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Elle avait au bout de la langue un goût d’enfance nostalgique.

Affalée sur la chaise de terrasse, la joue posée au creux de sa main, elle se laisse bercer par les vagues bordant Kopadia. Comme un echo à de vieux souvenirs persistants dont elle ne se remémore pas la totalité mais qu’elle sait présents, l’air marin et le sable fin apaisent son âme –contrairement à celle de son plus jeune frère, dont l’extraversion s’est décuplée depuis qu’iels sont arrivé.es en début d’après-midi.

Perché sur ses genoux avec le bout de la langue sorti, il était au plus calme qu’elle pourrait espérer, totalement concentré sur la tache qu’il s’était fixé : faire une jolie natte avec une mèche rousse de sa grande sœur. Le fait que le travail effectué était désastreux ne changeait rien aux coups d’œil tendre lancés par Lilium, prête à le rassurer sur l’effort quand il s'apercevra que sa natte n’avait rien d’une natte et que son cœur d’enfant serait brisé par la révélation. Il n’avait que quatre ans. Il aurait encore beaucoup d'années pour apprendre à tresser des cheveux.

((Et il y avait comme un déjà-vu, comme une nostalgie frémissante au creux de l’estomac que l’insouciance des enfants couplée à la brise marine. Elle se souvenait peu de Porto Marinada, mais elle s’en souvenait bien, comme des photographies de son enfance qu’elle aurait constamment dans sa poche pour s’y enfuir dans l'imaginaire. Mais il n’y avait que peu de photos qui avaient survécu au soudain déménagement, que peu de souvenirs qui ne se soient tâchés du sombre voile du deuil et des poings et des cris et des paroles acerbes de celle qui avait pris la place de sa mère.
Mais les doigts tendres sur la pommette de Renzo –les doigts tendres de son père dans ses cheveux, les doigts tendres de sa mère sur son enfance, les doigts tendres d’une sérénité lointaine– elle espère que ses souvenirs à lui resteront aussi lumineux que ses yeux. Que la brise marine reste synonyme de réconfort))

La natte était terminée.
Les sourcils froncés, il contemple son travail avec une déception grandissante, ses grands yeux menaçant de s’inonder.
La natte n’était pas incroyable –un enchevêtrement irrégulier se tordant toutes les dizaines de centimètres. Lilium l’adorait.
« No llores, Ren. Lo quiero mucho. Le concerné lève ses grands yeux larmoyants soudains remplis d’espoir, la mine déconfite et hésitante.
– ¿ En serio ?
– Sí. »
Et juste comme ça, le drame était évité, et elle n’aurait pas à expliquer ce soir la raison des yeux rouges de l’enfant quand elle l’apporterait, avec sa petite valise, devant le pallier de son père.

La réflexion lui rappelle qu’elle n’avait pas vu la-dite valise en allant le chercher, même s’il n’y avait rien d’étonnant vu qu’elle avait été ensevelis sous la masse de Rafael et Pia dès qu’elle avait ouvert la porte, et donc totalement oublié de vérifier les affaires que Valentino avait dû préparer en amont. Elle avait totalement confiance en lui –mais il n’y avait rien de mal à vérifier.
« ¿ Mijo, Val ha empacad- mh ? »
Distrait, les yeux rivés à sa gauche, Renzo arborait un immense sourire en agitant les mains vers quelqu’un, coupant Lilium dans son questionnement et la faisant tourner la tête. Elle ne savait pas qu’il avait des connaissances dans le coin, mais tique en voyant de qui il s’agissait.

Un joli visage aux traits harmonieux encadrés par des cheveux sable et océan, des grands yeux qu’elle avait souvent croisé cette dernière année l’espace de fugaces instants. ((elle se rend compte qu’elle ne l’avait pas vu depuis plusieurs mois, la réalisation inscrivant une question qu’elle ne savait pas s’être posée inconsciemment))

Elle savait qui c’était ; du moins elle connaissait son nom de scène. On n’oublie pas quelqu’un qui portrait le même nom que l’homme qui lui avait appris la tendresse.
Elle connaissait son nom et sa voix par sa petite sœur et ses goûts musicaux, mais son savoir s’arrêtait là. Et généralement son intérêt aussi. Mais Renzo faisait des signes de mains enthousiastes à la petite tête blonde qui accompagnait la demoiselle, et Lilium se sentait d’humeur curieuse. Et manifestement particulièrement de bonne humeur, à en croire le hochement de tête et le petit sourire qu’elle lui adresse.

Elle avait au bout de la langue un goût de curieuse nouveauté.

Dans un élan de civilité, Lilium se redresse sur sa chaise en voyant la jeune femme et le petit bonhomme s’approcher, main dans la main. Un gasp audible sort de la bouche de Renzo, qui tapotte farouchement le bras de sa soeur aînée pour lui faire remarquer ce dont elle était déjà au courant –avant de s'immobiliser, attentif, lorsqu’iels s’arrêtent à un mètre.
« Excusez-moi ? Désolée de vous déranger, je crois que mon fils à envie de demander quelque chose au votre… Right Jay ?» Elle tique à moitié devant l’erreur de son lien avec Renzo, mais la timidité du jeune garçon –Jay– détourne son attention, et forme un sourire rassurant sur son visage adoucis. « Euh…I want to play…
–  Dis-le en kalosien, Jay
– Euh… on peut aller zouer ? »
La mine perplexe du plus jeune Mendoza à l’entente de la langue inconnue laisse place à un sourire radieux à l’explication, et il a à peine le temps de tourner la tête vers sa soeur pour la voir hocher la tête qu’il descend de ses genoux, glisse, se rattrape de justesse à la table, lève un pouce en réponse au sourcil relevé de Lilium, et se tourne face à la petite tête blonde.

« Todo bien. Euh, bonjour ! Bonjour madame ! Oh, oh, Lili, on peut aller sur la plage ? Tu veux aller sur la plage ? Y a du sable c’est trop bien, et, et–
– Respire, Ren. T’as pas que trois secondes pour parler. »
Elle passe une main dans les cheveux de son petit frère pendant qu’il récupère sa respiration –la mine faussement boudeuse, ses petites mains tirant les doigts sur sa tête pour les retirer–, avant de remonter son attention sur la jeune femme. Un temps d’arrêt, elle se rappelle les bonnes manières et tend sa main libre vers elle. « Enchantée. Lilium. Et le petit c’est Renzo, mon petit frère. Son sourire carnassier s’accentue avec le je suis pas petit marmonné en réponse, et elle tend la main vers l’autre enfant. Enchantée, Jay. »

Présentations faites et mains serrées, Lilium continue sur la lancé de Renzo en montrant la plage bordant la terrasse du café d’un mouvement de tête, une question silencieuse dans les yeux. Les enfants seraient plus libre de jouer dans le sable, et elles plus à même d’aller les voir en cas de problème si elles ne restaient pas assise à une table et gardaient un œil sur eux.
Ce n’est qu’une fois la confirmation acquise qu’elle se lève, surplombant le trio de plus d’une tête et demi –un fait qui ne la faisait plus tiquer comme il avait pu quand elle avait grandi, ne sachant plus quoi faire de ses long membres quand elle avait même dépassé Juan de courtes années– et attrape d’une main le sac à dos grenouille pendouillant au dossier de sa chaise, et de l’autre le grand verre vide aux gouttes rosées du diabolo qui s’y était trouvé.
Elle n’avait pas besoin de rapporter le verre à l’interieur, surtout sachant qu’elle avait déjà payé, mais ses longues années de travail dans le métier avaient amené en elle un minimum de compassion, suffisamment pour qu’elle le tende à un serveur retournant au bar et qu’elle lui adresse un hochement de tête compréhensif devant son sourire reconnaissant.

« Vale. Mijo, tu veux ton sac? –une moue de supplication qui lui arrache un rire, et elle garde la petite grenouille sur l’épaule– Désolé d’avance, Renzo risque de faire courir un peu votre enfant. Remarque, ils dormiront bien ce soir. » Elle hausse les épaules et descend les escaliers pour atteindre la plage, hésite un instant à retirer ses chaussures pour sentir le sable comme quand elle était petite, finit par abandonner l’idée. « Vous êtes souvent là, vous êtes du coin ou c’est la plage qui vous attire? » Un coup d’oeil marqué, elle ne nie pas l’avoir reconnue ni remarquée, n’ayant jamais trop aimé marcher sur des oeufs.

Le regard suppliant que lance Renzo à son égart en appercevant le petit Voltoutou s’élancer dans leur direction n’a que physiquement peu d’effet sur Lilium. Une moue navrée et une légère négation de la tête tout au plus, et son coeur se serre un petit peu, mais elle n’avait pas ramené Coco avec elle ; l’evoli du petit dernier de la famille était resté sagement à la maison, sûrement en train de dormir avec sa propre fratrie sur le canapé en attendant leur retour. Elle avait bien Alba roupillant dans sa poche, mais elle n’était pas sereine près de l’eau bien qu’elle appreciait énormement Renzo.
Tout le monde appreciait énormement Renzo, de toutes façons.
((sauf peut-être leur mère))

Le regard voguant sur le Munna qui leur tournait autour, Lilium laisse machinalement sortir Mimoso ; le petit nounourson jette un regard circulaire sur l’océan, Lilium, puis Meera, des étoiles plein les yeux et l’envie de se dégourdir les pattes. Avec un clignement d’yeux qui communiquait plus que ce qu’il ne devrait, sa dresseuse le regarde courir autour d’elles, attentive à ce qu’il ne s’approche pas trop des enfants, sûrement encore trop petits pour ne pas le prendre pour une peluche et faire les frais de son aversion pour les contacts. Renzo avait des chances de s’en sortir, mais elle ne parierait pas sur Jay.

Laissant les pokemons et enfants jouer, elle se retourne vers Meera en hochant la tête à sa réponse. Ike Kai –et l’ensemble de l’Île, vraiment– était un endroit charmant, bien qu’un peu trop bondé pour la beauté des paysages. Elle y avait longtemps travaillé, dans différents établissements, mais bien souvent de nuit, et n’avait pu profiter réellement de la plage que depuis quelques années.
Elle y était bien venue avant, quand la nostalgie de l’océan couplée au besoin de s’enfuir de chez elle habitaient ses après-midi, main dans la main avec son grand frère qui ne disait jamais que ça lui manquait aussi. ((il n’avait pas besoin de le dire –elle le savait))

« Et vous ? Je crois qu’on s’est croisées plusieurs fois dans le coin ces derniers mois, non ?
– Mhm. » Une vague affirmation, elle hésite un instant ; elle ne parlait jamais d’elle, n’aimait pas donner d’informations sur sa vie à celleux qu’elle ne connaissait pas et dont elle ignorait les intentions. Elle aime rester vague, aime rester silencieuse, aime mentir pour se couvrir ((mentir pour proteger)). Mais elle a dans ses yeux l’océan et dans sa voix l’angoisse d’une mère –l’angoisse de ceux qui ont trop à perdre– et l’air marin a toujours calmé Lilium.
L’a toujours ramené à une periode de sa vie où elle n’avait pas peur des adultes et où le sourire d’un père la rendait infiniment heureuse.
Quand sa mère était encore sa mère et qu’elle pouvait dormir dans les bras de son père sans avoir peur d’y mourir.

« On habite à New Pyra. Pas la porte à côté, mais comme je suis née à Paldéa, l’océan a tendance à vite me manquer. Et les petits aiment bien y aller donc j’les emmène souvent. Ca change d’Haptos. »

Un cri de surprise lui fais lever les yeux, alarmée, vers les enfants, mais elle n’y voit que son frère tirer la manche de son nouvel ami, l’autre main pointée vers l’océan d’où sortait, régulièrement, un petit poisson. Jugeant la menace inexistante, elle reporte son attention sur la mère à côté d’elle. « Ca faisait longtemps que je vous avais pas vu, d’ailleurs. La déprime de l’hiver? » Elle hasarde, nonchalente, montrant sans vergogne le fait qu’elle avait sans doute remarqué son absence. Elle ne s’était pas inquieté plus que ça ; elle ne la connaissait pas et ne s’y interessait pas, mais la question s’était installée au fond de son esprit sans qu’elle le remarque et elle n’y avait plus pensé ces dernier mois tant elle avait à faire de son côté. La question était juste revenue la titiller maintenant qu’elle la revoyait, et qu’elles se baladaient le long de la plage, Lilium enjambant un bababouh dans leur passage, les enfants un peu plus loin.

Elle hausse les épaules, ne tenant en compte ni le changement de langue – elle était mal placée pour en faire la remarque – ni l’absence de connaissance de New Pyra.
Si elle en avait eu le choix, elle n’aurait pas choisi d’habiter aux creux des mains de la Géante du désert. Aux creux des mains ou sous ses bottes, tant elle s'élève sur la pointe des pieds dans le ciel avec une fierté sans pareil à frôler les nuages, et écrase de sa danse la nature et les Hommes. Les Hommes d’en bas, ceux qui ne peuvent que rêver de contempler le visage de New Pyra et se retrouvent à bouffer la terre dans son ombre. Elle est belle la géante du désert, dans son manteau futuriste et sa couronne d’argent maculée du sang des sacrifié qu’elle cache dans les ourlets de sa robe.
Elle est belle la géante du désert, brillante de beauté et rayonnante d’intelligence, brûlant tout autour d’elle et protégeant ceux d’en haut de la misère de ceux d’en bas.

Si elle avait eu le choix, elle aurait choisi de rester près de la douceur de sa ville natale.
((mais à neuf ans on ne choisis pas))

«  La déprime tout court j’imagine.
– Oh.
– J’ai… J’étais hospitalisée entre début janvier et mi-février.
– Oh. »

Le ton plus sombre résonne au sein de Lilium et de son manque d’éloquence, et un brin d’empathie la secoue.
Elle avait passé huit mois à se laisser crever au fond de son lit toujours trop froid et trop vide ; la déprime lui était familière, seule entité à partager ses draps chaque nuit à la place du sourire radiant de celui qui n’était jamais revenu.

« Désolé de l’apprendre, ((je crois qu’on dit)) ça va mieux au moins ? Et le petit, il était avec…je sais pas, son père, un parent, quelqu’un ? »

Elle n’ose pas imaginer ce qui serait advenu de Renzo s’il n’avait pas eu ses parents ou ses frères et sœurs – il avait eu la chance de naître dans une période où sa famille ressemblait encore à quelque chose, avant que tout l’univers s’écroule en six mois – Lilium partie avec l’amour de sa vie, Juan en taule, la séparation des parents, et encore l’absence, toujours l’absence.
C’était impressionnant comment on pouvait se sentir seul dans une famille aussi nombreuse, quelquefois.
«  Tu viens de quel coin de Paldea ? Je suis vaguement passée par Levalendura et Mesaled- Careful Jay ! Sorry. Oh je crois que je t’ai tutoyé en plus, excuse-moi !
– Heh, t’en fais pas. C’est plus simple, puis j’ai vingt-six ans, pas cinquante. Je suis née à Porto Marinada ! Un petit port tout à l’ouest, t’as pas dû y passer. Y a pas grand-chose à y faire à part le grand marché, mais c’est un coin sympa pour des enfants, j’imagine. On a déménagé assez tôt donc je m’en souviens pas de fou. »
Et ça fait mal de s’en souvenir, l’enfance entachée par un deuil trop rapide et trop long, ou par le traumatisme des joues meurtries par la colère.

Un mouvement la distrait et elle fronce les sourcils en voyant, à quelques mètres, un noeunoeuf se diriger droit vers sa mort, les entités le composant semblant trop préoccupés pour remarquer le limonde qui les attendait avidement.
« Eh oh, pendejos, restez pas l– raah mais. Elle s’éloigne un instant de Meera et leur pokemons pour pousser doucement de la chaussure le pokemon sur un autre chemin, et regrette amèrement de s’être interposée quand il la regarde avec des étoiles dans ses trop nombreux yeux et se met à la suivre quand elle retourne vers sa compagne. Oh non j’ai merdé, ça suffit, pas un gamin en plus. »
Une grimace dans leur direction et un mouvement vers Mimoso pour lui faire signe de ne pas l’attaquer, et elle tente de continuer leur conversation sans trop se préoccuper du noeunoeuf qui les suivait d’une distance trop courte à son goût.
« Et vous veniez d’où avant 2023 ? J’aurais tendance à dire Galar ou Unys mais bon, Ren parle paldéen et kantonien en plus sans avoir quitté Lentis. »

Ren qui s’était arrêté un peu plus loin pour ramasser des coquillages et les montrer à son nouvel ami avec une fierté peinte sur le visage.
((Lilium se revoit à sa place, les bras débordants de coquillages et le visage débordant de joie à l’idée de les montrer à son père))

Mimoso jetait des coups d’œil intéressés en arrière, confirmant à sa dresseuse sans qu’elle n’ait besoin de se retourner qu’elle était toujours suivie ; en espérant que ça ne soit pas sur tout le chemin et qu’il détournerait vite son attention sur autre chose.

«  Il est déjà trilingue ?
– Ouais, on parle beaucoup paldéen à la maison et son père est kantonien, donc il lui apprend un peu.
–  Damn. Nous on vivait à Unys, à Volucité, avant d’arriver à Kopadia mais j’y ai vécu que deux ans. Je suis née à Motorby, c’est une grosse ville industrielle galaroise, je crois c’est l’inverse parfait de Porto Marinada; haha. J’y ai vécu vingt ans à peu près.
– Mommy look ! Le copillaj ! Cadeau ! »

Jay était revenu en courant et montrait, fièrement, un caillou des plus banal à sa mère. Adorable. Renzo resté derrière, das un squat tellement bas qu’il avait les fesses dans le sable et les mains autour d’un caillou et d’un coquillage, regardait son ami offrir son cadeau avec un air approbateur. Derrière Meera qui hésitait sur comment répondre, Lilium hoche la tête vers la tête blonde quand leur regard se croise, un pouce en l’air en support et un air impressionné au visage.

C’était un début.

L’enfant repart plus loin et Lilium baisse les yeux vers sa mère qui se redressait, lui adressant un immense sourire ravi. « La collection de cailloux, un classique. » Tous les Mendoza avaient eu leur phase à un moment donné de leur enfance. Ceux de Lilium étaient quelque part à New Pyra, abandonné par son beau-père elle-ne-savait-où après un long voyage depuis Paldéa.
Elle avait beaucoup pleuré cette nuit-là.

« J’ai entendu parler de Motorby. Ça a l’air sympa mais…bruyant. Le contraire de Porto Marinada et d’ici, oui. On a juste fait l’inverse, mais ton sens fait plus de sens honnêtement. »
On avait plus tendance à vouloir passer d’une vie éclectique à une vie paisible au bord de la mer. Lilium y retournerait, si elle pouvait. ((elle devait y aller, emmener sa fratrie voir sa mer natale, voir celui qui les avait toustes uni.es sous le même nom : Mendoza venait de son père, et sa tombe devait être bien seule depuis vingt ans))

« Désolée si c’est indiscret comme question, mais euh… est-ce que c’est toi qui élèves Renzo ? »
La colère défensive qu’elle s’attendait à ressentir ne venait pas.
Elle avait tant l’habitude d’entendre des dérivés de cette question, les tons tous plus hautains et jugeant les uns que les autres. Elle était grande mais elle était jeune, les traits tirés par la fatigue mais le visage encore rond ; et déjà à seize ans elle allait chercher les enfants et s’installait au fond des salles de classe pendant les réunions parents-profs, sous les regards souvent méprisants des autres présents. Elle avait l’habitude de se défendre sans jamais expliquer, parce que c’était pas leurs affaires, parce qu’elle ne leur devait rien et parce qu’elle ne les avait peut-être pas portés dans son ventre neuf mois, mais elle les avait portés dans ses bras depuis.
Mais rien ne vient qu’un goût amer à la réalisation que Renzo aurait pu être son fils, dans des circonstances qu’elle refusait de trop penser.

Alors elle se contente d’une grimace hésitante, la complexité de la situation marquée sur ses sourcils froncés.
« En partie. Il est chez son père une semaine sur deux, le reste du temps chez sa– notre mère. Mais elle est, mh, pas vraiment apte à s’en occuper, du coup c’est surtout nos frères et sœurs. Qui sont encore des enfants –la plupart. ((elle entendait déjà Valentino râler comme quoi il était majeur et plus un enfant, mais elle avait encore du mal à l’admettre)). J’habite plus avec eux, mais j’essaie de m’occuper un max de Ren pour qu’ils se concentrent sur leurs études. Et juste être des enfants. »

La perspective que ses frères et sœurs aient à grandir trop tôt comme elle et devenir des parents de substitution avant des adolescents la terrifiait. Elle avait déjà mis son enfance de côté pour s’occuper d’eux et était prête à recommencer sans ciller ; alors bousiller sa vingtaine pour qu’ils puissent profiter d’une jeunesse à sa place, elle n’y voyait aucun problème.
Autant se sacrifier entièrement plutôt que tous à moitié, après tout.

« Heh. Un rire lui secoue les épaules avant qu’elle ne les hausse, un mouvement de tête vers les enfants. C’est pas la vie de rêve sur le papier, mais au moins il est content. C’est tout ce qu’on demande d’un enfant. Et comme dirait un de nos frères: personne peut savoir qui lui apprend des injures. »
C’était Lilium.
C’était toujours Lilium.

« Haha, m’en parle pas je crois qu’un des premiers mots que je lui ai appris c’est fuck »
Un rire franc s’échappe de ses lèvres, repensant simultanément au visage courroucé de Pia quand elle avait entendu son petit frère jurer pour la première et l’interrogatoire qui avait suivi. Juan avait eu la même réaction quand il avait s’agit des jumeaux, les mains sur les hanches et les sourcils froncés en passant un savon à Lilium. ((que Pia prenne inconsciemment le côté le plus doux de son plus grand frère lui donnait un pincement au coeur))
« Vous êtes nombreux ? Tes frères et sœurs ?
– Sept enfants en tout. »
De trois pères différents et d’une même mère absente, entre vingt-sept et quatre ans. Elle ne précise pas ; pas demandé, inutile, en trop.

Le moment de latence lui fait baisser les yeux vers Meera et hausser un sourcil devant sa mine hésitante.
« Je-... peux te demander pourquoi ta mère est… inapte ?
– Ah. » Non.
Son habituelle négation lui brûle les lèvres et son armure tremble de se raffermir autour d’elle. Parler de ses adelphes et de sa situation familiale était une chose ; sa mère ou son adolescence, une autre. ((elle avait sa peur qui lui hurlait de ne rien dire, les larmes aux yeux et les doigts écorchés de défendre bec et ongles la sécurité qu’elle s’était construite. Sa peur avec ses cheveux roux et son visage familier, petite fille à la peau déchirée par l’amour qu’elle donnait en n’ayant que de vieux souvenirs en référence. La terreur de Lilium avait un visage d’enfant et les dents serrés d’une rage sauvage.))

« Promis je demande pas juste pour savoir, c’est juste que… J’ai l’impression d’avoir été clouée au lit pendant les trois quarts de la vie de Jay et je… je sais pas. J’ai peur quoique je fasse ça ne sera jamais assez bien pour lui… »
Elle hésite et s’arrête, le regard interrogateur de Mimo sur elle et le regard navré de Lilium sur lui. ((lui aussi elle l’avait ignoré ses six premiers mois avant de sortir de son apnée et de le nommer)) Il trottine pour revenir à son niveau, curieux, et pousse ses jambes d’un coup de tête ; un coup de tête délicat et attentionné, sans la force qui le caractérisait, parce qu’il savait ((faire mal)) et le pouvait ((ne pas le faire)).
Elle rattrape Meera en deux enjambées, Mimo courant à ses côtés l’air rassuré.
« Sorry, not me trauma-dumping on a stranger, haha. Si tu préfères pas répondre je comprends
– Oh j’ai été longtemps barmaid, j’ai l’habitude t’inquiète. »
Un silence, une inspiration, et un soupir abattu.
« Si t’as peur c’est que ça t’importe. C’est déjà ça en plus que ma mère. ((l’amertume fatiguée au bout de la langue, Lilium n’a plus son ancienne colère dès qu’elle parlait de sa mère ; elle n’a plus la force de se battre contre elle comme avant, griffes dehors et langue acérées. Elle a abandonné le combat perdu d’avance, laissé sa mère au fond de la mer et est remontée seule)) Ma mère est ((morte)) malade, on peut dire. De sûrement plein de trucs différents qu’elle cherchera jamais à savoir et qu’elle préfère mettre sur le dos des enfants qu’elle fait à la pelletée sans s’en occuper. Hem, pardon. Elle a pas toujours été comme ça, mais la…la- la mort de mon père, ça l’a un peu bousillée.»

Elle ne sait pas ce qui lui prend d’en parler ; son père était son jardin secret, la part d’amour et de tendresse de son enfance qu’elle gardait précieusement au fond d’elle-même et sur la table de chevet. Et c’était peut-être le sable chaud, c’était peut-être le bruit des vagues, c’était peut-être les cris d’enfants ; c’était peut-être Meera ((Angel ; Ángel)).

« Il est encore petit. Jay. T’as tout le reste de sa vie pour t’en occuper, et crois-moi, rien qu’essayer, ça veut dire quelque chose. Pour lui comme pour toi. Il le saura. Si t’essaies il le saura. »
Et si elle n’essaie pas il le saura aussi, mais dans ses illusions, Lilium y avait vraiment crue ; en 2017 quand son dernier beau-père était entré dans leur vie et qu’elle avait revu sa mère sourire, elle y avait cru.
Puis elle avait abandonné.
Juste un écho de son enfance parce que sa mère est morte il y a vingt ans et que la femme qui l’a remplacée, apathique, malsaine, violente, cruelle, n’est qu’une ombre dans l’appartement.

« Il t’aime, tu sais. Un mouvement de tête vers sa poche. Le caillou. On offre les jolis cailloux aux gens qu’on aime. »
Machinalement elle touche son poignet, orné du petit bracelet multicolore en pâte fimo que la toute petite Pia lui avait offert à la fête des mères. On a fait ça à l’école et la maîtresse a dit qu’il fallait le donner à sa maman pour lui dire qu’on l’aime, alors voilà, je t’aime très fort.
Et du petit doigt, la chaîne dorée qu’elle ne quittait pas.
Pour un amour perdu ((et un coeur détruit))

Le reniflement qui suit sa phrase fait ouvrir des yeux immenses à Lilium, le visage pétrifié se transformant lentement en panique.
Qu’elle ait été barmaid et ait écouté des tonnes et des tonnes d’histoires plus triste les unes que les autres ne voulait pas dire qu’elle savait réconforter.
Elle pouvait écouter, impassible, proposer une solution physique et souvent violente, et ignorer ; l’émotif et la compassion étaient une autre paire de manche sur laquelle elle n’avait pas encore travaillé et ne savait même pas si elle le voulait. ((trop de travails, trop de conséquences, trop de bagages à déballer))

« Je sais qu’il m’aime, c’est juste… dur de croire que je le mérite
– Ah. » ((faut dire quoi déjà)

Les joues mordues pour ne pas froncer les sourcils comme à son habitude, elle reste immobile, les yeux rivés sur le petit Munna qui avait l’air d’avoir dix fois son intelligence émotionnelle. Mais Meera semble se reprendre et elle retient un soupir soulagé, l’attendant en se balançant sur ses jambes, le regard fuyant.
((Dios mío, haz que deje de llorar.))

« Ma mère est partie quand j’étais toute petite alors je ne la connais pas bien mais… je crois que mon père ressemble à ta maman. Il a eu le cœur brisé quand elle est partie et il n'a jamais essayé d’être un parent depuis alors… je crois que je te comprends un peu.
– Ah. »
Spectaculaire réponse.
Un regard furtif, elle examine de la tête aux pieds les parcelles de peau visibles, les traces immanquables qu’elle ait eu un père comme sa mère. Rien. Peut-être sous le coton, peut-être qu’il n’y a rien ; le dos de Lilium la brûle de souvenirs, les bras de douleur et les mains de rage.
Sa joue droite brûle de tristesse.
((cicatrice comme une larme, peau arrachée comme un cri comme le premier souvenir d’une folie incontrôlée))
« Ouais c’est…c’est… ((ça détruit l’enfance et l'espérance et quand on grandit seul sans personne sur qui compter sans amour à recevoir et trop à donner, à connaître que la violence des mots et des ecchymoses sur la peau, on sait plus quoi faire avec une vie dans les doigts)) c’est dur. »
Même Mimoso avait l’air de la trouver gênante avec le regard qu’il lui lance, et elle se mord la langue pour ne rien dire de plus stupide.
((Jeremiah ou Pia auraient trouvés les bons mots, mais Lilium n’était ni l’un ni l’autre à grimacer dans le vide))

« Si tes cocktails sont aussi bons que ton écoute et tes conseils, tu devais être une barmaid hors pair, haha !
– Haha… ((comment avait-elle gardé son job aussi longtemps avec autant d’éloquence))
–  Merci.
– Ah euh, d-de rien? »
Les yeux ronds de panique elle ne sait pas quoi faire, pas quoi réponde, jusqu’à ce qu’un rayon de soleil ait pitié d’elle : les enfants reviennent vers eux en contournant un larvadar, et Renzo s’accroche à sa jambe, une main tendue vers son sac pendouillant bien trop haut pour lui.

« Lili, Lili, je peux avoir les gâteaux fossiles por favor?
– AH EUH, tu vas manger ce soir hein? Sinon Ryōichi va me crier dessus.
– Papa crie jamais.
– Non, il est déçu, c’est encore pire. Tiens. »
Renzo attrape le paquet tendu et le déchire soigneusement pour en sortir un, et le tend avec ses immenses yeux bourrés d'innocence vers Meera.
« Tiens, quand je suis triste, un aré-aéri-aéropé- ça va mieux après ça.
– Aéroptéryx.
– Aéroptéryx. »

De sa propre poche elle sort des friandises pour les tendre à Mimoso, ravi d’un goûter improvisé ; il est le seul témoin des yeux embués d’amour de sa dresseuse pour son petit frère et ses Aéroptéryx qu’il voulait distribuer à tout le monde pour réparer les âmes détruites.