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Gabrielle se hissa sur la racine surélevée, poussant sur ses bras pour passer la jambe par-dessus l’écorce et, lorsqu’al s’y fut installé·e, se pencha pour tendre la main en direction de sa camarade. Morgane referma ses doigts sur son poignet, trouva une prise sur une aspérité quelconque, et força sur bras et jambe pour s’installer à son tour à califourchon sur leur perchoir. Le souffle un peu court, l’apprenti·e ranger tira du filet à la gauche de son sac sa gourde en acier, qu’al ouvrit et porta à ses lèvres. « T’es sûr·e que tu veux toujours pas qu’on grimpe sur Pilgrim ? » Gabrielle prit le temps de se désaltérer, avant de pousser un soupir un peu lourd, fatigué, et d’essuyer d’un revers de poignet la sueur qui perlait sur son front.

« Nan, j’veux pas le fatiguer comme ça, » répliqua-t-al, al-même étonné·e d’avoir encore tant de patience à revendre alors que sa camarade lui avait posé la question à peu près quatre fois au cours des trois dernières heures. La première fois en quittant Harmon’île, la deuxième en manquant glisser sur une pierre à la surface d’un ruisseau, la troisième en se griffant les mollets sur des ronces, et puis rien qu’à l’instant. « On sait pas c’qui nous attend. » Al était parti·e sans prévenir personne - congés posés à la base alors qu’al avait dit à ses parents qu’al était en formation du matin au soir et pendant plusieurs jours, et qu’al dormait chez un·e ami·e, et qu’il ne fallait pas s’inquiéter si al oubliait de répondre à ses messages.

Al ne pouvait pas permettre qu’il leur arrive quelque chose, alors que personne ne savait où als se trouvaient. Alors, il était hors de question d’épuiser ses Pokémon si ce n’était pas par absolue nécessité. Il n’y avait que Rumble qu’al avait libérée - parce que la Luxray sentirait des choses qu’als ne verraient ni n’entendraient pas venir ; aucun son ne lui parvenait mais toutes les vibrations du sol et de l’air l’atteignaient, faisant d’elle une alliée de choix que Gabrielle n’avait pas su garder à sa Pokéball.
Al avait hésité, longtemps, aussi, à laisser Togekiss voler dans les airs - mais al avait entendu des histoires, de gens qui avaient perdu leurs amis ou leurs Pokémon, qui ne s’étaient pourtant éloignés que de quelques mètres à peine alors, de peur, al n’avait pas su s’y résoudre.

Morgane soupira, et Gabrielle se redressa. « Arrête de râler, c’était ton idée, » finit-al par maugréer, chassant d’un revers de main la mousse accrochée à ses jambes et son short. « Ça va, fais pas genre t’as pas sauté sur l’occasion, » rétorqua l’autre, sans se relever, toisant l’apprenti·e (plus pour si longtemps ; plus qu’une poignée de mois, et al serait diplômé·e) ranger d’un regard agacé. « J’fais que m’assurer que t’ailles pas crever toute seule dans la jungle, comme t’es pas foutue de dire non à un pari. » Morgane se renfrogna, visiblement blessée.

C’était injuste - Gabrielle le savait.
Al ne fit pas mine de s’excuser.

La dizaine de minutes suivante s’écoula en silence. Morgane ne fit plus mine de se plaindre des ronces qui griffaient ses jambes, des aspérités des écorces qui manquaient la faire tomber, pas plus que de l’humidité ambiante ni de quoique ce soit d’autre. Gabrielle lui jetait des coups d’oeil de temps à autres, hésitant à s’excuser mais sans jamais oser - par fierté mal placée, sans doute, et parce que c’était Morgane qui l’avait entraîné·e là-dedans. Qu’al aurait pu la laisser s’y perdre sans en faire son problème ; mais qu’al n’avait pas pu ni su dire non lorsqu’elle lui avait demandé de l’accompagner.

Mais ça l’agaçait - ça l’agaçait de voir son amie céder aux provocations d’idiots de leur lycée qui n’avaient, à son égard, que de mauvaises intentions ; de la voir relever des défis stupides rien que pour dire je l’ai fait à la face d’imbéciles qui n’en tireraient aucune satisfaction si elle s’en sortait indemne. Al ne l’avait pas dissuadé·e, cependant - et c’était un peu de sa faute, aussi, si als étaient là.
Parce qu’il y avait une curiosité, en al, que Gabrielle ne parvenait pas à tamiser, à étouffer, à faire taire ; un quelque chose qui l’appelait, toujours plus loin, et même si al n’avait pas su se résoudre à s’enfoncer plus avant dans le désert d’Haptos, parce que ça signifiait… Ça signifiait affronter des choses qu’al n’était pas encore certain·e de savoir affronter.

Al ne l’avait pas dissuadée, parce qu’al en profitait aussi ; se déchargeant de la responsabilité de sa situation sur les épaules de son amie plutôt que d’admettre qu’al avait eu envie d’être là aussi. Que, si al ne s’était pas défilé·e, ce n’était pas que par acquis de conscience, mais aussi parce qu’al- « Attends, » souffla-t-al, en remarquant que Rumble s’était arrêtée, quelques mètres devant als, les oreilles couchées et la fourrure gonflée.

« Y’a quoi ? » Gabrielle n’eut pas le temps de répondre que des chuchotements éclatèrent - à leurs oreilles ou dans leur crâne, als n’auraient pas su dire. Ca ressemblait aux murmures de juin dernier, et puis d’avril, aussi ; mais ceux-là ne les invitaient pas, ceux-là leur intimaient intrus et firent naître, en als, un malaise palpable. Als échangèrent un regard. « Reste derrière moi, » souffla-t-al, avant d’emboîter le pas à sa Luxray, qui n’avait pas bougé d’un iota, le regard fixé sur quelque chose que Gabrielle n’apercevait pas.

Il lui fallut se hisser sur une racine pour prendre de la hauteur, et discerner ce que Rumble voyait - une créature qu’al ne reconnu pas tout de suite, rose, et violet, et le crâne surmonté d’un coquillage et la peau à l’air malade et- Al ne savait plus comment ça s’appelait, qu’est-ce que c’était, mais il- Tout ce qu’al savait, c’était qu’il les toisait avec animosité, la patte tendue dans leur direction et l’air d’ordonner, quelque chose, sans un bruit.
Gabrielle esquissa un pas en arrière. Il y avait quelque chose, dans la posture du Pokémon, qui ne lui disait rien qui vaille.

« Viens, Rumble, » souffla-t-al en reculant, se laissant glisser au sol - même si le sol n’en était pas vraiment un, lui-même à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la terre ferme. « On va faire un détour par là-bas, okay ? » Al ne voulait pas risquer un affrontement si tôt - pas avant d’avoir pris suffisamment de hauteur pour pouvoir marquer leur position et s’assurer un retour sans embûche.