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Samedi midi. Mora est au laboratoire pour aider – elle ne m’a pas dit pourquoi, mais je suis pas bête, je sais bien qu’ils feront une annonce pour le sérum anti-obscur et elle est là pour s’assurer que tout se déroulera bien, avec des tas d’autres scientifiques j’imagine. Probablement qu’ils vont se taper un 5 à 7 pour se féliciter, aussi. Ils le méritent.

Moi? Moi je suis installé·e dans le salon, deux aiguilles à tricoter dans les mains, une vidéo YouTube sur l’écran de télé qui m’explique comment faire des câbles, et une vidéo sur mon téléphone d’un site qui rediffuse le Solem à Haptos. Hey oui, quand on dit que les jeunes de nos jours ne savent pas faire qu’une chose à la fois, c’est de moi qu’on parle. C’est que je m’offre une pause d’étude le temps d’écouter le Solem, alors nécessairement, je dois remplacer les études par un autre sorte d’apprentissage. Rien de nouveau là-dedans.

J’écoute le Solem, c’est vrai, d’une oreille moyennement intéressée. Oh; ils annoncent le sérum et je suis très contente, vous inquiétez pas, parce que je pourrai enfin soigner maon Porygon. Un·e Porygon que je n’ai même pas eu le luxe d’apprendre à connaitre, c’est dire, puisqu’iel commençait déjà à se transformer quand iel est apparu·e de nulle part dans ma vie. C’est quand le vidéo s’est mis à sauter que j’ai relevé les yeux de sur mon tricot, attrapant rapidement mon téléphone pour vérifier que c’était pas ma connexion qui a lâchée. Rien à faire, et je mets le blâme de cette situation sur une erreur technique venant du site de rediffusion, alors j’attrape la manette de télévision et je change de poste pour aller sur la télévision communautaire anthoise-

Et c’est là que le verdict tombe : on craint une attaque sur Haptos, la diffusion du Solem est arrêtée sans qu’il soit possible de contacter quiconque là-bas.

D’un : je bondis du canapé, téléphone en main, les deux aiguilles envoyées valdinguer plus loin. Pas plus de troissecondes plus tard, je ne passe pas par quatre chemins, j’envois bien cinq messages à Mora. Parce que je ne suis pas dupe; que si Haptos est la cible d’une attaque durant un Solem, alors c’est qu’Ivanna est responsable et que le laboratoire sera la prochaine cible. C’est tout naturel, tout logique, et, évidemment, la chose qui me fait paniquer.

Mais oh, je n’ai pas besoin d’attendre longtemps, pas plus de quelques minutes, pour que le ciel Anthois s’assombrisse aussi et que le bruit des explosions se fasse entendre, direction le laboratoire.

Parfois, j’aimerais ne pas avoir raison.

Mes six pokéballs en main, je dois me bouger. Je ne peux pas rester sur place, après tout, parce que ce serait d’être une cible facile, surtout que notre appartement est près des téléporteurs. Mais ce n’est pas vers eux que mon corps veut courir; c’est vers le laboratoire. Oh, je ne le ferai pas, vous savez. Je n’ai plus sept ans, à croire que tout ira bien si j’avance avec courage (du courage, je n’en ai point); je ne verrouille même pas la porte derrière mois et je m’élance en bas des escaliers comme s’il n’y avait que la moitié de huit marches. Je compte en allant vers la prochaine intersection : déjà neuf personnes qui fuyaient l’horreur qui se déroulait devant nous. Après tout, à Anthos, ce n’est pas notre première fois. Y’a eu l’attaque de la place de la fontaine y’a plus de dix semaines.

Ce n’est qu’en te croisant toi, qui hurle le nom de… quelqu’un, j’assume (moi qui n’aime pas tant mes pokémons, je me vois mal appeler leurs noms ainsi) que je remarque que je tremble, que chaque pas se fait plus lourd. Pourtant, point de larmes sur mes joues. C’est comme pour la mort de maman, les larmes sont retenues prisonnières, mon corps est lourd et je me sens comme s’il n’était pas tout à fait miens. LA digue se brisera bien assez tôt, sûrement quand nous seront plus en sécurité. Mais là je te vois toi et mon bras s’étire vers toi comme pour t’attraper, mais il est trop lourd, trop lourd; mes jambes aussi alors que je tente de traverser ce qu’il reste de distance entre nous et je sens quelqu’un entrer en course-collision avec mon épaule, mais je ne dis rien. Je ne pipe pas mot, parce qu’en fait j'en suis incapable.

Mes mains sont moites, mais ce que je remarque, c’est sont mes poumons qui refusent de respirer. J’inspire et j’inspire mais ça bloque quelque part, je ne m’oxygène pas et j’ai la tête qui tourne. Quand je finis par arriver à ton niveau, ma main s’accroche à ton bras comme pour te retenir – comme si j’avais deviné que toi aussi, le côté primal de ton cerveau voulait que tu courre vers le laboratoire pour sauver ce à quoi tu tiens. Moi, ma gardienne légale, toi, ton pokémon obscur. Je tremble de la tête aux pieds, j’ai le teint blanc et…. Et au fond, c’est rien de nouveau ,c’est rien d’anormal vu la situation, alors pourquoi le mentionner? La vérité c’est que j’ai besoin d’un adulte…

Mais toi aussi.

Larmes aux yeux, je n’ai d’autre choix que d’acquiescer à ta question, penaude, lèvres se mouvant d’abord sans former des mots, et puis ça qui sort alors que je fais tout mon possible pour ne pas fondre en larmes : « Je suis tout seul, ma- mon adulte est au laboratoire, je ne sais pas où aller. »
Des mots simples, qui remettent en tes mains bien des choses, comme le vrai questionnement, la vraie hésitation qui se fait sentir en moi, à savoir si j’allais vers les téléporteurs (mais vers où) ou si je fonçais tout droit vers les laboratoires pour m’assurer que Mora allait bien, que l’explosion ne venait pas du labo en soit, que le ciel obscur au-dessus de nos têtes n’était pas réellement une attaque contre les sérums qu’on (les lentois) avait mis tant de temps à confectionner.

Je t’ai arrêté, mais vraiment, dans quel but, au fond, moi qui ne connais rien de toi – tu pourrais, pour ce que je sache, être quelqu’un qui est là pour profiter du chaos, peut-être une de ceux qui sont à la cause de l’explosion qu’on a entendu, peut-être que t’es là pour nous faire du mal et nuire à l’évacuation.
Ce n’estp as parce que tu es petite et mignonne, que je me rappelle, que ça veut dire que tu es douce et gentille, ce serait vraiment un rapprochement trop facile à faire, éronné aussi, mais c’est tout ce à quoi je suis capable de me cramponner vu la situation.

Je tremble et ce tremblement est communicatif – littéralement, dans le sens que ton bras, que je maintiens en place, est lui aussi en train de vibrer à la même fréquence que moi, mais je ne dis rien, je ne fais pas mine de te redonner ton bras, non plus, occupé·e que je suis à ne pas m’effondrer de tristesse; après tout, n’est-il pas bien, bien trop tôt pour s’effondrer, considérant que le mal qui nous afflige ne fait que commencer, que les cris ne font qu’augmenter, que notre peur ne fait que se décupler?
La vérité, c’est que j’ai besoin de toi, qu’importe si tu es la bonne personne pour ça, au fond, qu’importe si tu sais quoi faire ou si tu n’est pas toi-même en train de paniquer, puisque c’est après tout le réponse normale vu ce que l’on vit, à cela près que ce n'est pas de paniquer qui nous mènera là où on doit s’en aller, que ce soit vers Ike Kai, par exemple, ou vert le laboratoire, le cœur de toute cette panique qui ne fait que ce propager.

« Me laisse pas seul·e » et c’est demandé, mais c’est comme un supplice à entendre, le son se cassant en même temps que ma résolution.
J’ai beau être de loin le plus rand de nous deux avec mon mètre quatre-vingt-neuf, je reste un enfant, surtout quand j’ai l’impression que le pire moment de l’histoire de ma vie est sur le point de se reproduire, sans que je puisse en arrêter la progression.