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« J'espère qu'il y a un concours de costumes, » lâcha Jade, l'allure fière et le menton relevé, « parce que j'vais clairement le gagner. » À côté d'elle, Ambre leva les yeux au ciel et trébucha aussitôt, son panier en forme de citrouille ayant manqué se renverser et déverser tous les bonbons récupérés quelques heures plutôt en vrac sur le trottoir. Deux silhouettes se précipitèrent aussitôt sur les friandises, l'une pour s'empresser de les dévorer et l'autre pour l'en empêcher, sachant pertinemment que c'était loin d'être bon pour leur santé. « Ehhh, Jade, contrôle ta Lixy, » parce que c'était bien elle, petite féline malicieuse qui avait bondit vers le tas de Carambars – Lukas n'eut pas besoin de jeter un coup d'oeil vers la situation pour savoir que Pan avait essayé de s'interposer.

Il ne savait pas encore trop quoi penser de la présence des deux Lixy avec eux. Il n'avait pas vraiment eu le choix, au fond – Jade avait refusé de partir sans l'amie qu'elle s'était faite dans le désert à force d'y venir entraîner le Pyronille étrange (Lukas sentait ses nerfs s'user chaque fois qu'il réalisait qu'elle avait passé des heures en pleine nature sauvage, à risquer tout et n'importe quoi, sans même qu'il le réalise), mais la Lixy avait été accompagnée de son frère aîné, qui avait grogné dès lors qu'il avait cru qu'ils essayaient de les séparer.

Et lui mentirait s'il disait qu'il n'avait pas un peu compris le Pokémon, à ce moment-là.

« Lyra, laisse ses bonbons, ils sont nuls de toute façon, » déclara Jade, s'attirant les foudres de sa cadette, et- Un soupir, à côté de lui, « c'est reparti » marmonné avec une exaspération aux airs bien trop fatigués pour un petit garçon de huit ans. Charlie, un panier en forme de fantôme glissé sous le bras et son masque de zombie renversé en arrière pour dévoiler sa tête, se pencha pour ramasser deux caramels ayant glissé jusqu'à ses pieds avant de se redresser et de les dissimuler dans sa propre réserve discrètement. « Tu sais que vous allez tout partager, après, non ?, » murmura-t-il doucement, un brin d'amusement dans l'estomac, mais son petit frère se contenta d'hausser les épaules. « Pas si la prochaine fois je les mets dans ma poche. » Et, oui. Effectivement.

Jade conclut la dispute qu'elle menait avec Ambre en fond sonore par un demi-tour brusque en repérant quelque chose qui la fit aussitôt étouffer une exclamation, et Lukas- quoi, parce que ses nerfs étaient un peu trop à vif avec le monde autour d'eux, parce qu'il avait passé les trente premières minutes à balayer chaque angle sombre du regard au cas où un quelconque danger s'y dissimule, parce qu'il avait insisté pour sortir Neialee et Pan au cas où (ce qui avait conduit sa soeur à rétorquer qu'elle pouvait très bien sortir Lyra, alors, et il n'avait pas cherché à argumenter), parce qu'il savait pertinemment que les villes n'étaient plus sûres, que- « Je rêve, d'où il a le même costume que moi. »

Oh.

Effectivement, l'adolescent qui venait de passer avait utilisé la même inspiration que sa soeur, quoiqu'avec un peu plus de budget – et Lukas se tourna aussitôt vers la jeune fille, attentif. Jade n'avait pas autant de soucis avec leur situation financière qu'Ambre, qui continuait à en avoir honte, mais- Parfois, ça pouvait faire mal. Là où il avait pu utiliser teintures, lisseurs et même peut-être costume et déguisements tout faits, Jade avait passé plusieurs jours à assembler sa propre tenue. Les cheveux noués en chignon et dissimulés sous une longue perruque blanche dénichée d'occasion, elle avait passé de longues heures à y mettre suffisamment de colle pour les faire tenir à la – plus ou moins – verticale. Elle n'avait pas déniché de lentilles bleues, trop chères, mais avait récupéré suffisamment de vieux maquillages d'Halloween des années précédentes pour se dessiner deux larges yeux bleus sur les paupières en débordant autour, qui se voyaient dès qu'elle baissait les paupières (les tutoriels Youtube avaient été très utiles). Ils n'avaient pas de quoi lui colorer le visage de noir, malheureusement – mais elle avait pallié à ça grâce à un rouge à lèvres noir sorti de Lukas-ne-savait-où (il avait peur de demander) ainsi qu'en se traçant de jolis motifs sur les joues à l'aide du liner de leur mère, lui donnant des airs presque lugubres.

Quant à sa tenue, elle avait superposé plusieurs couches pour un résultat le plus fidèle possible ; des collants couleur chair censés passer inaperçus, une jupe noire volante (que sa mère avait refusé qu'elle déchire et découpe), un t-shirt noir à manque longue et collant au corps, mais le tout surmonté d'une longue tunique noire appartenant à leur mère que, cette fois-ci, Jade avait eu l'autorisation de découper, arrachant des morceaux de manches et à coups de ciseaux sur le bas du vêtements, avant d'entourer le tout en nouant un lacet à sa taille. Enfin, elle avait passé une large écharpe rouge – provenant cette fois des vieux cartons de leur père (et l'idée serrait un peu l'âme, quelque part encore) – autour de son cou, et se pavanait désormais avec assurance, en parfait Darkrai. Un peu plus grande qu'un Darkrai, même (Lukas ne revenait toujours pas du fait qu'elle faisait désormais un mètre soixante. Elle avait trois ans et demi de moins que lui mais seulement sept centimètres à rattraper. Elle était déjà à égalité avec leur mère.)

« Il est beau, le costume. » Jade se contenta de soupirer. « Moi, j'l'ai fait toute seule, le mien, alors…  T'as pas de goût. » Et Ambre, agacée, son déguisement de sorcière (le même que l'année précédente) l'ayant dotée d'une longue baguette, à défaut de lui jeter un sort, se contenta de lui donner un léger coup avec la pointe, en plein sur l'épaule. Charlie se glissa entre elles pour les séparer, et bientôt, ils avancèrent, les Lixy côte à côte devant eux et Neialee fermant la marche (la Givrali disparaissait cependant de temps à autres, comme si elle prenait en chasse un Pokémon quelconque qui persistait à lui échapper).

Quant à Djinn, elle était dissimulée dans sa poche ventrale, ayant catégoriquement refusé de se séparer de lui et probablement en train de dormir. Là encore, c'était- …Eh bien, Lukas n'avait pas vraiment eu le temps d'y réfléchir. Au moins ne prenait-elle que très peu de nourriture, contrairement à Arid dont les rations avaient triplé avec son évolution.

Ils avancèrent à travers le Parc, échangeant blagues et questions – Jade et Ambre avaient déjà repéré la chasse aux bonbons et commençaient à débattre de comment le convaincre d'y participer aussi pour mieux l'y battre, ce qui lui fit réprimer un sourire – jusqu'à finalement, au détour d'un stand, se retrouver nez à nez avec- oh. Lukas cilla.

Oyaris, accompagné d'une personne que Lukas ne connaissait absolument pas – quelqu'un qu'il n'aurait pas pensé croiser en plein festival d'halloween, mais, d'un autre côté, c'était Oyaris. Qui pouvait prétendre savoir ce qu'il allait faire ou non ? « Salut, » un peu réservé, un peu douteux, parce qu'ils ne se croisaient que peu et que la dernière fois, la brume avait pris le pas sur le reste. Mais- « C'est qui, » direct et franc et l'instant de flottement fut rompu, Lukas pivotant vers sa soeur avec un mélange d'exaspération et d'habitude. « Eh, » lâcha-t-elle avant même qu'il ait pu la reprendre, « si tu fais pas les présentations, tu t'attends à quoi ? » Arceus. Charlie s'était arrêté à côté de lui, assez méfiant, fixant les deux adultes avec des yeux clairs imperturbables (mais Lukas le sentit lui prendre la main, accroche sécurité). Quant à Ambre, elle les dévisageait, des étoiles dans le regard et brusquement timide.

« Uh- Je vous présente Oyaris, » et un coup d'oeil à l'autre personne l'accompagnant, qu'il ne connaissait pas, et à qui il adressa un bref signe de tête. « Oyaris, je te présente Jade, » un signe de main vers la plus grande, qui croisait les bras comme par défiance, « Ambre, » sa petite robe violette de sorcière et son chapeau de travers, qui ne pipait toujours pas un mot, « et Charlie, » lequel se contenta d'un « bonjour » poli mais à voix basse. « Mes petits frère et soeurs. »

Jade grimaça au mot petit.

« Bref, oui, on est plus petits. J'savais pas que t'avais des potes vieux, » Xerneas, et elle se tournait déjà vers eux, droite et fière mais également intriguée, les yeux dérivant vers les cheveux teints de celle qui se tenait à côté d'Oyaris. « Donc, t'es qui ?, » d'abord adressé à l'Adamantois, et puis, et puis « et t- vous ?, » et Lukas réprima un rire – parce qu'évidemment, elle allait vouvoyer quelqu'un de qui elle avait repéré le style. Evidemment. Elle vouvoierait plus facilement une étudiante championne de boxe que Téobald, de toute façon.

Il y avait un drôle d'air, autour d'eux – une drôle de dissonance, dans les vents. Comme deux rythmes inaccordés, violons aux timbres décalés, les percussions en canon mal ajusté – mais pas de brume, pas de brouillard, pourtant. Ou bien, s'il existait, il n'était, cette fois, plus vraiment présent autour de Lukas. L'ambiance était à la fête mais aussi, quelque part, à des thèmes moins joie et plus perte, comme les décorations et lanternes, ou même les déguisements illustraient.

Citrouilles oranges
et bougies éparpillées
célèbrent la mort.

Il n'y avait besoin que d'eux, pour chasser les grisailles – que de leur chaos et de leurs bruits, cris et exclamations en symphonies, un tendre bazard constitué de leurs éclats, qui constituaient son quotidien depuis des années maintenant. Si survivre t'empêche de vivre, je ne suis pas convaincu que ça en vaille davantage le coup, et puis, ensuite – ensuite, il y avait eu Liang, se taillant une place dans sa semaine jour après jour, empiétant sur des heures nécessaires mais face à qui la logique de survie n'avait plus tant sa place, face à l'adolescent qui avançait le cœur offert au monde et désespérément vivant ; ensuite, il y avait eu Noah, l'âme en ruines et des envies de laisser tomber pour finalement s'accrocher, encore et encore, s'acharner à une existence qui s'efforçait de creuser le caveau de sa résilience ; et puis il y avait Kiya, qui pouvait comprendre mais dont les principes avaient depuis longtemps divergé des siens, empruntant le chemin de la justice tandis qu'il dérivait sur des sentiers un peu moins nets.

Un air de fatigue, un « bonjour » terne, aux inflexions délavées – mais ce soir, Lukas était entouré de ces mille couleurs tenant depuis toujours la barrière aux gris sombres qui n'avaient ainsi pu prendre prise sur lui. Et puis l'instant se fendit doucement, un peu d'énergie – un peu de lumière, en quelque sorte, brisant les impressions éteintes. « Enchantée Jade ! Je m’appelle Imani. Mais je doute que ça puisse satisfaire ta curiosité, pas vrai ? Que veux-tu savoir, dis-moi ? » Imani, donc. Lukas s'efforça de retenir le prénom, quoiqu'il avait parfois du mal avec les noms de ceux qui ne croiseraient plus sa route ; mais Jade la fixait avec un mélange de défiance et d'enthousiasme, ravie de pouvoir discuter avec une femme qui avait l'air, probablement déjà à ses yeux, cool. Elle ouvrit la bouche (son frère était à demi certain que sa première question allait porter sur sa teinture, et réprima d'avance un soupir affection – elle allait encore le harceler à ce sujet, c'était décidément sa fin) mais, avant d'avoir eu le temps de formuler ses mots-

« Comme ton frère a dit, mon prénom est Oyaris ; mais pour ta question… » Et- oui, bien sûr. Un t'es qui envers quelqu'un d'autre, qu'il s'agisse de Noah qui répondrait avec la même attitude de provocation amusée (« Uh, écoute, Noah, le pote moins flippé que l’pote flippé et terrible squatteur improvisé. ») ou bien Liang qui avait pris la question au sérieux et déballé une explication de sa présence en un monologue habituel, n'aurait jamais le même effet que sur Oyaris. « Je ne saurais pas vraiment te répondre. » Jade le dévisagea, perplexité et un brin de condescendance n'ayant rien à faire dans les yeux d'une enfant de treize ans se mêlant pour former un cocktail lui ressemblant beaucoup. Arceus, elle serait capable de prendre Xerneas de haut lui-même. (Après tout, elle avait appelé l'un de ses Luminescents Brutus.)

« Et toi Jade, dis-moi, qui es-tu ? »

Pendant un instant, l'adolescente resta silencieuse. Puis elle croisa les bras, l'air de réfléchir – Ambre s'était approchée peu à peu, ses grands yeux bruns quittant Imani pour se concentrer sur Oyaris, intriguée. Quant à Charlie, il lâcha la main de son frère, déjà un peu plus à l'aise, quoiqu'il se rapprocha des deux Lixy gambadant autour d'eux et braqua sur les deux adultes un regard attentif. Lukas, en voyant sa sœur bomber le torse et prévoyant sans doute de donner une description d'elle-même plus que flatteuse, fut incapable de résister. « Une inconsciente, » et elle se tourna aussitôt vers lui, tout un flot de protestations aux lèvres. « T'es un trouillard, c'est pas pareil, » et il haussa les épaules, un sourire aux lèvres. Lâche, trouillard, tant de qualificatifs qui lui seyaient très bien, il ne servait à rien de le nier. « J'suis juste trop forte. » Puis, à Oyaris : « Jade, treize ans, et je fais c'que je veux. »

Lukas aurait bien aimé nier, mais ç'avait toujours été difficile d'arrêter la jeune fille. (Sauf qu'elle s'arrêtait toujours lorsqu'elle passait la limite – lorsqu'elle lisait sur ses traits un non à l'origine terreur, lorsqu'elle risquait de compromettre l'équilibre fragile de leur maisonnée ; lorsque c'était important.)

« T'as fait comment ta couleur ?, » demanda-t-elle ensuite à Imani, repassant à ce qu'il l'intéressait un peu plus – c'est-à-dire la jeune femme moins nébuleuse qu'elle venait de rencontrer. Evidemment. Ambre, son panier citrouille à la main et son chapeau de travers, s'approcha d'Oyaris, toujours fascinée. Si l'une était indépendance et compétition, de ces affirmations presque auto-prophétiques telles que je vais gagner illustrant aussi bien une certitude qu'une force, l'autre était curiosité et innocence ouverte au reste ; émotions en vrac et des envies de tout comprendre. « T'es un poète ?, » les mots bas, les mots presque émerveillement, en un sens – moins que s'il avait possédé un Pokémon mignon, évidemment, mais rien ne battait l'adoration de sa petite sœur pour les Pokémons mignons. « T'as quel âge ? »

Dans la poche ventrale de Lukas, Djinn s'agita – peut-être ayant senti qu'ils s'étaient arrêté de marcher, peut-être curieuse, il n'en savait pas grand-chose. Charlie continuait à écouter les conversations, un peu distrait, les yeux suivant un petit Pokémon chenille grimpant lentement les murs non loin d'eux, les mains s'affairant à déballer un Carambar.

Entouré de trois trésors – trois des quarts de mon cœur, empêtré dans leur capharnaüm et sans aucune envie d'en sortir, Lukas était à l'abri du vide.

Cethosia. Lukas ne l'avait jamais entendu, ce prénom – ni même son nom de famille, à bien y réfléchir. Pour lui, Oyaris avait tout d'une sorte de génie ; non pas de ceux qui résolvent des énigmes de mathématiques pures en quelques secondes ni inventent des théorèmes pour s'envoler dans l'espace à l'âge de quinze ans ; non pas de ceux sur lesquels les professeurs s'extasient, pas de ceux portant, de façon cliché dans son esprit, des chemises à carreaux et des lunettes rectangulaires. Non, il avait ces airs de génies mythiques apparaissant de temps en temps sans que personne ne les voie venir, et changeant la donne – de ces êtres insaisissables aux desseins vagues qui n'influaient que peu sur la vie mais y posaient des pierres transformant un chemin en un autre ; et c'était-

C'était étrange de le croiser là, entre les guirlandes en papier étendues sur les lampadaires, les origamis de squelettes et de citrouilles perchées un peu partout ; c'était étrange de le croiser ici, dans un cadre moins sombre et moins plomb, au milieu des festivités, entre les enfants en liesse, les rires et les cris de joie, presque décalé dans un cadre aussi… Sans être normal, l'instant était plus aux réjouissances et à l'amusement qu'aux murmures brumes échangés sur fond de douleurs ensevelies. Et c'était étrange d'apprendre un nom de famille, un deuxième prénom, de rendre plus humain le mythe et de clarifier les contours de ce qui avait toujours été une sorte d'insaisissable.

« J’ai la chance d’avoir des cheveux clairs naturellement, alors j’ai simplement eu à utiliser ce qu’on appelle un « toner » et ensuite utiliser une teinture de couleur argentée. Mais pour les cheveux foncés, il faut passer par une décoloration en premier. Tu veux te colorer les cheveux ?, » demanda Imani à Jade- Xerneas. Celle ci n'eut aucune hésitation pour sauter sur l'occasion, le sourire aux lèvres et brusquement bien plus enthousiaste. « Grave ! J'ai envie de faire ça depuis super longtemps, mais lui, là, il veut pas. » Lukas se contenta de réprimer un soupir. Il n'avait rien contre des mèches dans les cheveux de sa sœur, voire même la voir devenir verte fluo du jour au lendemain – ce n'était pas comme si lui ou sa mère s'exclameraient quelle horreur devant le résultat ni ne lui feraient tout un tas de discours sur la toxicité monstrueuse des produits que l'on trouvait dans les teintures. Non, la seule raison, c'était- « Jade, » et elle roula des yeux, prévisible. « Ton collège interdit les teintures. Sinon, tu aurais décoré tes cheveux de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel depuis longtemps. » Et puis, il y avait le problème de l'argent, du fait de devoir effectivement acheter une décoloration, et d'avoir le temps d'apprendre à le faire, aussi – mais tout cela, il passa sous silence, les yeux cliquetant brièvement en direction de l'amie (?) d'Oyaris avant de se concentrer sur autre chose.

À savoir, sa petite sœur, qui s'était approchée de l'homme avec de l'émerveillement dans les yeux. Celui-ci s'était accroupi, les gestes calmes et doux, et Lukas les suivit des yeux. Charlie entamait son troisième Carambar (il allait finir par vider son panier de bonbons, quoique l'adolescent avait l'impression de l'avoir vu en récupérer dans celui de Jade, ni vu ni connu pendant qu'elle râlait du règlement de son collège à qui voulait l'entendre), toujours retranché derrière eux – parfois, Lukas se demandait s'il avait influé sur lui et sa tendance à se méfier des gens, sans le vouloir. « C’est ainsi que tu me vois ?, » et Ambre hocha la tête, un peu timide. « Tu dis des trucs jolis. » Et ça n'avait pas l'air de le vexer, de l'entendre – ce qui aurait été étonnant, au fond. Oyaris n'avait pas des airs susceptibles. « Je pense qu’on peut dire que oui. J’ai vingt-huit … non, vingt-neuf ans. Et toi ? Qu’est-ce qui t’attires dans la poésie ? » Et il s'intéressait, et il répondait, et Lukas était absolument certain que sa petite sœur était aux anges; quant à la plus grande (quoique toujours plus jeune, et il ne parvenait jamais à l'oublier, trop jeune pour tout ce qu'elle insistait pour faire), elle avait probablement confirmé son impression de ugh, vieux en entendant l'âge de leur nouvelle rencontre.

Il avait donc vingt-neuf ans. L'information aussi, faisait quelque peu étrange – mais il était bien une personne de chair et de sang, avec un nom, un âge, une vie, malgré ces airs le rapprochant presque plus de ces créatures, autour d'eux, imitées par des déguisements et des exclamations irréelles, abracadabra et autres fausses incantations improvisées.

Un regard, un sourire – comme un cadeau.

Lukas souriait déjà, un peu ; il ne s'en rendait même plus compte, dès lors qu'il s'agissait d'eux. Dès lors qu'ils avaient l'air de s'amuser, de profiter, dès lors que le chaos se faisait présent, dès lors que leurs présences agrémentaient le monde de lumières et d'ornements. « J'ai douze ans, » petite, si petite et si méritante de toutes les joies du monde. « Mon anniversaire c'est en février. » Arceus, elle allait faire treize ans – Lukas avait du mal à le réaliser. Elle avait eu six ans si peu de temps auparavant ; où étaient passées les années ? « Et je sais pas trop ? En français j'ai trop du mal à avoir des bonnes notes, la prof elle s'énerve parce que je fais des fautes mais j'aime bien ce qu'on lit, c'est toujours joli, » (pointe d'agacement envers sa professeur) Ambre n'avait jamais vraiment brillé en classe, plus intéressée par les connaissances et la lecture que par devoir les rapporter mots pour mots.

Et, il le savait bien – elle en culpabilisait, coincée entre son aînée qui brillait dès lors que la chose l'intéressait, ou Charlie qui s'ennuyait carrément en classe et attendait de faire des choses plus compliquées depuis bien longtemps. Il l'aidait dès qu'il pouvait, mais…

« T'es grand, » et ç'avait des airs de t'es trop fort, dans sa voix, dans sa bouche – à côté, Jade roula des yeux. Pour elle, les grands n'étaient généralement que des incapables bons à prendre les jeunes de haut et à les laisser tomber lorsqu'ils avaient besoin d'un peu d'aide. « T'as un travail ? T'as des Pokémons ? Vous êtes mariés ? »

Et voilà – le flot de questions et curiosité habituel s'emballait.

Au lieu de se vexer, de protester la question ou de reculer en exprimant que c'était indiscret de demander ce genre de choses, Oyaris se contenta de rire, son amie pivotant vers eux avec sur ses traits une expression reflétant le même amusement que l'homme. Ambre eut un immense sourire, enthousiaste – Lukas se fit la réflexion qu'elle espérait probablement entendre une réponse positive pour ensuite leur demander l'histoire de leur rencontre puis de leur mariage. Mais, au vu de leur réaction, ça n'allait probablement pas être le cas – la petite fille allait être déçue. « Nous ne sommes pas mariés, non. Imani est mon amie. » Comme prévu, son sourire fana pour se transformer en moue boudeuse, et Jade, de son côté, de contenta de rouler des yeux. Ah, évidemment – son grand dédain pour "les histoires d'amour toutes pourries", qu'elle supportait de moins en moins au fur et à mesure qu'elle grandissait.

Mouvement, deux Pokéballs saisies avant d'en libérer les créatures, joli Pyroli flamboyant et un Papilord aux mouvements vifs ; sa petite soeur étouffa une exclamation ravie, commençant aussitôt à roucouler de compliments envers la peluche rousse en particulier, et Lukas- Lukas se contenta de secouer la tête, amusé. « Voici deux de mes Pokémon, Flare et Frigo. » Les noms leur allaient bien. Enfin, peut-être pas Frigo, non. D'un autre côté, Lukas ne pouvait pas vraiment juger, puisqu'il avait laissé sa fratrie nommer ses propres Pokémons, et que c'était pour cette raison qu'il se retrouvait avec Plume et Noah 2. D'autres noms avaient été un peu plus réfléchis, avec l'exemple des deux Lixy sortis ce jour-là, occupés à- uh.

Ils n'étaient plus là.

Lukas balaya les environs des yeux, brusquement sur ses gardes. Les deux Lixy avaient tendance à s'éclipser pour pourchasser tout et n'importe quoi, mais lorsqu'il y avait autant de monde autour d'eux, préféraient rester avec Jade et lui-même. Or, cette fois, ils n'étaient nulle part en vue. Ce qui signifiait qu'ils avaient soit repéré quelque chose de suffisamment intéressant pour braver la marée d'humains, soit qu'il y avait un problème. Et, si c'était le cas- L'adolescent laissa ses yeux glisser vers Jade, qui bavardait gaiement avec Imani, bien trop heureuse d'avoir trouvé une amie avec laquelle discuter couleurs de cheveux et autres projets que son collège désapprouverait définitivement. S'il y avait effectivement un problème et que quelque chose arrivait à Lyra, sa Lixy, elle se sentirait bien trop mal.

Okay. Okay, d'abord, faire en sorte que Jade, Ambre et Charlie soient en sécurité pendant qu'il s'éclipsait pour retrouver les deux fuyards. Coulant un regard vers Oyaris, Lukas s'approcha un instant, faisant signe à Charlie (que le Feurisson curieux avait approché à petits pas) de se rapprocher du groupe. « Je reviens rapidement, il faut que j'aille vérifier un truc, » (fais attention à eux, s'il-te-plaît) même si ce n'était que cinq minutes – parce que tout pouvait toujours se passer très vite, même en cinq petites minutes. Il eut le temps d'entendre les débuts des réponses de ses deux soeurs aux questions de leurs aînés – « Oui, j'ai un Tadmorv, il s'appelle Barnabé, 'puis j'ai une Minidraco et elle s'appelle Noah, » tandis que Jade faisait la liste des couleurs qu'elle avait envisagées, « du turquoise ou du bleu clair, ou bien du rose sur quelques mèches, un truc qui montre que j'suis badass, » – avant de se faufiler entre plusieurs passants et d'aussitôt se lancer à la recherche des deux Lixy.

Heureusement, il les trouva rapidement, grondant sous cinq à six Nosferapti de plastique – au réalisme poussé, cependant – ayant été disposés à l'envers sous les "branches" d'un lampadaire, entre deux étalages de friandises d'Halloween. Il avait reconnu leurs bruits de loin, puis aperçu les oreilles rondes de Pantalaimon, plus grand que sa soeur, et croisa les bras en arrivant à leur hauteur. « Vraiment ? » Ils étaient des Pokémons, pour l'amour d'Arceus. Ils avaient de quoi identifier que ces chauve-souris étaient des fausses, ne serait-ce que grâce à leurs flairs ou à leurs ouïes. « Ce sont des faux, » leur dit Lukas avec un soupir, se postant sous les figurines et agitant la main pour leur montrer qu'elles n'allaient pas broncher. « Regardez, elles ne bou- » Et ses doigts effleurèrent de la fourrure, et- quoi, le bond en arrière, le coeur en accélération brusque- et un Nosferapti bien réel lui passa sous le nez, esquivant les coups de crocs des deux Lixy avant de filer dans le ciel. Xerneas. Est-ce qu'il s'était posté ici pour passer inaperçu au milieu des décorations ? Est-ce qu'il avait cru qu'il s'agissait vraiment de ses congénères ? Bon sang, il lui avait filé une peur bleue – l'adolescent avait l'impression que son coeur allait sortir de sa poitrine.

« C'est entièrement votre faute, » lâcha-t-il à l'adresse des deux félins, qui l'ignorèrent, occupés à râler d'avoir raté leur proie. « On y retourne, maintenant. » Il les guida en sens inverse, traversant les allées d'un pas plus lent maintenant que sa mission était accomplie, et non sans jeter une dizaine de coups d'oeils derrière lui pour être bien certain d'être suivi. Les vendeurs et les gérants d'attractions hélaient les passants, à coup de c'est partii réguliers et nasillards, d'odeurs délicieuses et de masques monstrueux plus ou moins réalistes. C'était criard, c'était bruyant, c'était coloré, c'était presque trop, et Lukas avait hâte de retrouver le chaos qui était sien, composé non pas de manèges et de musique mais de trois enfants dont l'importance était-

« Bonsoir, » la voix calme et plus proche que prévue – il tressaillit. Un stand sobre, des dizaines et des dizaines de bougies éteintes ou pourvues de petites flammes, une Calléisienne d'un âge avancé au sourire doux qu'elle adressait à tout le monde, dont lui. « Est-ce que tu voudrais allumer une bougie pour les défunts ? »

Il s'arrêta net.

Allumer une bougie pour les défunts.

Il n'y avait jamais eu de véritable enterrement – pas de corps à faire reposer ou à faire brûler, pas d'argent pour l'organiser, pas d'adulte suffisamment lucide pour pouvoir s'en occuper. Sa mère n'avait eu ni les moyens, ni le coeur à le faire, s'enfonçant peu à peu dans les spirales de son deuil et de sa douleur ; de toute manière, en aurait-elle eu le droit, sachant qu'ils avaient été divorcés ? Il n'y avait rien eu, rien du tout, (rien sinon la déchirure, la douleur, le vide et tout un pan de son existence disparu, réduit en cendres).

Face à lui, le sourire de la Calléisienne prit une teinte un peu mélancolique, un peu douloureuse, et Lukas- Lukas détourna les yeux. « Je n'ai pas de tombe sur laquelle en poser, » et c'était bas, c'était à mi-voix, parce que le dire faisait encore trop mal. Les années passaient, les unes après les autres, mais il lui manquait toujours autant. Il s'habituait juste à son absence. Elle se contenta de s'approcher et de déposer une des plus grandes bougies au creux de ses paumes, avec une douceur à laquelle il n'était pas habitué. (Gorge serrée, il contempla la mèche éteinte. Est-ce que ç'avait vraiment une quelconque utilité ?) « Ce n'est pas grave, » et sa voix était trop calme, trop compréhensive. « Tu peux la poser où tu veux, elle l'accompagnera. » Elle l'accompagnera – est-ce que c'était vraiment possible ? (Il était mort il avait longtemps, au fond.) « Je n'ai pas d'argent. » Pas qu'il puisse se permettre de dépenser, même pour lui. « C'est gratuit. »

Son expression avait connu plusieurs morts, elle aussi.

« La douleur coûte déjà trop cher. »

Lukas hésita.

Trois pas en avant, et il s'approchait du petit stand, tendant la main vers l'un des briquets proposés. Il n'y avait jamais vraiment cru, à ce genre de choses. L'existence d'une vie après la mort, d'un endroit où ils allaient, d'un endroit où tous les retrouver ; qu'ils pouvaient les voir, les observer ; le fait que des esprits pouvaient exister, être invoqués. Les plateaux de ouija, les pentagrammes, les dessins faits avec du sel, les os du mort pour pouvoir l'appeler, les breuvages, les herbes et les pierres pour reposer l'esprit. Il en avait entendu parler, de tout ça, lorsqu'il était jeune, peu après la mort de son père ; quelques voisins étant venus leur rendre visite pour leur parler, leur présenter leurs condoléances, leur expliquer qu'il pouvait encore les entendre, ou bien leur conseiller de mettre de la sauge ou il-ne-savait-plus-quoi aux fenêtres pour célébrer son esprit. Quelqu'un leur avait proposé de leur ventre des colliers spéciaux qui, s'il était encore vivant et perdu dans le sable, garantirait sa sécurité le temps qu'il revienne ; Ambre avait fondu en larmes et voulu l'acheter, et Lukas lui avait fermé la porte au nez.

Ce genre de choses étaient tentantes – comme l'astrologie à laquelle plusieurs camarades de classe croyaient dur comme fer, ou bien le fait de tirer des cartes de tarot pour déterminer son avenir et mieux s'y préparer – mais elles n'étaient là que pour rassurer. Elles permettaient d'apaiser un peu le coeur, de se dire qu'on n'était pas seul, qu'il y avait quelque chose de bon là, devant ; que ça valait le coup, peut-être ; ou bien de s'imaginer pouvoir parler aux disparus et leur raconter tout ce qu'ils n'avaient pas pu leur dire. Si Lukas y croyait, il s'y serait peut-être perdu, à force ; à vouloir le trouver un peu partout, à chercher son esprit ou son fantôme dans chaque coïncidence, à lui raconter ses journées comme Ambre le faisait parfois dans des lettres qui ne trouveraient pourtant jamais de lecteur.

Mais il n'y croyait pas. Parce que c'était illogique et parce que c'était le mieux – si j'avance pas, je meurs. S'enfoncer dans le deuil, dans le faux espoir ou l'illusion était dangereux. Il fallait accepter la réalité et poser un pied devant l'autre – et si d'autres pouvaient, il supposait, bénéficier de ce genre de pansements de l'âme, lui n'en avait jamais eu le temps.

Mais il alluma sa bougie en silence, ignorant les bruits et musiques autour de lui ; il observa la flamme s'agiter peu à peu, y réchauffa ses doigts, et inspira lentement. Ce n'était pas utile ; ça ne servait à rien ; ça ne l'accompagnerait nulle part ; mais ça le célébrait, un peu, chose qu'ils n'avaient jamais pu faire vraiment. Alors il déposa la petite lueur avec les autres (et c'était un peu lourd, un peu sombre, de réaliser que tant de monde partageait ce qui lui étreignait les côtes à l'instant même), remercia la dame âgée, et tourna les talons.

Il était temps d'aller retrouver ceux qui étaient vivants.

Ceux qui étaient vivants – ceux dont le coeur battait encore, dont les rires ne s'offusquaient pas des silences et dont les prunelles restait ce qu'il avait juré de protéger, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment grands pour s'envoler d'eux-mêmes. Il s'était trop longtemps éloigné, déjà ; et même si Lukas faisait confiance à Oyaris pour prendre soin de ses trois frères et soeurs en son absence, ça creusait les côtes de se rappeler qu'il n'était pas avec eux en cet instant même. Tout pouvait toujours arriver – et les quitter des yeux avait prouvé être bien plus difficile depuis un certain vingt-huit novembre. (Même s'ils avaient été sains et saufs, que les dégâts n'avaient pas touché leurs établissements, la possibilité avait été plus que terrifiante – elle avait été presque insoutenable.)

Lyra et Pan gambadaient devant lui, petits Lixy surexcités par le monde et l'ambiance, se pourchassant avant de se sauter dessus. La façon qu'avait Pan de faire attention, de pousser sa soeur lorsqu'un passant s'approchait trop d'eux, de fixer les environs et de chercher Lukas des yeux régulièrement lui rappelait un peu comment lui-même préférait toujours être vigilant lorsqu'il s'agissait de sa fratrie – c'était peut-être pour ça qu'il n'avait pas vraiment protesté lorsque Jade avait commencé à argumenter pour qu'ils les recueillent. C'était stupide, un peu, mais ça lui était toujours aussi difficile, de leur refuser quoi que ce soit. Il n'avait pas assez pour leur offrir grand-chose, d'ordinaire, alors…

La voix de Jade gouvernait les environs lorsqu'il les rejoignit finalement, décrivant avec enthousiasme toutes les couleurs sur lesquelles elle était tombée en feuilletant magazines et sur les réseaux sociaux (depuis qu'elle avait un téléphone, même si celui-ci galérait à faire fonctionner quoi que ce soit nécessitant une connexion internet stable, elle passait son temps à leur montrer des dizaines de, uh, posts ? De publications sur le style qu'elle rêverait d'avoir). Charlie était toujours occupé avec le Pokémon d'Oyaris, assis par terre à lui offrir des caresses ; il y avait- uh, pourquoi est-ce que Noah bis était sortie de sa Pokéball ? Et, finalement, murmurant quelque chose que Lukas n'entendit pas, Oyaris discutait encore avec sa petite soeur, laquelle venait de lui jeter un regard un peu étonné. « Ben, c'est être content, non ? » Elle pencha la tête de côté, comme interrogative. « C'est quand tu te réveilles et puis tu manges et puis, euh, tu ris, et tu vas à l'école, et tu rentres, t'embêtes Lukas parce qu'il fait toujours ses devoirs, » …mais de quoi est-ce qu'elle parlait ? « tu joues aux cartes, puis tu vas dormir. Enfin ça c'est la mienne. »

L'adolescent s'avança lentement, un peu intrigué. Lyra et Pan roulèrent sur le sol, se heurtant aux jambes de Jade qui se mit aussitôt à les récriminer. « Mais pour tout le monde ben, c'est quand- t'es réveillé et que t'es heureux, non ? Ou triste, parfois. Mais je préfère quand je suis heureuse. » Un arrêt, discret, un peu douloureux, et la gorge qui se serre. Je préfère quand je suis heureuse et un jour d'automne lui avait ôté cette possibilité, pendant plusieurs mois, et plusieurs semaines encore. Ambre n'avait jamais réclamé grand-chose, hormis de l'attention – mais, Xerneas, si Lukas pouvait lui offrir le monde, lui donner tout ce qu'une enfant devrait avoir, argent ou pas, il l'aurait fait dix fois au moins.

(Et il rendrait son enfance à Jade, qui grandissait trop vite à ses yeux, malgré ses bravades et sa fierté la poussant à vouloir être adulte avant même d'être adolescente.)

« Oh, c'est quand ton anniv' ? Il y a quelque chose que tu veux, pour le célébrer ? » Elle eut un grand sourire, rapidement accompagné d'une exclamation ravie. « Le neuf février ! C'est bientôt, j'suis bientôt grande, j'ai bientôt treize ans, » et elle avait l'air fière, comme ça, même si ce n'était pas si bientôt que ça et que, aux yeux de Lukas, treize ans était encore bien jeune. (Jeune et pas assez, aussi ; comment ça, sa petite soeur allait déjà avoir treize ans ? Il lui semblait qu'elle venait d'en faire sept la veille, quelques dents en moins et le gâteau maladroitement préparé par lui-même puisque ni leur père, ni leur mère ne pouvaient s'en charger.) « Je sais pas trop ce que je veux, et Lukas va s'en vouloir s'il peut pas me donner ce que j'aime, » il cilla – à nouveau arrêté dans son mouvement d'approche.

Ça tordait les côtes, un peu, de se dire qu'elle était attentive à ce genre de choses – qu'elle, tout comme Jade, tout comme peut-être Charlie, préféraient se passer de dire ce qu'ils voulaient pour lui éviter des troubles.

« Mais j'peux pas non plus lui demander un Pokémon parce qu'il s'en méfie et il dit qu'on en a trop. » Cette fois, elle avait parlé en râlant, l'air agacée. L'adolescent inspira lentement, força un sourire, puis s'approcha, glissant ses doigts au travers des cheveux de la petite fille. « On en a trop, désolé, Ambre. » (Bien trop, mais toujours un de moins que ce qu'il voudrait.) « En enlevant les Pokémons, qu'est-ce que tu veux pour ton anniv, donc ? Et pour Noël ? » Derrière, Jade, ayant tendu l'oreille en le voyant de retour, s'exclama aussitôt « de la teinture pour cheveux, merci, » chose à laquelle il répondit par un regard blasé et un « c'est toujours non » automatique.

Ambre réfléchit.

« Pour Noël, j'sais pas, mais, heu… Pour mon anniversaire, est-ce qu'on pourra l'inviter ? » Et sa main s'agrippant au pull d'Oyaris, l'expression pleine d'espoir, parce qu'il était probablement devenu génial à ses yeux en une conversation et qu'elle était spontanée comme pas possible. « Et Noah, aussi, hein ? Et je pourrais avoir de quoi dessiner ? »