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Des étoiles dans les veines, des étoiles dans le verre, des étoiles sous les yeux ; tête renversée vers le plafond, Eagle se laissa admirer la jolie carte du ciel peinte durant quelques instants. C’est qu’elle était bien faite ; enfin, elle-même n’avait jamais ouvert ne serait-ce qu’un seul bouquin d’astrologie, et le besoin d’admirer les constellations la prenait une fois par mois maximum, mais c’était joli. Un peu inutile, quand même, parce qu’il fallait se casser la nuque pour admirer le dessin, et c’était bien beau mais ça faisait mal, à force. Est-ce que le peintre s’était fait un torticolis ? Est-ce que ç’avait été ajouté après, comme la dernière pierre à l’édifice ? Est-ce que c’était possible de construire le plafond en dernier, et s’il pleuvait ? Est-ce qu’elle avait passé trop de temps le menton en l’air ?

Secouer la tête, la baisser, sourire en posant les yeux sur la marée de monde devant elle. Elle ne connaissait presque personne, et c’était grisant. Enivrant, même, de voir ces corps danser et entendre la musique par-dessus les voix ; ça tournait la tête, ça perdait la tête, pourquoi est-ce qu’elle n’y était pas encore ? Qu’est-ce qu’elle faisait, encore, accoudée au bar ? Qu’est-ce qu’elle attendait pour s’enfoncer dans les remous et laisser l’énergie l’envahir ?

Ah- oui, c’est vrai. Son cocktail. Qui tardait un peu à arriver, peut-être parce qu’elle s’était perdue dans la peinture au lieu de commander, peut-être parce que l’alcool la faisait déjà un peu tourner. Combien de verres s’étaient déjà perdus ? Combien avait-elle laissé glisser dans son corps, dans ses veines ? Elle ne comptait jamais - elle en finissait un, elle s’amusait, elle revenait commander. Changeait de saveurs, aussi, parce qu’après tout, ne jamais expérimenter n’était un dégradé d’une autre version de l’ennui.

Un mouvement, un bruit ; finalement, ce qu’elle avait choisi comme prochain poison fut posé devant ses yeux, lui tirant un large sourire. Parfait ; ç’avait l’air délicieux, joli dégradé de couleurs avec une large quantité de glaçons. Sortant sa carte, elle se redressa vers le barman, qui secoua la tête- Comment ça, secoua la tête ?

« Faut que je paie-
- Quelqu’un vous l’a offert, » dit-il, désignant un homme plus ou moins dissimulé à travers les ombres et lumières du bar. Oh. Eh bien, parfait, ça lui ferait des économies pour le prochain.

Remerciant le barman d’un sourire, elle se saisit du verre et s’éloigna vers la mer de fêtards, riant et souriant à qui croisait son regard - musique dans la tête, dans les oreilles et dans le coeur, déjà à moitié dérivant et prête à le faire encore plus. Ne connaître personne était un mal comme un bien ; l’inconnu était plein de nouveautés, plein de bulles et de mots encore imprononçés, et ç’avait l’attrait des imprévus. Elle était venue ici dans l’espoir de croiser un ami, qui s’y produisait assez souvent, mais d’après la femme qu’elle avait interrogé au bout d’une quinzaine de minutes à fouiller l’établissement, pas les jeudis. Huh. Elle avait probablement mal retenu. Ou mal écouté. Tant pis ; quitte à avoir fait tout le chemin, autant en profiter, n’est-ce-pas ?

Deux gorgées, savourer. C’était bon - sucré et addictif, en quelque sorte. Qu’est-ce qu’elle avait pris, déjà ? Elle n’avait plus le nom en tête. Traversant les danseurs, une fille la bouscula en reculant en rythme. Elle se tourna aussitôt, commença à s’excuser - pourquoi ? C’était rien de grave, c’était l’ambiance, c’était la folie de l’endroit. Elle était jolie, cette fille. Eagle lui sourit ; lui proposa son verre, discuta un instant. Elle but ; elles dansèrent un peu, un instant, une chanson, un moment - jusqu’à ce que le vent l’appelle plus loin et qu’elle ne s’écarte pour se glisser à l’étape suivante.

Elle avait soif ; elle but, encore, encore, et le verre n’en était plus qu’à son tiers, déjà ? Dommage - elle allait bientôt devoir faire le chemin en sens inverse, alors qu’elle venait d’arriver. Il faisait chaud, chaud de ce côté-là ; elle ôta sa veste, s’approcha d’une table au hasard pour l’y poser, s’en débarrasser, alcool dansant entre ses doigts. Ce devait être un heureux hasard, une bonne coïncidence, parce qu’elle s’était à peine débarrassée du tissu que quelqu’un, quelque part, hélait le monde pour un jeu.

« J’suis partante !, s’exclama-t-elle, la voix vive et forte et pivotant sur elle-même pour repérer qui organisait, qui proposait. J’suis chaude, on fait quoi ?, » et elle se faufilait entre ébréchés et allumés pour rejoindre les participants.

ges divers et variés, quoiqu’elle était probablement la plus jeune ; tous l’accueillirent avec des sourires, des rires saouls comme plus sobres. D’autres se regroupaient, et le débat se lança. Jeux d’alcool, jeux dansants, tout fut suggéré ; là, cette jeune femme avec des lunettes vertes qui soupirait parce qu’elle n’était pas écoutée ; là, celui avec les mèches vertes qui sortait une balle en plastique ; et- Oh. Des acclamations, de l’approbation, et Eagle but l’énergie et la folie comme elle buvait ses verres. Beer pong. Beer pong ? Un sourire fleurit sur ses lèvres, et elle bondit de joie avec le reste tandis qu’ils installaient le tout sur une table, souriant à sa voisine.

Et puis- quelqu’un se glissa à côté d’elle, toqua à son omoplate. Inconnu, brun et grand, quelques années de plus, sûrement. Elle pencha la tête de côté, souriante, interrogatrice ; elle ne l’avait jamais vu, pourquoi est-ce qu’il la dévisageait comme s’il attendait quelque chose de sa part ? Peut-être qu’elle était dans son chemin, ou-

« Hey, c’est moi qui t’ait payé le verre, tout à l’heure. » Oh. Oh, alors c’était pour ça. « Ah ! Merci, il était super bon, » et un sourire avant de raccorder son attention sur les préparations. Ils étaient lents, dis donc - il y avait l’air d’y avoir un autre débat, sur quoi mettre dans les verres, comment organiser le tout. On posa une main sur son épaule, qu’elle ignora parce qu’elle se penchait un peu en avant, essayant d’apercevoir les gestes de mèches-vertes. Jusqu’à ce qu’elle entende une voix pile dans son oreille et sursaute, manquant renverser les restes de son cocktail. « Tu vas participer, c’est ça ? »

Il n’était pas parti, s’était même un peu approché, un drôle de rictus sur le visage et, tiens, ce n’était pas sa voisine qui l’avait touchée, c’était lui. Un peu idiote, sa question ; elle avait littéralement hurlé sa participation et tenait à peine en place avec l’excitation de la compétition ; ça devait se voir, pourtant, non ?

« Évidemment, et elle aurait pu continuer si mèches-vertes n’avait pas levé la voix pour annoncer les règles.
- Bon, on est un peu trop nombreux, alors vous vous mettez par équipes de deux ou trois et vous venez nous dire votre nom, puis on commence d’ici cinq minutes, okay ? »

Équipes, donc. Enthousiasmée, Eagle balaya la marée de gens pour essayer de dénicher ses futurs co-vainqueurs ; est-ce qu’il valait mieux essayer de prendre quelqu’un de sobre, qui viserait mieux, ou bien quelqu’un de moins sobre, avec qui ce serait plus marrant ? Le choix était difficile - et puis l’homme, à côté d’elle, glissa sa main de son épaule pour la refermer sur son bras.

« Tu veux qu’on fasse équipe ? »

Un coup d'œil vers lui, vers son expression, et - hésitation. Non. Non, elle n’avait pas vraiment envie qu’ils fassent équipe, même s’ils ne se connaissaient pas, et, après tout, il ne lui avait rien fait ; mais, quelque part à travers son cerveau un peu embrumé, elle se sentait un peu mal à l’aise. Elle secoua la tête, ouvrit le bouche pour lui répondre ;

« Puisque j’t’ai payé le verre, tout ça, dit-il.
- Oh, heu, en fait je sais pas si je vais participer, dit-elle en reculant légèrement, un sourire moins assuré aux lèvres. J’ai laissé tomber mon pote et en fait c’est pas très sympa, du coup je vais aller le trouver, » un mensonge éhonté, mais c’était crédible, hein ? Pas vrai ?

Balayer la salle des yeux pour y accrocher un regard, peut-être celui de la danseuse d’un peu plus tôt. Enfin, ce n’était pas comme si elle craignait quelque chose, mais- Elle avait envie de s’écarter.

L’envie de s’écarter, mais il ne devait pas avoir vu, ou bien avoir remarqué, parce qu’il s’était à nouveau approché ; et il faisait pas exprès, elle en était sûre, enfin à peu près sûre, mais elle aurait bien aimé qu’il arrête. C’était juste qu’elle avait un peu de mal à réfléchir, elle avait bu combien de verres déjà ? Et d’habitude, elle aimait bien rencontrer des gens, mais cette fois, quelque chose se serrait entre ses côtes, tension qui lui donnait envie de fuir, de reculer, plus loin. Qu’on la laisse tranquille - mais c’était rien, après tout, pas vrai ?

« Tu viens de dire que t’allais participer, » lui fit remarquer l’homme, et merde, son excuse n’avait pas marché. Enfin- Elle pouvait juste refuser, aussi, non ? Elle pouvait lui dire non, et qu’elle chercherait d’autres gens pour être son ou ses coéquipiers, il ne se vexerait pas, hein ? Parce qu’elle ne voulait pas le vexer, elle voulait juste-

« Eagle, » un appel de côté, familier et elle eut à peine le temps de tourner la tête - oh, petit bond joyeux des pensées - que Romeo lui passait un bras autour des épaules, léger et à l’aise. Oh, il était là, finalement- Et un grand sourire sur les lèvres, ouvrir la bouche pour l’accueillir, et lui dire qu’elle l’avait cherché partout, qu’elle était venue pour son concert mais on lui avait dit qu’il ne jouait pas les jeudi ? C’était dommage, elle avait fait tout le chemin pour rien ; oh et, la super fresque sur le plafond, il l’avait vue ?

Et les phrases se pressaient dans son crâne, enthousiasme et la joie d’avoir finalement déniché un ami dans la foule, mais il tournait déjà son attention vers- ah, oui. Oui- pendant une seconde, elle l’avait oublié, lui. L’homme les observait avec une drôle d’expression, et le malaise s’agita dans son estomac ; elle leva sa main libre pour agripper l’arrière de la chemise de Romeo, accroche légère et rassurante - réflexe qu’elle ne comprit pas, parce qu’après tout, il n’était pas méchant, en face, si ? Il lui avait offert son verre, quand même, et- Un geste de son ami vers l’inconnu, boisson tendue pour le désigner vaguement, « Tu l’connais, lui ? »

Eagle secoua la tête. « Euh, non. » Etrangement, sa réponse n’eut pas l’air de plaire au concerné - mais elle avait dit la vérité, pourtant ; elle ne connaissait même pas son prénom, après tout. De toute façon, la réponse n’avait pas l’air d’importer à Romeo, qui observait l’ambiance enthousiaste autour des participants du beer pong. « Tu veux jouer ? On est deux comme ils disaient, » oh.

Bien sûr, l’exclamation enthousiaste étouffée dans l'œuf lorsqu’elle remarqua l’expression étrange de l’inconnu. Il n’avait pas l’air d’apprécier Romeo. Curieux : ils ne s’étaient jamais vus avant, non ? Pourquoi est-ce qu’il le regardait comme ça, alors ? Et- Geste de la tête pour qu’ils s’éloignent, et- okay. Elle n’avait plus grand-chose à faire ici ; et puis, s’ils allaient jouer au beer pong, il fallait bien aller signaler leur équipe à mèches-vertes. Ils s’éloignèrent donc, Eagle avalant une gorgée supplémentaire de son verre. Dommage - il n'y en avait presque plus ; le froid s’étalait de moins en moins sur ses doigts, cocktail réchauffé peu à peu. Et puis- une seconde, où était sa veste, déjà ?

« Uh, ça va ? » Huh ? Eagle cligna des yeux, un peu confuse - pourquoi est-ce que ça n’irait pas ? Elle n’avait pas eu l’air triste, à l’instant, si ? Elle n’avait pas pensé à- non, non, non, stop et finir son verre d’un coup, lâcher un rire pour ignorer. Se détendre dans l’étreinte amicale, un sourire qu’on lui adresse. Éthanol dans le corps, tout va bien dans les veines. « Tu m'as pas prévenu qu'tu v'nais, j'suis content d'te voir, » continua-t-il avec son propre sourire, avant d’aviser les étudiants et fêtards préparant des verres en plastique.

« Tu veux jouer pour de vrai ? » et tout le reste balayé, enthousiasme ravivé par la proposition. « Oh, tu veux bien ? Je trouvais pas de partenaire, c’est parfait ! » Enfin, non, ce n’était pas qu’elle n’avait pas trouvé de partenaire, mais- Un haussement d’épaules un peu coupable, le sourire qui diminue un instant. « Enfin, si, lui, mais je sais pas pourquoi, j’avais pas envie d’être en équipe avec. » Une hésitation, le malaise qui se noue à nouveau, la main qui revient s’accrocher sur un pan de sa chemise, réflexe inconscient qu’elle remarqua à peine, concentrée sur le flot de participants s’invectivant joyeusement. Elle n’avait pas été impolie, si ?

« J’espère j’ai pas été sèche, » le ton hésitant. « ‘Fin, il était pas méchant, pis il avait raison, c’est lui qui m’a offert le verre, mais- » L’étrange sensation persistait, et bordel, d’où est-ce que ça venait, encore, ça ? Elle était bien, là, non ? Elle allait participer à un super jeu, elle venait finalement de trouver Romeo, qu’était là et prêt à faire la fête, et puis c’était un jeudi soir - et l’ambiance était géniale, et- « …J’avais pas envie. Bref ! » Et elle laissa le tout s’enfoncer dans l’instant d’avant, pivotant vers son ami pour lui parler plus facilement, nouvelle pensée dans le crâne.

« Oh ! Oui, je t’ai pas prévenu, mais- » des gens qui passent, se décaler pour éviter de tous se heurter, sans s’arrêter de parler, la voix forte et claire et bien plus joyeuse. « -en fait j’avais oublié quand tu devais jouer, j’avais juste retenu le nom du bar, et puis je sortais de cours et je savais pas quoi faire alors j’ai eu envie de venir t’écouter, mais t’étais pas là ! » Les mains qui s’agitaient tandis qu'elle parlait ; le verre vide ne pouvant heureusement pas être renversé. Elle n’aurait pas pu le prévenir qu’elle venait, puisqu’elle l’avait décidé au dernier moment, de toute façon, pas vrai ? « Mais y a quelqu’un qui m’a dit tes concerts y avait pas le jeudi. Du coup je suis allée commander un verre, et puis depuis j’suis ici, et oh- c’est trop bien, donc t’es là quand même ? » Un léger bond sur place, les mains venant tenir ses coudes pendant une seconde pour l’agiter, enthousiaste.

Les fêtes avec lui étaient toujours plus drôle ; il n’allait pas chanter, ce qui était dommage, mais au moins, il allait jouer. Un demi-tour plus tard, le tirant avec elle par le bras, elle leva la main pour boire- avant de réaliser que, eh non, son verre était vide. Elle l’avait terminé une poignée de secondes auparavant. « Ah, attends, j’ai fini mon verre, faut que j’aille en prendre un autre, » et elle agita le cocktail désormais dépourvu de tout liquide. Un regard vers lui, vers les joueurs de beer pong, un froncement de sourcils. Mince, ils allaient arriver en retard, non ? « Est-ce que tu nous inscrits pendant que je vais chercher mon verre ? Ou l’inverse ? » Puis un flottement, parce que wha, la fille qui passait à côté d’eux était vachement jolie ; les yeux qui se détournent, et oh, sa veste l’était encore plus- Ah, c’est vrai, sa veste. « D’ailleurs, t’as pas vu ma veste ? Oh, et est-ce que t’es bon ? Au beer pong. » Un sourire - malicieux. « Non, parce que si t’es nul j’préfère pas me mettre avec toi. » C’était faux, bien sûr qu’elle ferait équipe avec lui ; ça resterait drôle.

Mais bon, c’était quand même mieux s’il était bon.

« T’oserais pas. »

Un sourire malice, son expression en face - bien sûr qu’elle ne changerait pas de coéquipier, c’était même hors de question, mais c’était drôle de le sous-entendre. Et puis, il n’avait qu’à être bon au beer pong, pas vrai ? Enfin, elle ne doutait pas qu’il l’était, elle était même certaine d’y avoir déjà joué, une fois, avec lui. Peut-être. Okay, non, pas sûre, non plus. Peut-être que c’était avec quelqu’un d’autre ; elle faisait des jeux avec tout plein de monde, après tout. Quoique surtout avec Nyna, parce que c’était génial - elles l’emportaient toujours. D’ailleurs, ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vue et qu’elles n’avaient pas bu ensemble - mince, où était son téléphone, histoire de lui envoyer un message- et elle interrompit son geste lorsque Romeo, qui avait commencé à balayer la salle du regard, se tourna à nouveau vers elle.

« J’vais chercher ta veste une fois qu’on est inscrits, » et, oh, vrai, sa veste. Elle l’avait perdue. Quelque part. Mais si Romeo s’en occupait, c’était tout bon, alors, pas vrai ? « Et baisse d’un ton, j’jouais au beer pong que t’avais pas encore bu ta première bière, Sweetheart. » Et- aïeuh, ça faisait mal, bon sang- Enfin, pas tant que ça, mais Eagle fronça le nez, offensée, lorsqu’il éloigna sa main, son impulsion de lui tirer la langue rapidement réprimée. Il se contenterait de se moquer de son âge. « J’ai pas trop bu, j’sais encore viser. Déguerpis maintenant, avant qu’y ait pu d’place. » Eh, elle n’était pas une enfant, non plus, elle savait très bien ce qu’elle- ah, il s’éloignait déjà.

Okay, donc, aller chercher à boire. Portable et porte-feuille finalement retrouvés sur elle - ce jean avait beaucoup trop de poches, c’était absolument génial - elle pivota sur place, baskets crissants légèrement, et- okay, où était le bar, déjà ? Ah, si, elle devait traverser tout le coin dansant, encore. Peut-être qu’elle reverrait la jolie fille de tout à l’heure, d’ailleurs. Avec un peu de chance, elle aurait son prénom, voire peut-être même son- Ah, non, si elle s’arrêtait trop longtemps, elle mettrait tout le monde en retard - Romeo était finalement là, elle ne pouvait pas le faire attendre, pas vrai ?

Les gens évités tant bien que mal, une vague bousculade au milieu et des sourires d’excuses, des rires ébréchés - elle rit à son tour, l’équilibre un peu remis en jeu mais le coeur flottant. Il faisait bon ; toujours et encore, à Ike Kai, le beau temps et les températures qu’elle trouvait inhabituelles, avant, mais qui lui semblaient désormais familières à force d’y passer du temps. Peut-être que la prochaine fois, elle pourrait venir sans veste ; quoique, en sortant de cours, c’était plus difficile, ‘fallait toujours un gros pull, à Hoarford ; et puis, c’était pas comme si- Oh, le bar.

La distance comblée, la carte des cocktails examinée rapidement, Eagle salua d’un grand sourire le barman, qui sembla la reconnaître puisqu’il la dévisagea avec perplexité lorsqu’elle lui tendit les verres vides. « Recoucou, » et l’attention en divagation, essayer de trouver un truc qu’il aimait ; souvent, Romeo prenait des trucs forts, pas vrai ? Quel alcool, déjà ? Pas de la tequila, si- Non, il mentionnait souvent du rhum, pas vrai ? « Hey, vous avez quoi d’un peu fort avec du rhum ? » lança-t-elle se penchant en avant pour qu’il l’entende. Il lui parla de shots, ce qui- non, parce qu’elle voulait que ça dure, de pouvoir savourer au moins quelques minutes, et- oh, ç’avait l’air pas mal, ça, « j’vous en prends deux ! »

Les verres payés, jolie couleur rouge carmin sous les lumières valsantes ; elle faillit oublier sa carte bancaire, se fit rappeler par le barman, et finit par s’éloigner à nouveau, le pas plus lent que précédemment et la tête levée vers les étoiles - enfin, leur représentation artistique peinte sur le plafond. N’empêche, ça devait être bien, de pouvoir dessiner comme ça ; de pouvoir admirer un ciel et le reproduire, même si ç’avait du prendre du temps. Et l’odeur, aussi ; l’endroit avait dû sentir la peinture pendant super longtemps, surtout si- « EAGLE ! »

Wow, pourquoi est-ce que la voix de Romeo lui parvenait comme s’il s’était envo- Oh. Penché sur la balustrade du deuxième étage, le visage reconnaissable et le grand sourire, il lui faisait signe, petit coucou de la main qui lui tira des bulles d’enthousiasme. Elle aurait voulu le saluer à son tour, mais ses mains étaient prises, chacune en soutien plus ou moins équilibré pour un grand verre aux senteurs colorées. « J’ARRIVE, » crié par-dessus les éclats et la musique, et elle fit demi-tour, cherchant l’escalier avec enthousiasme. L’endroit était envahi, plein d’un monde divers et bavard, les sourires et les visages se détachant dans un flou certain, de l’amusement plein les prunelles.

C’était beau ; c’était plein et c’était chaotique, c’était un mélange et une collection d’uniques, c’était l’harmonie des foules et des joies épisodes, c’était le sentiment d’appartenir qu’on ressent, parfois, et qui prend jusqu’au coeur. Eagle prit son temps jusqu’au petit balcon, à la fois pour éviter de renverser les cocktails et parce qu’elle s’y perdit un peu, radeau voyageurs dans la marée humaine.

Une bouffée d’enthousiasme en apercevant son ami, elle bondit à sa hauteur et lui tendit son propre verre, déjà détournée pour dénicher les précédents organisateurs du beer pong - d’ailleurs, pourquoi est-ce qu’il était à l’étage, maintenant ? « Yay, tu gères, » et « toi t’aimes bien le rhum non ? J’ai demandé un truc avec du rhum, » les mots perdus lorsqu’il lui s’interrompit pour attraper quelque chose de posé sur la balustrade et le lui montrer. « C’la tienne ? Sinon j’viens d’voler la veste d’un ou d’une random absolue. » Oh, oui, sa veste. Uh- « On trinque avant d’aller jouer ? J’ai promis qu’t’allais les laminer, j’mise tout sur toi. » et- « t’inquiètes pas pour ça, » l’affirmation assurée, peut-être même un peu crâneuse ; il tendit son verre, elle cogna le sien ; puis une large gorgée prise, le goût nouveau, un peu âcre, un peu étoiles - comme celles qu’on ne voyait plus vraiment, de leur position. « Euh, par contre c’est pas ma veste, » et un dernier coup d’oeil au vêtement, est-ce qu’il fallait le rapporter- puis un bras autour des épaules, contact familier, et elle l’oublia, se laissant entraîner vers le groupe de joueurs, un sourire aux lèvres. Yay.

Les bavardages allaient bon train, les gobelets disposés sur les tables et les petits groupes éparpillés ; certains leur adressèrent de grands sourires lorsqu’ils s’approchèrent, et Eagle leva une main pour répondre, joyeuse. « Okay, j’vais assumer qu’tout l’monde est là… C’est qui le ou la plus jeune ici ? » Le ou la plus jeune - peut-être un lycéen ? Il y en avait, ou pas ? Est-ce que- « T’es toute p’tite toi, non ? » et- Le nez froncé vers son ami, pas si petite en protestation réflexe, mais- Techniquement, elle avait juste dix-huit ans. « Moui, » l’approbation un peu grognon, mélange approbation et soupir. Quoique, s’ils pouvaient commencer- « Y’a la p’tite pomme là. » Et un contact sur les cheveux, un sourire un peu plus grand, un regard curieux pour vérifier que personne ne proteste. « Ben si c’toi la plus jeune tu commences. »

Et- okay, parfait ; c’était parti. Romeo appuya sa tête contre la sienne un instant ; petite bascule en retour, enthousiasme impatient à l’idée de jouer ; « Mets-leur giga misère, Sweetheart, j’compte sur toi. » Un rire sous les cris et huées d’encouragement ou d’attente ; évidemment qu’elle allait leur mettre la misère. Une large gorgée de cocktail plus tard, elle tendit le sien à Romeo, la mine interrogatrice - pour être certaine qu’il soit d’accord pour le lui garder tandis qu’elle entamait la partie. Verre en sécurité, l’énergie dans les veines et un silence relatif aux oreilles tandis qu’elle s’avançait vers la table, elle se saisit de la petite balle de ping-pong, oh, elle était fraîche, et se positionna finalement.

Un rapide coup d’oeil pour évaluer la distance, et puis elle lança.

Sans attente, sans hésitations - mue par l’impulsion de ceux qui brûlent (ceux qui flambent et se consument sur eux-mêmes jusqu’à finir cendres.) Le temps suspendu, une seconde, et la balle en chute vers les gobelets, en face, allez allez allez allez et ne pas la quitter des yeux et la voir heurter un bord et-

Cris de victoire autour, des bras se levant, des applaudissements bruyants, et elle réprima son cri de joie pour garder la tête droite, son air satisfait ne suffisant pas à dissimuler un sourire ravi. Oh, est-ce que Romeo avait vu ? Et pivot sur elle-même, l’air joyeux adressé à son ami, l’envie de bondir sur place ; et puis le recul rapide pour se rapprocher, ah, attendez, qui étaient ses adversaires, d’ailleurs ? Personne n’avait été désigné pour se placer contre eux, au début, si ?

« Ah, une seconde, on n’a pas de- On a des volontaires pour la première manche, ou je tire au sort ?, » lança mèches-vertes, penché sur le papier, et- « On n’a qu’à y aller, » un autre, probablement son ami, lunettes sur le nez et haussement d’épaules pour accompagner son sourire. Mèches-vertes le regarda avec un air désabusé. « J’vais clairement pas pouvoir tenir les comptes des scores longtemps, si on commence, » et une hésitation, et des huées pour le convaincre, et « allez !, » lancé au milieu des autres cris, et il finit par rire puis poser son stylo sur la feuille sous les acclamations générales.

Eagle se rapprocha de Romeo, récupérant son verre avec un merci peut-être un peu trop enthousiaste pour ce que c’était. Sourire adressé, gorgée avalée, elle tourna la tête vers leurs adversaires, mèches-vertes et celui-à-lunettes, qui semblaient délibérer sur lequel des deux commençait. « Tu crois ils sont bons ?, » chuchoté à son ami avant de- hey, une minute-

« Ehh, » s’exclama-t-elle, le bras tendu vers celui-à-lunettes qui se positionnait en face pour tirer, « ’faut boire avant, j’ai gagné ! » S’ils croyaient qu’elle allait se laisser avoir, ils se mettaient le doigt dans l’oeil. L’autre s’interrompit sous les rires alentours, petit sourire aux lèvres. « J’espérais que t’oublierais, » l’aveu malice, et lui et mèches-vertes trinquèrent avant d’avaler une gorgée chacun. Puis- Okay, est-ce qu’il était bon, est-ce qu’il allait réussir, et Eagle s’accrocha à la manche de Romeo, toute entière concentrée sur les gestes de l’étudiant, en face-

Et plusieurs secondes de calcul, d’hésitations, et la balle en envol, et heurtant un bord, un autre, jusqu’à-

Nooon, et un cri un peu joueur, un peu déçu - de ceux que l’on sort lorsqu’on perd mais que le jeu n’est pas fini, lorsque l’amusement est en majorité et qu’on se contente de rire ; une exclamation au milieu des acclamations, encore, et un regard échangé avec Romeo, « bon, eh bah, » le verre levé en proposition ; entrechoc rapide, et gorgée vive, c’est bon en pensée dans le crâne. « Okay, c’est à nous, ‘fin à toi, » et elle le poussa légèrement en avant, quelques éclats plus compétitifs dans les veines et un sourire malice aux lèvres. « Eh, t’as dit que tu savais viser, t’as intérêt ! »

Romeo pivota un instant vers elle, le rire aux lèvres, puis reporta son attention en face de lui, chopant la balle au vol lorsqu’on la lui lança et se plaçant face à la table. Il riait, mais il avait bien intérêt à ne pas gâcher sa victoire précédente - les beer pong, c’était encore plus fun s’ils les gagnaient. Il avait l’air concentré, au moins ; un instant de flottement et puis la petite balle partit, un envol, un choc sur l’un des bords des verres, allez, allez et- « YES ! » écrié au milieu des éclats de rire. Ils l’avaient emporté, à nouveau - et il se retourna, la tête haute, « Eh, t’as vu, j’ai pas encore rouillé ! » l’air plein de satisfaction, ce à quoi elle répondit par deux pouces en l’air et un grand sourire. « T’es encore frais ! »

Enfin, pour quelqu’un de son âge. Quoique malgré toutes les blagues, malgré les piques et les tâcles, il n’était pas si vieux que ça. Qu’est-ce qu’il avait dit, déjà, la première fois ? Elle avait du mal à se rappeler chaque détail et mot échangé, parce que ç’avait été de ces soirées où l’on boit jusqu’à en oublier son nom, jusqu’à en tomber par terre - d’ailleurs, c’est ce qu’elle avait fait, non ? Il y avait eu une course, dans le sable, et une alliance formée après s’être faits bousculés par la même personne - puis des heures de discussions et de blagues après de longues minutes à lancer des devinettes. Elle avait fini par- « On dirait qu’ça va effectivement devenir rapidement difficile de compter les points, » et sa voix lui parvint depuis la table. Un pivot et quelques pas plus tard, il l’avait rejointe, le bras en poids familier sur les épaules et la tête penchée comme pour lui confier un secret.

« Tu l’trouves pas mignon, dis ? » Trouver mignon le- qui ? d’abord, parce qu’il n’avait désigné personne, mais s’il n’avait désigné personne, c’est que c’était évident, non ? Alors- oh, okay, il parlait de mèches-vertes, qui se positionnait face aux gobelets avec une expression concentrée sur le visage. Plante-toi plante-toi plante-toi... « Perso c’est où il veut, quand il veut. Mais j’voudrais pas empiéter sur tes plates-bandes, si jamais… » Et un rire, en réponse au sien, avec un coup d’oeil vers l’organisateur ; vrai qu’il était mignon, mais- « Nan, j’te le laisse, » un contact affection sur la tempe, « tu paries quoi si tu chopes son- nooo, » et la balle avait plongé sans hésiter, le lancer adroit et une expression malice, en face.

« Eh alleeez ! J’compte sur vous pour m’aider à compter les points, » et- vague frustration, le sourcil haussé. Tu verras bien qu’on a envie de lancer, mais elle se contenta d’un coup d’oeil à Romeo tandis qu’il se tournait vers elle après avoir complimenté la victoire de leur adversaire - non, parce qu’ils étaient adversaires, là, ‘fallait pas qu’il l’oublie, que le type soit mignon ou pas. « Seems like they won, too, » un sourire assuré malgré le léger doute, (seems c’est seem genre on dirait, pas vrai ?), « t’inquiètes, je gère, » le bruit des verres qui s’entrechoquent et la gorgée d’avalée.

C’était toujours aussi bon, le rhum ; peut-être qu’il fallait qu’elle lui demande ce qu’il préférait en plus précis, parce que si tout était aussi délicieux, il allait s’imposer comme super-référence pour les cocktails à commander. Elle but une seconde fois, rit quand il la bouscula légèrement, la tête sur le rythme de la musique - c’était du rock, ça, non ? Ou de l’électro, plutôt ? C’était vachement sympa, en tout cas. Oh- c’était à son tour, pas vrai ? « Ehhh, ça vous dit pas d’rendre ça un peu plus fun ? » et- plus fun ? « Genre, j’sais pas… Avec des gages quand on perd ou des trucs comme ça ? » Avec des gages- et vague d’enthousiasme, « de ouf ! » lancé avec un large rire. Jouer et boire c’était bien, mais à la longue, ça devenait moins drôle ; alors s’ils avaient quelque chose à gagner, ou bien à perdre, en plus du jeu en lui-même, l’enjeu augmenterait. « Ça peut être super marrant ! Vous en dites quoi ? »

Le type à lunettes regardait mèches-vertes avec un haussement d’épaules, l’air de s’en remettre à son jugement pour le déroulé des choses. Celui-ci les dévisagea, s’arrêtant sur Romeo - et Eagle réprima un sourire, donnant un très léger et absolument non-discret coup de coude dans les côtes de son ami. « T’es joueur, toi, non ? » Une poignée de secondes de plus, et puis- « Allez, c’parti. Les perdants se tapent un gage, » annonça-t-il d’une voix forte, rapidement noyée par les exclamations alentours - et elle criait, elle aussi, emportée par l’ambiance et ravie de la tournure que prenaient les événements.

Parfait - même si, pour bien lancer la nouvelle règle, ‘fallait d’abord l’emporter, pas vrai ? Elle rendit son verre à Romeo, lui adressa un sourire, et se précipita vers la table, cherchant des yeux la balle de ping-pong- oh, là, parfait, un peu humide mais ç’allait encore ; et l’adrénaline et l’excitation dans le corps, et les verres de repérés et lancer- uh, un peu trop tôt, merde ; elle se cogna contre un rebord, contre un autre, s’approcha dangereusement du bord extérieur de l’un avant de pencher de côté ; tombe tombe tombe tombe et quelques-uns s’amusaient à lâcher des bruits de suspens ; et elle tourna, tourna, tourna à l’intérieur d’un gobelet avant de- « YAY ! »

Oh, il n’était vraiment pas passé loin celui-là. Un regard lancé derrière, Eagle chercha Romeo des yeux pour lui adresser une grimace. « J’me suis laissée emporter, » crié au milieu des acclamations ; puis type-à-lunettes attira son attention, et elle- oh, vrai, elle avait un gage à leur donner. Ils étaient déjà en train de prendre leurs gorgées ; mèches-vertes baissait son verre alors que son ami vidait son fond de bière d’une traite. Uh, un gage. Merde, elle n’avait jamais vrament été douée pour en trouver, enfin, en trouver qui puisse se faire en intérieur ; il n’y avait pas de mur à escalader ou de salto à effectuer, ici. « Oh, je sais ! À chaque fois que vous perdez, ‘y en a un de vous qui doit en boire deux, » dit-elle, satisfaite. « Des gorgées. »

Et- une poignée de secondes de battement, le temps que certains rient, que d’autres sifflent, que l’information monte ; puis lunettes se tourna vers son ami, un sourire étrange sur le visage, et mèches-vertes roula des yeux avant de boire sa deuxième gorgée, lui adressant un geste grossier du doigt. Heh. Un retour vers Romeo, un verre récupéré, une paume présentée et un top-là claqué, elle- Et des exclamations de joie, une balle dans leurs gobelets, et- « Sérieux ?, » râla-t-elle. « On n’a même pas eu le temps de profiter d’avoir gagné. »

Ils discutaient, en face ; mèches-vertes arborait un petit sourire quand il se redressa, laissant au vainqueur de l’instant le soin d’annoncer le gage octroyé. « Okay, alors, on partage les gages, » commença-t-il, et- quoi ? Comment ça, partager ? « Tout c’que vous donnerez en gage, l’un de vous devra le faire aussi. 
-  Quoi- à chaque fois ? C’est nul, on va plus se donner de gages drôle, » protesta-t-elle.

Mèches-vertes eut l’air de réfléchir. « Okay- Chaque fois, vous tirez ça au pile ou face. » Un sourire. « Sauf si vous n’êtes pas joueurs, évidemment. »

Pas joueurs, eux ? Peuh, il les connaissait juste pas. Evidemment qu'ils étaient joueurs – et Romeo se contenta d'un sourire, à côté d'elle, répondant d'un « so be it » assuré avant de lui confier son verre. Okay, il avait pas intérêt à la rater, celle-ci. Il ôtait sa chemise, lentement, comme si- Eagle roula des yeux. Est-ce qu'il faisait ça pour draguer le type aux mèches vertes, là ? Sérieux, c'était toujours super facile, pour lui. Chaque fois qu'elle voyait une fille jolie en soirée, elle perdait tous ses moyens, et lui, dès qu'il croisait un gens qui lui plaisait, il fonçait sans hésitations. Tsk. Surtout que là, l'objectif, c'était pas de séduire – c'était de gagner, okay ? Alors, s'il ratait son coup parce qu'il faisait son numéro de charme au type d'en face, elle allait-

Petit plouf rapide, le bord à peine effleuré – la balle de ping pong avait fait un plongeon presque direct dans le verre, et Eagle leva les mains (manquant renverser leurs deux boissons) avec enthousiasme, lâchant un cri de victoire. Le reste des fêtards, autour, rugissait également ; c'était beau, c'était génial, c'était hypant, toute cette ambiance et cette musique et cette euphorie générale. « Okay… Simple et efficace : vous lancez avec votre main faible à partir de maintenant. » Oh, wha, c'était vicieux, comme gage ; et le mec-à-lunettes, en face, grimaça, l'air de redouter les conséquences. « Does anyone have- Uh, est-ce que quelqu’un a une pièce à prêter ? » Pourquoi est-ce qu'il voulait une pièce ? Pour- oh, oui, vrai, ils avaient une chance sur deux de partager leurs gages.

Eagle porta un verre à ses lèvres, avalant une gorgée avant de ciller. Est-ce que c'était bien son verre ? Parce que c'était pas le même goût – merde, est-ce qu'elle avait bu dans celui de Romeo sans le faire exprès ? (Boh, il ne remarquerait pas, si..? Il était riche, après tout.) « Pile, vous êtes seuls dans votre malheur… Face, on embarque avec vous. » Et elle fixa ses gestes, impatiente, suivant des yeux la petite pièce de monnaie qui s'éleva, retomba… « Oh, fuck me, » et merde, parce que ça voulait dire que- « pourquoi pas, » lâcha mèches-vertes, en face (hein ?) et puis « désolé, Eagle, on les suit sur celui-là. »

Elle lâcha un soupir. « T'es naze, » accusa-t-elle, roulant des yeux en buvant une autre gorgée (et en se trompant à nouveau de verre). « Prochaine fois tu me laisses jeter la pièce, okay ? » Mèches-vertes se préparait déjà au prochain tir, la posture moins assurée que précédemment ; et un silence (rompu par les basses, les cris et les chants du reste du bar), une attente, rate en voeu féroce et puis- et puis un rebond, mauvais côté, la balle projetée sur le côté après avoir heurté l'angle de la table ; Eagle lâcha un énième cri de joie, ravie. Okay, ils étaient super bien partis, là ! C'était vraiment trop bien, les beer pongs, en fait – surtout avec la façon dont tout le monde souriait, ce soir là. « Eh ben… C’est la faute à quoi, dis, la mauvaise main ou les deux gorgées de trop ? » À qui est-ce qu'il- ah, oui, il refaisait son numéro de charme, les yeux rivés vers le mec aux mèches vertes et probablement en train de lui jeter un regard appuyé.

(Elle n'était ni jalouse, ni admirative de son aisance avec les gens qui lui plaisaient. Vraiment pas. Elle savait demander des dates, elle aussi, okay ? …Parfois.)

« T’inquiète, tu peux continuer d’perdre, ça enlève rien à ta belle gueule et ça m’donne envie d’t’offrir un lot de consolation à la hauteur d’ma future victoire… Ou d’mon ego, au choix, » Oh, wha, c'est qu'il était cash, en plus. Eagle le regarda revenir vers elle, balle tendue tandis que plusieurs se mettaient à rire, autour – surtout celui à lunettes, qui éclata de rire avant de soupirer, son pote resté muet mais dont les yeux fixaient Romeo. « On joue que les balles marquées ou on donne des gages pour celles mises hors-jeu, aussi ? » Les- quoi ? « Eh, 'faut pas exagérer, ça sera même plus du beer pong, après. » À force, les gages allaient les faire lancer la balle à cloche pied ou à l'envers, et ils allaient finir par faire de la gymnastique.

Verres rendus à Romeo, « ...j'ai peut-être bu dans le tien sans faire exprès, désolée, » Eagle sautilla jusqu'à la table, commençant à se placer avant de se rappeler qu'elle était censée tirer avec sa mauvaise main. La gauche, donc. Heureusement qu'elle avait fait du basket et du handball, tiens – elle était habituée à dribbler avec les deux mains, quoiqu'elle galérait encore beaucoup pour tirer depuis la gauche. « Okay, j'arrive. » Il y eut un rire, en face – les bras croisés avec défi et un sourire en coin. « T'inquiètes, on est prêts. » Faux ; ils n'étaient pas prêts, parce qu'elle allait rentrer cette balle sans problèmes et ils allaient se retrouver avec un nouveau gage.

Eagle se positionna lentement, évalua la distance, se mordit la langue, et puis- plouf, et aucun heurt de rebord, aucun suspense – une simple victoire, simple et juste. Elle aurait pu crier, éclater de joie, mais elle se contenta de croiser les bras, suprêmement satisfaite, et de toiser leurs adversaires, qui avaient bu leur gorgée de gage (et celui aux mèches colorées deux, du coup). « D'accord, d'accord, cheffe- et notre gage, du coup ? » Oh, vrai. Uh- Qu'est-ce qu'il y avait comme gage intéressant, encore ? « Euh… Faites une pompe ? »

Les réactions, en face, furent très diverses – le type aux lunettes éclata de rire, son ami lâchant le soupir le moins motivé de l'histoire. Ah, il n'était pas sportif, donc. Le premier compléta rapidement son gage, son plus grand problème résidant dans le fait qu'il était incapable de s'empêcher de rire ; l'autre, l'air blasé, se battit contre la gravité plusieurs secondes avant de finalement l'emporter, puis d'ôter une couche de fringues, se retrouvant finalement en débardeur. (Eagle ne comprenait pas comment les gens faisaient pour ne pas mourir de chaud ; elle était en débardeur depuis qu'elle avait posé les pieds à Ike Kai, sérieux). « Allez, tu peux lancer la pièce. Ou ton pote, il a l'air doué de ses mains. »

Nan, ça, c'était mort. À cause de Romeo, ils devaient tirer avec leur mauvaise main, maintenant. Eagle lança la pièce qu'on lui tendit, « pile on est tranquilles, face on fait la pompe, » croisa mentalement les doigts, et puis- et puis pile et le résultat annoncé avec un cri, « YES, » comme si son sourire n'indiquait déjà pas à toute la foule ce qu'elle avait obtenu. « Dommage. » Eagle croisa à nouveau les bras, très fière d'elle-même. « Allez, à ton tour de perdre ! »

Certains rirent, et elle pivota vers Romeo, adressant un large sourire à son ami. « C'est qu'elle est confiante, la gamine. » La- La quoi ? Comment ça, la gamine ? Elle était majeure ! « T'inquiètes, la prochaine, c'est la bonne. » En position, le chignon rectifié pour éviter que ses cheveux lui tombent dans les yeux, l'air concentré- …et la balle heurta la table avant de rouler presque pitoyablement dessus. Heh. Il eut l'air un peu embarrassé, souriant avec un rire léger – Eagle clapa lentement des mains, un peu trop ravie. « Dyn, dis-moi, est-ce que tu sers à quelque chose ? »

L'Adamantoise pivota vers Romeo, sourire aux lèvres. « En fait, j'ai changé d'avis, venez on met des gages quand la balle sort aussi. »