Menu

C’était là.
C’était là que tout avait commencé. Elle le sentait, au plus profond d’elle-même, sans pouvoir se l’expliquer. C’était là parce qu’il avait bien fallu qu’un jour tout commence quelque part ; une vie, une existence, cœur qui battait dans l’immobilité absolue et l’air qui s’engouffrait dans les poumons pour la première fois. (C’était là).
Au cœur des roches les plus dures et les plus froides qui constituaient la caverne ; l’obscurité qui aurait dû régner en maître absolu avait pourtant perdu face à la lumière — ne restaient des ténèbres que des ombres éparses et dansantes derrière les pierres les plus sombres.

Les parois brillaient de lueurs qui paraissaient irréelles ; rayons lunaires prisonniers à jamais des murs de la grotte, ils n’avaient d’autre choix que s’y percuter, encore et encore, de traverser chacun des cristaux qui les réfléchissaient, les amplifiaient, les renvoyaient au loin — et ainsi de suite.

C’était là.
Au cœur des roches les plus dures et des lueurs célestes qui nimbaient les sous-sols, où l’air paraissait lourd et moite comme si le passé tout entier restait en suspension, incapable de toucher le sol ou de s’évaporer.
Parfois une goutte se laissait glisser le long d’une stalactite et chutait jusqu’au sol où le son se répercutait en échos infinis.

Et parmi ce silence et ce bruit, parmi ces lumières et ces ombres, il y avait une vieille femme et une Lucario. Le pokémon restait immobile. C’était là. Là qu’elle était née, elle le savait, car elle ne pouvait pas se tromper. Ici s’achevait désormais le mystère de ses origines — les incertitudes, les doutes, les peut-être sans réponse. Balayés d’un seul regard ; les souvenirs revenaient, remontaient, vagues et flous, indistincts mais pourtant présents, si présents qu’ils prenaient toute la place.

Mais elle ne serait pas parvenue ici sans Pierrette. La vieille femme avait été pour elle bien plus que les mots ne pouvaient le décrire. Elle l’avait aidée, supportée, aimée même au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Aujourd’hui encore, elle était là. Debout dans la caverne, les lueurs roses teintaient ses cheveux argent d’une couleur vive. Pierrette semblait heureuse ; détendue. Sentiment incongru dans un lieu si éloigné de tout, où tout hurlait au danger, elle ne se laissait pourtant pas déstabiliser. Elle avait cherché dans les moindres recoins les fragments du passé de son pokémon pour l’aider à aller de l’avant — car Maka’ana avait besoin pour embrasser l’avenir de se replonger au cœur du passé, de s’en imprégner, de le faire revenir à elle.

La Lucario était apaisée.
C’était là ; désormais, c’était en elle, juste là, où vibraient les souvenirs et les échos lointains, où vivaient ses premiers instants. Elle s’était retrouvée.

Et au cœur des prismes qui reflétaient des lumières dont personne ne savait comment elles avaient pénétré jusqu’ici, au cœur des ombres qui dansaient et des cristaux qui chantaient, Un petit être était assis en tailleur. Maka’ana elle-même ne l’avait pas encore repéré — trop concentrée sur l’énergie des lieux, trop concentrée sur les lueurs chatoyantes et sur tout ce qu’elle ressentait, tout ce qui affluait et qui la traversait. Mais une fois habituée à cette énergie étrange, une fois dompté ces sensations dans ses veines, elle put se concentrer de nouveau sur ce qui l’entourait.
Sur les présences qu’elle pouvait ressentir, tout autour, cachées dans les anfractuosités de la grotte, dans les moindres interstices — tous ces pokémons qui vivaient ici dans l’ombre.

Elle sentit la présence du Charbambin juste avant de l’apercevoir, sa flamme violacée qui se reflétait sur les faces des cristaux aux arêtes tranchantes. Il avait les yeux fermés et semblait méditer ; ou peut-être seulement réfléchir. Lui ne les avait pas encore repérés.

Pierrette était émue d’être parvenue jusqu’ici. La caverne faisait partie de ces lieux qu’elle voulait voir une fois dans sa vie, mais à son époque, Adamantia était si fermée sur elle-même qu’il était difficile d’aller y faire du tourisme ou même d’explorer un peu l’île de glace. Avec Hoa’nui, elle avait écumé bien d’autres endroits ; Calléis, Haptos et Kopadia, n’osant jamais s’aventurer dans le Labyrinthe d’Anthos ni au cœur des montagnes adamantoises.
Hoa’nui allait plus loin encore, le weekend, lorsqu’il ne travaillait pas à la ferme. Il consacrait tellement d’énergie à ses perles et ses Kokiyas qu’elle se demandait souvent où il en trouvait encore pour jouer à l’explorateur. Mais Hoa’nui était, comme elle, inarrêtable. Il y avait un puits d’énergie intarissable au fond de lui, jusqu’à l’aube de sa mort.

Mais jamais aucun Ehu-kai n’avait pu admirer de ses yeux les cristaux de Shiningham. La vieille femme sentait elle aussi toute l’énergie qui déferlait en ces lieux ; comme si la lumière elle-même était physique, électrique. Maka’ana attira son attention sur le Charbambin et elle se mit à l’observer. Il ne bougeait pas, dos tourné. Maka’ana avait reconnu son aura ; même s’il semblait changé, grandi, différent, il restait le même au fond de lui. Ils s’étaient déjà vus, croisés par hasard non loin du téléporteur dans la crevasse ; et ils se retrouvaient à présent ici, dans la grotte aux mille cristaux.

Le Charbambin avait quelque chose d’inquiétant. Dans ce qu’il dégageait — même la grand-mère pouvait le sentir. Pierrette préférait ne pas s’approcher, mais une force poussait Maka’ana à aller vers lui, à franchir ces mètres qui les séparaient.

Un gravier qui se mit à rouler quelque part derrière, présence invisible qui ne se trahit que par cette minuscule pierre dont les échos s'amplifièrent et se répercutèrent sur chacune des parois de la grotte. Le Charbambin se leva, doucement, puis se retourna. Dans ses yeux se lisait une animosité masquée par la surprise — il ne s'attendait pas à des visiteurs ici. Les poings serrés, il jaugea la Lucario et la vieille femme durant plusieurs secondes. Puis il se souvint ; il se souvint des entraînements dans la crevasse en pleine nuit, de cette étrange femme qui paraissait toute petite et très vieille et qui pourtant bravait les tempêtes, les pokémons, Lentis comme si elle avait fait cela toute sa vie (peut-être avait-elle fait cela toute sa vie).
Il se souvint de la Lucario qui méditait parfois assise sur une pierre en hauteur, dans un interstice où il fallait une agilité hors du commun pour l’atteindre.

Il se souvenait d’elles — où étaient les autres pokémons ? Il y avait un cactus, la dernière fois, un pokémon à la fois faible et fort contre lui, un challenge pour ce Charbambin qu’il voulait relever ; oui, il devait se battre contre le cactus, la prochaine fois.
Peut-être était-il dans une de ces pokéballs ; objet terrifiant dans lequel les pokémons pouvaient disparaître, être enfermés dedans par un humain. Mais la grand-mère n’avait pas l’air d’utiliser ces objets.

« Ne t’en fais pas, nous nous en allons. Maka’ana avait besoin de venir jusqu’ici. »

La Lucario hocha lentement la tête — l’air toujours aussi calme. Le Charbambin aussi était calme. Il ne ressentait qu’une rancœur diffuse qui alimentait ses flammes ; aucune explosion de haine. Il était venu ici pour une raison précise ; et il était certain d’être prêt, à présent. Il y avait des cristaux spéciaux dans cette caverne, des cristaux qui permettaient de faire évoluer certains pokémons — comme lui. Il devait choisir son destin ; choisir de grandir ou non, et de quelle façon. Il savait. Ça s’imposait à ses yeux de façon limpide. Pierrette le suivit du regard, alors que le petit pokémon hésitait un peu — comment être sûr d’être prêt ?

Pierrette voulait rester un peu, pour observer le Charbambin. Il était différent des pokémons qui attaquaient et qui chassaient les humains de leurs terres. Différent parce qu’il y avait en lui bien plus de haine que chez beaucoup d’autres pokémons — et pourtant il n’attaquait pas. Peut-être n’était-ce pas le bon moment encore. La patience était une vertu qu’il s’efforçait d’apprendre jour après jour. Il avait attendu tout ce temps pour accéder à son destin, et aujourd’hui il était sur le point d’y parvenir.
Ensuite, la bataille pouvait avoir lieu. Mais avec le cactus — c’était Wassef qu’il voulait, personne d’autre. Une autre fois, peut-être qu’il se mesurerait à cette Lucario. La grand-mère ne l’intéressait pas.

(C’était un mensonge). La grand-mère, frêle créature humaine, qui de surcroît était parvenue jusqu’ici où peu d’humains parvenaient — comment était-ce possible ? Elle devait être bien plus forte qu’il ne le pensait. Bien moins frêle. Quel était son secret ? La grand-mère l’intéressait, mais il ne voulait pas se battre contre elle pour l’instant. Son prochain adversaire serait le cactus.

Il toucha le cristal et dans une explosion de lumière, sa forme s’allongea ; devint plus menaçante. Il avait choisi la voie de la rancœur. Celle de la haine qui nourrissait la haine — cycle sans fin qui brûlait au fond de lui.
Puis il se mit à suivre la grand-mère et la Lucario, attendant que le cactus ne revienne pour le confronter.

Alors que le petit pokémon Feu s’embrasait, s’illuminait dans la caverne aux mille reflets, un autre avait été attiré par le bruit. Celui-là voulait se battre ; maintenant. Tout de suite. Ce n’était pas un défi — pas un règlement de compte. Ce n’était pas une requête. Ils allaient se battre. Il était rapide, plus que ce que Maka’ana ne s’y serait attendue ; et pourtant elle avait les réflexes de ceux qui s’entraînaient chaque jour à recevoir les coups et à les rendre. À la dernière seconde, elle parvint à parer le coup, bloquant de son bras pour éviter des dommages thoraciques. Elle aperçut alors le visage de son adversaire. Un pokémon entraîné, peut-être même plus qu’elle ; un Karaclée qui la toisait, impassible.
Il n’avait pas pu achever la Lucario d’un seul coup. Pire ; elle avait paré et elle se tenait debout face à lui, comme si de rien n’était. N’avait-elle pas été blessée par son assaut ?

Pierrette s’était écartée pour leur laisser le champ libre ; elle n’avait aucune envie de se trouver au milieu d’un tel affrontement. Au contraire, elle préférait observer, jauger le nouvel arrivant, analyser ce combat. Pierrette voulait avant tout savoir si sa Lucario était capable de se défendre contre les adversaires qui se trouvaient dans cette grotte mystique réputée pour accueillir des pokémons parmi les plus forts de Lentis.
Elle était encore jeune et sa puissance n’était pas à son apogée, pourtant elle était déjà forte. Mais Pierrette voulait lui rappeler que même si elle pouvait se débarrasser de n’importe quel adversaire proche de la ville, il y avait des lieux et des adversaires qu’elle ne pouvait pas encore vaincre. Ou qui étaient son égal.

Le pokémon de feu avait disparu de la vue de la grand-mère, du moins pour l’instant ; elle était certaine que d’une façon ou d’une autre, il assistait à ce combat, lui aussi. Maka’ana se baissa de justesse pour esquiver un nouveau tranchant de la main, riposta. Elle était manifestement en difficulté ; elle ne s’était jamais trouvée dans une telle situation et était au dépourvu. Incapable de toucher sa cible avec ses poings, incapable de prendre assez de distance pour se laisser la fraction de seconde nécessaire au chargement d’une boule d’énergie. La grotte, exigüe, ne lui permettait pas non plus l’espace suffisant pour esquiver correctement.
Elle devait pourtant réussir à s’en sortir.
Si Pierrette avait enfin accepté de l’amener jusqu’ici, c’est que sa dresseuse la pensait capable de se défendre ici.
Oui.
Pierrette pensait que Maka’ana était capable de se défendre dans cette caverne.

Cette pensée revigora la Lucario qui se reprit. Elle fit reculer le Karaclée de quelques pas, suffisamment pour avoir le temps de charger sa boule d’énergie entre ses pattes. Pas aussi grosse que ce qu’elle avait la capacité de produire, mais elle ne pouvait pas faire mieux pour l’instant, pas en si peu de temps.

Maka’ana parvint à repousser le Karaclée et même à le mettre au tapis, l’espace d’un instant — il se releva aussitôt d’un seul bond. Les deux adversaires étaient essoufflés, l’effort intense qu’ils venaient de fournir se lisaient dans leur regard. Ils avaient la même braise incandescente qui brillait dans leurs prunelles. Le même désir de se battre, mais plus encore, de se surpasser jour après jour ; de dépasser chacune de leur limite et de s’améliorer, encore et encore. Le Karaclée s’inclina vers l’avant, signifiant la fin du combat. Il avait attaqué par surprise, mais n’était pas fourbe ; et il savait reconnaître lorsqu’un combat ne mènerait nulle part.
Son tranchant du droit était remarquable ; Maka’ana ne pouvait le nier. Elle non plus ne voulait pas poursuivre le combat. Elle imita le pokémon bleu pour le saluer.

« C’était un beau combat, félicitations ! Si un jour tu as envie de t’entraîner avec mes protégés, n’hésite pas à venir dans la crevasse. Ils seront ravis de se mesurer à toi ! »

Personne ne savait exactement ce que les pokémons comprenaient des humains — Pierrette les soupçonnait de comprendre bien plus qu’ils ne le laissaient penser, mais elle ne pouvait en être certaine. Quoi qu’il en soit, le pokémon s’inclina de nouveau vers Pierrette et il fila derrière un gros rocher. La vieille femme espérait qu’il allait considérer cette requête et qu’un jour, Wassef et Heira’ni pourraient se battre contre lui.
Intérieurement, Pierrette lui avait même donné un surnom : Daniel. Ce Karaclée s’appellerait Daniel lorsqu’elle l’évoquerait. Pierrette avait besoin de pouvoir nommer les personnes auxquelles elle s’attachait, et en l’espace d’un combat, elle s’était attachée à lui.

Tout comme au Charbambin — non, au Malvalame — qui se cachait toujours. Elle jeta un coup d’œil en arrière dans la caverne pour essayer de l’apercevoir, et il lui sembla discerner les flammes violettes sur la paroi de pierre. Il les suivait toujours.

Parvenues près du campement, Pierrette et Maka’ana se posèrent sous la large toile ; Wassef et Heira’ni étaient là et les attendaient avec impatience. Au matin, ils rentreraient par le téléporteur, mais la grand-mère avait prévu de passer la nuit ici avec ses pokémons, sous la tente doublée de laine chaude de Moumouton qui conservait la chaleur, enroulée dans un sac de couchage adapté à Adamantia.

Dans l’ombre, le Malvalame observait le recoin où Pierrette et son équipe avaient trouvé refuge.

« Allons, ne reste pas là, viens un peu te présenter ! N’aie pas peur, tu ne crains rien avec nous. »

Mais le Malvalame hésitait toujours ; finalement, il s’approcha de quelques pas, restant toujours à une bonne distance des Ehu-kai. Le Cacturne contre lequel il voulait se battre était là, à portée et pourtant, il devait encore attendre. Demain, il rentrera avec Pierrette jusqu’à Ike-kai ; il les suivra jusqu’à ce que cette opportunité tant attendue ne lui tende les bras.