Menu

Il y avait du monde, ce matin-là, dans les rues de New Pyra. Il y avait tout le temps du monde, à New Pyra, rectifia Gabrielle en pensée, balayant la place des yeux, son poignet en visière pour s’épargner les rayons du soleil qui transformait tout en un assemblage chaotique d’ombres et de tâches de couleur aux airs de phosphènes. Al cherchait, sans bien savoir exactement quoi. Une roulotte ? Une machine étrange, dans une roulotte ? Un certain Momo dont al avait bien vu le portrait sur internet, mais qui avait un visage commun, facile à égarer dans la foule. Devait-al chercher là où il y avait du monde, une file d’attente comme devant les boutiques de luxe qu’on trouvait, quelques boulevards plus loin ? Ou, plutôt, regarder dans les coins où-

Là.
Est-ce que c’était lui ? Un vieil homme dont le sourire creusait les ridules au bord de ses yeux, près d’un étrange chariot, et qui tendait une Pokéball à un adolescent à peine plus âgé qu’al, l’air de bavarder. Bah, au pire, al n’avait qu’à demander.

Le pas pressé, Minisange chantonnant sur l’épaule - quoiqu’il voletait, de temps à autres, pour se percher dans ses cheveux ou lui tourner autour, comme incapable de se laisser promener sans s’agiter -, Gabrielle traversa la place, la Pokéball de Fortress fermement tenue dans sa main. À vrai dire, al serrait la balle presque à s’en faire mal, les jointures blanchies et un peu de nervosité dans les os mais, malgré tout, pas l’envie de se défiler face au projet qui lui hantait le crâne depuis qu’al été revenu·e de-
Uh. Al avait entendu des gens appeler cet endroit étrange le Dédale des Sylves - et le nom lui paraissait tout à la fois parfait, avec juste ce qu’il fallait de mystique, et tout à la fois bien trop poétique pour ce dont il s’agissait ; un endroit terrible et dangereux,

bien trop hypnotisant.
(Et ça l’appelait, d’y retourner, d’arpenter plus loin, de découvrir les secrets de l’endroit où al avait grandi sans s’être jamais suffisamment interrogé·e).

Gabrielle ralentit le pas.
Ses yeux tombèrent sur la sphère, dans sa main. Un peu ébréchée, comme l’était la roche du géant qu’elle contenait. Celui qui avait écopé d’un peu plus de bris, d’un peu plus d’érosion, sous la lame des offensives de ceux dont il l’avait protégé·e. Il s’était dressé, ultime rempart, entre al et le danger ; il s’était élevé, haut, haut au-dessus d’al, menaçant pour le monde - gardien impavide.
Il ne lui ferait jamais le moindre mal - peu importe combien il était grand, immense, lourd ; combien le sol tremblait lorsqu’il serpentait à la surface du monde. Il avait encaissé, pour al, pour que rien ne l’atteigne, il avait-

Il était temps qu’ils avancent.
Pour la confiance aveugle qu’il lui avait dédiée, il fallait qu’al ait foi en lui aussi. Il fallait qu’al lui montre, qu’al lui prouve - qu’al se le prouve à al-même. Qu’al en était capable - d’affronter ses propres peurs et de les dépasser ; qu’ils étaient capables de progresser, à deux, comme ils l’avaient fait jusqu’ici. D’aller un peu plus loin, encore - ensemble.

Al inspira.
Il l’avait sauvé·e. C’était à al, désormais, de lui donner les moyens de régner sur un monde qui n’avait que faire de leurs craintes et de leurs états d’âme. Al devait lui donner le droit d’évoluer, le droit de devenir ce pour quoi il était fait. Al n’avait pas le droit de lui interdire, sous prétexte d’une peur quelconque qui ne se justifiait plus, irrationnelle, déraisonnable. Lui aussi, après les immondices que les fissures de ses roches racontaient, avait le droit de guérir et d’avancer. De devenir la meilleure version de lui-même - plus puissant, guerrier et vainqueur des batailles à venir.

Un, deux, trois pas - lorsqu’al atteignit la roulotte, dont s’éloignait l’adolescent, et que le vieil homme leva les yeux sur al, Gabrielle sourit. Son emprise s’était relâchée, sur la Pokéball - et il y avait une assurance encore un peu prudente dans ses gestes, lorsqu’al rendit à Momo son sourire. « Bonjour, » lança-t-al, avisant le petit Bulbizarre qui trottinait entre leurs jambes. « C’est vous, Momo l’échangeur ? » L’intéressé hocha la tête, la posture un peu plus droite. « En personne ! Momo l’échangeur, arrière, arrière petit fils d’un échangeur Sinnéen ! On a ça dans le sang, » minauda-t-il, avant d’aviser la Pokéball que Gabrielle tenait.

« Qu’est-ce qu’on a là ? » Gabrielle hésita, une brève seconde, avant de lui tendre la petite sphère. « Un Onix. » Momo fit mine de soupeser la balle dans sa paume. « Ah ! Un Onix… Le feu fiancé de mon grand oncle maternel en possédait plusieurs, puisqu’il travaillait dans une carrière ! » Sous le regard perplexe de l’apprenti·e ranger - al soupçonnait, après tout, que Fortress en soit un malheureux rescapé -, il agita la main, comme pour dissiper un malentendu dans l’air. « Pas une de ces carrières où les Pokémon y sont maltraités, non ! Les siens étaient très heureux, très affectueux, et il les laissait jouer librement lorsqu’ils n’étaient pas au travail ! »

Tandis qu’il parlait, il avait posé la Pokéball dans sa machine, appuyant sur des boutons avec le flegme de l’habitude. « Et vous, alors ? Que faites-vous ? » Gabrielle haussa les épaules. « Je suis ranger… Enfin, encore apprenti·e, mais bientôt confirmé·e. » L’air approbateur, Momo hocha lentement la tête, étrangement solennel. « Ah ! Ranger, c’est un beau métier, quand même. Un très, très beau métier… Ce même feu fiancé de mon grand oncle maternel était ranger, aussi, de sa jeunesse… » Uh.

D’accord, très bien - ce Momo semblait… apprécier parler de sa famille. Au moins Gabrielle n’avait-al pas à tenter de faire la conversation malgré sa nervosité - al pouvait le laisser parler, l’écouter d’une oreille, et fixer cette Pokéball qu’on lui rendrait bientôt.
Al irait dans le désert, après - pour le libérer, et- Et affronter. Affronter ce qu’il était devenu - et se rendre compte qu’il était toujours le même. Que c’était eux contre le monde, depuis qu’il l’avait suivi·e plutôt que de lia blesser.