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Une pointe en avant - je me penche au plus près de la créature crépusculaire tandis qu’elle prend un peu d’avance, garde-fou de notre trajet et parée à la moindre des offensives. L’air est frais, dans les hauteurs, le vent un peu plus fort et la sensation de liberté, totale. C’est différent d’être lancé au galop sur la terre ferme, c’est différent de voir défiler le paysage à toute vitesse dans les angles morts de sa propre vision - l’homme connaît le sol par coeur.
Les airs - les airs, c’est autre chose ; c’est se sentir immense et minuscule, c’est une peur instinctive mais qui fait pulser des vagues d’adrénaline au fond des veines et donne l’envie d’y retourner à l’instant où l’on pose le pied à terre.

J’ai entendu des gens de ma classe, une fois, parler des attractions de la fête foraine d’Ike Kai de la même façon - mais j’ai bien moins confiance en les immenses ossatures d’acier des montagnes russes qu’en Mettle, toute insolente qu’elle soit depuis son évolution, désespérément déterminée à me jeter à terre lorsqu’on se tient trop longtemps trop près du sol.
J’ai fini par comprendre, je crois - la confiance serait totale ou ne serait pas. Je t’ai sauvé la vie semblait-elle dire, parfois, dans ses attitudes, sa défiance et ses bousculades, son assurance et puis ses ruades quand je faisais mine de lui intimer de rester près du sol, clouée à hauteur humaine ; pourquoi tu continues d’avoir peur des hauteurs à mes côtés ?.
Et c’était injuste, c’était ridicule, ça n’avait pas de sens.

Alors, j’ai fait confiance - je me suis abandonné, aveuglément, j’ai dit vole et je l’ai laissée m’emporter, loin du sol ; dans les cieux auxquels elle appartient et dont elle est souveraine.
Au nom de toutes les fois où elle est restée à mes côtés quand elle aurait pu s’envoler, loin, mais qu’elle a choisi de faire confiance en l’humain que je suis pour la défendre des prédateurs de la terre, je l’ai laissée m’emporter dans son royaume - haut, tout en haut, tant que mon corps pouvait supporter les températures en chute libre, l’humidité et le sifflement du vent.

(Je n’ai plus eu l’envie de redescendre.)

Je comprends Lukas, je crois.
Grimper à ses côtés sur Paladin m’avait déjà laissé apercevoir les contours d’un quelque chose qui m’avait exalté, ce jour-là - mais je n’ai réellement compris que cette fois, où j’ai laissé Mettle me montrer ce monde, qui nous surplombe depuis toujours, et dont j’ignorais tout.

Qu’une maigre poignée de semaines, depuis mon retour ; un peu moins de jours à m’entraîner, des douleurs et des gênes encore vives, dans le poignet, la jambe, les côtes et des tas de bleus éparpillés, pas de harnais et pas si habitué - je demeure prudent, tant que faire se peut, mais je rêve de plus. De plus grand, de plus haut, de plus vite, de plus d’adrénaline - et c’est plus fort que moi ; je m’y abandonne un peu, à peine, je redresse sitôt que je me sens glisser. Quête à l’étincelle, au sursaut du coeur, le temps passe un peu plus vite et-

Et ça fait combien de temps ?

Je plisse les yeux - l’horizon, là-bas, s’altère doucement. Les plaines se redressent sur des collines, et puis l’autre versant plonge en pente douce en direction d’une zone boisée, dont je suis à peu près certain de n’avoir jamais entendu parler. Les murmures n’ont jamais été plus forts qu’à l’instant où mes prunelles se portent sur les cimes, là-bas ; l’appel jamais plus intense - et c’est toute ma volonté qu’il me faut pour ne pas ordonner à Mettle de continuer tout droit, sans regard en arrière.
Je baisse les yeux sur ma montre ; les aiguilles ont bougé, mais j’ai la sensation de lire l’heure sans la comprendre, de la déchiffrer sans qu’elle soit importante - je relève la tête et c’est comme si j’avais regardé trois fois mais sans enregistrer l’information.

« Okay, demi-tour, » j’intime à la Bruyverne, qui s’incline pour entamer un virage qui ne me jettera pas des mètres plus bas.
Distance avalée jusqu’à Bellum et ses passagers, nouveau demi-tour pour revenir à hauteur et portée de voix, et je désigne d’un geste de la tête l’horizon en approche. « Y’a une forêt, derrière les collines, là-bas. Les murmures sont de plus en plus forts à mesure qu’on s’en approche- Je pense qu’ils viennent de là-bas. » Ou peut-être de derrière, (qui sait).

« Okay. On sortira Caligo et Ghost, j'm'occupe de Liang. Tu fermeras la marche pour couvrir nos arrières, comme ça il est entre nous deux au cas où y'a une merde. » Regard rendu, j’acquiesce lentement et laisse mon sourire s’étirer lorsqu’elle accomplit ce signe risible que je n’adopte que par mime moqueur.
Un retour aux sources, quelque part - mes prunelles effleurent Liang et j’incline la tête. « Il t’arrivera rien tant qu’on est là, tu sais ? » (Je te l’ai déjà promis, il y a longtemps).

C’est à regrets que je pose le pied à terre, grimace ravalée et mes doigts accrochés à la fourrure de Mettle. « Désolé championne, mais va falloir qu’tu prennes ton mal en patience quelques heures, » je souffle entre deux caresses, avant de la rappeler à sa Pokéball à contrecoeur, par sûreté. J’ai fini par m’habituer, à la praticité des petites sphères que j’essaie d’imaginer abris plutôt que prisons, quand bien même je ne peux m’empêcher de songer que c’est cruel, peut-être, de les soustraire au grand air, et- Réfléchis pas trop.

Je libère Caligo, qui s’ébroue et- « Oh, bordel- T’as toujours pas fini d’muer ? » Volée de poils éparpillés dans la brise, je fronce le nez et réprime de justesse une envie d’éternuer. « J’vais en avoir partout sur les fringues à cause de toi… » Je soupire, las et amusé, en lui destinant une caresse sur le chanfrein. De petits bourgeons ont commencé à pousser, sur ses bois, et il ne reste bientôt plus rien de sa collerette duveteuse qui tenait si chaud à mes mains, à Adamantia.

Ghost apparu non loin, je lui adresse un regard qu’il ne me rend que brièvement, et je lève les yeux au ciel avant de contourner l’Haydaim et de me hisser sur son dos - le geste facile, habitude, qu’une impulsion souple et une installation légère, en haut. J’ai fait ce geste cent fois, alourdi d’un sac énorme ; le poids de mon sac de cours rempli de trois bricoles n’est pas celui qui me clouera au sol.
Le Galopa et ses deux cavaliers passés en avant, je talonne avec douceur le cerf, qui leur emboîte le pas sans broncher.

…

Le bruit de l’eau.
Comme une rupture, soudaine, dans le paysage et les bruits qui donnent la sensation de se répéter depuis- des heures ? des minutes ? Il paraît encore fait grand jour mais j’ai l’impression que le soleil devrait être en train de décliner depuis longtemps- Ou peut-être pas tant ? Les sourcils froncés, je cherche des yeux l’origine du- Oh, une arche.
De la pierre, taillée, comme un tunnel, et ça s’enfonce et c’est sombre et on n’en voit pas le bout, mais le bruit d’eau vient de là, semble résonner contre les parois et s’intensifier quand on regarde l’obscurité qui appelle à y plonger.

Le regard des autres s’est porté dans la même direction - et je sais, alors, que ce n’est pas que moi. « Bon ... On y va. » Un rictus, sur le bord de mes lèvres. Évidemment. Quoi d’autre ? Des (viens) et des (approche) et des (suis-moi) dans la tête, fort et puissant et comme une litanie et ça ne s’arrête pas, ça ne s’arrête plus ; comment pourrait-on faire demi-tour désormais ? « Allez… » Et, une nouvelle fois, j’intime à Caligo d’avancer dans leur sillage.

Le bruit s’amplifie, empêche de penser, de raisonner, de s’entendre ; celui de l’eau et celui des voix, qui appellent, appellent, appellent en boucle et tout s’emmêle dans la pénombre tranchée par la lumière dansante des flammes de Ghost, qui fait vaciller nos ombres sur les murs.
J’ignore combien de temps on avance, les sens confus, le monde sans dessus-dessous et les heures égarées - mais, soudainement, la lumière.
La lumière, et puis un filet d’air, frais sur ma peau, humide mais attirant, et le pas de Caligo qui augmente la cadence en même temps que celui du Galopa qui nous devance.

Je m’extirpe du tunnel à leur droite et, aussitôt, la clarté m’éblouit et me force à plisser les paupières. J’observe, sans comprendre, ce qui m’entoure mais, surtout, je lève la tête et il n’y a qu’un ciel ouvert, bleu et immense, sans rien pour obstruer la vue et- Comment a-t-on pu ne rien remarquer, depuis les hauteurs ? Comment la forêt a-t-elle pu paraître aussi dense, vue d’en haut, alors qu’il n’y a aucun arbre pour couvrir cet endroit et qu’il est immense ? « Qu’est-ce que… Vous avez vu quelque chose, vous, quand on- » Attends, mon regard par-dessus mon épaule, et- Rien. « …Liang ? Kiya’na ? » J’intime à Caligo de se retourner. « …Vous êtes où ? » Mais il n’y a rien, rien que le silence et le bruit des cascades, que-
Personne d’autre.

Personne d’autre, malgré les foules soulevées à Verpré.
Comment se fait-il que je sois seul, ici ?

Je cille, un peu confus, désemparé ; il y a une sensation étrange qui m’étreint le coeur, désagréable et même un peu inquiétante, une impression de pas normal qui bouscule mes sens et mes instincts.
(Quelque chose qui m’ordonne de partir, quelque chose qui me supplie de rester).

Hésitant, je finis par tirer mon téléphone portable de ma poche. Pas une once de réseau, ici, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ; j’ouvre l’application de l’appareil photo, et je braque l’objectif en face de moi. Il y a quelques mètres de terre, à nos pieds, rive ferme, couverte d’herbe courte et puis de mousse, à mesure que la pente douce plonge en direction de l’eau. Les miroitements du bassin m’éblouissent, dessinent des tâches noires sur mes rétines à mesure que l’eau ondule, poussée par le fracas des cascades. Les roches, plus beiges que grises, lissées par les pluies et l’air friable, s’élèvent haut, haut en direction du ciel, sur des hauteurs que mon objectif ne parvient pas à capturer d’un seul cliché. De là-haut, le sommet des chutes, qui s’écoulent en un mur d’eau trouble à mes yeux comme sur l’écran.

C’est flou, un peu en contre-jour sans que je comprenne bien pourquoi ; les couleurs contrastées et du mal à capturer une image fidèle de l’endroit - c’est comme si les pixels la rendaient morose, comme si rien ne pouvait imprimer l’essence de ce gouffre d’eau et de verdure, quelque part entre rêve et cauchemar. J’essaie de modifier les réglages, mais ça ne fait qu’empirer ; quelque chose sonne faux, insaisissable, et c’est comme si l’endroit m’intimait de ne pas emporter ses secrets hors d’ici. Si les couleurs s’améliorent, c’est le paysage qui se trouble, ce sont les reflets de lumière qui transforment la photographie en nuances de blanc, tout qui se mélange dans un flou de mouvement étrange, comme si j’avais bougé.
Je renonce quand, au bout de cinq prises, je réalise qu’aucune ne rendra justice à l’endroit.

Le bruit est assourdissant ; c’est celui des chutes, tonitruant, si fort qu’il sature et que j’ai l’impression de ne plus savoir faire le tri, ça prend la tête, le cerveau, les oreilles, gêne physique qui m’arrache une grimace malgré moi. C’est celui des sabots de Caligo, lorsque je lui intime d’avancer et qu’il trébuche d’un rien dans la terre meuble, le son de la plainte qui m’échappe, malgré moi, quand le mouvement brusque me fait forcer sur mon poignet pour tenir l’équilibre ; et puis les voix, partout, tout le temps, qu’on entend même par dessus les cascades.

Le vent frais, humide, caresse mon visage et m’apaise, fines gouttelettes éparpillées sur ma peau et auxquelles je m’abandonne sans l’ombre d’hésiter. Mes mains se referment sur la fourrure chaude de Caligo, tandis qu’il s’aventure sur un terrain un peu plus accidenté du bord du bassin, et j’ai la sensation d’oublier quelque chose, derrière mois. Je me retourne, mais il n’y a rien ; je suis seul et plus si certain de savoir ce que je cherchais, pourquoi je- Sensation trouble et sentiment de déjà vu, une confusion similaire à celle que- C’était quand, déjà ?
(Ressaisis-toi, Noah), et j’enfonce mes ongles dans ma paume, comme un réflexe douleur dont j’ai pris l’habitude à force de mes cauchemars, pour que la piqûre soudaine m’arrache aux méandres de mes sommeils agités.

Je ne me réveille pas.
Le bruit et la lumière sont inchangés ; je sens toujours l’odeur, lointaine, de la forêt - lourde de sève - et puis celle, plus proche mais presque moins entêtante, des fleurs sauvages qui poussent autour du bassin.

J’humecte mes lèvres - je réalise ma gorge sèche en réalisant le goût âcre de ma propre salive, et je fais glisser mon sac sur mes épaules pour en tirer la bouteille d’eau que j’ouvre et porte à mes lèvres.

Et puis- Et puis, plus loin, tandis que je range la gourde et réinstalle correctement mon sac, un éclat de rose, qui détonne dans la verdure et les nuances de bleu. Je cille, pas bien certain de tout saisir - et le paysage se trouble et quelque chose cogne dans ma tête et quelque chose gronde dans mon crâne et vrille mes tympans et (nausée), brume, douleur-
Je devrais fuir mais, à la place, je pose le pied à terre et intime à Caligo de ne pas bouger tandis que j’avance. D’un pas, d’un autre, en direction de la créature que je suis certain de n’avoir jamais vue nulle part.

Des airs de Lézargus sans en être tout à fait un, son corps allongé et sa posture quadrupède, le rubis sur son crâne et ses ailes- Ses ailes, qui rappellent celles de Mettle, non, celles de Dichotomie, en vérité, blessées, des cicatrices sur les nervures et (par pitié, pas de blessures) dans la tête, quelque chose qui fait mal et qui serre le coeur. Je tends la main, j’avance d’un pas - et puis, un cri, aigu et furieux, dans mon dos, me fige sur place.

« Unseelie ! Non ! » Ses bras d’ombre s’immobilisent, dans les airs - bris de verre dans le crâne, la douleur me cloue sur place et je m’effondre, un genou à terre et le monde tourne, autour de moi tandis que, la main tendue sur le côté, j’ordonne à la Mimiqui de rester en retrait (quand s’est-elle libérée ?) et j’inspire. J’inspire, un souffle après l’autre, respiration pénible après respiration pénible, la tête pleine de bruits aigus, de sifflements, des pulsations dans les tempes et (envie de vomir).

« Eh- J’vais… J’vais pas t’faire de mal- J’veux pas t’faire de mal, » je souffle, je répète, comme s’il me comprenait ; mais je suis agenouillé dans la terre, les mains dans l’herbe, à sa merci - et il suffit de le contempler, un instant, pour saisir la terreur qui l’étreint, plus grande que la mienne. « J’sais c’que c’est d’avoir peur, » je souffle, un peu tremblant ; « j’ai souvent peur, moi aussi, même si j’le dis jamais vraiment, » parce que ça m’a jamais empêché de continuer, alors, à quoi bon l’avouer ? À quoi bon admettre qu’un tas de choses me fait trembler, qu’un tas de choses me brise, qu’un millier de choses me filent des sueurs froides quand, de toute façon, je continue d’aller les affronter ?

Je tente de me redresser, lentement, la vue trouble (vision tunnel) et des débuts d’aura devant les yeux (ça faisait longtemps). Je ne suis plus bien certain ; je crois que je viens de quelque part et que je cherchais quelque- Que je fuyais quelque chose ? Quelqu’un ? Que j’étais… « …Tu m’rappelles un Pokémon que j’aime beaucoup, » et je ne sais même pas pourquoi je lui raconte ça, la voix basse et (douleur) partout, « mais qui a été blessé à cause de moi, » parce que j’ai pas pu partir, parce que j’aurais jamais pu m’y résoudre, parce que je restais et qu’elle le savait. « Il pourra plus voler, » à tout jamais cloué au sol, parce que je n’ai pas su renoncer quand il le fallait ; parce que j’ai levé la tête et craché viens m’chercher, choisi la colère (le coeur) plutôt que la fuite (la vie).

« Tu peux toujours voler, toi, dis ? »

La pression sur mes tempes s’apaise, doucement - les contours se redessinent un peu plus nettement, les particules sombres qui dansaient devant mes yeux s’effacent un peu, les couleurs qui avaient saturé se ternissement doucement. Je me redresse enfin, sensation coton dans les jambes et l’impression de tituber, j’inspire, et je pourrais en pleurer tant la relâche de l’étau refermé sur mon crâne est bienvenue. « Merci, » je souffle, tout bas, même s’il a de nouveau reculé - et je devrais en faire de même, je crois, (je n’ai pas ma place, ici) ;

mais il y a quelque chose, en moi, qui m’intime que je ne peux pas partir.
Qu’il manque quelque chose, que j’ai oublié quelque chose, quelque chose d’important qui a besoin de moi, quelque chose que je dois retrouver à tout prix avant de m’en aller, et c’est ce même voile sombre, opaque et permanent, et je ne comprends pas.

(Qu’est-ce qui a pu m’échapper, que je savais encore il y a une poignée d’instants, et que je ne sais plus désormais ?)
Que me fait cet endroit, pour que j’en oublie les évidences qui composaient le quart d’heure précédent…?

Battements d’ailes - je dresse mon bras en barrage à la poussière et je plisse les yeux, je tente d’y voir clair dans le désordre des bourrasques soulevées qui semblent jouer dans les reflets d’un soleil étrange, un peu lourd, un peu trop vif pour mon crâne encore malmené. Il vole, il vole, tu voles, emporté dans les hauteurs ; la trajectoire maladroite mais les airs parcourus malgré tout. Tu voles encore, les ailes blessées et plus jamais maître des airs comme tu l’as été - mais toujours capable d’y régner.

(Il reste encore quelque chose à sauver…)

Je le suis des yeux, je tourne sur moi-même pour ne pas le perdre de vue, les gestes lents et plongé dans un silence quasi-religieux. J’ignore tout ce que tu es… Mais tu viens d’une Lentis que j’aime plus que de raison, alors je t’aime, aussi, sans te connaître, malgré ta peur et ton hostilité, malgré les retranchements de tes afflictions. « …Est-ce que ce sont des gens comme moi, qui t’ont blessé ? » Ça n’aurait pas sens… Cet endroit n’était pas connu des hommes, non, de ma génération, de nos colons ; peut-être connue des anciens qui ont foulé ces terres, il y a des siècles - mais pas de nos parents, pas de nos ancêtres venus d’ailleurs que d’ici.

Alors, quoi ?
Ce monde, cette vie ; Lentis a toujours blessé ses enfants, mais les choses sont ainsi faites, saigner, c’est le prix à payer pour exister, pour fouler cette terre souillée ; c’est le don de soi qu’on fait à celui qui nous a modelé d’une image capable de croire et de prier…

« …Il m’a protégé. Quand- » Mon coeur se serre, la tête me tourne un peu - vestiges de migraine ou nausée vague à remuer les souvenirs de novembre et puis du dernier Sommet - je ne sais pas, un peu de tout à la fois. « Je suis resté pour combattre et protéger l’endroit qui compte le plus, pour moi… Parce que c’est un endroit important pour des gens que j’aime, aussi. » Pourquoi, pourquoi, pourquoi ;

pourquoi je te parle comme si tu comprenais ?

Une hésitation - je cille et puis, lentement, je me rassois par terre, en tailleur à même l’herbe humide des particules d’eau qui arrosent, depuis les cascades, comme une bruine légère qui tombe en permanence. « J’ai fait des erreurs… Beaucoup d’erreurs, » je souffle, sans te quitter des yeux, un brin d’herbe tordu entre les mains. « Mais je l’ai fait pour protéger d’autres choses que moi… » Mes prunelles tombent sur Unseelie, à mes côtés, qui s’est approchée - et je tends la main pour caresser sa tête factice, un peu de travers. « …Toi aussi, tu as des choses à protéger, non ? Tu sais ce que c’est, pas vrai…? » Les sacrifices qu’on fait,

au nom de tout ce qui a jamais compté…