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Il n'avait pas bougé de son canapé beaucoup dans les derniers jours, si ce n'est que pour manger, aller aux toilettes, et aller au travail. Le reste du temps, il le passait sur son divan aux teintes de marron, positionné à l'endroit parfait pour qu'il puisse regarder la télévision en face de lui. C'était plus que de la simple paresse, c'était la motivation de se lever qui manquait. Pourquoi se lever, lorsqu'il pouvait fixer la porte comme s'il attendait qu'elle s'ouvre, laissant apparaître le visage enjoué de Lena ?
Il ne montait à l'étage maintenant que pour s'habiller, refusant systématiquement de dormir dans sa chambre qui lui rappelait trop cette soirée.

Il n'avait su quoi dire. Et il avait l'impression qu'elle le fuyait, lui aussi. Habituellement, les deux rangers passaient beaucoup de leur temps libre ensemble, chez l'un ou chez l'autre. Maintenant, il avait à peine des nouvelles d'elle, et bien sûr, les collègues se posaient des questions. Il faisait de son mieux pour les éviter, d'où pourquoi il évitait de sortir lorsqu'il n'était pas nécessaire. De toute façon, il pouvait juste passer la porte patio et fumer une bonne cigarette qui le détendrait plus ou moins. Qu'avait-il besoin de plus ?

Elle. Il avait besoin d'elle, mais elle avait été claire qu'elle ne l'aimait pas ainsi, alors pourquoi chercher plus loin ?

Et ses messages qui se voulaient rassurants, mais qui avaient pour effet d'inquiéter encore plus le ranger qui s'attendait au pire. Il faut dire, les derniers moments qu'ils avaient passés ensemble n'avaient pas été des plus plaisants, et ils ne s'étaient pas vraiment vus depuis comme Lena était en arrêt maladie. Ceci dit, il n'a jamais arrêté de penser à elle et à ce qui s'était passé, et le tout rejouait un boucle dans sa tête comme un film en repeat.

"Oui bien sûr. Tu peux passer à mon retour du travail."

Aucun besoin de préciser l'heure, parce que Lena savait à quel heure il finissait - à moins que le ranger décidait de prendre des tâches en plus, ce qui arrivait souvent à bien y penser. C'était dur pour lui d'agir normalement, d'où venait tout l'intérêt des textos. Les messages écrits ne laissaient pas transparaître la tristesse qui l'habitait, même si Lena le savait sûrement. Il ne souhaitait pas la faire sentir coupable, ni même la forcer à quoi que ce soit. Mais si ce qu'elle désirait était seulement du plaisir charnel… il ne pourrait pas lui offrir cela.

Les derniers moments au travail parurent beaucoup plus longs qu'il ne l'aurait voulu, mais il était finalement de retour à la maison. Il débarra sans attendre la serrure et passa la porte, s'engouffrant à la suite. Comme à son habitude, il contourna le comptoir en L à l'entrée pour atteindre le réfrigérateur et sa boisson préférée : une bonne bière bien froide. Quelques minutes après, il voyait Lena au travers de la fenêtre. Mais elle ne sonnait pas. Avait-elle peur ? Il alla ouvrir la porte en la saluant silencieusement, l'invitant à déposer sa veste sur le porte manteau à sa droite et ses souliers sur le tapis. Et puis, il attrapa aussitôt le paquet de cigarette à moitié ouvert sur le comptoir et en tendit une à son amie après en avoir pris une pour lui-même.

"Tu veux à boire ? Y'a de la bière."

Ils pourraient s'asseoir sur la petite table ronde en bois, celle qu'il avait placée en coin parce qu'il était rare qu'il y ait plus de deux personnes mangeant en même temps de toute façon. Et ces derniers temps, il n'avait que très rarement enlevé le napperon pour y déposer des assiettes. Il tira une des chaises et pris place, fixant un des cadres sur le mur - parce que c'était toujours mieux ça que de croiser son regard. C'était étrange, le silence qui résonnait (lui qui aimait tant le silence). Mais il aurait aimé, en ce moment, oublier l'existence de l'horloge en haut de son four, le tic-tac l'énervant au plus haut point (pourquoi, maintenant, sa simple présence était de trop dans le décor ?) Il attendait juste qu'elle parle, mais les mots ne semblaient pas venir. Était-ce si grave qu'elle ne pouvait même pas ouvrir la bouche ?

Il lui laisserait le temps. Enfin, ce n'est pas comme s'il avait grand chose à faire d'autre de toute façon. Il pouvait au moins l'écouter. Elle semblait stressée, et dans un sens, ça le stressait aussi. Mais il voulait paraître fort, stable, il ne voulait pas montrer à quel point ça l'avait atteint. Il le sait, elle sait. Peut-il vraiment prétendre le contraire, après des années passées en sa compagnie ?  

Le ranger essayait fort de ne pas s'inquiéter, de rester calme, mais le refus de Lena face à la bière et à la cigarette n'aidait certainement pas. Elle ne refusait jamais une bière, alors pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi maintenant ? Mais ça aurait pu être que ça. Peut-être qu'elle n'en avait certainement pas envie, qui sait. Mais, pourquoi lui ne pouvait pas allumer la sienne, c'était là que les véritables soupçons commençaient.

Alors lorsque Lena commençait en s'excusant, le ranger se disait qu'il s'était peut-être inquiété pour rien. C'est ce qu'il voulait croire, du moins. Si seulement c'était aussi simple, il serait au courant depuis le temps. Rien n'est jamais si simple. Il attendait patiemment qu'elle finisse de parler, déjà préparé à lui assurer qu'il n'y avait rien de grave et qu'ils pouvaient être amis de nouveau. Et si elle ne voulait pas…

Oh

Le reste de sa phrase qui vient le heurter de plein fouet encore plus fort que l'attaque du Miasmax lors de leur nettoyage des égouts (il en gardait encore quelques souvenirs). Enceinte. Il n'arrivait pas à y croire, et pourtant ça semblait si évident. "Oh.." Alors, pourquoi était-ce si dur de savoir quoi dire, quoi faire ? Ce n'était pas son intention de faire peur à Lena, et secrètement au fond de lui il était content de savoir qu'il allait être père, mais la nouvelle lâchée comme une bombe l'avait plutôt pris de court - après, il ne fallait pas espérer de Lena d'avoir un certain tact.

Alors il restait là, assis, sans rien dire et la bouche grande ouverte. Il aurait voulu se montrer comme étant un support pour elle mais il n'en était rien. Et bien sûr, il avait ses inquiétudes, mais… il allait être père. La nouvelle résonnait dans sa tête encore et encore. Trop de questions qu'il voulait poser et si peu de réponses.

Comment allaient-ils faire ? Quel nom allait-il avoir ? Était-ce une fille ou un garçon ? Était-elle heureuse de la nouvelle ? Et comment annoncer la nouvelle à Lyla ?

Mais l'impression de trahir Lilith restait dans un coin de son esprit, une pensée qu'il tentait d'oublier. Il le fallait.  

Il n'y avait pas grand chose qui arrivait à ébranler le ranger. C'était un homme dur, fort, autant physiquement que mentalement. Il avait appris à gérer ses faiblesses et les mitiger, les cacher de sorte à ce qu'on ne les voit plus du tout ; parce qu'une fois qu'une faiblesse était exposée, c'était là que le véritable danger approchait, désireux de faire une nouvelle victime quand le mur s'était abattu sur lui-même. Couvrir ce mur avec toujours plus de couches, rajouter encore plus de distance entre les autres et lui-même au fil des années. Bientôt, en faire une barricade impénétrable de tous. Mais il y avait elle. Il y avait celle qui avait réussi à voir au travers, à passer malgré ces briques qui avaient été abîmées par le temps et l'usure.

Et elle se tenait devant lui, maintenant, lui annonçant qu'il allait être père.

Se secouant la tête légèrement, il la regardait en prenant une gorgée d'eau pour s'hydrater un peu et se raclait la gorge avant d'ouvrir la bouche. “Bien sûr. Bien sûr que je t'aiderai. Je serai là pour toi. Peu importe ta décision. Je serais là autant que tu en as besoin.” Ce n'était pas un fait, quelque chose dit seulement pour rassurer. Quelque chose de dit à la légère. C'était une promesse, une vraie, pas de celles envoyées en l'air et oubliées dès que possible. Pas de celles qu'on disait seulement pour s'échapper d'une situation difficile. C'était une promesse qu'il comptait bel et bien tenir.

Son monde allait beaucoup changer. Celui de Lena et de Lyla également. Mais il faudrait s'y faire, il n'y avait pas le choix. Au moins, leur situation financière n'était pas un problème, la question ne se posait même pas ils auraient amplement les moyens d'élever un enfant. C'était surtout par rapport à tout le reste, expliquer à Lyla ce que cela signifiait, planifier l'appartement en conséquence, et surtout - ils n'étaient pas en couple. Ils n'étaient pas ensemble. Lena ne l'aimait pas (ou du moins, elle n'était pas prête à s'engager), et il faudrait que Raphaël accepte le rôle qui lui est accordé sans vivre avec la femme dont il est amoureux. Ça risquait d'être très difficile, pour lui, qui a besoin de se poser.

“Écoute, Lena. Je sais que la situation est compliquée et… soyons honnête, l'alcool n'a pas aidé. Mais je ne regrette rien à ce qui s'est passé, et je serais plus qu'heureux d'élever cet enfant avec toi, si tu m'en donnes l'occasion. Cependant, je comprends que tu ne m'aimes pas comme je t'aime, et ce n'est pas quelque chose que tu devrais te sentir forcée non plus. Nous trouverons un compromis. J'irai vous visiter à chaque jour, je peux même m'occuper de l'enfant la nuit si tu as besoin de dormir, ou juste si tu as besoin de temps pour toi. Crois-moi… on va trouver.”

Doucement, prendre la main de Lena dans la sienne et la regarder dans les yeux. Il voulait s'assurer qu'elle sache, qu'elle comprenne qu'elle n'était pas seule. Par-dessus tout.

“Bien sûr.”

Bien sûr, il n’allait pas agir à l’encontre des désirs de Lena. Si elle le désirait, si elle souhaitait que le bébé passe tout son temps à la demeure des Weiss, alors ils feraient tout leur possible pour que le bébé puisse développer un lien avec Lyla, même si ça s’avérait être compliqué. (Il savait que ça pourrait prendre du temps, mais il ne doutait pas qu’ils se rapprocheraient, tous les deux). Il ne restait qu’à discuter avec elle, aborder le sujet ; il n’avait jamais eu à parler de telles choses à un enfant, mais il avait assisté à la conversation entre ses parents et Marie à l’arrivée de Gaël. Autant dire qu’ils n’étaient pas tellement des exemples à suivre.

Et il comprenait son stress. Il comprenait pourquoi elle redoutait, pourquoi elle hésitait à faire un pas de plus. ((Il était dangereux de se promener seul dans la forêt, c’était un risque d’y rencontrer le grand loup noir qui attendait, tapis dans l’ombre. Il est sournois, il est rapide. Il agit le soir, lorsque tous dorment. Un pas de trop dans cette forêt de brume, et il saute aussitôt à la gorge, coupant la respiration de sa grosse patte. Réussir à le semer pour quelques minutes, quelques heures, et il revient en trombe et avec plus de puissance. Il est traître. Même quand on pense l’avoir fuit, même quand on pense avoir échappé belle, il revient toujours en force pour faire d’un être naïf sa nouvelle victime. C’est la nuit, ce moment où le silence règne, qui lui donne sa force. Le seul moyen de le vaincre, c’est de ne pas lui tourner le dos, de lui faire face directement.))

“Ne t’inquiètes pas, tout ira bien…”

C’était si facile de le dire, mais la vérité c’est qu’il était beaucoup plus dur de le croire lorsqu’on se trouvait dans la situation. Beaucoup plus facile lorsqu’on se trouvait à l’extérieur, lorsqu’on était pas directement touché.
Garder une certaine distance, mais tout de même offrir son soutien, ce n’était pas son point fort. Mais l’homme faisait de son mieux. “Lyla s’en remettra, avec le temps.”
Mais il n’irait pas dire que le temps guérit toutes les blessures, car lui-même ne le croit pas. Sinon, pourquoi sentait-il toujours ce coup de poignard dans le cœur, à chaque fois qu’il pensait à Lilith ? La vérité, c’est qu’on ne pouvait “remplir” un manque par autre chose. Il était simplement “là”, un trou qui pouvait rapetisser mais jamais réellement disparaître.

Lyla avait également subi une perte qu’elle ne pourrait combler. Celle de son père. Et il n’attendait pas d’elle le voir comme son père, comme un remplaçant (de toute façon, le rôle de parrain lui suffisait amplement). Cependant, cela allait de soi qu’il allait également aider à l’éducation de la petite, si Lena et lui allaient être parents et qu’il allait passer la grande majorité de son temps libre à la maison.

Il comprenait la réaction de Lena. À défaut de pouvoir réellement comprendre la position dans laquelle elle se trouvait, parce qu’il ne vivait pas et ne vivrait jamais sa situation. Mais il pouvait par contre comprendre que c’était bouleversant, parce que c’était bouleversé qu’il était également, face à cette nouvelle. C’était une nouvelle qu’il n’avait pas vu venir, qui allait beaucoup changer. Leurs habitudes, leurs priorités, leurs perceptions et leurs façons de voir les choses, la vie. Mais il se renseignera. Il fera des recherches, poserait des questions, passera des nuits entières éveillé s’il le fallait, pour être bien préparé. Par-dessus tout, il voulait s’assurer que Lena sache qu’il était là à 100%, dans cette aventure avec elle, aucun regret. Peu importe sa décision.

Il l’accompagnerait. Partout où elle voudrait, quand elle en avait besoin, aussi loin qu’il le fallait. Mais pour commencer, il devait savoir ce qu’elle voulait. Il devait savoir où elle se trouvait. Il devait savoir ce qui la rendait plus confortable, sans alterner sa décision finale.

Il la regarda, la fixa dans les yeux, s'assurant qu’elle avait bel et bien terminé de parler avant de prendre la parole à son tour. “Je dois savoir, tout d’abord… Sais-tu ce que tu veux faire ?”

Parce qu’il ne pouvait donner de solution à cette situation, si elle ne savait pas elle-même ce qu’elle voulait faire. Lui savait. Il voulait cet enfant, parce qu’il aimait Lena plus que tout et que maintenant, il ne se voyait pas vivre sans elle. Il le voulait, mais jamais il ne forcerait quiconque à prendre une décision aussi importante qui ne le satisfaisait que lui. Comment pouvait-il ? Ce nouvel enfant allait impacter autant elle que lui.

“Tu sais, si tu ne te sens pas prête pour ça, il ne faut surtout pas que tu te sentes mal..”

Parce que se sentir mal, c’était retourner à la case départ - même si c’était toujours plus facile à dire qu’à faire. Parce qu’il ne servait à rien de faire un pas en avant, si on en faisait deux derrière par la suite. Elle devait être certaine, et il ne pouvait prendre cette décision pour elle.