Menu

Le silence des vestiaires n’en était pas véritablement un - mais il était l’endroit le plus calme que Gabrielle avait trouvé ; les bruits du monde y étaient plus ténus que ceux qui résonnaient dans son crâne. Al entendait, de loin, étouffés par les portes épaisses aux normes anti-incendie, la musique qui s’élevait des haut-parleurs, les applaudissements, les cris, le boum boum boum régulier des talons qui frappaient le sol des gradins et se répercutait jusqu’ici, dans une cacophonie rendue aphone par les murs et le plafond et son propre souffle, qui lui semblait,
qui lui semblait asphyxiant, assourdissant, dans le silence d’une pièce où tout se répercutait contre les casiers en acier et dans les allées de banc et les douches.

Al entendait le bruit sec de l’ongle de son pouce qui cognait quelquefois l’écran de son portable tandis qu’al faisait défiler les informations, et puis celui de son propre talon qui frappait le carrelage dans un geste nerveux plein d’angoisse mal contenue. Al se racla la gorge et sursauta - parce qu’il lui semblait que le silence se déchirait brusquement. Ciel, depuis combien de temps était-al ici, à fuir le bruit, à l’étouffer le plus loin possible des fracas, à fuir la vie qui battait son plein et les rires et les cris et les sifflements ; al avait même éteint sa propre musique, mais sans ôter son casque - et al l’entendait frôler ses cheveux ou son col chaque fois qu’al bougeait, ça grésillait un peu à l’intérieur et il lui semblait qu’il lui renvoyait le son des battements de son coeur, aussi.

Al n’aurait su dire ce qui, de l’inquiétude ou de l’impatience, allait finir par l’emporter - parce qu’il lui semblait brusquement que les deux étaient comme des soeurs indissociables. Il lui tardait que ç’en soit terminé ; comme sachant d’avance que l’incertitude allait lia clouer au sol jusqu’à ce que l’un·e ou l’autre l’emporte.

Depuis que les binômes s’étaient affichés à l’écran, et qu’al avait vu son nom tout au bas de la liste et celui de son adversaire, Gabrielle n’était qu’agitation - al s’était même cassé un ongle, à force de le ronger. C’était épuisant, de passer sans cesse de l’extase à la crainte, de la légèreté d’avoir vaincu au trac de se brûler les ailes au prochain combat.
Eagle lia terrifiait - même si al savait que c’était ridicule, que ce n’était pas si terrible, qu’al avait des armes ; al avait gagné deux fois et Eagle seulement une, alors, ça voulait bien dire qu’al avait ses chances, pas vrai ? Mais al rejouait ses matchs précédents en boucle et, plus al les regardait, plus al dévorait les pages du Pokédex de ses Pokémon - des fichus spectres, bon sang -, et plus l’anxiété faisait des noeuds dans son estomac.

Il y avait Florges - pas si rapide, mais capable de frapper fort, et puis al avait utilisé Pouvoir Lunaire et ça éliminait Pilgrim en face d’elle. Il y avait bien Dash, mais Rumble était son seul Pokémon qui frappait en physique ; mais il aurait fallu qu’al puisse garder Rumble pour affronter sa Momartik, si Eagle l’envoyait, parce que Pilgrim et Dash craignaient tous deux la glace et Momartik était rapide, et-
Plus al y pensait, et moins al s’imaginait remporter la victoire, cette fois.

(Et qu’adviendrait-il d’al et de la fierté, dans les yeux de ses parents et de Nathaniel et d’Eylian et de Liang et de Fleur et de Kiya’na et d’Adamante et de tout le monde, si al perdait ?)

Adamante lui avait parlé d’elle, et de comme ils avaient été dans ces terres étranges où Fleur et Kiya’na s’étaient aventurés aussi sans qu’al n’ose les suivre ; alors, Eagle était peut-être bien plus forte et plus courageuse qu’al, et-

La porte s’ouvrit, et al sursauta, arraché·e à ses préoccupations par l’un des arbitres qui venait lia prévenir que ç’allait être à son tour, dans une poignée d’instants. Al n’avait rien suivi des matchs précédents. Al ne savait pas si Fleur avait gagné, si Lena l’avait emporté sur ce type d’Adamantia, ni qui de ses deux premiers adversaires avait décroché la victoire sur l’autre.
Al n’avait eu de forces à donner qu’à sa propre prochaine bataille.
_______________
C’était-
C’était brûlant et glaçant, encore, de se tenir là, pour la dernière fois. Eagle n’avait probablement plus rien à perdre - qu’elle gagne ou qu’elle perde, l’autre Adamantois serait déclaré vainqueur parce qu’il l’avait déjà vaincue. Pour Gabrielle, tout restait encore à jouer - tous les paris étaient encore ouverts, toutes les promesses encore susceptibles d’être tenues.

(Gabrielle était terrifié·e.)

Respire.
Al rendit à Eagle son sourire, malgré tout - malgré la peur qui pesait lourd comme du plomb dans ses os. « Salut ! » Leur en mettre plein la vue, hein ? Gabrielle avait placé de nouveaux sceaux sur ses Pokéballs, pour des entrées dramatiques à souhait, mais encore fallait-il que le reste des performances soit à la hauteur, et- Bon sang, Gab. « Bonne chance ! » répondit-al, la gorge un peu nouée, avant de-

Florges.

Au moins Gabrielle l’avait-al très justement prévue - mais al n’était toujours pas certain·e d’avoir fait le bon choix.

Ce fut sans un mot qu’al libéra Rumble - parce que, de toute façon, la Luxray n’aurait pas pu l’entendre -, et elle jaillit de sa Pokéball en une petite gerbe d’étincelles aléatoires qui avaient un peu l’air de paillettes, vues comme ça, dans les lumières tamisées dont l’éclat avait été baissé pour l’ambiance des matchs de la soirée.
Rumble s’ébroua, se tourna vers al et, tandis que Gabrielle dessinait dans les airs ce même geste déjà tant de fois répété - heurt des poings, mime d’explosion et crépitements éparpillés, les doigts agités dans le vide - l’ordre d’Eagle tonnait déjà ;

Pouvoir Lunaire et al l’avait tellement, tellement craint, qu’al avait eu raison de ne pas envoyer Pilgrim, au moins. (Mais Dash, peut-être, aurait pu changer l’issue de ce qu’al craignait qu’il se joue…) « Rumble ! » cria-t-al, malgré al - réflexe humain alors même que la Luxray ne comprit pas - et l’offensive la fit ciller et l’envoya rouler dans la poussière, confuse et sonnée.
Gabrielle s’avança d’un pas, tandis que Rumble peinait à se redresser - ça ne pouvait pas être déjà terminé, hein ? Mais non - elle se remit sur ses pattes, s’ébroua et puis rugit, agacée d’avoir été malmenée et, l’ordre silencieux en mémoire, bondit en avant pour se rapprocher de sa cible, sillonnant de droite à gauche pour déconcerter son adversaire et, sitôt parvenue à portée d’étincelle, foudroya.

Des éclairs et des étincelles ; coup de tonnerre et comme des tremblements éparpillés dans le sol, flashs blancs devant les yeux. Un silence ou un tumulte assourdissant - les bruits étouffés et rien en subsistance qu’un souffle, court ou coupé, emballé ou en suspens. Une attente - longue, si longue, terrible, asphyxiante. Et puis - et puis, un rugissement, furieux, vainqueur ; une course effrénée dans la poussière, droit sur saon dresseur·euse. Une bataille, remportée - le reste en pages blanches.

Galvanisé·e - mais malgré tout pas totalement rassuré·e, parce qu’al n’était pas certain·e que Rumble puisse encaisser un nouvel assaut similaire au premier -, Gabrielle osa un léger trépignement impatient, s’accroupissant pour accueillir le fauve qui semblait déterminé à franchir tout le terrain jusqu’à l’atteindre. Mais elle n’eut pas le temps - il y eut un ordre, là-bas, de l’autre côté, et Gabrielle frappa des mains.
Ce n’était pas un geste si familier que ça - parce qu’il était bruyant, et que ça ne servait à rien -, mais Rumble, familière aux impulsions de lia Demaury, se retourna malgré tout. Une seconde trop tard - elle tenta d’esquiver, mais le rayon la frappa de plein fouet, l’envoyant rouler dans l’herbe et la poussière.

La plainte, confuse et douloureuse, qui monta de la gorge de la Luxray convainquit Gabrielle de la rappeler à sa Pokéball, sans lui laisser l’occasion de se relever - la voir envoyée au tapis une autre fois leur ferait à tous·tes les deux trop de mal.
Dans les gradins, on hurlait, on applaudissait, on encourageait, on sifflait, on huait, et Gabrielle n’aurait su dire à qui allait le coeur de la foule, si on espérait qu’al l’emporte ou qu’al se fasse emporter.

Al se sentait comme pris·e dans une impasse.
Florges semblait affaiblie, et elle n’encaisserait probablement pas aussi bien un deuxième assaut que le premier. Mais, ensuite ? Si les hypothèses de Gabrielle s’avéraient justes, alors Eagle enverrait Momartik ou Corayon de Galar - c’était évident. De ce qu’al avait vu - des matchs précédents, des pages du Pokédex dévorées pendant des heures à la recherche de la moindre faille -, c’étaient ses Pokémon les plus capables de mettre les siens en déroute sans qu’al ne puisse rien contre eux.
Et sa pièce maîtresse pour l’emporter face à la menace du Spectre de Glace venait de tomber…

(Al avait des envies d’abandonner.)
D’aucun dirait que ça ne lui ressemblait pas - parce qu’on ne connaissait de Gabrielle que ce qu’al voulait bien montrer, et que son image d’impavide que rien n’effrayait n’était qu’une façade, un masque pour se convaincre qu’al n’était pas si terrifié·e qu’al l’était vraiment. Al avait l’envie irrépressible de se défiler, chaque fois qu’al avait peur d’échouer. Peur de faillir, peur d’avoir honte, peur de décevoir, peur qu’on ne lia regarde plus de la même façon si al s’acharnait à foncer dans les murs.
Mais abandonner… Abandonner, ne même pas essayer - al se le refusait. Encore et toujours, malgré tout, même quand al doutait, même quand la situation lui semblait désespérée parce qu’al pensait trop, misant tant sur ses victoires qu’al en oubliait que perdre n’était pas une fatalité…

(Comment pourrait-al regarder tous ceux qui étaient venus pour al dans les yeux, si al laissait tomber ?)

Il fallait qu’al respire - qu’al respire et qu’al réfléchisse. Ses Pokémon étaient puissants, et Dash avait le mérite d’être résistante. Peut-être… Peut-être pouvait-elle tenir assez longtemps, sur le terrain, pour retourner la situation à son avantage ? (Ça valait au moins la peine d’essayer.)

Alors, al inspira, se saisissant de la Pokéball de sa Togekiss. Juste à temps, al se rappela qu’un nouveau sceau fermait le mécanisme - alors, al s’assura de la lancer très, très haut, pour que son explosion et la fumée, d’où jaillit Dash, soient bien visibles, spectacle pour les yeux spectateurs.
Als étaient le dernier combat de ce tournoi, après tout - il fallait tout donner, marquer les esprits, laisser une trace, quelque part, dans l’histoire ; sous l’oeil des caméras qui quadrillaient le terrain et des commentateurs qui devaient s’affoler sur les matchs retransmis en direct.

« Dash ! Éclat Magique ! »

Et c’était à son tour - d’attaquer à distance, de jeter des éclats lumineux multicolores à travers le terrain, magnifiques mais sentence sans appel ; de profiter des hauteurs pour faire pleuvoir rayons et reflets colorés pour venger leur alliée tombée.
Al devait gagner.

Des éclats, des lumières, comme des paillettes ; ça scintillait ça brillait, ça jetait des reflets partout, ça éblouissait même un peu, forçant à plisser les yeux - mais Gabrielle n’osait pas détourner le regard, parce qu’il fallait, il fallait qu’al voie, il fallait qu’al sache, il fallait-
Florges ne se releva pas.

Florges ne se releva pas - et Gabrielle inspira, fort, et soupira tout pareil. Une victoire. Eagle et al étaient de nouveau sur un pied d’égalité - un Pokémon tombé des deux côtés, et Dash toujours en forme. Mais le pire- Le pire était encore à venir, pas vrai ? Qui viendrait, ensuite ? Corayon de Galar, ou Momartik ? Ou bien un autre, qu’al n’avait pas prévu ? Avait-al fait une erreur, mal calculé les risques et les possibilités ?
Bah. Ce n’était pas comme si al-même avait eu d’autres possibilités - al n’avait que peu de Pokémon suffisamment entraînés, alors- Alors, qu’importait, au fond, ce qu’Eagle avait décidé, quels combattants elle avait choisi d’envoyer.

Pour Gabrielle, ça n’aurait rien changé.

Il fallait- Il fallait simplement qu’al tienne bon, que Dash encaisse, ou- Corayon. Gabrielle cilla - pas Momartik ? Al ne comprenait pas. Ce Spectre-là était-il vraiment capable de plus de dommages que l’autre ? Peut-être pas - mais peut-être résisterait-il mieux aux offensives de Dash. Bon sang.
(Et puis, n’était-ce pas lui qui connaissait Rayon Gemme ?)

L’apprenti·e ranger adressa un regard inquiet à sa Togekiss, qui ne semblait pas le moins du monde impressionnée par son nouvel adversaire. Elle semblait ravie, au contraire - grisée par sa victoire précédente, et même si elle n’avait pas été difficile. Gabrielle inspira - il suffisait qu’al lui fasse confiance, pas vrai ? Dash était puissante, frappait fort - il suffisait de tenir et de frapper plus fort que l’opposant.
C’était comme ça qu’on l’emportait, hein ?

Tandis qu’en face, un ordre tonnait, Gabrielle s’anima. « DASH ! Lame d’Air ! » S’il y avait bien une chose dont al était certain·e, c’était qu’al possédait l’avantage de vitesse. Corayon était peut-être solide, il restait lent, cloué au sol par ses pattes courtes et les coraux qui le composaient, tandis que Togekiss volait, tournoyait, virevoltait pour impressionner le public.
Rien n’était encore joué.

Et les bourrasques s’élevèrent, une première fois - balayant les roches comme d’un revers de main pour se frayer un passage dans l’assaut. Et puis elles s’élevèrent, une seconde fois - profitant de l’ouverture pour fuser droit sur leur cible ; pour le balayer à son tour, sans merci, sans scrupule. Il fallait gagner ou, à défaut, il lui fallait montrer de quoi al était capable. Que même la défaite n’était pas sans lutte ; qu’al était un adversaire redoutable, capable de se défendre, de s’adapter, d’affronter.

Il fallait, il fallait - il fallait qu’on cesse de trembler pour al, qu’on comprenne.
Qu’al était plus fort·e que ce que toutes leurs craintes leur intimaient.

Dash s’éleva - virevolte dans les airs, pour s’éloigner de son adversaire au plus vite, s’échappant hors de portée d’une riposte qui ne vint de toute façon pas. Eagle l’encouragea, pourtant - mais le Corayon ne fit pas mine de bouger, comme méfiant, prudent à l’excès, comme si quelque chose l’empêchait soudainement d’attaquer. La Togekiss dessina de grands cercles au-dessus du terrain, attirant cris et sifflements du public en dansant dans les airs tandis qu’en face, le spectre était rappelé à sa Pokéball et-

Et remplacé par un autre, que Gabrielle avait craint tout en se doutant qu’elle serait de la partie. La Momartik lia terrifiait. Parce qu’elle était rapide - plus que Dash ne l’était, soustrayant à Gabrielle son principal atout - et que son seul Pokémon capable de frapper la moindre de ses faiblesses avait déjà été mis hors combat. Avait-al fait une erreur, en envoyant Rumble en première ligne, plutôt que de lui faire économiser ses forces jusqu’ici ?

Peu importait - il était bien trop tard pour regretter.

Pilgrim- Il frappait fort, mais il était aussi plus fragile, et plus lent (même si ça ne changeait plus grand chose), il ne connaissait aucune capacité de priorité, il- Non, il fallait que ce soit Dash qui l’emporte. Il fallait- Bon sang.

Al n’avait pas encore fini de débattre avec al-même que, déjà, neige, gel et givre s’élevaient, de l’autre côté du terrain - et al reconnu avec horreur l’une de ces capacités qu’Eagle avait déjà utilisées, dans l’un de ses matchs précédents, et qui avait participé à ce que Gabrielle la craigne tant. Souffle Glacé, qui frappait toujours fort, plus que de raison, glace viscérale qui ne pardonnait pas, et Dash qui craignait la glace et-

« Dash, esquive ! » Mais ce fut trop rapide, trop vif - sa tentative d’éviter la marée froide qui plongeait sur elle ne l’y précipita que plus rapidement, et elle perdit brusquement en altitude, les ailes couvertes de débris de glace et les mouvements ralentis par le froid qui semblait désormais l’engourdir.

Non, non, non, il était hors de question qu’al perde comme ça, aussi simplement, aussi- « Éclat Magique ! » Comme un peu plus tôt - et elles mirent un peu de temps à jaillir, cette fois, les étincelles lumineuses, les raies de lumière multicolores, mais c’était encore plus beau que la première fois. Les éclats se reflétaient dans les morceaux de glace, se décomposant comme au travers des mille facettes d’un prisme, faisant danser dans les airs comme des arcs-en-ciel sublimes - qui s’en allèrent une nouvelle fois pleuvoir sur l’adversaire, comme une averse fabuleuse. Et c’était joli même sur les écrans, qui diffusaient en grand les détails que le centre de l’arène soustrayait au public - les caméras capturaient des reflets qui faisaient comme des halos de lumière floue sur l’objectif et, comme les morceaux de glace achevaient de se briser entre deux battements d’aile de Dash, c’était comme mille poussières colorées, tantôt bleues, tantôt mauves, tantôt jaunes, des airs de paillettes ou de soleil un jour de pluie, des airs de magie et n’était-ce pas un peu ce dont il s’agissait ? N’était-ce pas magique, l’énergie qui se dégageait de Dash, sa façon de faire naître la lumière, les éclats, de transformer le vide en couleurs et le silence en dommages ? De faire du beau une bataille, du sublime une offensive sans pardon ? N’était-ce pas magique, d’entendre les exclamations des enfants, qui tendaient les mains pour tenter d’attraper un débris de glace, un peu de poussière de fée entre leurs doigts ?

N’était-ce pas magique, vraiment, ce qu’un combat pouvait être - spectacle pour les yeux des mortels sans magie autre que mensongère qu’ils étaient ?

Et l’éclat frappa - magnifique et cruel tout à la fois ; envolée sublime dispersée en milles étincelles qui tombèrent sur le terrain comme une pluie fine, faite de cristaux intangibles, arcs-en-ciel artificiels qui soufflèrent, dans la foule, des murmures subjugués et des exclamations conquises. C’était beau, c’était magnifique - même si Gabrielle perdait, ce soir, al emporterait avec al cette satisfaction-là ; celle d’avoir envoûté la foule, celle d’avoir marqué les esprits, celle d’avoir offert, aux enfants du public et aux caméras, un quelque chose en souvenir ;

et puis, pour al-même, l’espoir un peu ridicule, un peu risible, un peu égoïste, qu’on lia reconnaisse - d’être devenu·e quelqu’un lorsqu’al quitterait l’arène, champion·ne haptais·e ou pas. D’avoir gravé son nom, quelque part - dans l’esprit de quelqu’un ; peut-être pas tous, mais qu’on se souvienne d’al, d’une façon ou d’une autre.

Qu’on se souvienne qu’al avait brillé - brûlé comme une comète dans le ciel de Verpré.

Il y eut un silence, comme un souffle qu’on retient, dans l’arène et tout autour. Ils attendaient, toujours - de voir la Momartik se relever, vaillante et déterminée, ou bien de voir s’abattre le faisceau rougeoyant de sa Pokéball sur elle, comme une sentence. Gabrielle, essoufflée sans bien savoir pourquoi, et le coeur battant fort jusqu’au bout de ses doigts, ne put réprimer l’élan de soulagement qui lia secoua lorsqu’Eagle rappela son Pokémon à elle, lia poussant à sautiller sur place dans le sable - galvanisée par l’énergie qui courait dans ses veines comme plein de petites décharges électriques.

Regardez-moi ! exultait-al ; regardez-moi, regardez-moi faire mentir vos peurs et vos préjugés, regardez-moi devenir meilleur·e que tout ce que vous vouliez me voir échouer.

Nephalia revint sur le terrain - Corayon de Galar déjà heurté par une première offensive de Dash, qui l’avait laissé inquiet et méfiant, plus tôt. S’était-il remis ? Était-il de nouveau capable de faire face, d’affronter ; de donner le meilleur de lui-même pour ce qu’il leur restait de lutte à mener ?

Rayon Gemme, encore une fois - tonné fort sous les cris, tonné fort sous les applaudissements, tonné fort comme frappaient les talons dans les estrades ; on tonnait leur nom, on sifflait, on acclamait, la soirée s’avançait, se prolongeait et, pourtant, l’énergie n’avait pas diminué. C’était peut-être parce que c’était la fin, parce qu’als étaient les dernièr·es, et que, si le titre d’Eagle n’était plus en jeu, celui de Gabrielle l’était encore, et que même si celui d’Eagle ne l’était plus, al avait attiré l’attention, on avait aimé son énergie, ses spectres, et puis elle avait affronté Irisis, et puis-

« Dash, danse ! » La Togekiss poussa un cri enjoué, se jetant tout droit au milieu des roches rougeoyantes qui valsaient autour d’elle en lançant leurs rayons - sans crainte, sans peur, sans l’ombre d’une hésitation ; la confiance aveugle en saon dresseur·euse et l’espièglerie franche. Dash était joueuse, téméraire - elle dansait, narguant son adversaire pour faire virevolter les rayons et que ce soit beau, spectaculaire ; que ce soit plein de lumières comme un grand final. « LAME D’AIR, MAINTENANT ! » Encore - c’était comme reprendre du début, retomber sur leur deuxième danse ;

une bourrasque en guise de derniers pas - une envolée pour perdre ou gagner.

Perdre ou gagner - les bourrasques firent danser l’herbe, danser la poussière, et même danser le Corayon, qui roula hors des limites du terrain, quelque part entre la piste et les gradins entourés de barrières placardées d’affiches de sponsors quelconques. Gabrielle, aussi ravi·e qu’al était de ce que ça signifiait, ne put s’empêcher d’éprouver, malgré tout, un peu de peine à l’avoir vu balayé comme ça, si petit, si léger, trop lent pour esquiver les tourbillons de la Lame d’Air.

Mais il ne se relevait pas et, quelque part sur le bord du terrain, un arbitre siffla - la foule explosa. Acclamations, cris, sifflements - al entendait son nom, al entendait celui d’Eagle ; on lia félicitait et on encourageait son adversaire. Peut-être qu’on les remerciait pour le spectacle, pour les jolies couleurs, pour montrer que les combats pouvaient être beaux, aussi - qu’il n’y avait pas que de la violence et de la douleur à revendre, au contraire de ce que certains aimaient croire.

Qu’il y avait du magnifique dans ces batailles de pouvoirs magiques (parce que c’en était forcément, cette puissance, ces couleurs sublimes, ces projectiles qui volaient, ces corps qui s’enflammaient ; ça ne pouvait qu’être magique, sinon, qu’est-ce que c’était ?) et qu’on pouvait voir une certaine forme d’art dans ces combats.

Dash tournoya, dans les airs, lançant un Eclat Magique au vide, rien que pour faire briller le ciel, allumer des arcs-en-ciel sur son passage, attiser les étoiles dans les yeux des enfants et les exclamations des spectateurs. Gabrielle entendit un rire lui échapper - la Togekiss lui ressemblait, avide d’attention, adoratrice de l’idée qu’on l’admire et qu’on s’exclame après elle.

Gabrielle inspira.
Al avait gagné.

Ses pas lia portèrent en direction du milieu du terrain, Dash perdant en altitude pour flotter paisiblement à ses côtés tandis qu’elles rejoignaient Eagle, après qu’elle ait rappelé son Corayon à sa Pokéball. Distance abolie, Gabrielle tendit la main à l’Adamantoise. « Bravo à toi, oui, » n’était-ce pas le premier des affrontements menés qui avait mis l’un de ses Pokémon hors de combat, et presque un deuxième aussi ? « J’ai adoré t’affronter. J’espère que tu me feras l’honneur d’une revanche, un de ces quatre, » j’ai hâte de voir la force de frappe que tu deviendras.

Dash poussa un cri, à côté d’al - enjoué, à l’attention d’Eagle et, en contexte, ça ressemblait presque à des félicitations aussi. Gabrielle s’en amusa, une seconde, et puis inclina la tête en direction de l’autre combattante, avant de tourner les talons.
Ses mains tremblaient, lorsqu’al les leva pour saluer la foule, envoyant des baisers dans les airs. Le sourire, qu’al adressa avant tous à ses proches, rayonnait.

Al avait gagné.