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Lorsqu'elle aperçut Sören, attendant non loin des portes d'entrée du hall du cinéma de Verpré – elle n'était jamais venue, d'ailleurs ; c'était vraiment joli, comme endroit, il y avait beaucoup plus de couleurs qu'à celui de chez-elle, parce qu'il faisait souvent gris à Hoarford, et oh, d'ailleurs, est-ce qu'elle avait déjà amené son ami au cinéma de sa ville ? Peut-être qu'elle pourrait lui proposer, même s'il n'y avait pas d'autres films sympas autre que celui pour lequel elle était en train de le rejoindre, et qui avait l'air incroyable ; enfin, ça parlait de Dongeons et Dracolosses, et c'était un truc auquel il jouait, alors, forcément, en voyant l'affiche, elle avait aussitôt réagi et envoyé l'affiche à- uh, une seconde, oui. Donc, en apercevant Sören, elle avait aussitôt eu envie de l'étreindre, le genre de câlin que l'on offrait aux amis pas vus depuis une éternité ; parce que bon sang, ça en faisait au moins dix, des éternités, depuis la dernière fois qu'ils avaient passé du temps ensemble.

Depuis au moins- uh, non. Non, non, non, elle n'allait pas y penser. Pas de suite – pas maintenant.

« Ah ! Regardez qui voilà !, » et elle lâcha un éclat de rire, joyeuse. Il était pareil ; pas discret, joyeux, plein d'exagérations et c'était presque rassurant, de voir que rien n'avait changé, pas vrai ? « Coucou !, » et le garçon rejoint en quelques enjambées, les bras ouverts pour- Oh, non, du coup ; il s'était incliné, droit et dix fois plus gracieux dans ses mouvements qu'elle ne le serait jamais, sauf peut-être à la patinoire, (est-ce que Sören avait déjà fait du patin à glace ? Peut-être qu'elle pouvait l'y amener, là aussi) et avait saisi sa main pour embrasser ses phalanges, assorti d'un « Ma chère Eagle, c’est un plaisir. » Ah oui. Elle avait un peu oublié qu'il faisait ça, parfois, aussi – et elle se tortilla, les joues piquantes. « Comment vas-tu ? »

Réprimant un rire tandis qu'il se redressait, désignant le hall d'un mouvement du bras, la jeune femme balaya l'endroit des yeux, toute aussi souriante que son ami. Elle allait bien ; il faisait soleil, elle retrouvait un pote, ils allaient voir un super film, elle ne connaissait rien en Dongeons et Dracolosses, elle allait pouvoir découvrir, et, oui, très bien. « Ça va super ! Toi aussi ? » Et puis le regard en dérive vers les affiches, d'autres productions, d'autres choses à voir, peut-être plus tard, les gens tranquilles autour, les allers et retours des clients et férus de cinéma, peut-être, dans le bâtiment ; « j'ai trop hâte, il a l'air vraiment bien ! J'y connais rien, par contre, donc j'risque de poser plein de questions. »

Ils commencèrent rapidement à avancer, Eagle emboîtant le pas au jeune homme, qui avait l'air bien concentré sur pouvoir accéder au film à temps. « La séance devrait bientôt commencer. » Oh, vraiment ? Déjà ? Elle n'avait pas regardé, l'heure, après tout, mais elle n'était pas venue si en retard, si ? « Si tu n’y vois pas d’inconvénient, je te propose de remettre la suite de nos retrouvailles à plus tard. J’aimerais que nous ne manquions pas le début du film. » Ah oui, c'était qu'il voulait vraiment être à l'heure pour le voir.

D'un éclat de rire, Eagle hocha la tête, incapable de tenir en place et devançant ses pas avant de revenir marcher à côté de son ami, les yeux balayant l'intérieur comme si elle en retenait les détails. C'était pas sa faute si la bande-annonce avait été si ouf ; ç'avait vraiment l'air génial, et Sören avait eu l'air tout aussi motivé, et- « oh, attends, » ils oubliaient pas un truc, là ? « On a pris les places ? Enfin, moi, je l'ai pas fait, sauf si t'as pris les places et je te rembourse après, et- » L'horloge, en face, affichait dix heures cinquante-cinq, merde, elle était pas à onze heures, la séance ? « Merde, on va être en retard, j'ai pas vu l'heure- » Une seconde, onze heures ou onze heures quinze ? Oh, bon sang, elle ne retenait jamais.

« Okay, viens, j'te paie ta place ! » Et elle l'entraîna par le bras, se glissant dans la file d'attente la plus proche, relativement vide à cette heure-ci. « Il a vraiment l'air ouf, comme film- Dans le trailer, 'y avait une giga créature blanche, là, on aurait dit un genre de Polagriffe ? Mais en plus bizarre, ou en plus fantastique, du coup, j'sais pas, » et elle parlait, parlait, enthousiasme envahissant, peut-être, mais prête à s'arrêter pour l'écouter si besoin ; bon sang, ça faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vu.

Peut-être qu'elle parlait trop, au fond ; mais Arceus, ils ne s'étaient pas vus depuis des mois ! Et elle avait bien trop de choses à dire, à raconter – et plein de choses à lui demander. Comment il allait ; qu'est-ce qui s'était passé ces derniers mois ; et un millier d'autres questions encore. Elle l'avait connu depuis si longtemps ; même si, sur le coup, elle n'avait pas tant remarqué le manque de nouvelles – ce qui en disait peut-être, éventuellement, long sur sa capacité à ne pas oublier les choses, et les gens – elle réalisait maintenant que, sérieux, il lui avait vraiment manqué.

La première fois qu'ils s'étaient rencontrés, c'était en repas – de ces repas longs et pénibles, pour ne pas dire barbants que ses parents, enfin, son père et sa belle-mère organisaient avec des connaissances du même cercle social qu'eux. Elle ne savait jamais comment se tenir, à l'époque ; encore aujourd'hui, elle avait du mal à comprendre les codes, les mots, les façons de parler. C'était pire, plus petite ; pourquoi est-ce qu'il y avait autant de fourchettes et de couverts ? Azalée essayait d'aider (et la pensée arrache un éclat de douleur qu'on ravale parce que c'est pas le moment, pas vrai ? Elle est là pour profiter) en lui indiquant avec quoi manger quelles parties du repas, mais elle passait son temps à confondre.

Une fois, l'une des familles d'invités avait amené leurs enfants, dont un de son âge ; Sören, qui n'avait pas parlé durant tout le temps qu'ils s'étaient tous tenus au même endroit, hormis pour les saluer, évidemment ; et puis, et puis adultes comme Azalée s'étaient éclipsés pour parler vin, puisque les d'Albâtre possédaient un Château de production de, uh… Ah, oui, whisky, eau-de-vie et un peu de vodka. Bref, une fois seuls, ils s'étaient présentés – Eagle n'avait pas attendu longtemps avant de décider de lui faire visiter le plus possible la maisonnée, puis de le traîner jouer aux jeux-vidéos dans sa chambre. Apparemment, l'adolescent n'y avait jamais touché ; elle avait été ravie de lui faire découvrir, l'introduisant à quelques jeux avant de, eh bien. Avant que la porte ne s'ouvre et qu'ils ne se fassent réprimander.

Il avait bien essayé de rattraper le coup, mais Eagle- …était incapable de mentir, et elle avait un peu fait capoter ses mensonges improvisés en se contredisant elle-même sous le coup de la panique. La fin de la journée ne s'était pas terminée dans les meilleures circonstances, mais malgré tout, ç'avait été génial de se faire un nouvel ami.

« Un Polafang. Un croisement entre un Polagriff et un Noarfang, » lui expliqua-t-il, après de chauds remerciements concernant la place qui la firent sourire. Un verre après ? Pas de souci – de toute façon, elle n'avait absolument pas envie de le relâcher aussi rapidement, même après la séance de cinéma. Un Polafang, donc ? Wha, c'était vraiment bien trouvé, comme non. Et puis ç'avait l'air beaucoup trop mignon, aussi, comme bestiole. C'était toujours comme ça, dans les parties Donjons et Dracolosse ? « Dans cet univers, ce sont des créature sauvage très agressives, constamment affamées et… qui peuvent se révéler dangereuses pour des aventuriers mal préparés. » Ah. Peut-être que c'était moins mignon que prévu, alors. Mais quand même… « ...Y a pas moyen d'en apprivoiser ? Parce que ç'avait l'air super joli, » et les questions continuèrent, encore et encore – curieuse et enthousiasme, elle avalait autant d'informations que possible, jusqu'à devoir s'interrompre au moment d'entrer dans la salle.

Sören, main sur le coeur et sourire aux lèvres, les fit pauser une poignée de secondes avant d'ouvrir la porte. « Avant d’entrer, sache une chose : j’apprécie beaucoup partager ça avec toi. Sincèrement. » Et- Et- oh. Oh, wow. Eagle- Eagle cilla, les joues brusquement brûlantes et des impressions de ne plus avoir d'air dans les poumons – elle ouvrit la bouche sans trouver quoi répondre, le visage picotant. Oh. C'était juste un film, non ? C'était- Enfin, ça ne pouvait pas le toucher à ce point, c'était- Et elle le dévisagea, incapable de réagir, touchée comme troublée, aussi, un peu. C'était vachement gentil, quand même, à dire. Est-ce qu'elle devait- Oh, merde, est-ce qu'elle était restée trop longtemps muette ? Est-ce qu'il allait se vexer ? Est-ce que-

Et elle cilla à nouveau, l'attention se portant enfin sur la porte ouverte et un grand sourire un peu nerveux fleurissant sur ses lèvres. « C'est- Oui, pareil, ça fait- ça faisait longtemps, » et elle avança dans la grande salle, fuyant un peu ses yeux avant de les reporter sur les nombreux sièges alignés. Il y avait un peu de monde, déjà ; elle vérifia qu'il la suivait avant de dévaler les marches un peu plus rapidement, le son des publicités en fond sonore (très fort, comme toujours dans une salle de cinéma) et jeta son dévolu sur une rangée un peu au milieu, avec des places restantes sur la gauche, s'y installant rapidement. Okay, maintenant, ils étaient bien placés. « J'espère que ça commence pas dans trop longtemps. » Elle avait du mal à rester en place sans bouger lorsque quelque chose ne happait pas suffisamment son attention.

Le film fut incroyable. L'action, l'humour, les personnages – au début, Eagle posait quelques questions à Sören, qui était quand même vraiment un pro de l'univers de Donjons et Dracolosses, pas vrai ? Mais, entre son voisin de droite qui avait l'air de plus en plus agacé, et son ami qui finit par lui intimer de porter attention au film, elle finit par se laisser absorber, ne se tortillant qu'un minimum dans son siège. (Enfin, elle l'espérait. C'était dur, de rester assis comme ça, aussi.) La rouquine était vraiment super super jolie, et puis drôle, et puis le, uh… Le Paladin ? C'était ça, le nom ? Il était super stylé, aussi, et puis les relations entre le barde et sa fille, et… okay, oui, elle se mit à pleurer à la fin, lorsqu'Edgin, contraint de choisir entre ressusciter sa femme perdue il y avait des années, ou Holga, préféra avancer et opter pour cette dernière. C'était super beau, okay ? Et ça faisait mal, aussi, quelque part, parce que, parce que, Kira ne reverrait jamais sa mère, mais Holga était là, et il avait passé des semaines à espérer pour au final se retrouver au même point, et-

Lorsque les lumières se rallumèrent, Eagle pleurait encore, essayant de chercher un mouchoir dans ses poches tandis que les gens se relevaient. Elle n'avait pas honte, elle n'avait juste pas envie que la planète entière la voie aussi touchée par un film. Mais il était si beau, et si douloureux, aussi, à la fois. « ..J'ai adoré, » dit-elle un peu pitoyablement à son ami, après s'être enfin mouchée et avoir essuyé ses yeux d'un revers de bras, une fois à la lueur du jour et hors du cinéma. « C'est toujours aussi bien, Donjons et Dracolosses ? En tout cas, ç'a l'air vraiment génial, » et sa voix était encore un peu éprouvée, mais elle avait passé un moment super, et le soleil brillait, un peu plus haut, alors elle inspira à fond pour se calmer, et finit par offrir un sourire à Sören.

« T'as faim ? Tu veux qu'on mange un truc ? J'fais c'que tu préfères- Enfin, uh, sauf si tu veux rentrer chez toi, mais… » et sa voix diminuait un peu de volume, quelques picots d'anxiété se nouant au fond de son estomac. Ils avaient passé tant de temps sans se voir que, s'il rentrait vraiment, elle allait être déçue. Mais il avait peut-être des priorités, ou des trucs importants à faire, ou… Elle n'avait pas à s'imposer dans son emploi du temps comme ça, pas vrai ?