Ophelia reposa son portable à côté d'elle dans un geste brusque, comme s'il l'avait brûlée. Elle se leva, la gorge nouée, les larmes au bord des paupières, mais avec un sentiment d'urgence. Romeo avait le droit de savoir, et maintenant qu'elle l'avait contacté, qu'elle avait éveillé ses inquiétudes, chaque minute d'attente supplémentaire serait cruelle. Mais elle hésita avant de se lever pour partir. Pouvait-elle le laisser avec si peu ? Elle attrapa à nouveau l'appareil, écrit un autre message, rapide, trop vite pour que les lettres ne se mélangent pas. Rapide et confus, mais si elle voulait lui épargner trop d'incertitudes, elle ne savait pas comment les apaiser. Le mieux restait de se dépêcher. De faire au plus vite pour pouvoir lui parler, lui expliquer, et lui demander des réponses. Il en avait sûrement plus qu'elle. Et si Romeo avait besoin de savoir et de recevoir sa lettre, Ophelia avait besoin de comprendre. Comprendre comment elle avait pu rater tout ça, comment elle avait pu être aussi aveugle, et comment Jill en était arrivée là. Et trouver un moyen de faire taire la petite voix qui lui soufflait que c'était de sa faute si Jill s'était embourbée dans toutes ces horreurs.

La jeune femme prit une grande inspiration, cherchant à diluer la boule qui s’était reformée dans sa gorge. Elle se redressa pour de bon, rangea le Blackframby dans une poche et s’en alla prévenir sa grand-mère, occupée sur leur petite parcelle de jardin, qu’elle sortait. Finalement, tout était allé très vite : Romeo lui avait répondu en quelques minutes et était disponible aussitôt. Ophelia n’eut cependant pas la force de lui expliquer qui elle allait voir, déclara seulement qu’elle allait voir un ami pour se changer les idées. Les yeux humides de la vieille dame lui sourirent, tandis qu’elle hochait la tête, le sécateur à la main, pour raccourcir quelques branches avant l’hiver. Cela la rassérénait, qu’elle disait, de pouvoir s’occuper des plantes. C’était une façon comme une autre de repousser les larmes et de combler le temps.

Une fois le sac rempli de tout ce qu’il fallait au cas où — surtout des mouchoirs —, Ophelia passa la lanière par-dessus son épaule et s’éloigna. Elle se dépêchait, pas rapide, stressé, et son regard terne était pourtant toujours en mouvement, comme si elle cherchait quelque chose… ou quelqu’un. Elle se dépêchait, traversant le camp qui n’était somme toute pas bien grand, pour rejoindre les téléporteurs direction Kopadia. Elle était stressée : le reconnaîtrait-elle, ce Romeo ? Et surtout, cette douloureuse question, comment lui dire ?

Plus les minutes avançaient, plus l’instant approchait. Ophelia se sentait de plus en plus lourde, de plus en plus bloquée, par cette boule tapie dans sa gorge et celle lovée dans son estomac. Une fois arrivée à Kopadia, elle s’arrêta plusieurs fois, si bien qu’on la bousculait, sans aucune considération pour ses états d’âmes. Elle était « dans le chemin », à la sortie des téléporteurs. Mais elle était surtout perdue, physiquement et psychiquement. Oh, Jill, pourquoi es-tu partie ? Pourquoi m’as-tu laissé la responsabilité de le lui annoncer ? Ophelia s’agrippait à la lanière de son sac comme à une bouée de sauvetage, comme s’il allait se transformer en cape d’invisibilité qui empêcherait Romeo de la voir, de la reconnaître, de lui demander ce qu’il passait.

La jeune femme ferma les yeux un instant, prit une grande inspiration, dérangée par un énième coup d’épaules. Et puis elle rouvrit les paupières et avança, décidée. Dans le même temps, elle aperçut sur la place un jeune homme qui lui sembla être celui qu’elle cherchait, sans en être certaine cependant ; ils ne s’étaient croisés qu’une fois ou deux et rapidement. Mais il suffit de croiser leur regard pour s’en assurer. L’air grave, comme des pierres tombales — et pourtant Ophelia restait persuadée que Jill avait fui, et que sa mort n’était que la mise en scène qu’elle avait souhaitée. Elle, surtout, était inquiétante d’apparence : des cernes plus épaisses qu’elle ne les avait jamais eues, les traits tirés, les yeux presque rouges, trop fatigués. L’étincelle d’insouciance et de légèreté que les sacrifices de Jill avaient préservé avait disparu.

« Salut. Je… Est-ce qu’on peut aller à l’écart de… tout ça ? » fit-elle en désignant la place, les gens, les oreilles et les yeux indiscret·es.

S’inquiéter de son état était inutile, la réponse évidente. Et l’instant était trop grave pour se perdre en banalités et en futilités. Ophelia elle-même n’aurait pas eu la force de soutenir une conversation « banale » alors même que son secret la brûlait de l’intérieur, comme un besoin de partager, de ne pas être seule. Et que dire des centaines de questions qu’elle désirait poser, espérant que lui aurait des indices, des clés, des souvenirs qui expliqueraient ce qu’elle n’avait jamais pu voir ?

Time to cry

(c) TakeItEzy pour Be.Wild

20/05/2022

you need to know, and you’re
the only one who knows

avec
ophelia fellowes

période
01 décembre 2022

moment
un peu avant midi

something that i pray you’ll never know. ❞

CW du topic - perte d'un proche, deuil.

oui pardon je sais pas comment - les mots gravés sur les rétines ; quelque chose qui noue, quelque chose qui tord au dedans. Oui comme quelque chose s’est passé, pardon mais pourquoi, je sais pas comment et comme une phrase en suspens. Quelque chose que des mots sur un écran ne peuvent pas traduire, pas transmettre, pas avouer. Faut qu’on se voie et c’est important - quelque chose qu’on dit les yeux dans les yeux.

Tes dents s’acharnent sur le fermoir du piercing à ta lèvre - puis sur ton ongle, coincé entre tes incisives.
Installé sur le sofa, tout au bord, les coudes sur les genoux et ton portable entre les mains, tu lis et relis, incapable de détourner les yeux, de décrocher de la spirale de tes idées. Quelque chose déconne. Ton talon bat une mesure nerveuse, sur le parquet, contre laquelle Frenzy s’agace - tu ne la rappelles pas à l’ordre lorsqu’elle aboie.

Trente minutes.
C’est encore quinze à tourner en rond dans l’appartement, quinze à n’avoir rien pour t’occuper, quinze pour perdre la raison. Il fait beau, pensée distraite et lointaine, j’pourrais sortir quand même, tuer le temps dans les rues, te perdre au bruit des vagues que t’entends déjà par la vitre ouverte du balcon, tu pourrais te shooter au vide et à l’ennui.

Mais pas un geste pour te lever - que le pouce qui glisse sur l’écran, quitte la conversation pour en ouvrir une autre, familière, où s’alignent les messages sans réponse, même pas vus depuis quelques jours (une éternité prisonnière des secondes asphyxiées).

11:23

Ta soeur vient de m’écrire

Je sais pas si c’est normal

(Tu sais que ça ne l’est pas.)

Pas de vu, pas de lu ; distribué et puis rien d’autre, un vide, un silence, et ça serre un peu plus fort à l’intérieur.

Diesel et Frenzy s’agitent, sous la table basse, et tu restes sourd à leur tumulte, à celui de leurs grondements, de leurs courses, de leurs bousculades - tu ne réagis pas lorsque l’un d’eux heurte ton mollet, à peine quand l’autre manque arracher le chargeur de l’ordinateur portable ouvert sur la table. Un soupir, fébrile, s’en vient mourir sur le bord de tes lèvres tandis que tu baisses l’écran et t’arraches au canapé.

Appel pressé et haut-parleur allumé, les tonalités sonnent dans le vide. Téléphone posé sur l’îlot, tu rinces ton verre, attrapes- Non, tu raccroches, rappelles, attrapes la bouteille que tu n’as pas pris la peine de ranger, remplis le verre et- Répondeur, encore une fois, éternellement ; le message pré-enregistré comme un rappel cruel de toutes ces tentatives soldées sur le même échec. « Eh, c’est- C’est moi, c’est Romeo, je- Please, I- » Ta voix s’étrangle un instant - une inspiration, une gorgée, brûlure familière mais d’une seule seconde (pas assez). « Réponds-moi, steuplaît, je- I’m just- J’vais pas… J’suis terrifié Jill, j’ai juste- J’t’en supplie, n’importe quoi, j’ai b’soin d’savoir que- Que tu m’dises que- » Les secondes qui s’alignent - les doigts serrés sur le verre, les doigts serrés sur le bord du comptoir, les jointures blanchies et fuck à l’esprit. « …J’veux qu’tu m’dises que tu vas bien, » un murmure et puis plus rien - pas un mot, pas un geste.

C’est la voix automatique du répondeur, celle qui te dit que ton message a atteint la durée d’enregistrement maximale (pour poursuivre, pressez 4) qui te ramène - tu raccroches et laisses ton portable se verrouiller tandis que tu vides ton verre d’un trait.

Ce dernier reposé dans l’évier, tu te traînes jusqu’à la buanderie - troques ton jogging pour un jean usé, ton sweater gris et trop large pour un autre, noir et plus serré, puis te glisses dans la pièce d’à-côté. Le miroir de la salle de bain te renvoie une image vague, un peu dénaturée - ça ressemble au toi d’une autre époque, un peu trop pâle, les traits tirés, la peau piquée des points noirs, des cernes et des imperfections typiques de ceux au quotidien désordonné. Tu ôtes ta chevalière un instant, la poses au bord du lavabo, glisses tes mains sous l’eau puis sur ton visage - fraîcheur bienvenue sur les picotements brûlants d’une fièvre désemparée.
L’humidité épongée dans une serviette, tes mains presque sèches et ton (unique) chevalière glissée à ton majeur - tu ne t’embarrasses pas des autres, ni de tes bracelets, comme pas l’envie de perdre ton temps, comme pas l’envie de prendre soin de soi ni de soigner son image pour cette fois -, tu éteins la lumière et laisses coulisser la porte du placard de l’entrée.

Vans usées chaussées à la va-vite, bonnet fin arraché à l’un des cintres puis enfoncé sur tes cheveux mal démêlés, blouson similicuir enfilé d’un geste mécanique, tu récupères ton portable sur l’îlot et, glissé avec tes cigarettes et ton briquet dans la sacoche jetée en bandoulière sur ton épaule, tes clefs dans la poche, tu quittes enfin l’appartement.

Ike Kai est absurde.

Empreinte d’une légèreté qui jure avec la lourdeur de tes pas. Pleine de bruits et de vie, pleine de rires sous un ciel bleu qui rend risibles les décorations dont la ville s’est déjà parée - ton coeur à toi n’est pas à la fête. Tu déambules, aveugle et pressé, le pas qui contourne avec habileté les passants déconcentrés - ta trajectoire en ligne droite, tes gestes qui s’agacent sur les feux rouges et quelques passages piétons franchis dans l’urgence entre deux voitures pas si éloignées l’une de l’autre.

Tu n’atteins la place des téléporteurs qu’une poignée de minutes en avance - déjà essoufflé d’avoir, sans t’en rendre compte, pressé le pas tant que tu le pouvais. Une inspiration, profonde et, déjà, tes prunelles la cherchent. Petite, châtain, tatouage sous l’oeil, elle aussi et- Là.
Là, pas si loin mais à des années-lumières d’où tu te tiens. Là, comme une certitude - parce que tu vois les traits d’une autre dans les siens, parce qu’elles se ressemblent et que tu ne réalises pas encore à quel point c’est cruel.

La distance s’abolit avant même que tu ne t’en rendes vraiment compte - plus même certain de qui s’est avancé en premier, de qui a accompli les pas qui manquaient. Sa voix résonne, « Salut, » en écho, incertain - ciel, qu’elle a l’air fatiguée, elle aussi - et ton regard suit le sien.
(Et ça serre, et ça serre, et ça serre au dedans.)

« … Ouais, » réponse automatique, un peu étouffée - comme un souffle coincé en travers de la gorge. Raclement sourd plus tard, tes gestes qui s’empressent déjà de tirer cigarette et briquet de ton sac, tu hausses les épaules. « Ouais, » en répétition, plus claire, et tes prunelles qui la fuient pour désigner une rue, plus loin, « suis-moi. » Clope entre les lèvres, main en coupe-vent et feuille et tabac embrasés, tu tires la première bouffée tandis que vous quittez la foule.

Cette rue-là est un peu plus paisible - allée résidentielle, pas le coeur des animations ; et en bout de chemin comme un petit square de verdure, un banc à la peinture écaillée sous les palmiers. « Here, » un souffle, tandis que tu te perches sur le dossier, les pieds sur l’assise, la cigarette entre l’index et le majeur, la cendre éparpillée à la brise.

Un silence.
(Et si vous restiez simplement comme ça ? Et si vous ne disiez jamais ces mots qui pourraient sceller la douleur à même tes chairs déjà trop entamées ?)

« …Ça fait des jours qu’elle m’écrit plus, » tu lances, par-dessus le vide et la gorge nouée, « qu’elle répond plus quand j’l’appelle, » un peu plus bas, un peu plus rauque, un peu plus cassé. « Et maintenant, c’est toi qui- C’est toi qu’es là. »

Tu sais déjà.
« …Dis-moi pourquoi t’es là. »

Tu sais déjà.
Tu sais déjà.
Tu sais déjà.
T’as su à l’instant où elle t’a dit qui elle était.
T’as su à l’instant où elle t’a dit que vous deviez parler.

Tu sais déjà.
Tu sais déjà - ta raison est trop certaine de tout ce que ton coeur refuse d’entendre, d’écouter, de comprendre, d’accepter.

(Tu sais déjà que tu ne la reverras pas - que tout ce que vous étiez ne verra plus le soleil se lever.)

Twenty One Pilots - Friend, Please

J’suis pas certaine que j’étais prête pour ça, but here we go.

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20/03/2022

ft. Romeo

1er décembre

Ike Kai, Place des téléporteurs

You need to know, and you are the only one who knows

Laisser les gens derrière était rassurant, et pourtant, le cœur d’Ophelia s’agitait dans sa poitrine, comme s’il essayait de fuir, de s’échapper des barreaux de la cage thoracique. Suis-moi, avait dit Romeo, presque las, un peu perdu, avant de laisser ses pensées s’échapper dans la fumée de sa cigarette. Ophelia l’avait suivi, le long de quelques rues auxquelles elle ne prêtait pas réellement attention, plus absorbée à chercher ses mots et se mordiller la lèvre. L’absence de Jill était terrifiante et, ironiquement, elle prenait toute la place.

Il s’arrêta, auprès d’un banc entouré d’un peu de verdure, minuscule île de calme et de douceur dans cette ville bien plus bourdonnante que ce dont Ophelia avait l’habitude. C’était un mignon petit square, et Ophelia se prit à se dire que si c’était un endroit que Romeo affectionnait, elle allait tout gâcher. Pourtant elle s’assit, prenant place sur l’assise normale, elle, tournée vers lui ; mais fuyant pourtant ses yeux. Elle hésitait, observait ses mains, ne sachant par où commencer, quel mot dire, n’osant surtout pas briser le silence, qui semblait tacitement protéger quelque chose. Les respirations étaient lourdes, les débuts de mots balbutiés et aussitôt ravalés. Finalement, ce fut lui qui parla le premier, pour de bon. Il avait besoin de savoir, et c’est pour ça qu’elle était là. Dis-moi pourquoi t’es là. Elle leva les yeux, à nouveau humides.

Jill, pourquoi je suis là ?

« Elle… Jill a disparu. Elle… elle nous répondra plus. »

Nous, parce qu’ils étaient tous les deux dans le même bateau, tous les deux dans la même souffrance, croisière lente sur la mer de la tristesse et de l’abandon. Nous, parce qu’Ophelia aussi l’avait harcelée de messages, lorsqu’elle avait vu Xian arriver vers elle et l’emmener au cœur d’Haptos, jusqu’à ce qu’elle lise la lettre. Nous, parce que d’une certaine manière, elle espérait qu’ils allaient se serrer les coudes. Parce qu’elle ne s’en sortirait pas seule.

« Son appart’ a brûlé et… ils pensent qu’elle, qu’elle est, qu’elle est morte mais ils ont pas retrouvé de corps et… »

Le mot lui arracha la gorge. C’était la première fois qu’elle le prononçait à voix haute, la première fois qu’elle considérait véritablement le fait que Jill n’était peut-être plus qu’un corps, sans vie, même si elle refusait d’y croire. Elle avait parlé si vite, d’un coup, qu’elle dut presque reprendre son souffle, les yeux brûlants et la poitrine emballée.

« Et elle a laissé des lettres, attends… » Fouille rapide, la lettre pour Romeo était restée au-dessus ; Ophelia la lui tendit aussitôt. « Dans la mienne elle dit qu’elle est peut-être juste partie... »

Un sanglot lui étreignit la gorge, mais les larmes n’étaient pas vraiment prêtes à couler. Pas librement, pas en flots, elles restaient là, au travers de la gorge, amères et sourdes.

« J’peux m’éloigner un moment, si tu veux la lire ici. »

Ce n’était pas une fuite. Mais à sa place, elle aurait eu besoin d’intimité. Elle en avait eu besoin, au tout début. Elle ignorait ce qui pouvait se trouver dans la lettre, d’ailleurs, si elle expliquait davantage, si c’était une simple déclaration d’amour, un pardon, un adieu. Elle savait juste qu’a priori, elle n’avait pas à le savoir. Elle n’était qu’une messagère, une messagère aux lettres plus lourdes qu’une chape de plomb.

(c) TakeItEzy pour Be.Wild

20/05/2022

you need to know, and you’re
the only one who knows

avec
ophelia fellowes

période
01 décembre 2022

moment
un peu avant midi

something that i pray you’ll never know. ❞

Un silence, pour réponse ; des prunelles qui fuient les tiennes et les tiennes à la recherche des réponses que ses traits pourraient dire. Chaque instant, chaque seconde écoulée, chaque souffle un peu plus pénible arraché à l’air tiède de Kopadia, c’est quelque chose qui s’abîme à l’intérieur, quelque chose qui serre, qui grince, comme des pierres rugueuses en frottements, crissement aigus, et un poids qui s’alourdit, s’alourdit, s’alourdit à l’infini sous les côtes - le coeur broyé sous les non-dits.

Pourquoi t’es là, (j’t’en supplie, dis-moi), et trop d’indices disséminés dans des morceaux de phrases étranglés, des mots inachevés qui s’en vont mourir au bord de lèvres qui portent le poids d’une sentence terrible - irréversible. Pourquoi t’es là, (j’t’en prie, j’ai besoin de savoir). Comme une envie de répéter, dis-moi, dis-moi, réponds, s’il-te-plaît, réponds mais rien, rien, rien, et la bouffée nerveuse sur la cigarette dont on oublie d’éparpiller la cendre au vent.

« Elle… Jill a disparu. »

(Quel est le bruit d’un coeur qu’on brise ?)

« Elle… elle nous répondra plus. »

(Quel est le bruit d’un être - d’une vie - qui vole en éclats ?)

Elle nous répondra plus et comme un point final ; quelque chose d’inéluctable. Sujet verbe complément pour définir les contours de l’indicible - les mots pour planter le décor sinistre, pour se donner le droit d’être celle qui prononce ceux qui condamnent (la peine à perpétuité à l’âme).

Elle nous répondra plus comme un (c’est terminé).

Un bruit blanc dans le crâne ; des picotements de givre sous la peau. Le coeur qui serre, serre, serre comme au bord de l’implosion (éclate, éclate, éclate, j’t’en supplie explose, emporte-moi comme en plein vol j’veux pas tomber au sol) - tes prunelles toujours sur elle et qui détaillent ses traits mais sans vraiment les voir ;
(elle a les yeux qui brillent, elle a la voix qui tremble) et un non qui résonne dans tous les os, non comme un cri silencieux.

« Son appart’ a brûlé et… ils pensent qu’elle, qu’elle est, qu’elle est morte mais ils ont pas retrouvé de corps et… » Et des mots qui déchirent - fêlures et coups de marteau dans les cassures, le clou sous les ongles et sous les dents (la brise a balayé les cendres oubliées).
Morte- Morte, ça existe pas à nos âges, pas comme ça, c’est pas comme ça elle, c’est pas quelqu’un qui meurt, Jill, c’est pas quelqu’un qui tombe, c’est pas quelqu’un qu’on perd de vue au coin de rue du boulevard Paradis. Corps c’est vague, c’est flou, le mot fait mal et elle a trébuché dessus comme sur une faute note, comme un accord désaccordé sur une corde qui finit par lâcher - c’est pas Jill, ça, qu’est-ce que tu m’racontes ?

« Et elle a laissé des lettres, attends… » (Les morts n’écrivent pas ; elle a écrit, elle n’est pas…) - tu t’es trompée, Ophelia, ta langue a fourché, t’as voulu dire autre chose, c’est pas ces mots-là que tu devais employer. Tu t’es trompée, redis-moi les choses autrement, tu vas réaliser, hein ? Que t’as dit n’importe quoi, que t’as confondu les trucs, que c’que t’as dit c’est pas vrai-

Une enveloppe, tendue dans ta direction - Romeo écrit au stylo bic et c’est son écriture. « Dans la mienne elle dit qu’elle est peut-être juste partie... » (Et la voix qui casse, encore, mais toi qui t’acharnes à ne rien entendre) - tu tends la main pour te saisir de la lettre qui t’est destinée. Ton mégot écrasé sur l’une des planches du banc, tu te penches (manques perdre l’équilibre) pour le jeter dans la poubelle à proximité (une ou deux longueurs de bras, sans tomber), à tâtons, pas vraiment capable de lâcher l’épaisseur de papier des yeux. « J’peux m’éloigner un moment, si tu veux la lire ici. » La lire- « Non. » Non réflexe, instinctif, brusque et tranchant, un non de la raison qui s’acharne à protéger ton coeur (un j’peux pas coincé au fond).

Et qu’un silence - qu’une poignée de secondes mais des airs d’éternité. Ça ne fait pas de sens, c’est abstrait comme le vide dans les idées, comme le myocarde en sourdine, c’est absurde comme le ciel bleu et les décorations criardes qu’Ike Kai a fini d’installer la veille de cet instant insensé.
(Ça peut pas être vrai.)

Tu tapes le plat de l’enveloppe contre tes doigts - le geste distrait, nerveux, comme quelque chose à contenir à l’intérieur et qui menace de déborder. « …Quand ? » un souffle, au bord des lèvres ; comme un doute et puis une sensation glaciale sous la peau. « Was it- C’était… C’était le jour de- De la manifestation à New Pyra, right? » Le silence radio à l’autre bout du fil, tandis que l’horreur s’installait, de l’autre côté de Lentis.
Jill n’y était pas - ça ne lui ressemble pas. Elle est comme toi - ces causes-là ne l’intéressent pas ; elle n’a pas ce genre d’idéaux qui ressemblent bien plus à Ophelia (tu te souviens ce matin de juin et la colère dans ses yeux quand il lui a fallu aller chercher, au commissariat de Verpré, celle qui se tient à tes côtés).

Mais, les lettres-
Les lettres.

Elle a laissé des lettres et puis elle est… elle nous répondra plus et quelque chose de glacial sous les côtes et tes prunelles sur elle et- « Elle- Did she… Elle s’est- » Pour laisser des lettres il faut savoir qu’on va mourir et pour savoir qu’on va mourir il faut- Il faut- (Tu sais ce qu’il faut) mais (son appart a brûlé) et (elle dit qu’elle est peut-être juste partie) alors-
Alors, non (alors, peut-être pas).

« Qu’est-ce que… Comment elle- Pourquoi y’a des lettres si c’est un acc- Un incendie c’est un accident, hein ? C’est- C’est- » Et les mots qui butent et quelque chose qui tremble tremble tremble et serre serre serre et brise et fracasse et disloque et- « Qu’est-ce que tu sais, Ophelia- » et une plainte (ça sonne comme une question ; suspens douloureux dans le point d’interrogation vacillant).

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20/03/2022

ft. Romeo

1er décembre

Ike Kai, Place des téléporteurs

You need to know, and you are the only one who knows

Ophelia ne bougea pas, seulement de quelques poils de bras ; Romeo avait refusé qu’elle s’éloigne, peut-être un peu trop brusquement. Ou alors ce n’était pas à cela qu’il opposait une résistance, mais à tout ce qu’elle lâchait depuis quelques minutes trop longues et trop douloureuses. Elle avait conscience que c’était difficile à entendre, qu’elle-même était peut-être trop directe. Mais Ophelia n’avait jamais choisi d’être la messagère de ces nouvelles terribles, et ce n’était pas plus simple pour elle. Elle ignorait comment faire ; elle faisait ce qu’elle pouvait.

...Quand ? Ophelia entrouvrait la bouche pour répondre, mais la réponse sortit seule, venue des souvenirs et des déductions. Alors elle se contenta d’acquiescer, hocher la tête — « Oui », c’était tout ce qu’il y avait à dire. Le jour de la manifestation, celui où le monde s’effondra, autour d’elle et ailleurs à la fois. Celui où Xian vint à sa rencontre ; Zarbi endossant le rôle de Thanatos laissé en héritage.

Romeo réfléchissait tout haut, perdu entre ses pensées et sa douleur, sûrement. Des questions sans réponses qu’elle s’était déjà posée des dizaines de fois durant ces quelques jours, des questions terribles qui définissaient tout. Mais elle était venue sans réponse ; les réponses, ce devait être lui qui les avait, normalement. Et s’il ne savait rien… peut-être qu’ils ne les obtiendraient jamais, ni l’un ni l’autre.
Incertitude pour l’éternité — incertitude qui maintiendrait le deuil impossible.

« Je sais rien, enfin j’y comprends rien… » La vie de Jill n’était finalement qu’un grand mystère insondable dont elle n’avait jamais eu les clés. « Pour être honnête, j’espérais que toi, t’aurais des réponses. Qu’tu saurais ce qu’elle faisait, ce qu’elle vivait, que t’aurais au moins des indices… Elle parle d’erreurs qui l’auraient rattrapée, qu’elle aurait dealé et… produit de la drogue ? Qu’y a un type qu’est mort ‘y a des années et… J’y comprends rien, alors s’il-te-plaît, dis-moi qu’toi t’as des réponses. »

Parce que tout ça n’était pas crédible, parce que Jill n’avait jamais rien fait d’illégal, n’est-ce pas ? La première à lui avoir crié dessus lorsqu’elle avait seulement ouvert quelques pokéballs, la première à lui avoir fait des leçons de morale en long et en large ; est-ce que tout cela n’était qu’hypocrisie ?

Le plus terrifiant était de n’avoir rien vu, de n’avoir rien su. L’impression dérangeante que sa sœur était comme une étrangère. Que celle qui était pourtant tout son monde ne lui avait jamais rien confié, et qu’elle ne connaissait rien de sa vie réelle. Et si elle avait su, est-ce qu’elle aurait pu l’aider… ?

En fait, il valait mieux que Romeo ne sache rien, lui non plus. Parce qu’elle n’était pas certaine de pouvoir continuer à le regarder en face s’il savait et qu’il n’avait rien fait.

(c) TakeItEzy pour Be.Wild

20/05/2022

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the only one who knows

avec
ophelia fellowes

période
01 décembre 2022

moment
un peu avant midi

something that i pray you’ll never know. ❞

« Je sais rien, enfin j’y comprends rien… » Et comme une sentence - elle n’aura pas de réponse à donner. Il n’y aura que le silence, que les questions et des vides, et des rien, et des pourquoi à jeter au vent et… Et à quoi ça rime ; elle va t’écrire, pas vrai ? Vos portables vont vibrer en même temps, et ce sera son nom sur l’écran ; pour toi une notification Snapchat, peut-être - une invitation à une soirée dans les voies de métro abandonnées de New Pyra, ou à une énième course en bordure du désert, n’importe quoi qui lui ressemble (qui vous ressemble), n’importe quoi pourvu que ce soit comme d’habitude, comme une poignée de jours auparavant, comme si le fil du temps n’avait jamais été coupé, comme-

« Pour être honnête, j’espérais que toi, t’aurais des réponses. Qu’tu saurais ce qu’elle faisait, ce qu’elle vivait, que t’aurais au moins des indices… » Est-ce qu’il y avait quelque chose ? Un détail, des choses qu’elle avait dites, des gestes qu’elle avait eus ? Des comportements étranges, quoique ce soit qui aurait pu (dû ?) te mettre la puce à l’oreille, te forcer à la confronter, à- « Elle parle d’erreurs qui l’auraient rattrapée, qu’elle aurait dealé et… produit de la drogue ? Qu’y a un type… » Bruit blanc.

Bourdonnement dans le crâne ; les bruits s’étouffent et sa voix s’enroue dans tes idées, ses mots filent sans plus rien accrocher.
Dealé, produit de la drogue - les aveux sont à des années-lumière de tout ce que tu aurais pu imaginer, de tout- (Pourquoi ?) Pourquoi, (non), c’est pas vrai, ça peut pas l’être ; elle invente, elle ment, elle a mal compris - Jill n’est pas comme ça. Jill n’est pas comme ça. Elle n’a rien à voir avec ce monde-là, elle n’a rien à voir avec-
(Qu’est-ce que tu en sais, hein ?)

« I- » Ta voix s’étrangle - brise au premier mot d’une phrase qui n’avait de toute façon pas la moindre suite dans tes idées. Que faudrait-il répondre à ces choses-là ? L’accuser de mentir serait injuste - tu lui dois de savoir la vérité que personne d’autre ne t’aurait dit.
Mais, alors, quoi ?

Et ça tourne, et ça tourne, et ça tourne à l’infini, et le vide prend des formes de douleur et de choc et de reproche et de colère et le néant ouvert sous les pieds s’est rempli d’acide et- This can’t be real, ça peut pas être vrai, parce que si ça l’est - si ça l’est, alors ça signifie quoi d’elle, de toi, de vous ? Elle sait - elle a lu la putain de page à ton nom ; elle sait tout ce qu’on dit, et puis les vérités que tu ne lui as pas cachées. Que t’as connu le pire de ce monde-là, qu’il te rongeait encore quelques mois à peine avant que tu l’aies rencontrée, que ça te consume encore, parfois, craving après craving, tentations permanentes dans les soirées mal fréquentées - et elle disait se faire sa propre idée, croire ce qu’elle avait devant être plutôt que le ramassis de conneries de ceux qui s’étaient convaincus de te détester…

(Est-ce que tout ça, elle l’avait inventé ; est-ce que de tes aveux, elle s’en était jouée ?)

« Je- Je savais pas, Ophelia, » et ta voix est rauque, les mots sont pénibles, comme lâchés par une gorge trop sèche (nouée), « tout c’que tu me dis là- Je savais pas, » et c’est un autre craquement, un bris de verre dans les mots et la bourrasque sur un château de cartes - les doigts serrés sur le bord du dossier sur lequel tu t’es assis, lettre déjà à demi-froissée sous tes phalanges verrouillées, tu renverses la tête en arrière et respires. Battements de paupières après battements de paupières, tu chasses le voile trouble qui s’est logé sous tes cils, tentes de retrouver une contenance façade qui n’a pas son pendant dans la réalité.

Tu ouvres la bouche, la refermes, cherches tes mots et secoues la tête. « Je- J’crois qu’elle me l’aurait jamais dit, » et c’est presque un murmure, c’est pour empêcher ta voix de trembler, c’est pour tenir bon quand tout voudrait s’écrouler (mais tu peux pas, tu peux pas, ce serait injuste et cruelle, d’ajouter le tumulte de tes émotions à la lourdeur de la peine qui doit l’accabler bien trop fort déjà). « Parce que ça- Tout ça, la drogue, ça m’a presque tué, et qu’elle le sait, et j’crois qu’elle- J’crois qu’elle me l’aurait jamais dit. »
Parce qu’elle t’aurait protégé, jusqu’au bout - même si les étincelles de colère qui crépitent au-dedans t’intiment le contraire, tu peux pas, tu peux pas les écouter, tu peux pas les croire ;

tu peux pas les laisser te convaincre que ses rires, que sa chaleur, que vos tout et vos rien racontés à la nuit, accoudés à la rambarde de ton balcon, un verre dans une main et les doigts libres posés l’un sur l’autre, que toutes ces choses que vous vous inventiez au jour le jour, c’était pas vrai - tu peux pas les laisser te convaincre que c’était pour de faux, que la tendresse qui perçait parfois, dans ses gestes ou dans ses yeux, elle l’avait inventée.

(Elle ne parlait jamais d’avenir ; mais toi non plus - comment aurais-tu pu savoir que ç’avait une autre signification, pour elle, que ce silence a toujours eu pour toi ?)

« J’suis désolé, Ophelia, je- Je sais rien, you know even more things than I do. » Et c’est vaincu, c’est fatigué, les intonations défaite et qu’une chute sans fin dans tous les pourquoi auxquels elle n’a pas plus de réponse que toi.

Je note ça là au cas où tu aies oublié et parce que je viens d’y penser en relisant les lettres de Jill, mais normalement Ophelia doit aussi lui donner la lettre pour Myulan il me semble blblbl ♥

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20/03/2022

ft. Romeo

1er décembre

Ike Kai, Place des téléporteurs

You need to know, and you are the only one who knows

Ophelia était le messager, funeste mais indispensable, et Romeo devait être le gardien, le sage, celui qui sait ; quelque chose, quelqu’un qui aurait compris et aurait pu tout expliquer. Mais il n’y avait rien de plus à comprendre, rien de plus à expliquer que ce que Jill avait écrit : qu’elle voulait seulement les protéger.

Que le fardeau qu’elle avait endossé pour eux, pour elle, était bien plus lourd qu’elle ne l’aurait imaginé, et que ses épaules avaient fini par flancher, malgré toute sa détermination.

Elle avait cru que Romeo savait, qu’elle n’était juste que la petite dernière à qui on cache tout, comme toujours. Elle avait cru que Romeo savait mais tout son corps disait le contraire ; son visage décomposé, sa voix étranglée, son regard fuyant, ses doigts crispés et toutes ses tentatives de reprendre contenance. Ophelia aurait voulu lui dire que ce n’était pas grave, qu’il n’avait pas à faire semblant devant elle, que… Pourtant elle ignorait comment. Ce Romeo, c’était un inconnu pour elle, juste un nom dans le répertoire de Jill, au cœur de ses lettres ; mais elle ne se demandait pas comment Jill l’avait aimé. Il y avait dans ses attitudes la même fausse arrogance, l’air de défi, bravache, comme de vouloir prendre une revanche sur quelque chose d’indéfinissable.

Avant aujourd’hui, ou plutôt avant-hier, Ophelia n’aurait jamais imaginé l’ampleur de ce contre quoi Jill aurait voulu prendre sa revanche.

Il ne savait pas. Il ne savait pas, lui non plus, et ça lui faisait vraisemblablement au moins tout aussi mal de l’apprendre — de savoir que cette personne si importante dans leur vie leur avait caché le principal. C’étaient comme des coups de couteau et des déchirures, des trous comme des gouffres qui s’ouvraient sous leurs pieds. Si quelques pièces du puzzle sont falsifiées, comment savoir si l’ensemble entier ne l’est pas ?

« Je- J’crois qu’elle me l’aurait jamais dit » et la voix qui murmurait, comme si ricocher entre les lèvres prenait trop d’efforts — comme si chaque mot était un supplice. Et Ophelia écoutait, sans interrompre — c’était déjà assez difficile — avec une attention où se mêlaient l’empathie et l’espoir infime que, peut-être, il ait quand même un indice. Le silence, le vrombissement de quelques voitures, sur des artères plus fréquentées, au loin et, entre deux hésitations et quelques incertitudes, la voix de Romeo ; des explications saccadées et déchirantes et la gorge d’Ophelia tout aussi serrée et les larmes qui s’en venaient les rejoindre parce que c’était trop.

Comment savoir encore qui était la sœur et qui était l’hypocrite ? (Qui était l’amante et qui était l’autre)
À nouveau, cette image du commissariat et de Jill qui s’emporte, de Jill qui se tait ; et puis Jill qui crie, gronde, interdit. Jill qui ne supportait pas de la voir se rapprocher un tant soit peu de son chemin maudit. Mais c’était trop tôt. Dans le cœur d’Ophelia, il n’y avait que la douleur, et pas cette lucidité.

« Mais comment on a pu ne rien voir, bordel ! », éclata-t-elle soudain, de colère, de rage et de sanglots.

Ophelia ne jurait presque jamais. Mais face à une telle situation, à ce bouleversement incompréhensible qui renversait l’entièreté de ses croyances et de son quotidien, elle ne savait plus comment réagir.

Elle se leva, s’écarta de quelques pas, agitant ses bras au milieu des larmes ; cherchant, cherchant, cherchant encore une explication, un indice, fouillant souvenirs et paroles, ce qu’elle avait pu dire et- les lettres. Elle voyait trouble et pourtant elle s’arrêta soudain, fouillant frénétiquement son sac, à la recherche d’une autre, de tout ce qui leur restait, peut-être, pour avoir des réponses.
Ou la justice.

Elle se retourna vers Romeo pour lui tendre une nouvelle lettre, les bras tremblants, le regard trempé et la face décomposée. Elle devait faire peine à voir, mais était-ce seulement pire que quand elle était arrivée ?

« Pardon je… Il restait une lettre. Que j’devais te donner. Pour la police, il paraît, mais elle… Jill voulait pas que j’y aille moi parce que… Pardon. » Bruit de mouchoir froissé, par tentative de reprendre contenance et de calmer les sanglots qui secouaient sa poitrine. « Jill a écrit que le nom sur cette lettre c’est celui de la personne qui m’a arrêtée un jour. J’ai blessé personne ni rien, hein », se défendit-elle alors, sans savoir comment il réagirait face à cette explication pour le moins honnête, bien qu’évasive.

Elle s’essuya le visage d’un bras, et se laissa retomber sur ce pauvre banc de bois et de fer forgé qui subissait leurs éclats, leurs lamentations et leurs crispations. Qui les supportait sans rien dire parce qu’il n’était qu’un banc sans leurs émotions ni leurs incompréhensions.

(c) TakeItEzy pour Be.Wild

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