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Des intonations de défaite, un regard en arrière, mais je tourne les talons malgré tout, par prudence, en quête de plus de sécurité que d’aventure. S’il m’arrive quelque chose, je ne veux pas que ce soit pour une erreur imbécile. Ca ne changera rien pour eux, parce qu’ils ne sauront jamais ce qui est arrivé ; mais moi, avant de m’éteindre, je saurai - je saurais que j’ai fait de mon mieux pour ne pas leur infliger ce que je laisserai malgré tout s’abattre sur eux avec la froideur glaciale des dommage et les pluies diluviennes d’après.

Je saurai - que je n’ai pas choisi, que je n’ai pas voulu, que j’ai tout fait pour m’en tirer et tenir mes promesses bafouées. Je saurai, même s’ils ne sauront jamais ; que j’ai tout tenté pour faire mentir leurs prédictions.
Je fais demi-tour parce que je n’ai pas le choix - parce qu’avancer c’est trop risqué, parce que c’est inconscient, parce qu’il faudrait être stupide ou avoir perdu la raison pour continuer ; je renonce parce que c’est mieux comme ça, une partie remise pour un peu plus tard et-

Et un regard en biais, sur les Pokémon qui m’accompagnent - on a besoin de repos de toute façon.

Le retour au couvert de la cavité investie par les Matoufeu et les Flamiaou par dizaines a quelque chose de réconfortant. L’endroit, réchauffé par leurs présences et les flammes qu’ils s’amusent à allumer lorsqu’ils se battent pour de faux, appelle à la pause, à l’accalmie, au camp levé et à quelques heures de paix.
Une hésitation, légère, et puis, mon sac posé mes épaules dénouées, j’enclenche les mécanismes de mes Pokéballs à la volée. Il n’y en a qu’une, irrémédiablement scellée, que mes mains n’effleurent même pas (et ça serre quelque chose d’y penser, ça fait mal d’y songer trop longtemps ; de réaliser que ce que je craignais s’impose doucement, que je commence à avoir peur d’elle au fil du temps).

Lychnis paraît ravie - elle n’hésite pas, cette fois, à se mêler à ses semblables qui l’accueillent comme si elle avait toujours été parmi eux, comme si sa place était déjà établie ; et je souris de la voir évoluer parmi eux sans l’ombre de douter. Mettle s’accroche à mes cheveux, pour changer et, quand Caligo s’approche, je glisse mes doigts sous les lanières de son harnais pour m’atteler à le défaire et le soulager du poids des sacs qui pèsent sur son dos et ses flancs.
Délesté des charges, que j’ai déposées contre le mur, le Haydaim s’ébroue et finit par s’allonger à même le sol, bientôt rejoint par Mettle qui s’empresse de se blottir contre lui.

J’observe la scène, le désordre alentours et la paix, arrachée aux bruits du blizzard que j’entends enfler, dehors, siffler dans les tréfonds de la crevasse. J’inspire - et je m’avance au chevet d’Oneira, qui a repris ses esprits et s’est à son tour blottie contre Caligo, l’air épuisé.

J’ai monté le camp - un abri dans l’abri, quelque chose de plus sommaire puisque l’endroit nous couvre déjà des intempéries. Pas de crainte des pluies, des grêles ou des chutes de neige - le blizzard résonne, dehors, mais il n’y a rien de plus qu’un courant d’air glacé et quelques flocons échappés qui nous parviennent. J’ai trouvé un angle de cavité moins exposé, mieux isolé, et j’y ai entassé couverture de survie, tapis et matelas. J’ai rallumé le gaz, réchauffé mes mains par-dessus l’eau qui montait à ébullition, et j’y ai fait cuire une dose de riz - j’ai mangé et puis j’ai fini par m’allonger et par sombrer, je crois, parce que j’ai perdu le fil des heures qui ont passé et puis de pensées, je crois que j’ai rêvé, aussi.

C’était un peu flou, ça ressemblait à New Pyra ravagée mais c’était Harmon’île mais c’était le large d’Anthos, c’était un peu confus, j’avais pas vraiment peur - j’étais surtout perdu, seul, il pleuvait, et c’est un immense Bulbizarre de Lentis, Obscur et imposture de Luminescent qui est sorti d’un cylindre aux bruits visqueux. Redolent sans vraiment l’être, j’aurais dû être en danger mais je n’ai pas tremblé - il s’est mis à neiger et je me suis réveillé à cause d’un grondement sourd, quelque part au loin, gelé jusqu’aux os et un peu déboussolé.

Le grondement ne s’est pas arrêté.
Lorsque je me redresse, encore à demi-ensommeillé, à la recherche de l’origine du son qui m’a tiré de mes songes, je ne réalise pas tout de suite - parce que la silhouette est loin, qu’elle a surgi d’un renfoncement au fond de la cavité, et qu’elle nous observe de là-bas, presque dissimulée dans les ombres.
Ça a un pelage gris, des poils blancs sur le museau, des yeux fatigués et les babines retroussées, la posture campée, l’air déterminé. Ses pas sont lents, alourdis par la menace de ses mâchoires qui claquent dans le vide - le bruit se répercute à l’infini contre les parois.

Un aboiement.
Sonore, mauvais, enragé ; je me redresse avec prudence, de crainte qu’un mouvement trop brusque ne précipite son offensive.
Autour de nous, aucun des félins ne paraît surpris ni inquiet de sa présence, comme s’il était ici chez lui - et c’est probablement vrai -, comme s’ils y étaient habitués, comme si sa présence et la leur, ici, étaient familières à coexister. Un protecteur, peut-être - si c’est son territoire et que la meute de Flamiaou et de Matoufeu vit sous sa coupe-

« On le blesse pas. »

CLAIR-OBSCUR – Et si tu n’as pas le choix ?

Un frisson.

VOLONTÉ – On a *toujours* le choix.
EMPATHIE – Tu trouveras autre chose, tu sais en quoi tu crois et le mal que tu ne leur veux pas.

Et si je ne trouve pas ?

Et s’il vient, ce jour où je n’y arrive pas, et où, comme Oneira, mes Pokémon tombent, un à un, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucun ? Et s’il vient, ce jour où j’échoue, et où il ne reste plus que moi, et que ce jour-là c’est finalement ma faute ; et s’il vient, ce jour où ce sont mes erreurs qui les tueront ? Mes mauvaises décisions - mon acharnement à vouloir protéger ce monde de moi, plutôt qu’eux de ce monde ; et s’il vient, le jour du jugement, où il me faudra payer pour toutes ces fois où j’ai tremblé plutôt que de me dresser face à l’adversité ?

Et s’il vient, ce jour où le choix, je ne l’ai plus ?

DOULEUR TRANSCENDÉE – Tu continueras quand même, quitte à ramper.
VOLONTÉ – Quand t’es en vie, tu ne sauras jamais t’arrêter.
COUR INTÉRIEURE – Tu porteras en étendard le poids de tes erreurs commises au nom d’une vertu bafouée depuis longtemps.

Je déglutis - ma gorge est sèche, nouée, mes poings serrés et mon poignet lance, un peu, abîmé par le froid et mes étreintes serrées. Unseelie se tient là, droite et solide, entre le canidé et ma présence indésirée, que j’impose à ces endroits depuis longtemps soustraits à l’humanité.
(Les anciens peuples eux-mêmes, dont les ruines parsèment les terres Lentoises, ont-ils jamais troublé la quiétude de ces créatures que d’autres époques vénéraient ?)

C’est Lychnis, qui s’avance - qui se dresse en barricade minuscule entre le vieux chien grondant et moi, la fourrure gonflée, les griffes sorties et un feulement sonore entre les crocs. L’autre se tait, perplexe et curieux - comme s’il ne s’attendait pas à trouver, au milieu des autres, une représentante de l’espèce inconnue du clan.
Il s’approche, la gueule ouverte pour humer l’air et ses hostilités réduites à l’état de méfiances prudentes, et Lychnis reste là, la queue battant furieusement l’air mais comme déterminée à ne pas reculer - il tend le cou pour renifler sa présence, lève les yeux vers moi et puis les posent sur les autres Flamiaou qui nous entourent.

Quelques uns, comme rassérénés par la situation en apaisement, bondissent dans la direction du- Qu’est-ce que c’est, déjà ? J’ai oublié leur nom ; mais il se laisse envahir par les chatons qui lui grimpent dessus et se roulent entre ses pattes, miaulant et ronronnant en une cacophonie désordonnée qui finit par m’arracher un sourire.

Lentement, je recule d’un pas, et puis de deux, jusqu’à finir par me rasseoir sur le matelas, sous l’oeil peu amène du gardien de ces lieux, mais qui n’esquisse pas le moindre geste dans ma direction. « Unseelie, » je rappelle à voix basse, et la Mimiqui s’agite, hésite et puis fait demi-tour pour me rejoindre. Sa petite silhouette se blottit contre mon flanc et, après une seconde d’hésitation confuse, je pose ma main sur le tissu de son déguisement, tout doucement - un peu inquiet, peut-être, parce qu’elle n’a jamais été tactile, ne s’est jamais véritablement offerte à ce genre d’affection si franche.

« Eh ben…? » je souffle, murmure à peine audible, en effleurant du bout des doigts l’une de ses griffes d’ombre posées sur ma cuisse.

Le blizzard est tombé dans la nuit. Le souffle s’est tu ; les degrés sont quelques peu remontés (comme s’ils pouvaient, dans le négatif, faire la moindre des différences), et le ciel s’est dégagé. La couche de neige, sous nos pas, s’est épaissie, étouffant le bruit des sabots de Caligo sur la roche, assurant un tant soit peu discrétion et tranquillité dans la plupart des allées de la crevasse. Les murs de roches, par endroit, ont cédé leur place à des surfaces de glace, où reflets se répètent à l’infini, difformes et inquiétants sur les parois inégales.

Je crois qu’on approche.
On approche de la sortie de la crevasse, de l’entrée de la caverne Shiningham et de ses secrets. De ses pierres qu’on dit précieuses - de ses lumières étranges qu’on prétend pouvoir faire perdre la raison à ceux qui s’y aventurent trop longtemps. Il est encore temps de faire demi-tour, encore temps de ne pas m’y risquer ; mais quel ami serais-je si, si près du but, je me défilais sans même essayer ?
(Un ami qui essaie de rester en vie, sans doute), et j’esquisse l’ombre d’un sourire lorsque l’idée me traverse l’esprit - mais un peu vide, et un peu douloureux.

J’ai sorti Redolent, hier soir - et ses belles couleurs roses ont presque toutes fanées, fondues dans la nuit de son pelage obscurisé. Nous n’avons eu qu’une poignée de minutes de répit, avant qu’elle ne darde sur moi des prunelles qui portaient l’intention de me tuer. Je l’ai bouclée dans sa balle avant qu’elle n’esquisse le moindre geste dans ma direction - le coeur serré et la gorge nouée.
(Je n’ai rien su empêcher.)

La lumière des aurores tombe sur la crevasse ; peint ses glaces de mille reflets de feu, orangés, jaunes et brûlants. Dans les hauteurs, j’aperçois l’empreinte du soleil sur la neige, froid, et sur les quelques nuages épars qui finiront probablement par s’épaissir au fil de la journée. Tout est calme, paisible et silencieux - quelques gouttes d’eau résonnent, de çà, de là, lorsque leur chute les précipite sur un coin de glace qui répand leur bruit dans l’endroit.

Tout est tranquille, immobile, sans un bruit - jusqu’au son de heurt, bientôt, quelque part en contrebas. J’intime à Caligo l’immobilité, et Mettle s’en vient se percher sur ses bois, curieuse mais docile. Le pied posé à terre, je m’avance avec prudence, pour jeter un oeil plus loin, après la pente douce qui s’ouvre, quelques mètres devant nous et-
Un Voltorbe, qui lève les yeux dans notre direction à l’instant où les miens se posent sur lui. Il roule, balance de gauche à droite, s’avance un peu, et je recule d’un pas, dissuadé d’approcher par son regard féroce. « Caligo- » Unseelie, perchée sur son dos, descend à son tour, aidée de ses bras d’ombre, et le regard porté quelque part dans les hauteurs, en direction des cavités ouvertes dans les parois - comme si elle craignait quelque chose que je ne vois pas.

« Unseelie ? »
L’onde mauve, qui s’abat des hauteurs, pleut sur Caligo à l’instant où les Météores s’envolent dans les airs, arc de cercle parfait en chute libre en direction de l’Haydaim. Comme il cille et vacille, j’abroge la distance pour refermer mes doigts sur le licol et le tirer à l’écart (trop tard), brûlure vive sur le dos de ma main, je trébuche dans la précipitation tandis qu’il recule et s’ébroue.

Les yeux levés, ma main tenue contre moi et quelque chose que je sens couler qui m’intime déjà la nausée alors même que je m’efforce de ne pas regarder, je cherche, dans les renfoncements des murs de glace, d’où vient l’Onde Folie surgie des hauteurs. « Caligo, recule- Unseelie, tu l’as vue ? »

En un instant la débâcle - désastre déconcertant qui dément la désinvolture déterminée qui définissait nos déplacements. Déliquescence d’une paix délabrée, je dévisage, décontenancé, les débris de nos déboires tandis que le déluge s’abat sur nous, le ciel déchiré et la météo délirante en désordre menaçant. Plus rien ne détonne dans le paysage, décor débarrassé de ses nuances et de ses délinéaments ; plus rien pour débrumer l’horizon - je ne démêle plus le déguisé du démontré. Désemparé, je recule ; débalancé, je trébuche. Débecté par mes propres déboires, désolé de mes défaites, je cille (je tremble).

« Caligo, » et je me rapproche, pour ne pas le perdre de vue - mes doigts glissés dans la fourrure de son encolure que ce qui coule de ma main imbibe du poisseux carmin. J’ai peur que quelque chose l’ait blessé aussi, que des plaies se soient ouvertes sous l’assaut, qu’il saigne et- J’entends un cri, plus loin - je reconnais celui d’Unseelie, furieuse ; c’est lugubre et menaçant, c’est une ultime sommation à laquelle répond une plainte de la même intonation (non), qui craquelle et morcelle quelque chose, en moi, que je n’explique pas.

C’est comme plein de douleur et de détresse, c’est comme un appel, c’est comme, c’est comme, je ne sais pas, une solitude trop lourde pour être portée, c’est comme un millénaire de vide à hurler, c’est- « Unseelie, attends ! » Entends-moi, j’t’en prie, par-dessus le vent qui siffle et au travers du voile gris qui s’est abattu comme une averse de flocons diluvienne, et j’observe Caligo et j’hésite et je presse le mécanisme de sa Pokéball, tant pis.
Je descends la surface de roche et de glace, à mes pieds, sur laquelle mes semelles glissent - je trébuche et je tombe, ouch, heurt amorti par mon sac et mes couches de vêtements, le coeur battant, de la confusion dans l’esprit et froid dans les os, (presque sommeil) et la peur qui s’emmêle à la paix d’un repos mérité, je-

Non.
(Continue.)

J’avance, et j’avance, et j’avance, je me repère aux bruits de lutte que j’entends, aux glapissements enragés d’Unseelie et à ceux de- Je ne sais même pas ce dont il s’agit, à peine que c’est probablement mort aussi, et puis que ça (souffre), d’une façon ou d’une autre. Est-ce que c’est blessé ? Est-ce que c’est triste, est-ce que c’est en colère, est-ce que-
Là, des mouvements, des ombres qui dansent, qui se frôlent et se heurtent à peine, des mouvements trop vifs pour les yeux et qui intiment menace et terreur - je m’agenouille presque, les dents serrées pour les empêcher de claquer, les yeux plissés pour tenter de discerner ce qui nous a attaqué. Je n’aperçois plus rien du Voltorbe, disparu, peut-être balayé par le vent, inquiété par le blizzard, je ne sais pas, mais ce qui reste, là, ce qui lutte, ce qui affronte Unseelie, c’est-

C’est une Momartik, je réalise - quelque chose d’un peu plomb dans l’estomac.

Je connais, je connais, je connais ces Pokémon - je ne les connais que dans les histoires qu’on raconte aux enfants pour les dissuader de faire ce que je fais ; les prévenir de ne pas s’égarer dans les montagnes, loin des villes, là où les hommes ne font plus loi et où ne règnent que les plus forts, les vainqueurs, les survivants. Je les connais - les rumeurs, les on-dit qui nourrissent les légendes de ces créatures qu’on dit être les âmes de femmes égarées dans la montagne ; tantôt esseulées, tantôt rongées de rancoeur. J’ignore si tout ce qu’on dit à leur propos est vrai - les Spectres ont ce quelque chose, en eux, qui attise la méfiance de mes pairs et fait naître sur leurs rêves tous les récits qui les maudissent et les exècrent.

Elles sont connues pour geler les choses qu’elles aiment - des objets égarés par les voyageurs et des morceaux de ruines - mais certains prétendent qu’elles gèlent aussi les Pokémon et les hommes sur lesquels elles jettent leur dévolu ; comme pour combler leur solitude de présences qui ne les quitteront jamais.
(Je crois que je sais ce que c’est, que de se sentir si seul qu’on ferait tout pour ne plus l’être.)

J’ouvre la bouche - la referme sans qu’aucun son ne m’ait échappé. J’ai peur d’attirer l’attention de la Momartik, j’ai peur de détourner celle d’Unseelie de la bataille qu’elle est occupée à mener, j’ai peur de faire plus de mal que de bien alors que je dis rien. Je ne dis rien mais mes mains tremblent, et j’ai froid, et mes pensées me donnent la sensation de tourner en rond, de s’enliser, de perdre le fil, de- « Putain, » et je presse la Pokéball du Germéclat, que j’ai aligné à la suite des autres sur ma cuisse.

Il jaillit dans le blizzard, confus, tourne et tourne sur lui-même sans avoir l’air de comprendre ce qu’il fait là. Lorsque ses yeux se posent sur moi, et que leur vide s’emplit d’une colère qui n’a d’égale que celle que j’éprouve aussitôt, je jette une poignée de poudreuse dans sa direction. « Va faire ton truc, au lieu d’me regarder comme ça, » je crache tandis qu’il me tourne autour, hostile et hésitant. Et puis, la tempête s’épaissit encore, et il reporte son attention sur la responsable - il file dans sa direction la seconde d’après, et je recule de quelques pas, pour m’assurer qu’on ne me repère pas.

La scène se soustrait à mes yeux.

Ça paraît durer une éternité, deux, trois ; une poignée de secondes ou quelques heures, je n’en sais rien, je perds le fil - je ne respire, enfin, que lorsque le blizzard perd de son emprise. Que lorsque la tempête s’épuise, que lorsque les étendues de neige retrouvent de leur accalmie, de leur silence étouffé, de leur vide immaculé - que lorsque les derniers flocons tombent comme une valse lente, poids plume soufflés par les bises qui nous viennent des hauteurs.
Plus rien - plus rien qu’Unseelie, plus rien que la fleur des abîmes ; pas un signe de la Momartik qui semble s’être simplement évanouie, effacée dans la nuit.

J’inspire.
« Xerneas, » un soupir, mes doigts gantés sur ma nuque et quelques mouvements lents pour tenter d’en dénouer les noeuds serrés qui y ont élu domicile. Je rappelle le Germéclat à sa Pokéball, à l’instant où il s’approche, et sans lui laisser le loisir de feindre à mon égard la moindre hostilité. Je recule, tandis qu’Unseelie me rejoint, et m’assois sur un rocher plat, qui perce la surface de la glace, pour reprendre souffle et contenance.

Lorsque je suis certain que nous sommes seuls, je libère de nouveau Caligo, qui s’ébroue prudemment, et pose sur moi un regard un peu plus clair que celui qu’il arborait lorsque je l’ai rappelé. Je flatte son flanc, doucement, puis il fait quelques pas en avant, et puis d’autres, et puis, plus assuré, esquisse tout un aller-retour jusqu’à moi. « Ça va mieux, mon beau ? » J’essaie d’ignorer le tissu humide, imbibé d’un poisseux que la noirceur du gant soustrait au moins à mes yeux, mais chaque mouvement provoque, sur la plaie, un frottement douloureux, sensation brûlure et comme les fibres qui s’accrochent et-

Nausée.
« Okay- Okay, Noah, respire, fais pas l’con, » je maugrée, pour moi-même, tâchant d’ignorer le goût et l’odeur ferreux qui prennent toute la place ; comme si j’en avais plein de nez, plein la langue et plein le palais. « T’es arrivé jusque là, tu vas pas flancher pour une p’tite égratignure, eh. » Avec précautions et empressement mêlés, je tire de mon sac la trousse de premiers secours laissée facilement accessible sur le sommet des affaires soigneusement empaquetées. Et puis, avec encore plus de précautions, j’ôte mon gant, les dents serrées, pour éclairer la blessure avec ma lampe frontale.

Bon sang. « Okay, c’est- rien qu’une égratignure, tu vois ? J’avais raison, » et je continue, tout bas, me parler à moi-même tandis que je désinfecte la plaie, la sèche, applique une compresse et bande rapidement, les gestes mécaniques et sans trop y songer, concentré sur la douleur plus que sur le reste, accroche familière même si elle ne devrait pas l’être.
Après m’être assuré que le tout est bien accroché, je range mes affaires, et fouille pour trouver ma deuxième paire de gants et tronquer l’actuelle pour la nouvelle, chaude, sèche et juste un peu moins serrée sur ma main. « Okay… Cali’, t’es prêt à reprendre ? » Il faut continuer d’avancer - tant que le jour n’est pas levé.

Immobiles, nous sommes à la merci du monde ; de la faune et de ses desseins, des hostilités d’une terre qui n’est pas la nôtre, pas la mienne. Je suis l’intrus, la tache sombre dans le paysage immaculé, le manquement dans l’ordre des choses. Je suis l’erreur dans la matrice d’un univers qui fonctionne sans moi depuis la nuit des temps, le désordre dans un écosystème qui me survivra pourtant. Je suis minuscule - infime, dans ces montagnes, dans ces crevasses, dans les blizzards ; je ne suis personne, un anonyme qui pourrait se perdre comme les autres, qu’un nom qu’on oubliera de toute façon.
Je ne suis rien - qu’une poussière dans l’univers, qu’un grain de sable dans les rouages de la région où j’ai grandi et même si cette île n’est pas celle qui m’a vu naître.

La neige craque sous mes pas - le soleil qui se lève, lentement, à l’horizon, n’atteint pas encore l’intérieur de la crevasse. Il fait jour, en haut, mais toujours sombre ici là, dans le dédale qui ne cesse de s’élargir et puis de s’amincir, forçant la file indienne prudente ou m’autorisant à marcher aux côtés de l’Haydaim que je laisse se remettre sans l’alourdir de mon propre poids.
Je crois qu’on approche des cavernes, de cet endroit que je n’étais pas certain d’atteindre - je pensais que j’aurais fait demi-tour bien avant. Mais chacun de nos pas nous en rapproche, et l’idée se fait un peu plus persistante à chacun d’entre eux - je pourrais continuer. Continuer, aller jusque là-bas où l’on dit que les murs sont pleins des pierres précieuses que seuls les courageux parviennent à aller chercher et ramener pour les vendre aux plus offrants.

Ça ne changerait rien, pour moi ;
mais ça changerait peut-être tout pour eux.

J’inspire - j’ai chaud, sous mes couches de vêtements, mais j’ai froid glacial sur la moindre parcelle de peau offerte à l’air libre et aux degrés en chute des aurores. On pourrait trouver un abri, s’arrêter la journée entière, se reposer jusqu’à demain pour poursuivre, en direction de la caverne - je crois qu’on l’a tous mérité. Je ralentis le pas, jetant un coup d’oeil en direction d’Unseelie, perchée sur le dos de Caligo - je l’observe sans la voir, perdu dans l’addition des jours dans mon crâne, quand l’Haydaim s’agite, brusquement, recule et me force à faire de même même si je manque trébucher.

Au sol, substance mauve et sombre, qui fait crépiter la neige et élève dans les airs d’étranges volutes de fumée que j’imagine brûlantes. J’en cherche la source - la rivière mauvaise remonte jusqu’aux pattes d’une créature dont le nom m’échappe, pour une fois. Et il y a un cri ; une plainte animale, là, de l’autre côté de Caligo, la bousculade me frappe par ricochet lorsque l’Haydaim trébuche, emporté par l’élan d’un coup que je n’ai pas vu venir. « Cali, » je tire sur le harnais pour le forcer à reculer - l’éloigner de l’acide qui se répand dans la neige, proche, trop proche de ses sabots qui piétinent avec inquiétude.

Unseelie, déséquilibrée, s’est servie de ses bras d’ombre pour se réceptionner - elle sillonne désormais dans la neige que le liquide corrosif n’a pas atteint, tout droit en direction du responsable. Caligo piétine, piaffe, renâcle - je pose ma main sur son encolure alors qu’en face, la silhouette d’un Solochi agité se dessine et se reflète dans la glace qui nous entoure. Il semble paniquer - fonce dans notre direction, aveugle et emporté par un élan que je n’explique pas. « Caligo, frappe, » et la voix lisse - je me force au calme pour que revienne le sien ; je dois être solide et sûr de moi quand ils ne le sont pas.

Heurt, bruits de sabots et de bois - et une plainte, plus loin, qui n’est pas la voix d’Unseelie.
Mes conquérants - capables de l’emporter sur toutes les batailles.