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Encore.
Encore, encore, encore - encore et toujours les mêmes erreurs, encore et toujours les mêmes écarts, encore et toujours les mêmes putains de conséquences. Encore, encore, encore, ça tourne en boucle dans mon crâne, douloureux, déchirant - le cri de douleur de Mettle et puis la bascule, le hurlement de Jade, là-bas, la terreur d’Ambre, dans mes bras, le regard de Lukas de la surprise à l’horreur ;
(le sang sur la fourrure de Mettle), ses pas qui trébuchaient, son souffle difficile, ses ailes abîmées et (encore, encore, encore),

encore une qui se sacrifiait pour moi, en mon nom, j’aurais dû faire plus attention, j’aurais pas dû être là, j’aurais pas dû les inviter à sortir, j’aurais pas dû, j’aurais pas dû, j’aurais pas dû, putain et ç’aurait pu être, ç’aurait pu être tellement pire, elle aurait pu mourir,
elles auraient pu mourir on aurait pu mourir et ç’aurait été

(ma faute)
ç’aurait été ma faute,
ma faute ma faute ma faute

ç’aurait été ma faute si Jade si Lukas l’avait perdue, (ils peuvent plus perdre personne) et ç’aurait été ma faute, ç’aurait été ma putain de faute s’ils l’avaient perdue

ç’aurait été ma faute,
ma faute de les avoir emmenés là
ma faute d’avoir pas fait attention
ma faute de nous être crus intouchables dans les hauteurs
ma faute de

ma faute d’avoir laissé Ivanna faire ce qu’elle a fait, ma faute, ma faute, ma faute de pas m’être rendu, ma faute de pas l’avoir empêchée, ma faute de préférer ma liberté à leurs vies, ma putain de liberté injuste, ma putain de liberté qui devrait pas valoir autant,

s’ils sont censés compter alors pourquoi est-ce que je continue de les laisser s’abîmer pour moi ?

Pourquoi je reste, pourquoi je m’acharne à donner à Ivanna des raisons de faire payer à ceux qui me gardent et me couvrent, encore et encore et encore, comme si ça comptait pas, comme si je méritais, comme si- « PUTAIN ! » Un cri dans la nuit, la gorge nouée - je m’accroupis dans le sable, sous l’oeil de Caligo qui vient souffler dans mes cheveux. « Pardon- Pardon, pardon, pardon, » les yeux brûlent et la voix casse, je serre mes doigts sur les mèches de mes cheveux, les coudes sur les genoux et les paupières closes. « Pardon, » c’est ma faute,

c’est ma faute
c’est ma faute mais je ne sais pas, je ne sais plus

est-il trop tard pour se rendre ?
Est-ce que ça suffirait à me racheter ? Est-ce que ça rendrait vain tout ce qu’ils ont perdu, tout ce qu’ils ont fait, tout ce qu’ils m’ont protégé ?
C’est ma faute et je ne sais pas, je ne sais pas s’il faudrait céder et mettre un terme, si ça mettrait un terme, je ne sais pas s’il faut continuer, lutter, lutter, lutter pour espérer l’emporter mais peut-on seulement gagner, je ne sais pas,
je ne sais pas,
je ne sais pas,

m’en voudraient-ils si je me rendais, si c’était pour les sauver ?
Si mon absence les préservait d’autres batailles, d’autres douleurs, de risquer devoir perdre à nouveau en mon nom ? C’est moi qu’on veut, c’est moi qu’on veut mais c’est eux qui paient - la paix, d’ici, je ne peux pas l’acheter ; mais je rentrais, peut-être que je pourrais ?

Peut-être que je- « Qu’est-c’que j’dois faire ? » Un murmure - je renifle, ignore les larmes qui ont coulé jusque dans mon cou. « Qu’est-c’que j’dois faire, s’il-Te-plaît, dis-moi, dis-moi… » M’a-t-Il jamais entendu, de toute façon ? Ai-je jamais eu Sa bénédiction, ai-je jamais été l’un de Ses enfants, m’a-t-Il jamais considéré comme l’un de Ses disciples, quand c’est à l’ignominie que mon sang a juré allégeance au premier jour ?

Étais-je condamné à mener guerre seul, dès le premier instant ?

« Je T’en prie, » chuchotis balayé par le vent qui frappe le désert plongé dans une nuit d’encre aux contours menaçants - qui me rappellent une autre nuit d’inquiétude et d’horreur, il y a longtemps. « Je T’en prie, ne m’oublie pas parce qu’ils T’ont oublié, je- J’ignore si j’ai toujours sacré Ton nom, ou si je, si j’ai blasphémé dans ce, dans cette vie dont je ne me souviens plus, mais je- » Je ne veux pas payer pour les erreurs d’un endroit que j’ai fui. « Depuis aussi longtemps que j’ai trouvé refuge sur les terres Calléisiennes, je- Je ne me suis toujours agenouillé que sous Tes yeux, Xerneas, j’ai- J’ignore si ce sera assez pour que Tu me pardonnes, mais je… »

Une inspiration.
J’ignore à qui je m’adresse - j’ignore qui m’entend.

« Ne me pardonne pas, ne- Je me fous de mon salut, » peu importe ce qu’il adviendra de mon corps, de mon âme, « mais aide-moi au moins à… À les sauver, eux ? Ceux qui n’ont rien fait… » Les innocents.

Les innocents,
et cette liste, infiniment rallongée,
depuis que je suis le responsable du sang versé dont s’est abreuvée Lentis toute entière en mon nom.

Je suis fatigué.

J’ai l’impression de l’avoir toujours été - que chaque pas ne m’a qu’éreinté un peu plus que le précédent.
Où sont les clartés qu’on promet à ceux qui ne vivent que d’obscurité ?

Je suis aveugle depuis longtemps - et c’est peut-être pour ça que j’embrasse la blancheur froide et silencieuse d’Adamantia avec tant d’affection, parce qu’elle me ressemble, parce qu’elle me compose, parce qu’il y a, en moi, comme un décembre qui ne s’achève jamais, comme un novembre qui s’attarde et qui rince les couleurs du monde de toutes ses pluies.

M’a-t-elle jamais vraiment quitté, cette envie d’abandonner, depuis la première fois que je l’ai formulée, à demi-mot, l’haleine alcoolisée et la tête sur l’épaule de l’inconnue qui deviendrait si chère à mon coeur ; depuis que je l’ai répété, plus clair, plus franc, plus désemparé, à la face d’un frère qui ne l’était pas encore mais dont la présence changeait déjà tout ?

Un rire amer s’étrangle, dans ma gorge - mourir, mourir, s’il fallait que je meure, il faudrait qu’Ivanna le sache, il faudrait qu’elle sache que c’est de sa faute, que mon geste, c’est la conséquence des siens, de sa folie, du putain de sang qui coule dans mes veines et qui ne mérite que d’être versé, et-

J’enfonce mes ongles dans mon poignet, le geste brusque, sec, douleur ; j’érafle les cicatrices, celles du monde et celles que je m’inflige - j’enfonce mes dents dans les chairs de mon index plié, et je serre jusqu’à ce que ça lance suffisamment pour ne laisser qu’un bruit blanc, dans mon crâne, qu’un calme étrange malgré les larmes que je sens dévaler mes joues jusqu’au cou.

J’inspire - plie et déplie mes doigts, tire la manche de mon sweat sur ma main pour dissimuler, toutes les preuves, tout ce qui me ramène à la seconde d’avant, au risible, au ridicule, à ce que je me fais même si ça n’a pas de sens, (de quoi j’ai l’air ?) De quoi j’ai l’air, putain, mais qui fait ça, mais qui se blesse, mais qui se griffe au sang, mais qui se mord comme ça, mais qui-

Caligo piaffe, à côté ; Unseelie, un peu plus loin, a lâché un couinement - un bruit peut-être innocent, peut-être mignon pour le commun des mortels, mais qui signifie danger et me force à me redresser.
Je ne me heurte, dans la nuit, qu’à un regard de sang - qu’un oeil unique, qui tangue dans des orbites vides et qu’il me faut un instant de trop, pour reconnaître ; un instant de trop, pour réaliser.

« ’seelie ! » La créature bondit, en même temps, dans ma direction - les bras d’ombre s’élèvent, Caligo s’interposent, je recule et trébuche mais sans m’effondrer et- « Putain mais tu- Vous allez crever oui ?! Vous allez puTAIN DE CREVER, OUI ?! » Hurlement coup de tonnerre, terreur, fureur et je sais

je sais je sais je sais
pardon
je sais que c’est pas ta faute je sais, je sais que c’est pas ce que tu voulais je sais, je sais ils l’ont dit, ils l’ont dit, les scientifiques les gens importants ceux qui savent ceux qui ont dit
(ceux qui ont dit qu’on pourrait vous sauver), ceux qui ont dit que Redolent reviendra, et puis Paladin, et puis Chrosis et Kombucha, et-

Je sais, je sais, je sais mais je suis fatigué alors pardon,
pardon, c’est pas toi, c’est pas toi,
tu sais que j’le pense pas, et j’espère qu’Il sait aussi,

mais je veux juste
que ça s’arrête ?

Je veux
un temps mort dans la douleur
un temps mort dans tout ce qui va trop vite et trop fort, qui donne le tournis, la nausée, qui m’épuise, me cloue au sol comme une prison poisseuse infiltrée à même mes os je veux

je veux la paix, je veux qu’Ivanna tombe et je me moque de qui elle est parce qu’elle est l’histoire d’un Noah qui n’est plus moi et j’ignore s’il l’a aimée et j’espère qu’il la détestait que c’est sans remords sans regrets qu’il est parti que c’est sans regrets sans remords qu’un jour j’aurai la force de rester que je

que je pourrais dire je l’ai sauvée et pas j’aurais pu la tuer - que je me souviendrais plus des rires que des cris de terreur que de l’horreur dans leurs yeux que de que de que je que j’aurais la force de croire que ce n’est pas moi, le coupable de tout ça, celui des choix d’Ivanna, celui de la bataille cruelle qu’elle nous mène mais non,

non,
non,
non,

je le sais pourtant,
ces desseins sont plus grands que moi, ces desseins sont plus grands que ça, plus grands que nous, je ne suis qu’un instrument et ce pourrait être moi ou un autre moi ou n’importe qui mais c’est moi avec le sang d’un autre temps dans les veines, moi qui soignais, moi dont les mains brillaient, moi au pouvoir convoité,
moi dont l’essence, peut-être, pourrait-

« Assez, » je siffle entre mes dents serrées, les ongles enfoncés dans mes paumes, tandis que le Spectre tente encore de m’atteindre, retenu par Unseelie et menacé par Caligo. Je voudrais pouvoir les sauver, je voudrais, je voudrais, est-ce que mes mains auraient pu tout changer ?
Est-ce qu’elles auraient pu les rincer des obscurités qui les ont rongés ?

Est-ce que j’aurais pu m’élever contre Ivanna, impavide, invincible, puissant à ma façon, si les Fleurs ne  s’étaient pas éteintes, si elle ne gagnait pas un peu d’empire à chaque jour qui passe, si-

Un nouvel assaut - je cille.
Je ne peux pas tous vous sauver.

« Caligo ! Encornebois, » et j’ai à peine le temps de prononcer les mots qu’il bondit, bois en avant, pour y empêtrer la petite silhouette spectrale aux nuances de nuit, secouer la tête et l’envoyer rouler dans le sable, sec et sans l’ombre d’une hésitation.
Parfois, tu n’auras que tes ordres et leur confiance pour te sauver - j’étouffe un rire, amer.

Fatigué.
(Vaincu).

« Caligo, » un souffle, mes mains sur son garrot et ma jambe par-dessus son dos - je tends le bras en direction d’Unseelie pour qu’elle s’y agrippe et s’élève jusqu’à moi, puis je presse les talons sur les flancs de l’Haydaim, doucement.

On s’enfuit.

Le galop, dans le silence soudain du désert, a quelque chose de tranquille et d’apaisant. Je chasse, loin de mes idées, le murmure désolé qui me poursuit un instant - je veux pas savoir. Je ne veux pas des excuses de Lentis, des créatures qui la peuplent, de ce monde ; je ne veux même pas celles d’Aureas ni d’Ivanna, il est trop tard pour demander pardon. Il est trop tard pour les regrets, trop tard pour les mots sans fond, creux, vides de sens - il est trop tard pour espérer que ça suffise, trop tard pour qu’on puisse réparer.

Je me fiche de vos pardons et même si je supplie pour qu’Il m’accorde le Sien - et même si je sais, je sais, je sais que ce n’est pas Sa faute, que ce n’est pas celle de ces voix qui tentent de m’adoucir, il y a, dans les entrailles de Lentis, quelque chose de putride, de pourri jusqu’à la moelle et qui trouve son pendant dans les os des Auréens.

Dans les os d’Ivanna.
Faudrait-il les briser un par un, pour les rincer de leur poison

Savent-ils ? Savent-ils seulement ?
La réalité des desseins de celle qui règne sur eux ; savent-ils le mal qu’elle leur fait, celui qu’elle nous veut ? Savent-ils comme elles nous condamne - comme elle les condamne aussi ? Savent-ils le prix à payer, s’ils la suivent, aveuglément, au nom du monde qu’elle leur a juré ?

Je serre le bras autour d’Unseelie, mes doigts sur le tissu de son déguisement, et je la sens qui lève la tête dans ma direction, me cherche des yeux, d’un regard que je ne lui rends pas - mes prunelles fixées sur l’horizon. J’ai la gorge nouée et la langue mordue, pour refouler des envies de hurler encore mais à quoi bon, à quoi bon,

je finis toujours par crier, je finis toujours par pleurer, je finis toujours par m’effondrer, par me briser sur les récifs, par m’éclater comme les vagues sur les falaises ; je finis toujours en morceaux alors à quoi bon, à quoi bon ? À quoi bon attendre les aubes, les jours levés, puisque les matins ne sont que d'autres mensonges ?
J’ai si longtemps espéré que les choses deviendraient plus simples, qu’elles seraient moins cruelles ; qu’il y avait quelque chose d’un peu plus beau qui m’attendait…

(Mais tout ce qui brille est un leurre), la lumière au bout du tunnel n’est qu’un songe, (on en meurt) et parfois,

parfois,
c’est comme ce soir-là, où je me suis brisé en jurant que c’était la dernière fois,

comme ce soir-là où je songe
qu’il serait plus facile de (renoncer).

Il serait plus facile - plus facile de décider que ce n’est plus mon problème, que j’en ai assez fait, assez vu, assez vécu ; que j’ai suffisamment parcouru ce monde, suffisamment goûté à ses horreurs et que ses beautés ne font pas le poids, que les magnificences des aubes ne sont plus assez pour chasser les obscurités des nuits sans fin dans lesquelles je m’enlise depuis que je me suis réveillé sous un ciel gris comme mes yeux.

Je ne me souvenais que de la pluie - et je regrette, parfois, l’époque où je ne savais rien d’autre que ça ; que mon nom, et qu’il pleuvait sur moi lorsque je me suis réveillé. Je regrette les choses que j’ai apprises, je regrette mes mains éteintes, je regrette mon sang, mon héritage, je regrette les allégeances que j’ai porté à d’autres, je regrette, je regrette l’impact que j’ai sur ce monde, sur ceux que j’aime, sur ceux qui ne demandent qu’à

vivre
(survivre, exister, prendre quand le monde refuse de donner).

Je regrette - je regrette qu’en mon nom, Lentis ne soit plus le havre de paix de ceux qui l’appellent foyer ; qu’on s’y fasse désormais la guerre, que la détresse et la mort se répandent jusque dans les rues des villes, et plus seulement dans les terres sauvages.
Qu’il ne faille plus être idiot, téméraire ou intrépide pour tenter le destin - qu’arpenter les asphaltes coulées dans l’empire des hommes puisse désormais tout aussi froidement condamner.

« Ça devait pas être comme ça, » je murmure au vide, au vent, à l’ennui, aux voix qui se taisent quand j’aimerais tant qu’elles me guident. Ça ne devait pas être comme ça - mais ça l’est, ça l’est et c’est sans retour, si profondément ancré dans les entrailles des terres que l’on foule, dans ces monolithes qu’il n’est plus possible de détruire sans condamner New Pyra déjà trop tombée,
puissance mise à genoux et qui ne brille plus que de son déclin,

de son délabrement qui pourrait être de mes mains
(de mes mains qui ont tué plus qu’elles n’ont soigné) et pourquoi, Xerneas ; pourquoi m’avoir confié ce don, pourquoi me l’avoir pris, pourquoi m’avoir dérobé cette seule chose qui donnait une autre valeur à ma vie que

celle qu’Ivanna lui donne au nom de ses propres envies ?

Eclat d’argent, blême, diaphane ; quelque chose brille, là-bas, dans l’obscurité des dunes et de l’oasis en approche. Ça se déplace, lentement - j’intime à Caligo de s’arrêter. Un Pokémon, sans doute, même si j’ignore lequel.
Le monde continue de tourner - pourquoi semble-t-il n’y avoir que le mien qui s’est arrêté ?