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Partie.
— elle est partie, elle s’est évadée de Lentis, loin de tout, loin de nous ((c’est mieux ainsi)) mais il est vide, vide l’appartement sans elle, froid, froid, terriblement froid et il fait mal, et le silence qui se remplit de murmures de plus en plus imposants et je me tiens tout juste éloigné de l’abysse, de la noirceur, du sommeil, de l’absence. Tout juste éloigné du vide pour ne pas y plonger encore. Tout juste au bord du précipice. Ne pas y tomber. Mais c’est si complexe. Ne pas s’y perdre, mais ça demande beaucoup de volonté. Rester réveillé, réellement réveillé, conscient, actif, maître de mes gestes.

Après que Milo soit passé chez moi, après notre discussion davantage silencieuse que portée par des mots, je suis parvenu à réunir l’énergie suffisante pour mettre les pieds dehors. Enfin, ça a pris quelques jours, je dirais vers la fin de la première semaine de février, m’égarer un peu dans les rues d’Adamantia, m’excuser auprès d’Alceste, mais heureusement avant de partir dans les montagnes avec Eagle, j’avais fourni suffisamment de produits pour durer mon absence. Assez pour qu’on n’essaie pas de me traquer et me faire regretter, encore une fois, mes pensées, mes réflexions, mes actions. Ça va, décembre m’a suffi comme leçon, je ne suis pas complètement idiot non plus. La douleur accompagne encore chaque de mes gestes. C’est un peu mieux, quand même. Respirer n’est plus aussi terrible, je peux marcher sans vouloir me jeter sous les rues d’un bus pour ne plus rien ressentir, mais quand même. Un mouvement légèrement de travers et je suis complètement paralysé par une vague électrique et je dois porter mon attelle si je veux pouvoir fonctionner sans trop de problème, sans que mes muscles ne se décident de relâcher ce que je tiens.

Le laboratoire ; l’antidote enfin complétée. On l’annoncera au Solem, enfin, Miroir l’annoncera, moi je resterais ici pour m’occuper des Pokémon, continuer les recherches, continuer mes recherches. Je me tourne vers Light, le Spododo que Raphaël m’a donné qui me tient compagnie pendant mes essais (et surtout, qui me refile de ses spores pour que je puisse synthétiser une substance puissante, encore plus euphorisante que l’héroïne). Toujours se dépasser, toujours la rendre encore plus addictive, encore plus high, ne jamais y toucher. Mais ces derniers temps, l’idée me traverse l’esprit. Non, non, je suis parvenu jusqu’ici sans jamais consommer. Je ne peux pas commencer maintenant. Garder le contrôle. Toujours garder le contrôle sur mes pensées, rester sobre, parce que sinon, je ne possède plus rien.  

Le téléphone qui vibre à côté provoque un violent sursaut ; « putain ! » la douleur s’infuse, se propage, la respiration coupée, je prends plusieurs minutes à parvenir à reprendre mon souffle et lire le SMS.





Étouffer un bâillement et rapidement aller dans le bureau pour caler une boisson énergisante, prendre un comprimé d’éphédrine (c’est l’équivalent de pilules de caféine, ça va) ; même si la tentation de piger dans mes stocks est grandissante. Il me faut tenir, toujours tenir un peu plus réveillé pour fuir les cauchemars, pour fuir ma conscience, tenir sans dormir mais le corps a besoin de repos, alors comment… ((respire)) un, deux, trois, se recentrer, quatre, cinq, six, retourner dans le laboratoire. Parce que mes pensées ne me mènent nulle part de toute façon, ce ne sont que des spirales qui me traînent vers le bas. Imani devrait rentrer plus tard dans la journée au laboratoire, en attendant je serais seul avec Hermès comme Miroir a dû partir au courant de la nuit ((qui ne fut pas passée uniquement à travailler)). Quand Hermès entre, mon œil se tourne vers lui et je le salue de la main, avec mes gants bien évidemment, et l’attelle par-dessus. « hello, pretty boy, how is it going ? » ((and I still rule around)) seul, sur le sommet, toujours seul parce que c’est mieux ainsi

Seul parce qu’ainsi, la seule personne que je peux blesser, c’est moi-même. Portes fermées. Repousser le monde entier parce que je ne veux personne pour me défendre, pour se battre pour moi, personne pour tomber à ma place. C’est mon sang qui doit couler, pas le leur.  

Sept, huit, neuf ― ne pas s’égarer. Mais je ne suis pas exactement doué pour ne pas m’envoler. Attendre que l’énergie s’infuse dans mes veines, que les comprimés agissent et un petit rire amusé qui s’échappe d’entre mes lèvres ; pas de sourire, seulement un souffle qu’on pourrait presque ne pas capter. Parce que tu es si inconscient du flirt et que ça me pousse seulement à enchaîner les surnoms, les phrases tendancieuses, les sous-entendus, pour observer jusqu’à quel point l’incompréhension demeure, quand est-ce que l’étincelle s’allumera et que tu saisiras. Un peu comme un projet de sciences, au final ; un projet de sociologie. Je m’adonne à ce type d’observations depuis toujours. Je pourrais presque compiler tout ce que j’ai récupéré sur les personnes croisées dans des fiches techniques (tiens, bonne idée).

« En vie, sur votre terre. » ((enfin, à moitié)) je me contenterais de ça. Je respire, j’évolue en grande partie dans la même réalité que la tienne, demander davantage, ce serait complètement dépasser les bornes. Même moi, je suis capable de le reconnaître. Avec les abysses qui patientent, silencieuses, mortelles ; attendent que mes pieds se rapprochent un peu trop du précipice, pour frapper, m’entraîner, me piéger. J’émerge à peine du vide, je ne veux pas y retomber. Alors, se concentrer (dix, onze, douze) ― compter, en arrière-plan, bruit de fond qui ne s’éteint pas, pour rester présent, ne pas s’égarer encore, encore et toujours. Comme je sais si bien le faire, malgré moi.

La tension se propage dans mes muscles, réveille un léger élancement au niveau de mes côtés ((je ne serais jamais vraiment débarrassé de l’inconfort qui s’y loge depuis mi-décembre, je crois ; en même temps, filer dans les profondeurs des montagnes deux semaines après que cinq gars se soient mis contre moi… ce n’était pas ma meilleure décision)). Inspirer, expirer ; treize, quatorze, quinze. Ne pas se laisser emporter par le raz de marée de colère qui surgit et essaie de me déraciner. « Depuis genre, fin décembre. » C’est étrange, pas vrai ? Mon grand-père qui revient et soudainement, Éclipse qui disparaît. Loin d’être ravi par son retour, je le suis encore moins maintenant et ça me prend tout le contrôle que je peux réunir pour ne pas aller le trouver là où il se terre pour le confronter. Le secouer. J’pense pas que ce soit très fair un adulte dans la trentaine contre une personne âgée. Un peu déloyal.

Et il reste de ma famille ― ce que ça fait mal, comme petite pensée qui s’invite, mais elle porte en elle la vérité. ((Ne pas trop s’y attarder, seize, dix-sept, dix-huit)) Ne pas laisser le fond venimeux s’étendre dans ma voix. Il y a bien intéressant à faire. Spores s’étire, de son panier dans mon bureau, pour regarder par la fenêtre, intéressé par ce que nous faisons et je lui fais un petit signe pour qu’il nous rejoigne. Il a bien le droit de profiter de la compagnie, après tout ; et je libère Nucléaire de sa Pokéball. Il s’ébroue légèrement et sautille vers moi, son regard globuleux qui me dévisage. Je ne sais pas trop pourquoi. Je ne parle pas le Pokémon, après tout. C’est assez compliqué, comprendre ces créatures. « Le voici. J’essayerais de répondre à tes questions comme je peux ! Tu faisais quoi de bon, tiens ? » Curiosité picotant le bout de la langue, comme toujours ― et si Hermès n’est pas le plus bavard, ça ne m’empêche pas de gratter ici et là quelques informations. Et surtout, ça ne me décourage à aucun moment.