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Arid montra les dents à un passant, et fut ignoré.

Lukas réprima un quinzième soupir. Le petit salamèche avait, cette fois, insisté pour l’accompagner au centre-ville au lieu de passer la journée enfermé avec le reste de la fratrie. Il était probablement agacé de tous les câlins qu’Ambre tentait de lui arracher - la plus jeune des deux soeurs avait décrété le pokémon feu comme son nouveau meilleur ami et le traînait avec elle un peu partout. Celui-ci avait manqué la mordre une demi-douzaine de fois en guise de vengeance, ce qui ne la déterrait en rien. Même Charlie se méfiait d’Arid et de son fort caractère - enfin.

Paladin, en train de planer au-dessus de leurs têtes, profitait du léger vent de la journée pour étendre ses ailes et jouer avec la brise, pour une fois libéré de son rôle de gardien attentif. Lukas n’était pas sorti travailler ou bien récupérer de l’argent. Non ; on était déjà en août, et l’anniversaire du petit dernier approchait. Entre ses emplettes et son emploi du temps chargé de nombreux petits jobs trouvés à droite et à gauche durant l’été, l’adolescent avait économisé suffisamment de quoi pouvoir payer le cadeau de Charlie au lieu de devoir le subtiliser - ce qui augmentait largement les possibilités.

Seul problème ; il n’avait absolument pas présent devoir babysitter un Salamèche impulsif extrêmement entêté, parce qu’il prenait comme affront environ la moitié des gestes des passants et autres pokémons autour de lui et commençait ensuite à se diriger vers eux. Lukas avait dû le rappeler bien plus de fois qu’ils n’avait la capacité de compter, et envisageait sérieusement de faire demi-tour.

Et puis, qu’est-ce qu’il pouvait bien offrir à Charlie ? Qu’est-ce que les boutiques vendaient de mieux, même ? Pour toutes ses emplettes et ses petits emplois, il ne savait absolument pas du tout ce qu’il pouvait trouver. Son petit frère était très silencieux, du type à observer plus qu’à agir. Il était aussi très patient. Un peu comme lui-même, en fait, réalisa Lukas, avant de réprimer un grognement de frustration. Qu’est-ce qu’il apprécierait comme cadeau, même ? Sérieusement, il ne savait même pas quel genre de choses il aimait lui-même - alors, pour Charlie, il séchait totalement.

Quel frère aîné il faisait, tiens.

Il se surprit à souhaiter que Liang soit à côté. Après avoir croisé le garçon encore et encore au cours de l’été, et discuté avec lui- non, après avoir écouté ses longues tirades qui ne ressemblaient ni de près ni de loin à une conversation mais plus à des discours de pièce de théâtre, enfin bref. Après ça, il pouvait affirmer que si le Kopadien était présent, dénicher un bon cadeau pour Charlie n’aurait pris que quelques minutes. Le problème aurait plutôt été de choisir parmi les quarante-cinq présents que Liang lui aurait alors présenté.

L’an dernier, son petit frère lui avait demandé de lui-même un nouveau sac à dos, le sien étant apparemment un peu trop vieux et différent de ceux des autres. Là, ç’avait été un cadeau pratique, quoique esthétique parce que Lukas avait bien pris soin de lui choisir le plus beau possible tout en suivant ses critères ; mais cette fois, aucune indication sur laquelle se baser. Charlie aimait beaucoup clouer le bec de ses deux soeurs, ayant l’air extrêmement satisfait lorsqu’il parvenait à se montrer plus intelligent qu’elles ; il pouvait peut-être lui acheter un… livre… sur… Oh, décidément, Lukas séchait.

Perdu dans ses réflexions, occupé à retenir Arid d’une main sur la tête du salamèche et focalisé sur les différents magasins visibles dans cette allée de la ville, l’adolescent ne remarqua absolument pas qu’il avait été pris pour cible. Puis on lui saisit le poignet.

Merde, non, qui est-ce qui- Il sursauta, pivota aussitôt vers son agre- Ah. Pas un agresseur, pas un adulte, pas quelqu’un des forces de l’ordre non plus. Non, juste un adolescent qui… Qui s’était saisit de lui, sans raison. Sérieusement ? Encore ? Est-ce que tous les lycéens et lycéennes de Lentis faisaient ça ? Lukas était prêt à parier qu’iel aussi venait de Kopadia.

« Dis ! T'as l'air de connaître le coin... T'sais par où j'dois aller pour rejoindre la Vallée Eyepolis ? » demanda-t-iel.

Ah, voilà, iel ne venait pas d’Haptos - l’adolescent aurait dû en faire le pari. Il n’avait jamais vu personne agripper quelqu’un d’autre de cette manière, dans son lycée.

Inspirant lentement pour calmer ses battements de coeur, et posant sa main libre sur la tête d’Arid qui avait commencé à grincer des dents, Lukas dévisagea son interlocuteur. Probablement la même taille que lui, les cheveux clairs (ou plutôt carrément blancs) et les yeux d’une couleur assez déstabilisante, non, ils ne se connaissaient ni de Mew ni de Metamorph. C’était donc son destin de se faire harponner par des inconnus pour des raisons abracadabrantes. Bon. Peut-être que s’il lui répondait vite, iel lui lâcherait le bras ?

Par contre - la Vallée Eyepolis ?

« Uh… La vallée Eyepolis ? T’es sûr que tu ne t’es pas trompé ? »

Lukas lea balaya du regard. Non, un simple sac, d’où dépassait maintenant une petite tête mauve appartenant à un Ténéfix. Iel n’avait pas l’air d’avoir prévu grand chose - sérieusement, même ses chaussures ne semblaient pas suffisamment solides pour tenir plusieurs heures au milieu des déserts d’Haptos, sans parler de terres désolées s’étendant derrière.

« C’est bien plus loin qu’ici- Il faut sortir de la ville, traverser le désert entier, et uh, ensuite, tu y es, mais… Il va te falloir plusieurs jours ..? »

Non, iel devait s’être trompé. Ou alors, iel avait décidé de ne pas rentrer du périple, ce dont Lukas doutait - mais on ne savait jamais. Dernière solution, iel n’avait juste pas réfléchi, mais dans ce cas là, eh bien… Mieux valait commencer à le faire vite, histoire de ne pas réaliser entre deux dunes que de l’eau et des provisions manquaient à l’appel. Enfin, après tout, ce n’étaient pas ses affaires. Son interlocuteur pouvait bien faire ce qu’iel voulait, ce n’étaient pas ses affaires.

Arid montra les dents au Ténéfix, décidé à ne pas être ignoré.

Le Ténéfix n’ignora pas le petit Salamèche, lui adressant un large sourire qui le fit bondir. Lukas dut poser à nouveau la main sur sa tête pour le calmer. Quant à cellui qui l’avait harponné une minute plus tôt, à son grand soulagement, iel finit par lui lâcher le poignet. En revanche, les indications de Lukas ne semblaient pas lui avoir vraiment plus. Iel s’observa rapidement dans le reflet d’une vitre avant de lâcher un gémissement découragé.

L’Haptois se serait alors éclipsé, un peu soulagé d’avoir réussi à échapper à au moins un jeune kidnappeur, sans le marmonnement suivant.

« Dire que j'avais promis à Amy qu'elle aurait droit à un goûter de pierres précieuses pour changer des cailloux de Calléis... »

Comment ça, des pierres précieuses ?

L’adolescent supposa que Amy était donc la Ténéfix installée dans le sac à dos de son interlocuteur. La petite pokémon tourna d’ailleurs la tête en entendant son prénom, s’attirant de légères caresses sur le crâne. Okay. Iel avait parlé de pierres précieuses. Maintenant qu’il y réfléchissait, il y avait effectivement des rumeurs de pierres dans cette vallée, à travers les nombreuses grottes qui avaient été autrefois des terrains de mine. Le problème, c’était que personne ne pouvait être vraiment certain que ces pierres étaient si précieuses que ça- pas sans s’y rendre. Et pour s’y rendre…

Il fallait être équipé, quoi. Mais s’iel avait entendu une confirmation, ou avait quelque chose comme une carte précise, peut-être que Lukas devrait tendre l’oreille.

Et puis iel le saisit brusquement par les épaules, l’air survolté.

« J'ai une idée ! Tu m'accompagnerais faire deux trois boutiques pour, euh … »

Iel fut interrompu par un bruit de gargouillement et vira au rose. Quant à Lukas, il s’était crispé, hésitant à se dégager - la mention des pierres le poussait à éviter de se retrouver sur le mauvais côté de son interlocuteur. Mais sérieusement, pourquoi est-ce que les gens continuaient à l’attraper de cette manière ? En quinze ans, il avait été laissé tranquille ; il avait incarné le parfait rôle de l’adolescent lambda et il ne se faisait jamais remarquer. Mais depuis le début de l’été, non, c’était fini. Des inconnus de son âge surgissaient de partout.

« T'sais où j'peux trouver à manger pour pas cher ?, » demanda-t-iel.

Et puis, au grand soulagement de Lukas, iel le lâcha, pile à temps pour éviter de se prendre un Paladin protecteur en pleine poire. L’Airmure avait fini par remarquer que son ami s’était fait happer dans une… drôle de situation ; un peu en retard, mais d’un autre côté, ce jour-là, l’adolescent était censé ne pas se fourrer dans les ennuis, puisqu’il était uniquement là pour faire les boutiques et acheter un cadeau à Charlie. Normalement, naviguer entre deux magasins n’impliquait pas un grand risque mortel. L’Haptois leva une main pour rassurer Paladin lorsque celui-ci se posa à côté d’eux, grande ombre surplombant l’inconnu.e de toute sa hauteur. Quant à Arid, il était toujours occupé à vouloir se battre avec quiconque croisait son regard, et n’avait absolument pas eu l’air embêté de voir son compagnon se faire quasi-secouer comme un prunier.

Classique.

En face, l’étrange huluberlu était en train de fouiller dans son sac, au grand mécontentement de sa compagne qui se retrouvait catapultée en avant.

« Désolé Amy, situation d'urgence. Quand on serait d'un côté avec moins de gens, tu pourras te dégourdir les pattes. »

Iel finit par dénicher ce qu’iel cherchait, quoique le résultat ne fut apparemment pas fructueux, si on pouvait en croire l’expression qui accompagna l’ouverture du porte-monnaie. Et surtout la question suivante.

« Vraiment pour pas cher, s'teuplait... »

Lukas lea considéra sans broncher.

Okay. D’un côté, cette histoire de pierres. S’il restait avec cet.te touriste, lui indiquait où trouver à manger pour “pas cher” (probablement “presque gratuitement”, vu sa tête), peut-être pourrait-il en apprendre un peu plus. Dénicher quelques pierres précieuses et les revendre serait un gain incroyable - à supposer que les risques en valent le coup, en tout cas. De l’autre côté…

Pour une fois, il n’était pas sorti essayer de gagner de l’argent ou voler de quoi manger - il était sorti pour faire un cadeau à son frère. Charlie, qui allait bientôt faire sept ans et ne méritait pas qu’on l’ignore ou qu’on l’oublie pour une histoire d’argent. Avec leur mère et ses horaires impossibles, il y avait été trop longtemps habitué. Lukas n’allait pas commettre les mêmes erreurs.

Après, il lui restait encore plusieurs jours avec ledit anniversaire - et ce n’était pas comme s’il avait eu une idée, même infime, de quoi lui offrir. Arceus, il allait finir par devoir réellement demander conseil à Liang. Se soumettre à plusieurs heures de bavardages en continu serait peu cher payé en échange d’obtenir un présent parfait pour son frère.

Okay, un coin pour manger sans trop dépenser ?

« J’ai peut-être un coin, suis-moi. »

L’Haptois désigna la destination d’un signe de tête, vérifiant bien que l’autre le suivait avant de marcher plus rapidement. Paladin eut l’air méfiant de voir qu’iel les suivait - probablement encore un peu sur ses gardes depuis qu’il avait vu Lukas se faire attraper par les épaules - et choisit de rester à terre au lieu de s’envoler à nouveau.

« Y a pas de danger, » finit par lui dire l’adolescent, passant une main sur ses plumes d’acier.

L’Airmure prit donc son envol, quoique resta à basse altitude afin de surveiller les choses. Quant à Arid, Lukas passa la moitié du trajet à l’empêcher de partir en vadrouille.

La petite boutique qu’il avait choisie n’était pas loin, et bientôt, Lukas présentait l’entrée à… Ah, il n’avait toujours pas son prénom. Tant pis. Il lui présenta l’entrée d’un geste du bras : l’endroit était vraiment peu cher, assez reculé, avec des étagères pleines de snacks. C’était difficile d’y trouver un vrai repas, en revanche. La plupart des aliments restaient des choses à grignoter entre deux cours ou pour un goûter, ce genre de choses. Arid manqua de mettre le feu à toute une rangée, et Lukas finit par le sortir, demandant à Paladin de se charger de lui.

« Voilà. Je sais pas si ça te conviendra, mais… » dit-il en revenant.

Il ne connaissait pas vraiment autre chose, hormis silloner les grands supermarchés de New Pyra et prier pour trouver des réductions.

« Tu voulais que je t’accompagne où ?, » demanda-t-il d’un air neutre, examinant les différents produits sous ses yeux.

Autant commencer petit et ne pas lea harceler de questions dès le départ. Après tout, des pierres précieuses, ça restait quelque chose de rare ; iel n’allait pas se mettre à crier sur tous les toits qu’iel savait où en chercher, non plus.

Finalement, l’adolescent.e aux pierres sembla réaliser qu’aucun d’entre eux n’avait pour l’instant donné son nom. Iel se tourna vers Lukas avec un grand sourire et se présenta - Louis. Okay. L’Haptois n’avait jamais spécialement eu une grande mémoire des noms, principalement parce qu’il se souciait plus de savoir si les gens présentaient une menace qu’autre chose, mais s’il devait passer du temps avec Louis, autant retenir comment iel s’appelait.

« Lukas, » répondit-il donc simplement à sa présentation, avec un bref hochement de tête.

Rapidement, Louis se mit à remplir l’un des paniers proposés par la boutique, sélectionnant les différentes nourritures et les snacks proposés avec attention. Bon. Lukas supposa qu’il lui faudrait attendre que son camarade fasse son choix et décida de se caler contre l’une des étagères - jusqu’à lui poser sa première question. Neutre, calme, ouverte - pour ensuite pouvoir plus précisément l’interroger sur ces fameuses pierres précieuses.

Si elles se trouvaient vraiment en pleine Vallée Eyepolis, ç’allait être compliqué, en revanche.

« Comme ma vadrouille du côté d'la vallée Eyepolis semble, euh, compromise, j'me demandais si tu connaissait une boutique qui vends des pierres. Genre, roches volcaniques, calcaire ou... Des pierres semi-précieuse à la rigueur. »

Ah.

Lukas pouvait retracer une bonne moitié de New Pyra par coeur dans sa tête, retrouvait son chemin à travers le dédale de rues avec une facilité acquise et connaissait de nombreuses boutiques, grâce à ses petits emplois diversifiés et à force de faire le tour de la ville, mais un coin où acheter des pierres ?

Là, il séchait.

La Ténéfix semblait fixer son ami.e avec grande attention - le même genre de concentration précise que lorsqu’Arid sentait une odeur de viande dans la cuisine et avait l’idée de se poster mine de rien dans la pièce au cas où un morceau de steak ne décide de malencontreusement lui tomber dans la gueule (ça n’était jamais arrivé mais il devait être très optimiste parce qu’il n’avait toujours pas abandonné). Après un coup d'œil à la Ténéfix, Louis reprit la parole, développant ses explications.

« En vrai, j'ai entendu des gens de Camp Harmon'île dire qu'il y avait des gisements de pierres qui avaient été trouvés y'a pas longtemps du côté d'Eyepolis. Sauf que j'ai pas réfléchis et j'ai direct pris le téléporteur... » Brève pause. Lukas remercia Arceus ou quiconque pouvait l’entendre - il n’avait pas eu besoin de poser de questions faussement désinvoltes pour en savoir plus. « Du coup, si tu connais un coin, ou une boutique, j'veux bien l'adresse ! Ah, t'inquiète pas ! Si tu veux un truc en compensation, y'a pas de soucis ! Tu pourras choisir ce que tu veux... Enfin, si c'est pas trop cher, haha... »

Okay - Camp Harmon’île, donc iel venait de Calléis et non pas de Kopadia. Par contre, avoir directement foncé jusqu’à Haptos juste pour avoir entendu parler de gisement de pierres précieuses dans un certain coin de l’île, sans prendre le temps de se renseigner ou simplement de prévoir de quoi ? Oui, clairement, iel n’avait pas réfléchi.

Quant à acheter les pierres ?

« Je n’ai jamais acheté de pierres à New Pyra, alors non, je ne connais pas d’endroit précis. Après, tu peux probablement en trouver dans les grandes allées marchandes ou bien dans le centre commercial du Mastodonte. »

Mais quelque chose ne collait pas dans ce qu’iel lui avait dit - d’accord, iel voulait trouver des pierres précieuses, ou semi, bref, des pierres. D’accord. Son expédition mal pensée pour Eyepolis tombait à l’eau dans un souci de survie, alors sa solution était d’en acheter ; pourquoi pas. Mais vu sa réaction quelques dizaines de minutes plus tôt, lorsqu’iel avait ouvert son porte-feuille, Lukas doutait qu’il lui reste suffisamment d’argent pour s’offrir ne serait-ce que cent grammes de charbon, surtout après s’être payé de quoi calmer son estomac.

Quant à la compensation qu’iel venait de lui proposait, ça ne servirait à rien. A quoi bon se faire offrir une pierre, tout ça pour la revendre ensuite, peut-être même dans la même boutique ? Surtout vu les économies de l’adolescent.e - l’Haptois doutait qu’il puisse récupérer quelque chose qui lui vale ne serait-ce qu’un paquet de riz.

Après une hésitation, sourcils froncés, il finit par réprimer un soupir et aborder prudemment le sujet.

« Les pierres, c’est en général cher. » Très cher, même. « Tu vas avoir de quoi payer ? »

En fait, si ce n’était pas si dangereux (surtout mal préparé), aller jusqu’à la Vallée Eyepolis aurait pu être la meilleure solution. Mais il aurait fallu prévoir de quoi se déplacer, de quoi manger, de quoi se défendre, et éventuellement avoir suffisamment entraîné ses pokémons pour. En d’autres termes, sans prendre le temps de s’adapter, c’était un trop grand risque. Peut-être même pour ne rien trouver en fin de compte.

Mais des pierres précieuses.

Selon la pureté, la taille, le poids ça pouvait valoir une fortune. Au moins trois mois de salaire de sa mère. Au moins trois mois de pause. Ou mieux - de quoi économiser pour, éventuellement, des études ; si jamais Jade, Ambre ou Charlie souhaitaient, plus tard, passer un diplôme supérieur. Lukas n’aurait jamais suffisamment d’argent pour ; même en obtenant une bourse, ce serait idiot. Il n’allait pas s’éloigner de sa famille - ils avaient besoin de lui, de ses petits jobs pour joindre les deux bouts de semaine en semaine.

Mais avec des pierres…

« Si tu veux vraiment ces pierres, » commença-t-il, puis s’interrompit, pesant le pour et le contre.

Y aller avec quelqu’un d’autre, est-ce que ce serait une meilleure ou une moins bonne idée ? Pour diminuer les risques, mieux réfléchir en cas de danger, être seul n’était jamais une bonne idée. Même si bon, vu les capacités de prévoyance de Louis… Enfin. Peut-être qu’iel était doué.e pour l’improvisation, par exemple. Et iel avait été suffisamment déterminé.e pour partir quasi-directement à Haptos après trois rumeurs.

Sauf que ça demanderait de scinder les bénéfices, surtout s’ils ne trouvaient pas grand-chose. Mais rien que cent, ou même cinquante pokédollars seraient déjà une bonne aide.

« Si tu veux vraiment celles d’Eyepolis, et que t’es prêt.e à patienter, on peut toujours bien organiser le voyage. Prévoir le temps, la date, tous les trucs nécessaires. Se renseigner sur les dangers, auprès de gens qui ont déjà atteint le coin. Et puis se préparer à devoir se défendre, aussi. »

Voilà, l’offre était faite. Lukas n’avait probablement jamais proposé un genre de, d’alliance de ce type auparavant - trop habitué à travailler seul. Hormis peut-être lors de la catastrophe des Bacabouh avec Fleur, à Kopadia - ou bien lors de la course-poursuite avec Kiya’na dans les rues de New Pyra. Il grimaça - il se rappelait encore trop bien des bleus qui en avaient découlé, surtout que certains ne s’étaient toujours pas résorbés. Mais ces coups-là avaient été involontaires. Cette fois, ça l’était.

Lukas braqua ses yeux clairs dans ceux de Louis, attendant calmement sa réponse.

Lukas s’attendait à ce que son interlocuteur hésite, ou du moins y réfléchisse un peu. S’aventurer dans un coin aussi dangereux, tout ça pour des pierres qu’iel pouvait acheter (simplement pas là, de suite), et qui allaient servir de nourriture ? Avec une longue préparation en amont, et qui plus est avec un total inconnu ? La plupart des gens auraient pris le temps de peser le pour et le contre, auraient éventuellement décidé de donner une réponse plus tard. Peut-être même revu leur calendrier, ce genre de choses, histoire de vérifier que rien n’était prévu pour contrarier ce plan.

Louis releva brusquement la tête, un sourire trop large sur le visage, et se saisit de ses mains avec un brin trop de spontanéité au goût de l’Haptois, qui ne s’y attendait pas et sursauta.

« Oui, ça s'rait avec plaisir Lukas !, » commença-t-iel, et l’adolescent prit quelques secondes avant de réaliser que, okay, d’accord, ç’avait définitivement été facile de lea convaincre.

Huh. Peut-être que ce n’était pas une bonne idée d’y aller avec ellui, en fait. Lâchant l’une des mains de Lukas - mais, évidemment, pas l’autre - iel se mit à caresser la petite Ténéfix dans son sac à dos. Le garçon l’observa faire, un peu perplexe. Sur le papier, il savait très bien que des gens impulsifs au point de l’idiotie existaient, mais tout de même. Iel était vraiment d’accord ? Comme ça ? Et appelait l’idée un plaisir ? Non, ce devait être parce que la dangerosité de Haptos lui était peu connue. Calléis était très en harmonie avec sa nature et ses Pokémons, non ? Haptos étant son opposée complet, Louis n’avait probablement pas réalisé ce à quoi iel venait de dire oui. Non pas qu’il allait le lui expliquer - iel avait déjà accepté, après tout.

Lukas commença à éloigner sa main encore au piège de celle de Louis, espérant pouvoir reculer d’un pas sans qu’iel ne le remarque - et, évidemment, ce fut le moment que choisit cellui-ci pour lui accorder à nouveau son attention. Tout en lui reprenant les deux poignets. Bon.

« Dis, tu veux un truc ici ? Si tu veux autre chose que des snacks, dis moi. J'sais pas encore comment j'peux faire pour te remercier, mais vraiment, hésite pas ! »

Oh.

Eh bien, puisqu’il proposait.

Laissant tomber l’idée de se dégager, Lukas se livra à de rapides calculs en parcourant les étagères du regard. Bon. Pas de quoi cuisiner de véritable plats, mais les produits achetés pouvaient apporter un peu plus de nouveauté dans ce qu’ils avaient l’habitude de manger. Peut-être qu’il pouvait même prendre des sucreries - chose d’ordinaire impensable, d’une part à cause du prix, et d’autre part du bruit que faisaient les paquets sous son pull.

Il caressa un instant l’idée d’amener Louis à payer le cadeau de son frère Charlie, avant d’abandonner. L’adolescent.e ne semblait pas avoir réellement grand-chose dans son porte-monnaie. Et il n’avait toujours pas eu d’illumination concernant quoi offrir au benjamin de la fratrie, alors autant ne pas gâcher son cadeau simplement pour une question d’économies.

Au bout d’un moment, il finit par repérer un sachet de chocolats de pâte de fruits, quelque chose qu’il ne se rappelait pas avoir déjà fait goûter à ses frères et sœurs - et encore moins lui-même. C’était coloré, appétissant, avec un joli nœud fait par une ficelle bleu roi pour attacher le haut du sachet. Parfait - il s’apprêtait à indiquer à Louis qu’il avait son choix, lorsque quelqu’un claqua sèchement de la langue, et brusquement, ses poignets furent (enfin) libres.

Alerté, il pivota rapidement - se figea.

« On d'vrait se dépêcher de finir nos achats, si on veut pas se faire foutre dehors.., » dit Louis à voix basse.

Lukas dut se rappeler d’hocher la tête, toujours tendu par la vision de l’immense caissier les toisant d’un air peu amène. Il était immense, les épaules deux fois plus larges que les siennes, avec des bras plus gros que sa cuisse et une stature qui donnait l’impression qu’il aurait été capable d’affronter Paladin et d’en sortir vainqueur.

« Je veux bien ça, » murmura-t-il à l’encontre de Louis, déposant le paquet de pâtes de fruit dans son panier.

Puis il resta derrière ellui, prudent, tout le temps que dura la transaction, surveillant le caissier du coin de l'œil. Il n’avait pas spécialement peur des hommes imposants en général, simplement… D’une part, il avait toujours été méfiant envers quiconque était capable de lui en coller une sans qu’il puisse se défendre ; de l’autre, celui-ci les fixait déjà avec animosité. Et puis, c’était sans compter sa dernière rencontre avec ce genre de type. Pendant un instant, Lukas sentit à nouveau des mains contre son col, l’arrière de son crâne heurter une surface solide ; son estomac se serra, et il ferma les yeux. C’était passé, c’était fini, tout allait bien.

Retrouver Paladin dehors fut un soulagement, malgré la présence d’Arid qui signifiait le retour d’un nuage de ronchonnements et d’impulsivité agressive avec eux. L’Airmure l’examina en détails, cherchant probablement un signe quelconque d’une potentielle agression dont aurait pu faire preuve Louis - en qui l’oiseau n’avait toujours pas confiance - avant de lui donner un coup de tête affectueux, puis de leur emboîter le pas.

« Je ne sais pas par quoi tu préfères commencer, » reprit Lukas d’une voix concentrée. « On peut faire des listes de quoi prendre. Ou peut-être d’abord chercher des infos, pour savoir exactement à quoi se préparer - essayer de trouver des gens qui ont de l’expérience du coin. Ah, peut-être une carte, s’il en existe, aussi. Et- »

Arrêt, réalisation, patience. Ne pas directement basculer dans sa manière de penser habituelle ; Louis n’était pas un.e complice d’un vol ou d’une fuite, et iel était encore moins sa mère, avec qui Lukas faisait souvent le point de leurs dépenses et gains à coup de calculs et hypothèses compliquées. Autant ne pas faire fuir lea Callésien.ne ; seul, Lukas n’avait pas spécialement envie de se risquer en Eyepolis. Et si Louis changeait d’avis, ce serait un gros risque de chercher un autre compagnon de voyage - des pierres précieuses, ç’avait le potentiel d’attirer un peu trop de monde à ses yeux.

« Pardon, tu voulais manger, » se coupa donc l’Haptois, avant de tendre la main vers l’autre bout de la rue. « Il y a un banc en face pour s’asseoir, si tu veux. »

Arid s’agita en entendant parler de manger - et Paladin lui donna un coup d’ail léger mais sec, le calmant brièvement.

Les deux adolescents se dirigèrent donc vers le banc, Lukas un peu en retrait, se creusant la tête pour trouver comment exactement ne pas démolir leur accord sans trop laisser traîner les choses. Il allait lui falloir parvenir à se suffisamment avec lui - veiller à ce qu’ils ne se découragent pas, ne laissent pas tomber. Iel ne semblait pas chercher à dénicher ces pierres pour une autre raison que celle de nourrir sa Ténéfix ; c’était plus difficile de rester déterminé.e dans ce cas-là que si lesdites pierres pouvaient lui changer la vie. Enfin, Lukas supposait.

Louis lui tendit ses pâtes de fruit tandis qu’iel s’ouvrait un paquet de chips. L’adolescent rangea les sucreries dans sa poche ventrale de pull, les gardant pour ses petits frères et sœurs une fois finalement de retour chez lui. Bien installé.e à sa gauche, lea Calléisien.ne laissa son Pokémon lui grimper sur les épaules avant de prendre la parole.

« T'as l'air vachement organisé n'empêche ! J'suis vraiment pas sûr que j'aurais pensé à faire la moitié de ce que t'as dit ! »

L’adolescent hésita, coulant un regard prudent envers ellui. Huh. Ç’avait l’air d’être un compliment - d’être vu comme quelque chose de positif. Qu’est-ce qu’il était censé répondre, dans ce genre de cas ? Oui, il était organisé - il n’avait pas vraiment eu le choix, et puis ça lui venait assez naturellement. Après une poignée de secondes à attendre un quelconque autre mot, autre signe de la part de son interlocuteurice, il finit par opter pour un hochement de tête poli. Là, ça pouvait dire tout et n’importe quoi, donc il avait moins de risques de se planter sur la réaction à avoir. Et d’après sa maigre expérience, les gens avaient tendance à interpréter les choses en fonction de ce qu’ils s’attendaient à voir.

« Commençons par faire une liste de c'qu'il nous faut. Une carte, j'avoue ça peut être cool. Après, euh... Ah si, on peut prendre de quoi manger !, » reprit Louis, sortant de quoi prendre des notes depuis son sac.

Étonnamment, Lukas ne se sentit pas le moins du monde surpris que ce soit la première chose à laquelle son compagnon d’expédition pense. De quoi manger, hein ? Iel devait probablement penser à des choses comme des chips, vu son enthousiasme à les croquer. Enfin, ce n’était pas comme s’iel avait tort ; la nourriture allait être l’une des choses les plus importantes à préparer, pour eux. Et encore, ils ne savaient pas combien de temps le voyage allait durer. Il leur faudrait probablement des trucs transportables facilement, légers, non-périmables, sans compter l’eau à transporter.

« Ouais, de quoi manger et boire, surtout. Mais on saura surtout combien en emporter lorsqu’on aura demandé à des habitués comment se rendre à Eyepolis - à pied, on mettrait des jours. »

Petit cri de protestation, un coup d'œil coulé du côté de Paladin. Lukas tendit la main vers son ami.

« Enfin, jusqu’à preuve du contraire, on a déjà notre transport. »

Il lui faudrait des pauses, c’était certain, mais l’Airmure était largement assez grand et puissant pour les jucher sur son dos. Quoiqu’ils devraient se serrer un minimum - il ne faisait pas non plus deux mètres de long.

Louis interrompit ses pensées par deux questions envers Arid, qu’iel observait avec intérêt. Est-ce qu’il l’avait depuis longtemps ? Honnêtement, Lukas n’en avait aucune idée. Plusieurs semaines étaient-elles “longtemps” ? Est-ce qu’il avait même le Salamèche, d’ailleurs - puisqu’il restait complètement réfractaire à la majorité des règles qu’il tenait de lui instaurer, et ne le suivait que pour voir des Yanma ?

Et puis Louis demanda s’iel pouvait lui donner une chips.

« Uh. Evite, il va te- »

Sans attendre, lea Callésien.ne tendit la main.

Arid fixa les doigts s’approcher de lui avec un mélange de fascination et de méfiance, puis, dès qu’ils furent suffisamment proche de sa gueule, l’ouvrit en grand et mordit. De toutes ses forces.

« …mordre- Arid !, » s’exclama Lukas.

Bon sang, mais il était intenable !

..D’un autre côté, il avait tenté d’avertir Louis. Qui n’avait pas pris la peine d’attendre sa réponse. Ugh. Lukas soupira, se penchant vers le Salamèche (qui profitait de la chips qu’il avait tout de même piquée) et le soulevant du sol pour le déposer de son autre côté, loin de sa victime impulsive.

« …Est-ce que ça va ? Il faut t’amener à un hôpital ?, » demanda prudemment l’Haptais après-coup, hésitant à se pencher vers l’adolescent.e et essayant d’avoir un aperçu de la blessure.

Louis avait lâché un cri de surprise et vivement retiré sa main - du moins essayé, mais les crocs d’Arid n’étaient pas de petits cure-dents, et le geste lui fit tout aussi mal que la morsure - ou presque. Sa main valide se recroquevillant autour de celle blessée, l’adolescent.e recula tandis que Lukas soulevait le coupable pour le poser plus loin, sous la surveillance d’un Paladin sévère. Lia Calléisien.ne avait les yeux plein de larmes, et se tourna vers lui avec une expression qui se voulait courageuse mais ressemblait plus à une grimace qu’autre chose.

« J'oublie qu'les Pokémons peuvent être violent, c'est ma faute... T'en fais pas, ça devrait aller j'pense. »

Absolument pas, non - le sang coulait le long de ses phalanges, lentement mais bien présent, et Lukas se retint de répondre d’un regard incrédule. Faire se sentir Louis être un.e imbécile n’allait pas refermer la peau, et si ça n’allait clairement pas aller, le braquer accomplirait l’inverse de ce qu’il cherchait à faire. C’est-à-dire ; le convaincre d’aller aux urgences, par exemple, si possible. Éventuellement.

En revanche, oui ; c’était à soixante-quinze pourcent sa faute. Les vingt-cinq restants appartenaient tout de même à Arid, parce que le Salamèche avait définitivement un problème d’attitude et il pouvait rêver s’il s’imaginait que Lukas lui permettrait de sortir les jours suivants.

Il n’avait pas de sac, pas de mouchoirs, rien qui ne puisse permettre à Louis d'éponger le liquide écarlate prenant place sur sa main, en plusieurs petits endroits qui formeraient sûrement un croissant de lune une fois la chose cicatrisée. Un peu à court d’idées, Lukas finit par lui tendre sa propre feuille de papier. Tant pis pour les notes - ça se réécrivait, après tout.

« Merci Lukas, j'me rends compte que j'me suis un peu trop emballé, désolé…, » murmura Louis, la voix un peu défaite, bien loin de l’enthousiasme dont iel faisait preuve depuis le début. Puis iel se leva, enfilant son sac sur son épaule ; un sourire, un peu triste, qui arracha un léger froncement de sourcils, à Lukas. Peut-être cette soudaine mélancolie venait-elle de la blessure, peut-être d’autre part. « Cherchons un endroit où on pourrais soigner ça, j'crois que j'suis bon pour quelques points de suture avec mes conneries. »

Hochant la tête, Lukas se leva à son tour, après un regard en coin vers Paladin pour lui désigner Arid d’un signe de tête - gère-le, s’il te plaît. L’Airmure eut l’air un peu trahi, probablement parce que ‘gérer’ le Salamèche s’apparentait à du babysitting level hardcore - enfin, si le bébé à garder aimait se battre avec des inconnus et crachait du feu.

Il était debout depuis une demi-seconde lorsqu’on lui saisit le bras sans prévenir. Il manqua sursauta, se tourna vers Louis - Oh, merde. Merde, merde, merde. Iel avait le teint pâle, et le sang n’arrêtait pas de couler ; et s’iel commençait à perdre l’équilibre, ce n’était pas bon signe. Okay, urgences. Vite.

Lukas le stabilisa, ou du moins, essaya ; il n’avait jamais été très fort, et si Louis ne pesait pas forcément lourd, ça restait trop pour ses bras frêles. Mais il se débrouilla tant bien que mal, glissa son bras sous le sien et autour de son dos avec le plus de fermeté possible pour le redresser. Heureusement qu’il connaissait le coin comme sa poche - se diriger aurait été plus compliqué, dans le cas contraire.

« Je t’amène aux urgences, » l’informa-t-il tandis qu’il les tournait dans la bonne direction, un vague regard autour de lui pour bien situer les environs, les gens, où étaient passés ses deux Pokémons.

« Redoutable, ton Salamèche n'empêche, pas tous les jours qu'on peut croiser un Pokémon comme lui, dit Louis, et le choix des mots fit hausser les sourcils à l’Haptais, quoique sans se déconcentrer de sa tâche.
- Il a un fichu caractère, reconnut-il tandis qu’il les faisait pivoter à l’angle d’une rue, sous les yeux d’un homme d’âge mur qui les fixa de travers. Il a tendance à chercher des noises à tout le monde. »

Un léger soupir, rapidement mis de côté pour se concentrer et traverser rapidement la route jusqu’à le trottoir d’en face, une voiture les rasant de près avec un bruit de klaxon. Lukas ignora l’imbécile ; Paladin, quant à lui, lâcha un petit cri agacé depuis le ciel, bientôt suivi d’un grognement de la part dudit Salamèche. Et merde. Il espéra que son ami ailé s’en occuperait, parce qu’il ne pouvait pas empêcher ce crétin enflammé de lancer un affrontement avec une voiture et conduire Louis jusqu’à l’hôpital en même temps.

Il y avait pas mal de monde en arrivant, alors après s’être faits enregistrés au comptoir, ils durent s’adosser à l’un des murs au lieu de récupérer une chaise libre - puisqu’elles étaient déjà bien envahies. L’attente s’annonçait longue ; on avait donné des compresses à Louis avec pour instructions d’appliquer une pression continue sur la plaie, et Paladin comme Arid avaient été - heureusement pour le Salamèche - expresséments renvoyés dans leurs Pokéballs, le premier à cause de sa taille et le second à cause de… eh bien. Tout, un peu.

Au bout d’un quart d’heure d’attente, deux infirmier.e.s du côté du comptoir le plus proche de leur morceau de mur se mirent à discuter, échangeant à propos du dossier d’un patient actuellement en pleine intervention médicale.

« Qu’est-ce qu’il avait, donc ?-
- Fracture du poignet et plaies un peu partout, l’une plus grave au niveau du tibia. Un soupir. Lukas n’écoutait que d’une oreille. Il a essayé d’aller jusqu’au site du crash, apparemment, mais il a dû faire demi-tour peu après Eyepolis.
- Ugh. Touristes, » maugréa l’autre infirmier.e, roulant des yeux.

Brusquement bien plus attentif, l’adolescent glissa un regard du côté de Louis, histoire de voir s’iel avait également entendu.

Lorsqu’il glissa un coup d'œil à l’adolescent.e, à côté de lui, cellui-ci lui rendait déjà son regard, grimaçant à cause de la douleur tout comme face à la fatalité de la situation. Quelles auraient pu être les probabilités, après tout ? De choisir de s’organiser pour entreprendre un tel voyage jusqu’aux terres désolées d’Haptos, tout ça pour devoir aller à l’hôpital à cause d’un brin trop de poussé de témérité (ou d’idiotie) et finalement entendre parler d’un blessé venant d’Eyepolis, aka leur destination. Enfin, non ; l’homme avait essayé de rejoindre le Site du Crash, mais la vallée était juste avant celui-ci, alors…

« Putain, j'imagine y'a pas moyen d'aller voir ce type ?, grimaça Louis de plus belle, et Lukas secoua la tête, reportant son regard sur les infirmiers.
- Il doit encore être en salle, et puis y a le secret médical, aussi, » mais ça ne voulait pas dire qu’ils ne pouvaient pas au moins essayer d’obtenir des informations.

Ils écoutèrent le reste des ragots et autres commentaires s’échappant de la conversation avec le plus d’attention possible, mais le sujet semblait avoir dévié, et, bientôt, quelqu’un vêtu d’une longue blouse blanche les approcha pour finalement prendre l’adolescent.e blessé.e en charge. Cellui-ci tourna la tête et, avec avec un pâle sourire qui semblait plus mal à l’aise que très joyeux, lui dit :

« Devrais pas y'en avoir pour long. T'peux garder mon sac le temps que j'sois sur le billard ?
- Ouais, je te le garde, » répondit Lukas après avoir hoché la tête, en se penchant pour récupérer ledit sac et le rapprocher de lui-même.

Lorsque Louis eut disparu à l’angle de l’un des couloirs de fond, il se pencha en arrière, la tête contre le mur et les yeux vers les infirmiers, pensif. Okay. S’il cherchait à en savoir plus, poser des questions cash allait juste lui fermer des portes, surtout par rapport à un patient comme ça. Et puis - le secret médical, après tout. On pouvait peut-être lui parler des circonstances vagues, mais aucun détail sur les blessures, voire les causes, ne pourrait lui être offert.

D’un autre côté, il pouvait déjà en savoir suffisamment sans s’intéresser particulièrement à la façon dont il avait été blessé. Il suffisait qu’il trouve une bonne raison pour leur adresser la parole - une raison qui ne finirait pas en un ça ne te concerne pas mais qui lui donnerait à minima quelques éléments - et joue les innocents avec un air le moins suspicieux possible. Huh. Être le moins suspicieux possible, il pouvait faire ; manipuler à ce point, pas vraiment son truc.

Et puis - une idée, bouger sur sa chaise, son pied entrant en contact avec le sac de Louis, et- une tentation. Brusque, forte. Il y avait son porte-monnaie, dans son sac ; peut-être pas grand-chose dedans, mais tout de même. Il y avait peut-être plein d’autres choses précieuses ; et si, d’accord, ses maigres économies de l’été avaient fini par s’empiler pour former un petit montant suffisant pour un joli présent à Charlie, ça ne signifiait pas qu’il n’aurait pas besoin d’argent plus tard. Ils en avaient toujours - constamment - besoin.

Hésitation. Louis n’était pas là, ne serait probablement pas là avant de longues minutes ; il n’avait pas son nom de famille, seulement son prénom, ne pourrait jamais le retrouver. Ce serait si facile, de marcher tranquillement en direction de la sortie avec son sac sur l’épaule - mais. Mais. Mais ces pierres ; et même si s’aventurer dans les fins fonds des terres sauvages d’Haptos était terrifiant, était complètement fou, il y avait ces pierres, tentatrices et promesses d’un avenir qui considérait en plus que simplement la semaine prochaine. Parce qu’Arceus, s’ils en trouvaient vraiment ; s’ils en trouvaient vraiment, ça signifierait plus qu’un simple soulagement ; ça serait regarder droit devant, ça serait un ciel plus grand pour Jade, pour Ambre, pour Charlie.

Alors Lukas détourna les yeux du sac. Il le glissa tout de même sur son épaule, pour éviter que quelqu’un d’autre n’en profite pendant qu’il menait sa faible enquête, et s’avança vers les infirmiers, un air timide artificiellement construit prenant place sur son visage.

« Um, excusez-moi… »

Des visages qui se tournent vers lui, des sourires doux et rassurants - attitude professionnelle et habitude ou bien réaction naturelle ? Lukas fit mine d’hésiter, agrippant la lanière du sac de Louis, puis avança d’un pas.

« Si vous êtes occupés, je peux-
- Oh, non, dis-nous.
- Okay. En fait c’est, pendant l’été on doit faire une petite recherche sur le sujet de notre choix, et uh, j’accompagne un.e ami.e et je fais ça sur les accidents sauvages et, je voulais pas entendre mais- »

Il copiait son attitude sur l’un de ses camarades de classe de l’an dernier, timide et dont l’attitude l’amenait systématiquement à obtenir de la compassion de la part des autres, ou du moins une meilleure disposition à son encontre. Il copiait éhontément, et ça marchait - une infirmière lui adressa un sourire avant de s’approcher.

« Tu parles de l’homme qu’on a ramené d’Eyepolis ?
- Uh, oui.
- Tu comprends bien qu’on ne peut pas te donner de détails médicaux-
- Oh, non, c’est- non, rien de médical, bien sûr, et là, il se calait sur Liang ; sur sa façon de parler lorsqu’il avait peur d’être mal compris, d’avoir éventuellement causé un quelconque tort, même si c’était plus qu’improbable le connaissant. Juste, des circonstances, ce genre de choses. De toute façon, mon sujet c’est pour de la géographie, pas des sciences, » et une tentative de sourire.

Un espoir avide, déterminé, une attente - ça passe ou ça casse.

Et ça passa. Il n’en appris pas tant, mais suffisamment ; comment les Terres Désolées demandaient d’abord de savoir passer l’immense tempête de sable empêchant son accès, et surtout, à quel point Eyepolis était un véritable labyrinthe. L’homme avait voulu atteindre le site du crash et s’était à la place perdu dans ces grottes presque quinze minutes après son entrée dans celles-ci. Il n’avait pas fait attention, s’était montré imprudent - là, les infirmiers utilisèrent un adjectif un peu plus fort que simplement imprudent, un air de jugement profond sur le visage - et il en avait paix un prix fort. Mais ç’aurait pu être pire, lui dit l’infirmière qui s’était approchée en premier. « C’est un coin si plein de dangers qu’il vaut mieux se renseigner un maximum au préalable, et à mon avis, lui n’avait pas fait le quart du travail nécessaire. »

Et puis la conversation s’orienta sur d’autres cas accidentels, mais aucun l’intéressant, alors il répondit pour ne pas éveiller de méfiance mais laissa sa tête s’orienter plus loin. Lorsque Louis revint, un papier à la main et des points sur l’autre, Lukas lui tendit son sac avec un hochement de tête, un regard curieux vers la blessure. Elle saignait largement moins, maintenant - quoique ça ne semblait pas très agréable. Hm. Il allait peut-être éviter de laisser Arid sortir sitôt hors des urgences, tiens.

« Pas trop douloureux ?, » demanda-t-il d’abord. Iel semblait déjà moins pâle ; c’était ça de pris. Et puis, parce que sa tête bouillonnait encore des détails appris ;

« J’ai vaguement discuté avec le groupe d’infirmiers. Eyepolis est un vrai labyrinthe, faudra trouver comment se diriger. À mon avis, si on veut être suffisamment préparés, ça va peut-être nous prendre des mois. » Aucune opinion dans son ton - un simple fait. Ca ne l’avait jamais dérangé d’attendre, de patienter ; même s’il s’agissait de longues semaines. « Et il faudra probablement se préparer pour des cas de danger, » c’est-à-dire prévoir les pires éventualités et anticiper la façon de fuir en conséquence. Par les airs si le ciel était accessible ; mais, à l’intérieur des grottes ? Si celles-ci était trop étroites, pourrait Paladin s’y faufiler ?

Une brève angoisse lui serra la gorge - l’image d’un oiseau métallique, auparavant gardien invincible, s’effondrant en haut d’un rocher, et- Stop. C’était derrière, c’était fini, et si Paladin ne pouvait pas tenir et voler dans de trop petits couloirs de roches, alors ce genre de créature non plus. Frisson, crainte insidieuse - Stop, plus fermement. Fixer son attention sur Louis, lea considérer.

« Si ça met plusieurs fois, faut trouver un moyen de rester en contact, » je suppose, manqua-t-il d’ajouter avant de se reprendre suffisamment à temps. « J’ai pas de téléphone. » Et l’adolescent.e était loin d’habiter sur la même île.

« Ça va t'paraître fou mais- » Louis s’interrompit, Lukas clignant des yeux tandis qu’iel s’éloignait pour rejoindre l’infirmiière, à l’accueil, l’ayant appelé. Lui paraître fou. Qu’est-ce qui était censé lui paraître fou ? Juste après lui avoir annoncé qu’il n’avait pas de téléphone - est-ce que l’adolescent.e n’avait pas non plus de téléphone portable ? Ce serait effectivement une drôle de coïncidence, mais ce n’était pas comme si ça changerait grand-chose à leur situation. Quoique - Lukas pouvait aussi noter son numéro de téléphone quelque part et le donner à sa mère. Elle ne verrait probablement aucun problème à lui relayer des dates de rendez-vous, ou ce genre de choses.

Lukas l’attendit sans bouger, son regard faisant la navette entre les différents patients présents dans la pièce, portant des blessures plus ou moins graves ; certains médecins se dépêchaient, des infirmiers passaient rapidement d’une chaise à l’autre pour s’enquérir d’informations à droite et à gauche. L’endroit était trop large, trop rempli, aussi ; des dizaines de stimulis, de mots échangés, de bruits, de bip de machines, parfois ; quelques pokémons de petite taille lovés autour de leurs dresseurs, les lumières blanches sur les carreaux immaculés, froideur des néons et un petit grésillement en continu - et puis Louis revint, rapidement, probablement plus rapidement qu’iel aurait dû.

Iel pressait un peu le pas le long des quelques couleurs avant la sortie, et Lukas dut accélérer le sien - qu’est-ce qui s’était passé ? Est-ce qu’iel se montrait simplement impatient.e, est-ce que qu’on lui avait dit de partir vite, est-ce que- Ils passèrent les portes, et Louis inspira plus ou moins bruyamment, le bruit inattendu lui causant un léger sursaut. Iel s’arrêta, pivotant sur les talons pour le regarder. Uh. Un peu de prudence dans les veines, une vague incompréhension, et il attendit qu’iel parle, lia fixant attentivement.

« J'vais passer pour un con ou un teubé, mais pas grave. Soit on s'arrange à l'ancienne, on s’envoie du courrier, on s'cale des points de rdv, bref, on fait avec les moyens du bord sans technologie. Soit on te trouve un tel d'occas'. » Et- oh.

Lukas lia dévisagea, un peu sceptique. S’il avait eu l’argent, il aurait acheté un téléphone d’occasion depuis longtemps, ce n’était pas comme s’il n’y avait jamais pensé, alors qu’est-ce que- enfin, non, il n’aurait probablement pas acheté de téléphone non plus, ça vaut pas le coup. Mais même - il n’allait pas gaspiller ses futurs gains pour quelque chose dont il se servirait deux fois par semaine maximum, que Louis le veuille ou non. Quant au reste- Eh bien, poster une lettre, ça coûtait de l’argent aussi, non ? Quant aux rendez-vous, en cas d’imprévu, ils ne pourraient pas se prévenir.

Il fronça les sourcils, en pleine réflexion.

« Uh, courrier, c’est cher. À moins de glisser nous-même une un mot dans la boîte aux lettres de l’autre de temps en temps, mais faudra prévoir longtemps à l’avance - enfin, je regarde le courrier tous les jours mais j’ai pas forcément le temps d’aller jusqu’à Calléis en poster. » Un haussement d’épaules. « Mais ça peut marcher. »

Ce serait probablement plus sûr que de se fixer des rendez-vous réguliers, de toute façon ; ils auraient un moyen de prévenir l’autre en cas de changement de plans, par exemple. Et puis, ce n’était pas comme si faire des recherches sur Eyepolis était une tâche qu’ils devaient forcément effectuer ensemble ; on n’avait pas besoin d’être deux pour lire un bouquin, par exemple.

Et Lukas, en dévisageant l’adolescent.e, doutait qu’iel soit capable de rester calme et concentré.e pendant des heures à fouiller entre des pages.

« Les rendez-vous réguliers ça peut être bien jusqu’à ce qu’on aie un imprévu. Après, on peut surtout avancer de notre côté et les fixer assez loins les uns des autres, mais on risque peut-être de les oublier, ensuite. » Il ne les oublierait probablement pas, mais selon devoirs, cours et les boulots qu’il allait devoir se dénicher à la rentrée - son emploi du temps allait se remplir rapidement. « Pour le téléphone, j’ai pas l’argent. » Prononcé sans honte, sans inflexion particulière - il y réfléchit à peine, information lâchée pour expliquer qu’il ne pourrait pas se payer de portable, même d’occasion. « Mais c’est pas la peine, ma mère en a un. Je peux noter ton numéro, ou bien te donner le sien, comme tu veux. »

Et c’était la solution la plus logique ; la moins coûteuse, aussi, en temps comme en argent. Il attendit sa réponse, laissant ses yeux dévier un instant sur les rues ; se rappeler par où il étaient venus, dans quelle direction était son appartement, ah, oui, l’allée là-bas, et- oh, un sursaut dans les pensées. Il avait encore Paladin dans sa Pokéball ; il détacha rapidement la sphère de sa ceinture, l’ouvrant pour laisser l’oiseau s’étirer sur le bitume, les ailes déployées dans un geste familier.

L’Airmure pressa délicatement son bec contre sa tempe, geste affectueux habituel, avant de se tourner vers Louis et sa main maintenant soignée - quoique loin d’être indemne. Lâchant un petit cri inquiet, il s’avança vers ellui, s’enquérant de comment il se sentait en penchant la tête de côté, soucieux.