'était amer – blessé ? Ce quelqu'un, quel qu'il était, avait pu se relever, lui ; il avait pu marcher, avancer. Peut-être était-il responsable de la blessure de la Bruyverne ; ou peut-être avait-elle simplement été sa monture, mais dans ce cas, il l'avait plantée ici sans remords, la laissant crever seule. (Et ils avaient vu sa silhouette dégringoler du ciel, ce même ciel duquel était venue la pluie d'Obscurs.) « J'aurais dit que c'est la trace du responsable. »

L'un des responsables, sûrement, mais Neas n'avait plus aucune envie de faire la part des choses. Quelqu'un devait payer – quelqu'un allait payer. « ...Tu crois que c'est un d'entre eux ? » S'il le croyait ? Ça grondait, en-dedans, ça tonnait et ça foudroyait, éclairs d'orages après tonnerres incandescents – s'il le croyait ? (Il était familier avec la colère, mais elle l'étonnait, celle-ci ; il y avait si longtemps qu'il ne l'avait pas ressentie de cette façon, toute combativité atténuée par les années et la fatigue.) « Des Pokéballs à Obscurs qui tombent du ciel à New Pyra, les labos d'ici qui explosent avec la même chose, et puis un type qui tombe du ciel ? » Il vibrait, tranchait, fumait, qu'ils paient, (coupable, coupable, coupable) et cette rage étant la sienne n'étant pas la sienne étant leur (étant mienne) « Et ensuite on tombe sur une Bruyverne quasi crevée avec ces foutues voix qui nous lâchent pas les basques ? » Il était sec il était fumée il était fumant il était- uh.

C'était Meera, en face – pas l'un des responsables.

Brusquement mille fois plus exténué, Neas se passa une main sur le visage. « Désolé, c'est pas toi, j'suis juste- c'est juste dégueulasse. » Ils avaient tué, ils tuaient, encore maintenant, et ils allaient probablement s'en sortir – comme si de rien n'était. « Tu-... est-ce qu'on y va ? Dans le meilleur des cas on peut aider quelqu'un qui a besoin de soins et dans le pire on peut peut-être… attraper un des responsables. Et avoir des réponses… » Attraper un responsable. Les réponses intéresseraient sûrement les autorités, ce genre de choses – mais bon sang ce que Neas n'avait qu'une envie, celle de foutre son poing dans la tronche de l'un des types responsables de ce merdier. (Pas qu'il en serait forcément capable, ses côtes ne restant sages et sans douleur que lorsqu'il ne bougeait pas comme là de suite, mais l'envie était démangeante.) D'un autre côté, que pouvaient-ils faire, eux deux, civils n'étant définitivement pas en état d'affronter qui que ce soit ? « ...J'sais pas. Si par miracle c'est un type blessé, vaut mieux y aller, mais si c'est un d’eux... »

(Mais celleux pouvant, peut-être, faire quelque chose étaient déjà occupés ; occupés à recueillir, à aider, à soigner, à combattre, à limiter, dégâts et blessures et à s'efforcer d'aider tout le monde à survivre – police, rangers, autres combattants émérites. S'ils se contentaient de faire demi-tour pour alerter quelqu'un, ils perdraient probablement leur chance ; et Neas était- en colère.)

« Allons-y, ouais. » Que ce soit une bonne ou une mauvaise décision, celle-ci était prise. « Peut-être prévenir des gens sur le chemin, genre des rangers, mais vu ce qui se passe…
— Yeah… »


Et advienne que pourra.

…

…

Le sang maculant la poignée de la porte du moulin était un signe aussi évident qu'aurait pu l'être une flèche pointant l'endroit d'un PAR ICI fait de lettres clignotantes. Le flair du chien de Meera, les traces rouges sur le trajet, et ce capharnaüm de voix dans la tête – ils y étaient, rage et appréhension mêlées, et Neas- hésita. (Qu'est-ce qu'ils pouvaient faire, véritablement ? Se pointer et menacer quelqu'un probablement pourvu d'Obscurs prêts à être utilisés ? D'un autre côté, celui-ci était blessé – et un Pokémon sortant d'une Pokéball était un Pokémon pouvant y être renvoyé, non ? Ta gueule, putain, t'es pas un héros, Neas.)

Il avait téléphoné aux rangers de Verpré sur le chemin, les prévenant de ce qu'ils avaient vu et ce qu'ils soupçonnaient, pour se prendre une réponse indiquant de façon plus ou moins subtile qu'ils se concentraient sur le laboratoire enflammé et New Pyra sous attaque (sans parler du fait qu'ils semblaient plutôt sceptiques de ce que Neas racontait) – vu les réseaux saturés, la quantité de choses qu'ils devaient faire, d'urgences auxquelles ils devaient répondre, c'était assez logique. Au moins, ils étaient prévenus – pareil pour la police d'Anthos. Les réponses et réactions étaient restées les mêmes, nous vous enverrons quelqu'un dès que possible, soit, si l'on traduisait la chose : "pour l'instant y a plus important à faire, on en reparle quand les gens sont pas en train de crever autour de nous", ce qui, eh bien.

Compréhensible.

« Tu… ils sont costauds tes pokémons ? Si jamais euh… on a besoin de se défendre… » Neas mit un instant à distinguer la voix et le sens des mots de Meera, le crâne rempli de ces murmures lui martelant les oreilles telles des guêpes – se défendre ? Il suffisait d'atteindre la Pokéball du potentiel Obscur et de l'actionner, non ? (Quoique ce serait sûrement bien plus difficile à faire qu'à dire.) Est-ce que ses Pokémons étaient costauds ? Azurite pouvait, euh, balancer des cailloux, il supposait. Et empoisonner. « Ou alors on tabasse l’autre jusqu’à qu’il rentre ses merdes dans leurs pokéballs haha !  » Un coup d'oeil, une grimace – les rires nerveux, les grimaces d'appréhension, chacun ses réactions et toutes étaient logiques. « Je vote pour la deuxième option, je t'avoue. Ou bien l'option numéro trois, "aucun Obscur parce qu'il les a tous libérés déjà". » Option très peu probable, mais c'était beau de rêver.

Quelques indications échangées, l'état des lieux de leurs Pokémons fait – et puis, et puis un coup d'oeil, une infinité de voix pressantes leur indiquant d'avancer, et ils passèrent la porte.

Neas n'était jamais entré dans un moulin – c'était à la fois plus surprenant et moins surprenant que ce à quoi il se serait attendu. Pas de fenêtres, de simples trous dans les murs ; des échafaudages en bois pour créer de petits étages dans le moulin lui-même, le premier n'étant accessible que par un escalier de pierre à leur gauche en entrant. Sur le mur, le long de l'escalier, toute une série de traces écarlates, indiquant que cellui qu'ils suivaient étant bien entré par là ; il ne leur suffisait que de- Attention ATTENTION Attention ! Hurlements cris prévention déclic familier, où est-ce qu'il l'avait déjà entendu qu'est-ce que c'était c'était venu d'en haut c'était-

(Pendant une fraction de seconde, Neas se sentit stupide.)

Un cliquetis reconnaissable entre mille, une silhouette bleu nuit aux prunelles rubis, sage pour un bref instant – Pokéball. (Merde), merde, et il chopa Meera là où il pouvait pour les tirer le plus vite possible de côté, l'escalier, grimper, fuir fuir et s'échapper parce que repasser par la porte serait idiots il nous rattraperait aussitôt putain putain putain douleur pointes couteaux sous le poitrail (putain de côtes) et et (rugissement, de ces cris terribles que l'on n'entend que dans les films d'action, bien au chaud sous un plaid tandis que des idiots se font bouffer par des Rexilius sur un écran de télévision – cri horreur qui était ce jour-là réel, et bien plus terrifiant et tonnant que dans son salon).

Le cri et le mouvement semblèrent réveiller Meera, qui cria aussitôt – « THE STAIRS ! » (Neas ne parlait pas galarois, mais le geste de la main était évident, et oui- les escaliers, seul salut bien qu'une part de lui avait vaguement envie de laisser le monde avancer parce qu'il n'y avait aucun scénario dans lequel ils survivaient une rencontre avec ce genre de monstre s'ils devaient se battre à l'étroit du moulin.) Leur seule chance – seul salut, sa Pokéball, l'Auréen·ne au-dessus d'eux parce que c'en était un·e, forcément, la balle ayant été lâchée depuis la plateforme de bois au-dessus de leurs têtes ; putain, putain, « RAPPELLE TA MERDE, » hurla Neas, la voix s'enfermant dans une quinte de toux tandis qu'il s'efforçait de grimper les marches en ignorant douleurs et tout ce que l'Ursaring était en train de faire, derrière eux.

(Est-ce qu'il était déjà sur leurs talons ? Est-ce que c'étaient ses derniers instants ?)

« Moonpie, up ! Put’em to sleep ! » C'était du charabia, encore, quoique sleep faisait déjà plus de sens à ses oreilles – mais le petite Pokémon rond s'éleva aussitôt dans les airs, et- putain, oui. Ils ne pouvaient peut-être pas atteindre le premier étage avant que l'ours ne les rattrape, surtout vu l'échelle qu'il leur restait à monter, putain de côtes mais ils pouvaient- « Azurite ! » Où était passé son fichu Germé- là, à côté de lui, okay, « va trouver le type ou la meuf ou j'm'en fous, flotte, » monte, monte et il obtempéra, filant dans les hauteurs. « RAPPELLE-LE OU J'LUI DIT DE T'ECLATER, » et Azurite détestait les gens, s'en méfiait mais n'hésitait pas à se défendre – alors… « Si tu nous butes IL TE BUTE JUSTE APRES, le sol d'ici c'est du bois, » il pouvait tout faire s'effondrer d'une simple attaque.

Vite, vite, vite, plonger une main dans sa poche, tirer une Pokéball au hasard, la lancer, okay, Apatheia – « aide-nous, » parce qu'il ne connaissait pas les capacités de la petite bougie le moins du monde ; et la Funécire flotta un instant, perdue, avant de réaliser la situation et de fuser (lentement) derrière lui, probablement vers l'Ursaring Obscur.